QUAKER n. m. (de l'anglais quake, trembler)
Voltaire a dit que, si l'on avait souvent tourné les quakers en ridicule, on avait été contraint de respecter leurs mœurs. Pour notre part, nous reconnaissons volontiers à la Société des Amis des qualités qui nous rendent ses membres particulièrement sympathiques. Les doctrines enseignées par George Fox, son fondateur, se trouvent déjà exprimées, d'une façon plus ou moins claire, chez les mystiques allemands Eckhardt et Tauler, ainsi que chez d'autres écrivains antérieurs. Citons encore, parmi les précurseurs des quakers, le pasteur puritain Roger William's qui s'en alla, en 1638, fonder l'Etat de Rhode Island, en Amérique. Il proclamait l'inviolabilité de la conscience humaine et ne reconnaissait aux autorités aucun droit de contrôle sur la voix intérieure qui parle en nous. Il interdisait de prêter serment et condamnait le paiement des taxes réclamées par les ministres des cultes. Mais c'est grâce à George Fox que l'appel à l'inspiration personnelle et directe du Saint-Esprit devint la base d'un système théologique célèbre et d'une association religieuse puissante. Ce réformateur naquit à Drayton (Leicester) en 1624 ; il mourut à Londres au début de 1691. Fils d'un pauvre tisserand presbytérien, il fut lui-même berger, mais se sentit de bonne heure appelé à prêcher une doctrine nouvelle. Il rejetait les observances rituelles et la hiérarchie ecclésiastique, déclarait que dieu n'habite pas les temples construits par les hommes et que chacun trouve un guide infaillible dans sa propre conscience inspirée par le Saint-Esprit. Comme il s'élevait contre la tyrannie sacerdotale et défendait de verser le sang humain, Fox fut longtemps et durement persécuté. C'est à l'occasion des poursuites intentées contre lui, en 1650, à Derby, qu'il fut appelé quaker (trembleur) par le juge Bennet qu'il exhortait à « honorer dieu et à trembler devant sa parole » ; ce surnom resta à ses disciples. Ses prédications dans les diverses régions de l'Angleterre, de l'Irlande, de l'Ecosse, sa douceur et sa charité lui gagnèrent de nombreux partisans. A l'époque de la restauration des Stuarts, George Fox fut mis en prison et y resta, presque sans interruption, jusqu'en 1666. Inquiété de nouveau en 1672, il se rendit en Amérique, puis, à son retour, visita diverses contrées d'Europe, spécialement la Hollande. Il jouissait de la paix dans son propre pays, quand il mourut ; la Société des Amis s'imposait alors à l'attention de tous. Parmi ceux qui contribuèrent le plus à répandre le quakérisme, il faut citer Robert Barclay et William Penn. Très versé dans la connaissance du grec et de l'hébreu, Robert Barclay écrivit l'apologie de la nouvelle religion à une époque où la chose était dangereuse ; il fut emprisonné, mais ne renonça pas à ses idées. William Penn, fils d'un amiral, s'était converti au quakérisme en 1667, alors qu'il étudiait à Oxford. Son père crut qu'un voyage en France et dans les Pays-Bas modifierait ses idées ; il n'en fut rien. Emprisonné quelque temps en Irlande, chassé par sa famille, il commença en 1668, à prêcher et à écrire. C'est pendant son incarcération à la Tour de Londres qu'il composa England's present interest où il réclamait pour tous l'absolue liberté de conscience. Il accompagna Fox dans son voyage de propagande en Allemagne et en Hollande. Après la mort de son père, il échangea une créance de 16.000 livres, que ce dernier possédait sur la couronne, contre la cession en Amérique d'un territoire plus vaste que l'Angleterre, à l'Ouest du Delaware, et qui prit le nom de Pensylvanie. Il y appela ses coreligionnaires, ainsi que les persécutés des autres sectes. Comme les nouveaux venus n'occupèrent que des territoires achetés aux Peaux-Rouges, ils vécurent en bonne intelligence avec ces derniers et n'eurent jamais recours à la force. De plus, exemple