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RAPACITÉ n. f.


On appelle rapaces certains oiseaux à bec fort et recourbé, à griffes puissantes qui se repaissent avec voracité de la chair de leurs victimes. Aussi, la rapacité est-elle devenue synonyme d’avidité à se jeter sur une proie. Malgré des dehors avantageux et des manières polies, beaucoup d’hommes sont de vrais rapaces et vivent de la chair et du sang de leurs contemporains. « Ces graves messieurs, vautours de la finance, de la politique ou de l’académie, crâne chauve et l’œil cerclé d’un monocle d’or, épient sans douceur les faiblesses de leurs partenaires : celui-ci n’est qu’une outre gonflée de vent, celui-là sert de caniche à une maîtresse acariâtre, ce troisième, d’intelligence redoutable, est à vendre au plus offrant. Et, tandis que les bouches n’ont que miel à répandre, quand de partout s’élèvent des congratulations mutuelles et générales, chacun songe au meilleur moyen de frapper celui qu’il encense. » La guerre a montré jusqu’où pouvait descendre la rapacité des fabricants d’armes, des grands banquiers, de tous ceux qui vivent de la misère des peuples. Dans les colonies, rapines et brigandages se parent du beau nom d’action colonisatrice. Les jeunes peuvent tomber dru ; les mères peuvent pleurer. Qu’importe ! « Ce sang, ces larmes, écrit L. Barbedette, des hommes de proie en ont besoin : à l’abri des balles, ils guettent l’heure de la curée. Honneur ou progrès sont pour eux des prétextes, armée et diplomatie des instruments ; ils veulent des concessions fructueuses et sans bourse délier, des dividendes inouïs, de l’or, toujours plus d’or. »

Au Moyen Âge, les rapaces furent les nobles ; aujourd’hui, ce sont les capitalistes. Autour des gros oiseaux de proie vole, d’ailleurs, toute une armée d’éperviers de petite taille et de noirs corbeaux qui se nourrissent des débris laissés sur les champs de carnage. Du nombre sont les prêtres aux doigts crochus et aux dents longues, les argousins de tous grades, les juges, les politiciens au plumage passant du blanc de lys au rouge écarlate. Et loin de se liguer contre ces mangeurs de cadavres, les hommes les admirent et se résignent à devenir leurs victimes quand ils jugent utile de décimer les masses moutonnières. C’est afin qu’ils ne manquent ni de viande fraîche, ni de sang vermeil que les femmes procréent sans cesse et que les pères triment pour nourrir leurs rejetons. Souhaitons qu’un jour les travailleurs finissent par comprendre que les rapaces disparaîtront quand on leur donnera la chasse et que les peuples se refuseront à leur servir de proie plus longtemps.