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RENAISSANCE (VUE D’ENSEMBLE) n. f. (du radical renaître)


On désigne par ce mot le mouvement qui, au XVe et au XVIe siècle, détourna les intelligences des formes artistiques et des idées chères au Moyen Âge, pour aboutir à un l’éveil de l’esprit antique. Contre la scolastique, contre l’autorité de l’Église et des théologiens, contre les préjugés mis en honneur par le christianisme, des érudits, des écrivains, des artistes, des penseurs lèvent alors le drapeau de la révolte. Mœurs, opinion, industrie, goût littéraire et artistique, tout se transforme et se renouvelle ; saisis par la passion de l’éternelle beauté, les esprits repoussent avec dégoût les formules léguées par le Moyen Âge, et c’est à l’Antiquité grecque et romaine qu’ils demandent une conception moins mesquine de l’existence, une plus juste compréhension des harmonieuses exigences de la nature et de la raison. Simple étape dans la voie de la libération des cerveaux, la Renaissance peut sembler timide à nos contemporains, touchant maintes de ses revendications. N’oublions pas cependant qu’il fallait un courage méritoire, au XVIe siècle, pour rompre avec les traditions chrétiennes, consacrées par une longue habitude.


Parmi les causes qui favorisèrent la diffusion des chefs-d’œuvre littéraires, laissés par les plus beaux génies de la Grèce et de Rome, il faut placer l’invention de l’imprimerie. Des textes, réservés jusque-là à de rares privilégiés, devinrent d’un usage assez courant ; et les nombreux ouvrages anciens, retrouvés par les érudits de l’époque, furent connus sans peine de tous les hommes cultivés. Pétrarque et Boccace, dans la seconde moitié du XIVe siècle, avaient déjà donné l’exemple, en s’attachant à l’étude des modèles latins et grecs. Le premier se montrait plus fier de son petit poème Africa, composé en vers latins, que des stances en l’honneur de Laure de Noves, qui lui valurent la célébrité : il mettait une vraie passion à rechercher les manuscrits enfouis dans la poussière des bibliothèques ; et sa joie fut sans borne quand il découvrit, à Liège, deux discours de Cicéron, inconnus de ses contemporains. Le second apportait une ardeur égale à retrouver les textes oubliés et il les faisait traduire à grands frais, quand lui-même ne les traduisait pas ; il apprit le grec sous la direction de Léonce Pilate et parvint à lire couramment les chefs-d’œuvre de l’Hellade. Mais la brillante époque de Pétrarque et de Boccace devait être suivie d’une éclipse ; et ce furent les savants grecs, venus nombreux en Italie dès la première moitié du XVe siècle, et qui affluèrent davantage encore après la prise de Constantinople par Mahomet II, qui donnèrent une impulsion particulièrement féconde à l’étude des littératures anciennes. Citons, parmi beaucoup d’autres, Manuel Chrysoloras, Théodore Gaza, Jean Argyropoulo, Constantin et Jean Lascaris, Chalcondylas, le premier éditeur d’Homère, le cardinal Bessarion. Bien accueillis en Italie par certains princes, souvent perfides en politique et sanguinaires dans leurs mœurs, mais qui se faisaient gloire de protéger les artistes et les lettrés, ces érudits furent, dans la péninsule, les promoteurs d’une révolution intellectuelle qui s’étendra ensuite à tous les pays d’Occident. Les Médicis à Florence, les Sforza à Milan, les d’Este à Ferrare ; certains papes, comme Jules II et Léon X, ont même laissé dans l’histoire un nom assez sympathique, malgré leurs crimes et leur débauches, à cause de la protection qu’ils accordèrent aux humanistes, aux poètes, aux grands artistes des XVe et XVIe siècles.


