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RÉGIONALISME n. m. (du mot région)



Le régionalisme ne se confond ni avec l’autonomisme, ni avec le fédéralisme, mais il implique quelque chose de plus que la simple décentralisation administrative. Il demande la création de nouvelles divisions territoriales et un développement accru de la vie régionale dans tous les domaines. Les régionalistes se défendent de vouloir ressusciter les anciennes provinces ; et beaucoup protestent de leur affection pour la nation, de leur culte pour l’État. « Nous ne voulons pas, a déclaré Jean Hennessy, et nous n’avons jamais voulu restreindre la souveraineté nationale et attribuer aux habitants d’une seule parcelle du territoire français l’autonomie. La souveraineté française appartient à la nation tout entière, Nous ne voulons pas et nous n’avons jamais voulu porter la moindre atteinte à l’unité et à l’indivisibilité de la nation. Elles sont essentielles à la prospérité, à la sécurité et à la grandeur de la France. Nous ne comprenons même pas que certains Français puissent avoir des lois différentes de celles des autres, et nous voulons les lois égales pour tous. Mais nous ne voyons pas comment des circonscriptions administratives agrandies, substituées aux départements, ayant pour centres des villes qui s’imposent par leur situation géographique, circonscriptions rationnellement et légalement délimitées, porteraient atteinte à l’unité nationale. Nous ne voyons pas non plus comment une organisation meilleure du suffrage universel, mieux adaptée aux besoins économiques de la région, aurait pour effet de diminuer les droits du citoyen au vote. Nous croyons que l’État, qui est l’expression même de la souveraineté française, doit toujours détenir les pouvoirs de décision, mais que son autorité sur toutes les questions nationales sera d’autant mieux maintenue qu’il se sera déchargé sur des collectivités restreintes du souci d’affaires trop nombreuses ou trop pressantes, auxquelles, aujourd’hui, il a peine à faire face. »



Nous sommes loin, on le voit, de l’autonomisme et du fédéralisme. Certes, tous les régionalistes ne témoignent pas d’une platitude égale à celle d’Hennessy ; beaucoup, néanmoins, sont notoirement réactionnaires. Danser la bourrée ou le rigodon, se déguiser en bergers et en bergères, allumer des feux à la Saint-Jean, voilà en quoi consiste le régionalisme de certains. D’autres ont des idées plus ouvertes. Néanmoins, après avoir passé en revue toute la gamme des régionalismes en vogue, j’ai dû en imaginer un qui donne satisfaction aux tendances fondamentales de ma pensée. Depuis, j’ai constaté qu’il avait recruté de nombreux partisans.



Admirer ce qui est ancien, sans discernement parce qu’ancien, faire fi du moderne, tel est le credo essentiel des régionalistes que nous combattons. Avec fracas, ils prêchent le retour aux mœurs antiques, aux habitudes et traditions d’autrefois. Vivre dans le passé, sans souci du présent, se contenter de souvenirs, à tout propos parler d’histoire locale, leur semble l’idéal. Ils oublient qu’il existe un devenir inéluctable, et que le changement est la suprême loi de tout ce qui est humain. Convient-il au jeune homme de s’habiller comme un baby ou au vieillard chenu de se costumer en page ? De même, l’époque moderne ne saurait être à l’aise dans la défroque des âges enfuis. Ne transformons pas la province en nécropole, ni en musée pour antiquailles. Mme de Sévigné affectionnait son lent carrosse ; avec raison, nos contemporains préfèrent l’automobile. Gardons le souvenir de ceux qui ne sont plus ; demandons des leçons à l’histoire. Mais ne sacrifions ni l’esprit d’initiative, ni les aspirations vers le mieux matériel et moral. Que l’artiste et l’écrivain de la province comme de la capitale produisent du neuf, de l’original, sans se soucier de refaire sans fin ce qu’on faisait avant, ni d’imiter les vieux modèles éternellement. L’ancienne Chine n’a tiré que déboires de son culte exclusif du passé ; que les régionalistes, instruits par l’expérience, se défient de la routine et de la tradition ! Leur but ne doit être ni de refaire un chemin déjà parcouru, ni de piétiner sur place, mais d’avancer. Complexité et changement caractérisent tout ce qui vit ; n’érigeons point en idéal le froid silence du tombeau !



