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RÉGRESSION n. f. (du radical regredior, rétrograder)



En langage biologique et pathologique, la régression désigne le retour partiel ou total de l’organisme à une phase de son existence antérieure. En sciences naturelles, les observateurs s’attachent même particulièrement à l’étude des faits de ce genre qui s’avèrent d’une grande importance pour la bonne compréhension des doctrines évolutionnistes. Lamarck, qui lui attribue un rôle capital, l’explique, d’une façon générale, par le non-usage des organes. « Le défaut d’emploi d’un organe, écrit-il, devenu constant par les habitudes qu’on a prises, appauvrit graduellement cet organe et finit par le faire disparaître et même l’anéantir. » À l’inverse « l’emploi fréquent d’un organe augmente les facultés de cet organe, le développe lui-même et lui fait acquérir des dimensions et une force d’action qu’il na point dans les animaux qui l’exercent moins. » Dans l’ordre psychologique, le phénomène de régression s’observe aussi couramment. Alors que la répétition rend les habitudes mentales de plus en plus fortes, l’absence prolongée de satisfaction, le manque d’activité peuvent déterminer une régression très marquée des habitudes et même provoquer leur disparition totale. Celui qui n’exerce jamais son jugement, sa mémoire, son attention est finalement victime d’une obnubilation intellectuelle qui peut le conduire à un complet abrutissement. Celui qui ne s’habitue pas à rester ferme dans ses décisions devient, à la longue, incapable de vouloir, d’une façon sérieuse et durable. Quand il s’agit des maladies mentales, les phénomènes de régression acquièrent une signification particulièrement importante ; ce sont, pour l’aliéniste, des indices capables de l’éclairer sur la marche des troubles qui suivront.



En elle-même, la régression n’est ni bonne ni mauvaise ; elle le devient seulement en fonction des conséquences qu’elle provoque, du terme où elle aboutit. La disparition d’une mauvaise habitude est excellente ; l’affaiblissement de l’attention ou de la mémoire est, par contre, indésirable. Lorsqu’on parle de régression dans l’ordre biologique ou mental, il importe donc de préciser. Même dans l’ordre social, il existe des régressions heureuses ; la disparition progressive de l’alcoolisme serait à ranger dans cette catégorie. Néanmoins, le mot régression possède généralement un sens péjoratif dans le domaine politique ou économique ; il désigne un retour à des formes d’existence inférieures et pénibles ; il est synonyme de déchéance. De ces retours vers un passé néfaste, l’histoire nous offre de nombreux exemples ; les périodes régressives arrivent même fréquemment à la suite des mouvements révolutionnaires. « Rarement ceux qui profitent des révolutions sont ceux qui les font. En 1793, le peuple tira les marrons du feu et la bourgeoisie les croqua ; les barricades de 1830 favorisèrent surtout Louis-Philippe ; celles de 1848 Napoléon Ier. Des troubles suscités par des besoins profonds n’aboutirent qu’au changement de l’équipe gouvernementale ; l’argent prima l’hérédité, désormais la fortune, plus que la noblesse, permit l’accès du pouvoir. Mais le travailleur fut grugé par ses nouveaux comme par ses anciens maîtres ; son sort resta misérable, que l’empire succédât à la monarchie ou la république à l’empire. Toujours les aristocraties se montrent expertes dans l’art de canaliser à leur profit les mouvements révolutionnaires : les traditions païennes des nobles romains corrompirent, jusqu’à la moelle, le christianisme vainqueur, et nos modernes démocraties sont déjà confisquées par une nouvelle féodalité financière. Stratèges de l’intrigue et magiciens du verbe adaptent leur phraséologie au goût de l’heure ; avant la lutte, ils flattent les pires instincts populaires et leur main s’ouvre, prodigue de promesses insensées. Le triomphe assuré, les chefs pourvus, personne n’accepte de solder le troupier meurtri. » (Le Règne de l’Envie.)



On peut assurer qu’à l’heure actuelle, en France, nous sommes en pleine régression. Prêtres, généraux, capitalistes manœuvrent à leur guise parlementaires et ministres, qu’ils soient de gauche, de droite ou du centre. De plus, journaux, revues, hebdomadaires, toute notre grande presse n’est qu’un vaste étouffoir, une vaste entreprise de mensonge. Il est presque impossible d’atteindre le peuple et de lui dire la vérité.



Dans l’ensemble du monde contemporain, l’idéal libertaire subit, d’ailleurs, une éclipse fâcheuse. Partout, on prône les dictatures et les gouvernements forts ; communistes et socialistes autoritaires sont d’accord sur ce point avec les hitlériens et les fascistes. On fait de l’obéissance aux ordres des chefs le premier devoir du citoyen. Et l’on affecte de croire que l’anarchie c’est l’incohérence et le chaos ; même dans les milieux les plus avancés, ces idées sont courantes. Aussi nos contemporains se détournent-ils de doctrines qu’ils supposent purement négatives et incapables de fournir une base constructive sérieuse. Pourtant L. Barbedette a montré que la liberté la plus complète n’implique nullement l’incohérence et l’absence d’organisation, et que la raison vaut mieux que la contrainte pour engendrer l’harmonie. La science véritable exclut rigoureusement toute intrusion du principe d’autorité ; elle ne se soumet qu’à l’expérience et à la raison. Néanmoins, elle s’avère féconde en résultats pratiques et en conséquences heureuses lorsqu’elle est bien dirigée. Des œuvres merveilleuses seront possibles quand l’amour se surajoutera à la liberté. Notre idéal peut subir une régression passagère ; finalement, il s’imposera parce qu’il répond à d’indestructibles besoins du cœur et de l’esprit.