Des érudits italiens, tels que Jean Aurispa, Guarino-Guarini, Philelfe, rivalisèrent bientôt avec leurs maîtres grecs ; alors que d’autres, en particulier Gasparin de Bergame, Laurent Valla, Pulci, Ange Politien, le Pogge, s’appliquaient plus spécialement à l’étude des auteurs latins. Pour ne pas gâter le « latin cicéronien », qu’il se vantait d’écrire, le cardinal Bembo ne voulait plus lire l’Écriture sainte. Malheureusement, trop d’humanistes renoncèrent à faire œuvre personnelle, se bornant à imiter les anciens de façon servile. Or, pastiches et copies ne sauraient prétendre à une gloire durable ; hellénistes et latinistes de la Renaissance ont laissé des ouvrages d’une grande valeur pour les érudits, mais d’un intérêt littéraire et humain généralement fort médiocre, souvent même nul. D’Italie, l’amour de l’Antiquité grecque et latine gagna, successivement, les diverses régions de l’Europe occidentale et centrale.


En France, érudits et philologues ne manquèrent pas. Le plus célèbre fut Guillaume Budé, esprit encyclopédique qui fraya la voie à l’humanisme dans notre pays. Robert et Henri Estienne furent, tout ensemble, d’excellents imprimeurs et de remarquables savants ; comme beaucoup d’autres érudits français, ils se convertirent au protestantisme et furent violemment persécutés par les catholiques. Citons encore, tant parmi les hellénistes que parmi les latinistes, Lefèvre d’Etaples, Turnèbe, Estienne Daurat, Dumoulin, Muret, Nizole, Dubois, Scaliger, Casaubon. Le Collège des trois langues, appelé plus tard Collège de France, qui fut créé en 1530 pour donner un enseignement plus moderne que celui de l’Université, contribua puissamment à développer chez nous le goût des humanités. Outre Budé, il compta parmi ses professeurs l’helléniste Pierre Danès, l’hébraïsant Vatable, l’orientaliste Guillaume Postel, le fameux Pierre Ramus, qui fut tué lors du massacre de la Saint-Barthélemy.


Dès la fin du XVe siècle, des novateurs, tels que Conrad Celtes, Peutinger, Bebel, Rhenanus, Agricola de Groningue, répandaient en Allemagne le goût des études grecques et latines. Mais, dans ce pays, la lutte entre les scolastiques, restés fidèles aux méthodes surannées du Moyen Âge, et les humanistes, qui méprisaient le latin de saint Thomas d’Aquin et préféraient Platon à Aristote, fut extrêmement vive. Reuchlin, qui demandait que la science reste indépendante de la religion, fut accusé d’hérésie par les dominicains. Quant à Mélanchton, professeur de grec à l’université de Wittenberg dès l’âge de vingt et un ans, il devait se ranger du côté de Luther et jouer un rôle très important dans l’histoire du protestantisme. Mais il était réservé aux Pays-Bas de voir naître le plus célèbre des humanistes, Erasme de Rotterdam, 1466-1536. Entré vers l’âge de vingt ans dans un cloître, il s’échappa cinq ans plus tard, dégoûté à tout jamais des habitudes monastiques. Après avoir mené très longtemps une vie errante et parcouru la France, l’Angleterre et l’Italie, il se fixa, en 1521, à Bâle, qu’il ne quitta presque plus. Recherché par tous les hommes marquants de son époque, il exerça une sorte de royauté intellectuelle qui l’a fait comparer à Voltaire. S’il a touché à toutes les questions et persiflé impitoyablement moines et théologiens, il n’osa pas cependant attaquer les dogmes comme le patriarche de Ferney le fera au XVIIIe siècle. « Tous les hommes, a-t-il écrit, n’ont pas le tempérament des martyrs ; et, si j’eusse été mis à l’épreuve, je crains bien que je n’eusse fait comme saint Pierre. » Pareil à maints libres-penseurs modernes, cet écrivain sceptique ménagea toujours les autorités religieuses et civiles ; il n’osa même pas prendre parti pour la Réforme et resta finalement catholique. Ses Adages, ses Colloques, son Éloge de la folie et ses autres ouvrages obtinrent un prodigieux succès.


