QUINTESSENCE n. f. (du latin : quinta essentia, cinquième essence)
Certains philosophes anciens, dans leurs essais d’explication de l’univers, admettaient quatre éléments primordiaux, et Aristote, reprenant une partie des conceptions d’Empédocle, enseignait que la matière provenait de la terre, ou sec + froid ; de l’eau, ou humide + froid ; du feu, ou sec + chaud et de l’air, ou humide + chaud. À ces quatre éléments, les anciens en ajoutaient un cinquième (quintessence ou cinquième essence), de nature encore plus subtile, animant probablement les quatre autres éléments.
De tous temps, les penseurs profonds ont cherché, au delà du connu immédiat, les causes profondes de l’univers. Bien que leurs moyens d’expérimentation aient été infiniment plus grossiers et réduits que les nôtres, leurs observations et leurs raisonnements, poussés à des degrés surprenants, leur firent réellement trouver les points difficultueux de la compréhension de l’univers ; et si quelques-uns de leurs essais d’explication nous paraissent naïfs, c’est probablement parce que nous ignorons tous les détails techniques de leurs conceptions. Mieux connues, elles nous paraîtraient peut-être moins simplistes et plus ingénieuses.
Il est d’un usage courant, par exemple, de nier toute valeur scientifique à la conception atomistique de Démocrite, parce qu’il ne nous a point laissé les raisons de sa philosophie et parce que son époque ignorait le microscope ou le calcul infinitésimal. On oublie que ses observations constituaient des données aussi certaines que les observations scientifiques actuelles, mais que, faites sur de plus grandes échelles, elles ne pouvaient engendrer que des concepts plus généraux. C’est ainsi que le spectacle de l’évolution et de la transformation de toutes choses, l’accroissement des êtres vivants, leur disparition progressive et totale suggérèrent l’idée de particules extrêmement ténues, puisqu’elles échappaient à toute observation directe, s’agrégeant les unes aux autres en nombre prodigieux, vu leur petitesse infinie. Mais l’absence d’évaluation exacte et d’observations plus précises ne permit, à ces penseurs géniaux, que des conceptions forcément plus vagues et plus générales que celles plus récentes sur la constitution élémentaire de l’univers.
Ceci nous montre que la connaissance philosophique s’effectue dans deux voies parallèles : l’une strictement expérimentale et analytique, qui nous donne le monde tel qu’il est, au temps présent, dans les limites étroites des expériences sensorielles ; l’autre synthétique, groupant toutes les données sensorielles pour en extraire les rapports, les causalités, les identités, les variations, etc., en vue de découvrir des processus applicables à tous les problèmes posés par la curiosité humaine et les expliquant.
Il est donc évident que, toujours, la synthèse dépendra de l’analyse, et qu’une analyse grossière, imparfaite et superficielle ne saurait aboutir à une synthèse profonde et définitive. C’est pourquoi nous assistons à des modifications successives et incessantes des conceptions de la matière et de l’énergie, conceptions dépassant inévitablement le cadre strictement expérimental du présent, puisque le but de la connaissance est de nous préparer à l’inconnu de tout devenir et de tout avenir.
Parmi ces inconnus, la quintessence des anciens, malgré tous nos progrès, reste toujours d’actualité ; et les mêmes difficultés que rencontrèrent ces penseurs profonds se dressent toujours devant nous. Nous ignorons encore l’essence réelle des phénomènes ; et si nous connaissons assez bien la constitution de l’atome, nous ignorons la constitution des électrons, la cause de leur rotation et de leur organisation et surtout la cause de leur vagabondage d’un atome à l’autre. Nous mesurons admirablement les effets divers de l’énergie, mais nous ne savons point qu’elle est sa structure définitive.
Ce n’est pas là une question oiseuse de métaphysique. Certes, la science moderne, en ramenant tous les aspects de l’univers à des manifestations de l’énergie, a chassé les dieux terrifiants ct malfaisants ; mais le mystère de la quintessence reste toujours d’actualité, à peine rajeuni et modernisé, sous cette forme plus précise : d’où vient la variation du mouvement ?
L’univers nous apparaît, dans ses changements perpétuels et ses simultanéités d’équilibres, comme une suite ininterrompue de stabilités et d’instabilités. La science actuelle étudie le stable et même le variable, mais elle n’en tire une source de connaissances que lorsque cette variation est régulière, continue et peut devenir une loi. Il n’en est pas de même de l’instable. La météorologie, par exemple, par son irrégularité et son imprévision des temps à venir, ne saurait être une science réelle.
Ainsi, l’essence des variations phénoménales nous échappe ; et cela est si vrai que la connaissance réelle des phénomènes nous permet de les adapter à nos besoins, de nous adapter à eux, tandis qu’ignorant actuellement la cause de pertes ou de gains des électrons par les atomes nous ne pouvons ni enlever un électron à l’atome de mercure, ni en enlever trois à l’atome de plomb – ce qui les transformerait tous deux en atomes d’or –, ni ajouter un électron à l’atome d’azote pour en faire un atome d’oxygène. Cela prouve qu’au-delà de nos moyens actuels d’analyse expérimentale, il y a d’autres faits déterminant tous les effets que nous appelons énergie, pesanteur, lumière, électricité, etc. Ces faits sont doués de propriétés telles que tous les processus universels : variation, évolution, équilibre, énergie, matière, vie, pensée, etc., doivent pouvoir être expliqués par eux.
Déjà, nous pouvons penser que, par le changement de direction du mouvement de la substance, l’énergie et la masse peuvent s’expliquer en grande partie : l’énergie étant du mouvement rectiligne à grande vitesse linéaire, et la masse du mouvement circulaire à grande vitesse rotatoire. L’énergie peut donc se transformer en masse (inertie apparente d’une toupie due à sa grande vitesse rotatoire) ; et, inversement, la masse peut se transformer en énergie (vitesse linéaire de la toupie après heurt d’un obstacle).
Il est probable qu’au-delà de la vitesse de la lumière existent d’autres vitesses, beaucoup plus rapides, préexistant et participant à toutes les combinaisons, les engendrant et les détruisant par cette propriété de stabilité et d’instabilité qui est le secret même de l’univers, la quintessence des anciens.
Le mouvement a bien sa cause en lui-même, c’est entendu, et l’on ne pourra jamais aller plus avant dans cette voie ; mais il reste à trouver pour quelles causes ce mouvement varie et présente une infinité d’équilibres et d’instabilités. Les lois scientifiques ont, jusqu’à présent, précisé l’évolution équilibrée de notre univers présent ; elles doivent se compléter par la découverte de lois plus synthétiques s’appliquant à toutes les durées de l’univers.
IXIGREC.