Autre question et nouveau différend. Chaque régionaliste doit-il borner ses préoccupations aux limites de sa province ? Par leur façon d’agir, beaucoup le laissent croire, même s’ils ne l’affirment point. Quel tollé, lorsqu’un Auvergnat s’avise de donner des conseils aux Flamands ! Vraie muraille de Chine, un particularisme aveugle isole chaque province, bien mieux, découpe en étroits lopins jusqu’au sol d’un même département. Malgré leur voisinage, quelle distance sépare Poligny d’Arbois ! D’incroyables jalousies mettent fréquemment aux prises villes et villages limitrophes. Et malheur au profane qui, d’aventure, chasse sur ces terres gardées ! Comme au pays de Lilliput, des nains l’entourent et le garrotent. S’en tenir à des querelles de clocher, s’imposer des œillères, réduire son horizon à l’étendue d’un arrondissement sans s’inquiéter des grands problèmes humains, voilà l’aboutissant d’un régionalisme trop rétréci. Pourtant, si Paris rayonne d’une vie sans cesse rajeunie, c’est parce qu’ouvert aux courants universels de la pensée. Son cosmopolitisme reste, avec l’amour de la nouveauté, l’un des éléments qui assurent son règne. Mais, s’il est vrai qu’il faut lutter contre un défaut en cultivant la vertu contraire, c’est son particularisme outrancier que ferait bien de vaincre la province, en devenant accueillante à tout progrès. Éveiller bourgs et campagnes à la vie de l’esprit, élever progressivement leur niveau intellectuel vaudrait mieux qu’accabler la ville Lumière d’impuissantes malédictions.



Reconnaissons toutefois que les régionalistes voient se dresser contre eux le formidable appareil d’un gouvernement follement centralisateur. Dans les administrations, passer d’une ville plus petite dans une plus grande, pour aboutir à la capitale, voilà l’unique mode d’avancement. Aux Parisiens sont réservés les grasses prébendes et les suprêmes honneurs. Périodiquement, l’on écrème le reste du pays de ses éléments les meilleurs ou les plus remuants ; et, du même coup, l’on jette la défiance sur les hommes de talent qui se refusent à émigrer sur les bords de la Seine. Moyen commode de rendre les échines souples et de semer la division. Dans ce piège, le provincial donne tête basse, car, malgré son dépit fréquent, il vénère le Parisien à l’égal d’un dieu. Persuadez ce naïf qu’on peut être un sot et habiter la capitale ! À son avis, vos beaux discours prouveront que vous êtes un jaloux ou bien une tête sans cervelle. Et il admettra malaisément qu’on puisse avoir de l’esprit loin de Montmartre ou du quartier Latin. L’habitat, chez nous, en impose non moins que le diplôme ; on juge l’homme simplement d’après son plumage. « Il est des Vosges ! », redit l’écho des boutiques à papier de la Saintonge comme de la Seine, lorsqu’y parvient ma prose. Et l’on ne se gêne pas avec ce rustre des montagnes. Peut-être même la presse régionale est-elle pire, pour l’écrivain provincial, que celle de Paris. Et, s’il émerge malgré tout, quelle jalousie chez les muses départementales, quel dédain chez les notables, quels savants coups d’épingle de la part d’autorités qui toisent de haut cet administré gênant ! Et qu’il ne se rabatte pas sur les académies locales, vénérables ossuaires où des réactionnaires chenus se passionnent pour les morts, mais se désintéressent des vivants ! On s’y fige dans l’admiration du site ou des traditions provinciales ; arrière tout ce qui ne possède point la patine du temps !



La province fut toujours une pépinière d’écrivains célèbres. Elle les forma souvent, mais ne les garda presque jamais. À l’âge adulte, et sentant croître leurs ailes, ses fils ingrats la quittèrent pour le doux climat de Paris. Quoi d’étonnant, diront certains. Pour un auteur, quel silence s’il s’édite à Paimpol, quel tintamarre s’il se vend à Paris ! La capitale s’est réservée, chez nous, le monopole du bruit comme du pouvoir. Qui dira les tribulations du malheureux écrivain fidèle à son pays ? Et quel scandale, quelles clameurs s’i1 s’avise d’être audacieux ou véridique ! Ce que l’on approuve chez un Parisien devient inadmissible chez un provincial. Et l’on s’étonne que les écrivains quittent la province ! Rendons-là habitable pour qu’y puissent demeurer les artisans de la pensée. D’abord, il conviendrait d’assainir une atmosphère empoisonnée par la sottise, l’envie, la rancune et la médisance. De plus, que gagnerons-nous à substituer la toute-puissance de quelques grandes villes à celle de Paris ? Nous perdrons au change, s’il est vrai qu’un tyran éloigné vaut mieux qu’un tyran proche. Une fraternelle collaboration de tous les centres, étrangère à nos mesquines hiérarchies, et qui favorise l’ascension de tous vers plus de bien-être matériel et de dignité morale, voilà le seul régionalisme que nous approuvions.



Depuis que les autonomistes alsaciens et bretons ont encouru les foudres de nos grands patriotes, le régionalisme, autrefois fort à la mode, est devenu suspect à beaucoup. Pour moi, si je me suis intéressé à la vie provinciale, c’est dans l’espoir d’ébranler un peu la tyrannie étatiste et de contribuer à la libération intellectuelle des pauvres gens qui m’entouraient. Ayant vécu longtemps à Paris, je ne me range point parmi ses détracteurs. Partout, il est en but à la malveillance des autorités, celui qui veut rester indépendant ; et, partout, il rencontre des frères qui ont besoin d’être aidés.



L. BARBEDETTE.