bien méritoire à cette époque, ils pratiquèrent la tolérance même à l'égard de leurs adversaires. Penn mourut en 1718, après avoir connu des succès entremêlés de dures peines. La Pennsylvanie fut le premier Etat d'Amérique qui libéra les esclaves. Maintes fois les quakers ont été accusés par les autorités politiques et religieuses de favoriser l'esprit d'insubordination et de révolte. Ils n'ont aucun respect, en effet, pour la hiérarchie sacerdotale, pour les rites et les cérémonies cultuelles ; ils dénient aux gouvernants le droit de violenter la conscience individuelle. Devant les tribunaux, ils refusent de prêter serment et se bornent à une déclaration affirmative ou négative ; leur véracité est d'ailleurs proverbiale. Fidèles au précepte biblique : Tu ne tueras point, ils refusent de porter les armes et de s'associer aux fêtes militaires. Ces consciencious objectors, n'ont pas craint de supporter la prison et même la mort pour la cause de la paix. Ils ont montré l'exemple à nos objecteurs de conscience actuels ; et cela suffirait pour que nous leur accordions une estime méritée. Longtemps, on se moqua des quakers à cause de leurs vêtements : les hommes portaient des chapeaux à larges bords, des habits très simples et de couleur sombre ; les femmes avaient un tablier vert et une mantille noire. Ils ne saluaient personne et tutoyaient tout le monde, par souci d'égalité. Adversaires de la traite des noirs, ils ont puissamment contribué à l'affranchissement des nègres aux Etats-Unis. Dès 1751, ils décidèrent que ceux qui ne banniraient pas complètement l'esclavage de leurs maisons ne seraient plus reçus parmi eux. A l'égard des déshérités de toutes les races et de tous les pays, ils font preuve d'un amour fraternel qui impose le respect même à leurs adversaires. Maintes fois on a fait remarquer, et à juste titre, que selon l'expression de Madeleine Madel, la Société des Amis qui ne se donne pas l'étiquette libertaire en possède effectivement l'esprit. Dans ses groupes, ce n'est ni un individu, ni une coterie, ni la majorité qui commande : les décis ions concernant la collectivité doivent être prises à l'unanimité. Parmi les sectes nées du quakérisme, il en est une que signalent avec intérêt les historiens des colonies communistes : celle des Shakers. Fondée par une jeune femme illettrée, cette société pratiquait d'une façon absolue le communisme de la production et de la consommation. Mais si l'individu devait rester pauvre, la communauté pouvait être riche ; et cette richesse collective devenue considérable fut néfaste aux Shakers, car elle poussa certains adhérents cupides il s'en emparer personnellement. Ajoutons que les membres de la secte étaient soumis à une discipline rigoureuse, qu'ils s'astreignaient à une chasteté absolue et ne toléraient, en matière d'art, que la musique et la danse. D'autre part, signalons qu'on a surnommé les Frères Moraves, les quakers de l'Allemagne. Créée en 1457 avec les débris des Hussites qui n'avaient pas voulu se soumettre aux décisions du concile de Bâle, leur association fut persécutée à plusieurs reprises. Reconstituée en 1722, elle fonda une colonie à Hernhut dans la Haute-Lusace. Les Frères Moraves vénèrent la Bible, mais pensent que l'on peut entrer en communication avec dieu par la lumière inrieure. Ils s'assemblent souvent pour des repas en commun, portent un costume uniforme et se font remarquer par un grand amour de la paix. Malgré le surnom qu'on leur donne, il est impossible de les confondre avec les disciples de George Fox. A l'heure actuelle, ces derniers, les Amis, se rencontrent surtout aux Etats-Unis, où ils exercent une influence appréciable, et en Angleterre. Ils ont aussi quelques communautés en Hollande, en Allemagne, en France (où un périodique, (l'Echo des Amis est publié par leurs soins) et dans d'autres pays.
- L. BARBEDETTE.