Toutefois, approfondissant mieux les idées des anciens et leurs procédés de composition, les meilleurs esprits comprirent que la création originale était préférable à l’imitation servile, et que, sans liberté intellectuelle, il n’était pas possible d’atteindre les cimes éclatantes du génie. Renonçant au latin, maints poètes et prosateurs écriront, en langue « vulgaire », des chefs-d’œuvre qui devront une notable partie de leur beauté à la connaissance de l’Antiquité classique, mais ne sacrifieront aux modèles grecs et latins ni les besoins de l’époque, ni le tempérament de l’auteur. Laissant à Victor Méric le soin de parler de la renaissance poétique et littéraire, je négligerai complètement ce sujet, pour me borner à dire ce que fut la renaissance philosophique, scientifique et artistique.


Sans doute, la scolastique continua de régner dans les écoles et les universités ; le thomisme trouva des défenseurs parmi les membres des ordres religieux ; et l’on dut attendre Bacon et Descartes pour assister à l’éclosion de la philosophie moderne. Cependant, une violente réaction se manifesta de bonne heure contre l’aristotélisme frelaté et mal compris des grands docteurs scolastiques. Au début du XVe siècle, le platonisme fut prêché avec enthousiasme par Gémiste Pléthon, un lettré byzantin venu en Italie ; et une académie platonicienne fut fondée à Florence. Sous la direction de Marcel Ficin, qui traduisit et commenta Platon, Plotin et d’autres philosophes alexandrins, elle devait jouir d’une brillante réputation. Nombreux, d’ailleurs, sont les écrivains de l’époque qui, par haine du Stagirique, se prennent d’enthousiasme pour l’auteur des Dialogues. Parmi ces platoniciens, qui témoignèrent souvent d’une grande indépendance de pensée, citons François Patrizzi, professeur à Ferrare et à Rome, Pic de la Mirandole, jeune prodige encore plus prétentieux que savant, Giordano Bruno, mis à mort par l’Inquisition romaine à cause de la hardiesse de ses pensées, Pierre Ramus, assassiné par des partisans fanatiques de l’ancienne philosophie, dans la nuit du 24 août 1572. Ceux qui restent fidèles à Aristote s’avèrent parfois, eux aussi, des adversaires acharnés de la scolastique ; ils lui reprochent (non sans raison) d’avoir modifié et corrompu la pensée du Stagirique. Ce fut le cas de Pomponat, que l’on persécuta parce qu’il ne croyait ni à l’immortalité de l’âme, ni à la providence. Les deux Piccolomini, Césalpini, Vanini, brûlé à Toulouse en 1619 comme impie et athée, furent également des péripatéticiens qui refusèrent d’adopter l’interprétation thomiste. Campanella, qui réclamait la communauté des femmes, du logement et des biens, n’appartient à aucune école ; Jacques Bœhm fut un mystique dont la doctrine laisse quelquefois prévoir celle de Hegel. Quant à Montaigne et à Rabelais, la place de premier plan qu’ils occupent en littérature nous dispense d’en parler ici.


Donc, nulle philosophie bien originale n’apparut à l’époque de la Renaissance ; mais à confronter les systèmes anciens, à voir combien est difficile la recherche de la vérité, les humanistes prirent l’habitude de critiquer toutes les doctrines, même religieuses. Ils comprirent la nécessité du libre examen, et s’appuyèrent, dans leurs discussions métaphysiques, non plus sur la tradition ou l’autorité, mais sur la raison. Au début, on espéra qu’une conciliation serait possible entre la philosophie grecque et le christianisme. Le pape Nicolas V recueillit, pour la Bibliothèque vaticane, les écrits des pères de l’Église, en même temps que les textes des auteurs païens ; Marcel Ficin s’efforça d’harmoniser le système de Platon avec les dogmes catholiques. Mais on comprit très vite la vanité de pareilles tentatives ; de nombreux humanistes, même parmi ceux qui, comme Pogge, étaient au service de l’Église, redevinrent païens de sentiment et de pensée. De la sorte, la Renaissance préparait la voie, non seulement à la Réforme protestante, mais à la philosophie rationaliste des Temps modernes.


