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REVANCHE n. f. (Étymologie re et venger)


Action de rendre la pareille pour le mal qu’on a reçu (Littré). C’est le sens le plus courant du mot. (Signalons qu’on l’emploie quelquefois en bonne part pour reconnaissance ; et que, dans le jeu, il signifie la partie que joue le perdant pour se racheter. L’expression en revanche signifie : en compensation.) Le mot revanche est donc synonyme de vengeance. Duclos disait : « La vengeance n’est plus qu’une revanche ; on la prend comme un moyen de réussir, et pour l’avantage qui en résulte. » L’avantage qui en résulte, c’est d’abord de satisfaire l’instinct de violence (bébé est content lorsqu’on feint de battre la chaise contre laquelle il s’est cogné) ; c’est ensuite d’humilier autrui et, parfois, de profiter de l’occasion pour s’emparer de ses dépouilles ; c’est réussir, c’est s’imposer, c’est dominer. Le sentiment de revanche, ainsi compris, procède du pur esprit archiste ; il est toujours condamnable.


Il semble que, d’ordinaire, on considère la revanche (vengeance) comme la façon normale et juste de régler les dommages. « Tu as brisé ma toupie, dit l’enfant, hé bien, je casse une patte à ton cheval mécanique. » « Vous avez tué, on vous tuera », dit le Code. La revanche n’était-elle pas la loi de Dieu ?


« Celui qui frappera un homme mortellement sera puni de mort. Celui qui frappera un animal mortellement le remplacera : vie pour vie. Si quelqu’un blesse son prochain, il lui sera fait comme il a fait : fracture pour fracture, œil pour œil, dent pour dent ; il lui sera fait la même blessure qu’il a faite à son prochain. Celui qui tuera un animal le remplacera, mais celui qui tuera un homme sera puni de mort. » Lévitique, XXIV, 17-21.)


« Au jour de la vengeance, je visiterai et punirai ce péché qu’ils ont commis. » (Exode, XXXII, 34.)


Dieu ne s’était pas encore élevé jusqu’au pardon des offenses. Combien sont rares, encore aujourd’hui, ceux qui, à une injure, ne sont pas tentés de répondre par une injure, à un coup de poing par un coup de poing, à une guerre par une guerre ! L’esprit de revanche n’a-t-il pas été soigneusement cultivé dans notre Troisième République, après 1870, et n’est-il pas pour quelque chose dans l’explosion de 1914 ? Et combien de revanches ne se préparent-elles pas dans le monde pour réparer les défaites passées ! Malheureusement, la revanche ne répare rien ; elle est, au contraire, la source de nouvelles revanches ; et cela indéfiniment. Si l’homme était vraiment le roseau pensant de Pascal, il mettrait fin à de telles aberrations. D’autant plus que, même pour le vainqueur, la revanche n’apporte pas toujours l’apaisement souhaité. « J’avoue que, depuis que je suis vengé, je ne me trouve pas plus heureux ; et je sens bien que l’espoir de la vengeance flatte plus que la vengeance même. » (Montesquieu.) Et Poincaré lui-même – l’homme de la revanche – n’a pas caché sa déception ; hélas, après le crime ! « Après tout ce que la France a fait pour l’Alsace, être ainsi récompensé est la plus grande douleur qu’un Français puisse éprouver. » (24 janvier 1929, déclaration à la Chambre.)


Il est cependant une sorte de revanche souhaitable pour tout être épris de justice ; c’est celle qui répare les torts commis par l’usage ou l’abus de pouvoir. Mais celle-ci ne se satisfera jamais dans les larmes, dans la douleur et dans le sang. C’est la revanche du bon sens sur les sophismes, celle de la vérité sur la sottise, celle de la raison sur le dogme, celle de la vie sur la mort. Elle est sœur, cette revanche, de la haine de Zola qui « est l’indignation des cœurs forts et puissants, le dédain militant de ceux que fâchent la médiocrité et la sottise » (Mes Haines). C’est la revanche de Voltaire qui défendit la cause des opprimés : « Je mourrai content, quand nous aurons joint la vengeance des Sirven à celle des Calas. »


C’est la revanche que nous appelons de tout notre cœur pour placer à leur vrai rang dans l’échelle des valeurs humaines : d’un côté les César, les Napoléon, les Foch ; de l’autre les Diogène, les Estienne de la Boëtie, les Ferrer, les Sacco et Vanzetti. C’est la revanche de l’esprit libre sur les forces d’obscurantisme qui ont trop longtemps opprimé les hommes.


Ch. B.