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RENÉGAT n. m. de l’italien rinegatto, du latin re préfixe, et de negare

Nom injurieux donné par les chrétiens à ceux qui, renonçant à la religion du Christ, en ont embrassé une autre. Par ext. : personne qui abjure ses opinions ou trahit son passé. Syn. : Apostat (Dict. Larousse). Celui qui abjure ses opinions ou trahit son passé est justement qualité de renégat. Cette flétrissure ne doit pas être appliquée à celui qui, imbu de croyances inculquées dès son enfance, réussit à s’en affranchir, à force de clairvoyance, d’esprit critique, d’intelligence et de courage. Par l’observation, la réflexion, l’étude, il parvient à découvrir des parcelles de vérité qu’il substitue aux préjugés, aux mensonges dont son entourage, sa famille, son éducation première avaient empli et empoisonné son cerveau. Celui-là est un être indépendant, de caractère fort, qui s’émancipe et marche hardiment vers la lumière, vers le vrai qu’il apprécie et qu’il constate. Il n’est ni renégat, ni apostat : il est l’individu d’esprit droit qui s’éclaire pour évoluer par la science et le libre examen. Il évolue, il se transforme selon la loi naturelle qui fait de l’homme un être pensant par lui-même, sachant voir, entendre, réfléchir et comprendre. De tels individus se rencontrent pourtant et, s’ils sont sincères avec eux-mêmes et avec leurs semblables, ce ne sont pas ceux-là qui seront des renégats ni des apostats. Le renégat renie ses croyances, son passé, non par raison, mais par intérêt ; non par sincérité, mais par lâcheté ; non par honnêteté, mais par ambition, vanité. Le renégat c’est l’arriviste, le flatteur des puissants, l’hypocrite qui, la main sur le cœur, exprime sur toutes choses et en toutes occasions de faux sentiments. Il fait étalage de vertus qu’il n’a pas pour masquer les vices qu’il a. Le renégat est donc facile à reconnaître. Il feint d’ignorer le mépris dont il est l’objet et se prétend l’apôtre de la tolérance pour tous, pensant ainsi atténuer l’effet choquant de son attitude et provoquer l’oubli ou l’indulgence de ceux qui l’ont connu tout autre. Mais le renégat trouve des adulateurs, des partisans et même des amis, s’il est prospère en ses palinodies et si sa fréquentation parait avantageuse aux créatures peu fières qui sollicitent ses bienfaits. On rencontre donc des renégats partout et surtout où il y a de l’avenir. Aussi, la politique a-t-elle son contingent de renégats. Combien d’hommes connus sont devenus d’importants personnages en reniant d’abord tout leur passé ? Combien ont affiché bruyamment des idées révolutionnaires, pour devenir les pires réactionnaires, traîtres à leurs idées, traîtres à leurs amis capables de tout pour complaire à ceux auxquels ils se sont vendus pour on ne sait jamais combien ? Le braconnier devient garde-chasse. Le théoricien de la liberté devient le traître qui la poignarde et, après avoir provoqué l’émeute sauve la société en danger en passant de l’autre côté de la barricade ! Tel autre, farouche ennemi du militarisme et du patriotisme, épouvante ou écœure par ses extravagances de provocateur et, soudain, devient le patriote incomparable qui demande à partir au front et auquel on répond qu’il est plus utile à l’arrière pour maintenir le moral du peuple. Celui-là pleure son frère tué en regrettant de n’avoir qu’un frère à immoler à la patrie ! Que d’autres ! Que d’autres encore on pourrait, d’une ligne, rendre reconnaissables, qui ont tout renié, même le bon sens, pour adorer ce qu’ils brillaient jadis ! Que de faux amants de la Liberté se sont tout à coup révélés de véhéments partisans de la dictature !... Enfin, les renégats abondent quand la lâcheté, l’ambition ou la cupidité leur font entrevoir, le plus avantageux côté de la barricade ! ... Ces gens-là n’ont de conviction que selon l’écuelle qui leur est offerte. Ils sont bêtes de luxe ou bêtes de somme suivant la hauteur du râtelier.

Les renégats fourmillent ; nul milieu n’en est plus abondamment peuplé que le monde de la politique (voir Politique etPoliticiens ). A vrai dire, on rencontre partout des spécimens de cette espèce vile et méprisable. L’anarchisme lui-même a fourni quelques-uns de ces spécimens. Qui n’a pas connu d’anciens libertaires, se flattant de l’être encore tout en reniant avec une cynique désinvolture les principes anarchistes ? Pour s’excuser - lorsqu’ils avouent leur volte-face - ils invoquent quelques mauvais clichés dont leur impudence s’accommode avec un déconcertant sans-gêne. Par exemple :« Quel homme d’intelligence et de cœur n’a été, à vingt ans, plus ou moins anarchiste ? ». Et ils ajoutent avec suffisance : « Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas ». Si nous entreprenions la publication d’une liste comprenant les cas de reniement plus ou moins retentissants unis qui se sont produits en tous temps, en tous lieux et dans tous les mondes, - sans en excepter le monde ouvrier et les groupements d’avant-garde, - le lecteur serait tenté d’estimer que le « Renégat » est une des variétés les plus nombreuses dans la race humaine. Le philosophe n’en éprouve aucune surprise : l’ambition, l’amour de l’argent, la vanité, sources auxquelles s’alimentent le reniement et la trahison, sont de néfastes effets dont la cause réside dans l’immorale organisation sociale.

Georges YVETOT