Affranchies des liens étroits où les tenait la théologie, les sciences se développèrent rapidement. Refusant d’accepter les idées courantes, des chercheurs entreprirent d’observer directement la nature afin d’en mieux découvrir les lois. Un Léonard de Vinci et un Bernard Palissy s’intéressaient prodigieusement aux sciences naturelles ; dans ce domaine, ils firent même œuvre de précurseurs. En 1543, le chirurgien André Vésale publia le premier album contenant une description exacte et minutieuse des organes du corps humain. En 1553, le médecin espagnol Michel Servet, future victime de l’intolérance calviniste, découvrit l’existence de la circulation du sang entre le cœur et les poumons. Ambroise Paré, renonçant à cautériser les blessures, inventa la ligature des artères. François Viète, 1540-1603, est considéré comme le fondateur de l’algèbre. Mais c’est l’astronomie, surtout, qui brilla avec Copernic, Képler et Galilée. Le premier démontra que la Terre n’est pas le centre du monde et qu’elle tourne autour du Soleil, dans un ouvrage, De revolutionibus corporum celestium, qui parut seulement en 1543, l’année de sa mort. Ce livre sera condamné par la congrégation de l’Index comme soutenant une doctrine contraire à l’Écriture sainte ; ajoutons que Copernic fut considéré par ses contemporains comme un fou, dont les idées ne méritaient pas d’être discutées. Sa doctrine sera reprise plus tard par Képler, dont la vie fut une longue série de déboires, et par Galilée, qui fut odieusement persécuté par l’Inquisition et dut prononcer l’abjuration suivante : «  Moi, Galilée, dans la 69e année de mon âge, ayant devant les yeux les saints Évangiles que je touche de mes propres mains, j’abjure, je maudis et je déteste l’erreur et l’hérésie du mouvement de la Terre. »


Si nous applaudissons aux progrès scientifiques accomplis au XVIe siècle, nous estimons, par contre, à l’inverse de ce qu’affirment les historiens, que la connaissance plus approfondie du droit romain orienta les études juridiques dans une voie néfaste. L’engouement pour la législation romaine préparait le triomphe de l’étatisme dans ce qu’il a de plus absolu et de plus odieux. Quelques auteurs, cependant, en particulier François Hotman, Jean Bodin, le Hollandais Grotius, témoignèrent d’une indépendance et d’une originalité relatives, auxquelles il faut rendre justice. Rappelons enfin que, préludant aux revendications des anarchistes, quelqu’un osa protester contre les tyrans, quels qu’ils soient, et proclamer tous les hommes égaux et libres. Ce fut Étienne de la Boétie, l’ami de Montaigne ; son essai, la Servitude Volontaire ou le Contr’un, circula longtemps en manuscrit et ne fut publié, pour la première fois, qu’en 1576.


C’est dans les arts, en Italie surtout, que la Renaissance fut incomparable. Les premières œuvres, qui témoignent de tendances novatrices, se placent entre les années 1400 et 1450, époque que les Italiens ont appelé le Quattrocento. Quatre florentins, l’architecte Brunelleschi et les sculpteurs Ghiberti, Luca della Robbia, Donatello se dégagèrent, à des degrés différents, des traditions de l’art médiéval. En peinture, l’influence de Giotto resta longtemps encore prépondérante ; néanmoins, on découvre déjà chez Masaccio, mort en 1428, des tendances qui font présager l’évolution qui devait suivre. À partir de la seconde moitié du XVe siècle, la transformation s’accentue rapidement et les réminiscences du Moyen Âge deviennent de plus en plus rares chez les grands artistes. On trouve alors à Florence le sculpteur Verrochio et les peintres Ghirlandaio et Botticelli ; Mantoue se glorifie de posséder Andrea Mantegna ; Venise brille avec Carpaccio et les deux Bellini.


Au XVIe siècle, l’art italien atteindra, dans certaines branches, spécialement en peinture, une perfection qui, au dire de beaucoup, n’a jamais été dépassée. Conçu d’une façon toute païenne, il cesse d’être le serviteur docile de la morale et de la théologie ; s’il imite les modèles gréco-romains, c’est d’une manière originale et libre ; provoquer l’émotion esthétique, exalter la beauté sous ses formes multiples, voilà son unique but. Les progrès de la technique, l’étude très poussée du corps humain, la connaissance des lois de la perspective en peinture contribuèrent à donner aux artistes une habileté professionnelle, un savoir-faire merveilleux. De plus, jamais l’on n’avait encore vu surgir simultanément tant de génies, dont l’incessante activité se prodigua en œuvres admirables. Florence, Milan, Rome, Parme, Venise furent les principaux centres d’art ; néanmoins, une foule d’autres villes italiennes purent s’enorgueillir de monuments fameux et retinrent dans leurs murs des peintres et des sculpteurs de grand mérite.


Léonard de Vinci, Raphaël, Michel-Ange, Titien, Paul Véronèse, Corrège, Andrea del Sarto jouissent, même à notre époque, d’une prodigieuse célébrité. Génie universel, Léonard de Vinci, 1452-1519, fut à la fois peintre, sculpteur, ingénieur, poète et savant. Sa Joconde, sa Vierge aux Rochers, son Saint Jean-Baptiste, la Cène dont il décora le réfectoire du couvent de Sainte-Marie des Grâces, à Milan, sont fameux. Raphaël Sanzio, 1483-1520, mena une vie très mondaine à la cour du pape ; il mourut à 31 ans, comblé d’honneurs. Son caractère aimable lui avait fait beaucoup d’amis. Bien qu’il se soit également occupé d’architecture, c’est à la peinture exclusivement qu’il doit d’être si connu, Tous les grands musées possèdent des Madones de Raphaël ; mais c’est au Vatican que se trouvent ses œuvres les plus importantes. Michel-Ange Buonarotti, 1474-1564, était, à l’inverse du précédent, d’un caractère sauvage, ombrageux et rude, obligé de travailler pour les princes et les papes, il ne se résigna jamais au rôle de courtisan. Alors que l’œuvre de Raphaël est toute douceur, toute harmonie, celle de Michel-Ange témoigne d’une force surhumaine et d’une indomptable énergie. Comme sculpteur, il a laissé des statues allégoriques, un Moïse, un Laurent de Médicis justement célèbres ; comme peintre, on lui doit les fresques de la chapelle Sixtine ; comme architecte, il dressa les plans de la coupole de Saint-Pierre. Travailleur infatigable, il exécuta bien d’autres ouvrages, tous remarquables. Titien, 1490-1576, fut le représentant le plus complet de l’école vénitienne ; son œuvre très abondante comprend des portraits, des scènes mythologiques, des tableaux religieux. Paul Véronèse, 1528-1588, doué d’une grande facilité, exécuta des toiles d’une belle ordonnance et décora églises et palais ; il fut sans rival pour rendre le chatoiement des étoffes et la pompe de certaines cérémonies. Grâce et coloris caractérisent Corrège, 1494-1534, dont les œuvres maîtresses sont à Parme. Douceur, élégance et harmonie plaisent dans les figures peintes par Andrea del Sarto, 1488-1530.


Rappelons encore que Benvenuto Cellini, 1500-1571, dont la vie fut celle d’un aventurier, était un sculpteur et un orfèvre de génie. Son Persée, sa Nymphe de Fontainebleau sont des ouvrages délicieux. L’architecte Bramante, 1444-1514, sut joindre la force à l’élégance, la grandeur de l’ensemble à la finesse de l’exécution ; il construisit la Chartreuse de Pavie et donna le premier plan de Saint-Pierre de Rome. En musique, il convient de citer Palestrina, 1529-1594. Bien d’autres artistes, dans tous les domaines, mériteraient qu’on ne les oublie pas, tant furent nombreux à cette époque les talents qui sortaient de l’ordinaire. Mais, contrairement à ce que l’on affirme, nous estimons que le rôle des mécènes ne fut pas toujours heureux, et que l’art aurait dû s’affranchir de la tutelle encombrante des princes et des papes. Dans l’ensemble, le gain fut exclusivement pour ces potentats, qui obtinrent une gloire durable à bon compte. Quelques-uns étaient pourtant incapables de rien comprendre à la beauté. Un Pierre de Médicis, par exemple, obligeait Michel-Ange à faire des statues de neige pendant un hiver rigoureux ! Tous les mécènes ne furent pas aussi stupides ; tous se sont rendus célèbres, grâce au travail de subordonnés qu’ils payaient assez maigrement. S’il n’était mort si brusquement, Raphaël, le plus favorisé des artistes du XVIe siècle, aurait reçu de Léon X le chapeau de cardinal ; mais, assurent les contemporains, c’était en compensation de sommes considérables que lui devait le pape et qu’il ne voulait pas lui payer. Par malheur, l’histoire, habituellement au service des oppresseurs du genre humain, ne manque jamais de flatter les puissants ; elle les couvre de fleurs, même quand ils ne le méritent pas.


Hors d’Italie, la renaissance artistique aboutit également à la production d’œuvres remarquables. En France, architectes, sculpteurs, peintres resteront originaux, tout en s’inspirant des tendances rénovatrices, Sous François Ier, des maîtres italiens, Léonard de Vinci, Benvenuto Cellini, le Primatice, le Rosso, séjournèrent chez nous. Toutefois, une adaptation de l’art nouveau aux conditions particulières du milieu et du climat s’accomplit assez vite. Avec Pierre Lescot, Philibert de l’Orme, Jean Bullant, l’architecture brille d’un vif éclat. Malheureusement, elle se désintéresse de la demeure du pauvre et ne songe qu’à construire des châteaux et des palais pour les souverains, leurs maîtresses et leurs courtisans. Déplorable effet de l’asservissement de l’art au profit des lois ! En sculpture, l’influence italienne est très sensible chez Jean Goujon ; elle l’est beaucoup moins chez Pierre Bontemps et Germain Pilon, qui gardent une grande indépendance dans leurs créations. La peinture, très médiocre dans l’ensemble, n’a point laissé d’œuvres de premier ordre : François Clouet et Corneille de Lyon ne manquent pas de vigueur ; Jean Cousin ne mérite pas les éloges qu’on lui a prodigués. L’art de l’émail, qui prospérait depuis longtemps à Limoges, adopta le style et les sujets chers à la Renaissance, avec Jean Pénicaud et Léonard Limousin. Bernard Palissy, « le potier d’Agen », qui découvrit le secret des faïences émaillées et fut persécuté comme protestant, était un maître génial dans l’art de la céramique. Ajoutons que certaines œuvres musicales françaises du XVIe siècle sont appréciées avec juste raison, même aujourd’hui.


En Allemagne, l’influence italienne se fait déjà sentir chez le sculpteur Peter Vischer, 1460-1529. Elle est manifeste chez Albert Durer, 1471-1528, le plus grand artiste allemand de l’époque. Outre des toiles et des portraits, il a laissé des gravures sur bois ou sur cuivre qui jouissent d’un renom mérité. Avec Hans Holbein d’Ausbourg, 1498-1543, la Renaissance triomphe complètement. Ce peintre mena une vie errante, puis se fixa en Angleterre ; il est l’auteur de la fameuse Danse macabre de Bâle. Dans beaucoup d’autres pays encore, l’art italien trouva des imitateurs ; mais, par manque d’originalité et d’indépendance intellectuelle, ces derniers ne firent pas toujours œuvre féconde et utile. Trop souvent, ils oublièrent qu’en matière de beauté, comme de savoir, le génie requiert impérieusement la liberté. 

— L. BARBEDETTE.



RENAISSANCE (POÉSIE)

La période de la Renaissance qui mérite une mention à part (voir au mot Poésie) doit être considérée comme une période de transition qui, après le Moyen Âge, prépare l’officiel XVIIe siècle où s’abreuvent les amateurs du pur classicisme. Peu d’époques ont été aussi fécondes que celle du XVIe siècle. Les guerres d’Italie, l’essor soudain des arts et de la littérature renouvelés par l’étude des anciens lui donnent un caractère nouveau.


Nous voilà assez loin des « chansons de geste », des fabliaux, d’Alain Chartier et de Villon. Les farces, moralités, soties, mystères vont faire place à la tragédie et à la comédie. La satire et l’élégie réclament leurs droits. Pierre Gringoire, d’illustre et romantique mémoire, est quelque peu démodé, encore qu’appartenant à la première moitié du siècle. Et voici Marot qui fait son apparition.


Clément Marot prodigue les ballades et les rondeaux, sans rompre complètement la tradition du passé. On lui doit aussi des églogues, des épîtres, des satires dont Boileau ne manquera pas de s’inspirer. Il a gardé l’esprit alerte, vif, enjoué de ses devanciers et il laisse prévoir La Fontaine comme Voltaire, l’un par les fables, l’autre par les épigrammes.


C’est le début de la Renaissance, et Clément Marot est incontestablement le maître. Il faut citer, autour de lui, parmi ceux qui le précédèrent et ceux qui le suivirent, Jean Bouchet, Jean Marot, Claude Chappuis, Charles Fontaine, Corrozet (qui traduit Esope), François Hubert, Victor Brodeau, Bonaventure des Périers (célèbre surtout comme conteur), Louise Labé, etc.


Mais il faut arriver à Ronsard pour voir s’épanouir la Renaissance. C’est alors le triomphe de l’Antiquité. Joachim du Bellay va lancer sa fameuse Deffense et illustration de la Langue françoyse où, pour la première fois, le mot « patriote » est employé ! Les novateurs prétendent rejeter les vieilles gauloiseries des aïeux, plus ou moins épuisées, en même temps que les mystères, dont on avait tant abusé ; Ronsard publie ses premières Odes. Une mêlée s’engage, comme elle s’engagera quelques siècles plus tard entre classiques et romantiques. Mais l’école nouvelle aura le dessus. Les amis de Ronsard se groupent dans la Pléiade. Ils ont nom : Jean Dorat, Du Bellay, Jodelle, De Baïf, Rémi Bellau, Pontus de Thyard. Autour de ces chefs d’école, combattent les Jamys, les Olivoi de Magny, les Thaureau, les Jean de la Taille, les Grévin, les Larivey, etc.


Quand Ronsard disparaîtra, vieilli et chargé de gloire, la poésie sera complètement renouvelée. Une nouvelle génération est née avec Vauquelin de la Fresnaye, Du Bartas, Desportes, Bertaud, D’Aubigné, Régnier. Mais tous s’éloignent plus ou moins du maître.


Pierre de Ronsard, qui domine son époque, a le mérite d’avoir régénéré la poésie française en puisant dans l’Antiquité, et le défaut d’avoir quelque peu troublé les sources de la vieille tradition gauloise. On lui doit quatre volumes des Odes, le Bocage royal, les Hymnes, les Élégies, Mascarades et Bergeries, etc. Sa renommée franchit les frontières. Son influence est formidable. Il ne lui a manqué qu’un peu de mesure, peut-être. Mais la poésie lui doit beaucoup. Il a innové dans bien des genres, créé des rythmes inédits. Il a surtout consacré l’alexandrin dont ses descendants useront et abuseront. Quoi qu’on puisse dire, et en dépit de la réaction qui s’est produite contre lui, Ronsard demeure un de nos plus grands poètes, et, par dessus les siècles écoulés, exerce encore une irrésistible attraction.


Un autre grand poète de cette époque inouïe, c’est Mathurin Régnier, le satiriste, féru de Juvénal et d’Horace, dont on a pu dire qu’il annonçait Molière.


La Renaissance, en définitive, a trois sommets : Marot, Ronsard, Régnier. Chose curieuse, l’enjambement pratiqué par Marot est rejeté par Ronsard, puis repris. Il règnera, de nouveau, à l’heure du romantisme. Mais le XVIIe siècle s’ouvre, et Malherbe, le terrible Malherbe, « vient », qui s’avise de mettre un peu d’ordre, supprime les rimes qu’il juge trop faciles, combat les métaphores et allégories trop excessives, fait une règle impitoyable de la césure. La poésie y gagne, sans doute, en discipline ; elle y perd en pittoresque, et c’est l’ennui morne qui, malgré l’abondance des génies officiels, va régner pour des années.


- V. M.