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RÉVÉLATION n. f.


Dans le langage ordinaire, le mot révélation désigne la découverte, souvent brusque, d’une chose tenue jusque-là cachée. À la tribune du parlement, devant les tribunaux, dans la presse, on parle volontiers de révélations sensationnelles. Parfois longtemps préparées à l’avance, et adroitement machinées par les professionnels du trompe-l’œil, ces dernières sont destinées à empêcher le public de prêter attention à des faits beaucoup plus graves, qui jetteraient un jour sinistre sur les secrets agissements des autorités. À une époque tragique, Landru rendit de fiers services à nos grands chefs aux abois ; quand la presse a pour mot d’ordre de laisser en paix le gouvernement, la police découvre toujours de sanglantes ou mystérieuses affaires, des drames d’amour ou de jalousie qui servent de pâture aux lecteurs des journaux. Ajoutons que les révélations en apparence les plus spontanées, faites à la tribune du Palais Bourbon, sont soigneusement évidées au préalable de tout ce qui ruinerait définitivement le prestige des principaux manitous de l’époque. On cite des comparses, on pourfend des ombres, et les menaces pleuvent dru sur les coupables dont l’identité reste à découvrir ; mais on ne dit rien ou presque rien des gros personnages que l’on sait effectivement compromis.


Dans l’affaire des fraudeurs de la banque commerciale de Bâle, le député socialiste qui dénonçait ce scandale s’abstint de parler du plus célèbre et du plus influent des individus inscrits sur la liste saisie. C’était l’archevêque académicien Baudrillart, grand ami de Poincaré et professionnel du patriotisme, l’un de ceux qui préparèrent l’opinion à la guerre de 1914 et qui n’ont cessé, depuis, de donner des ordres impérieux aux divers ministres réactionnaires. Le même député socialiste n’hésitait point à nommer l’évêque d’Orléans, simple brochet pourtant à côté du requin Baudrillart. Et pas un grand journal soi-disant avancé n’imprima, plus tard, le nom du recteur de l’Institut catholique de Paris ; ce n’était pas ignorance de leur part, puisque, désireux de connaître leur degré de sincérité, je fis parvenir à tous une note rétablissant la vérité. Radicaux et socialistes n’ont pas voulu entraver la brillante carrière de ce chef occulte des partis réactionnaires français. Si, par une exception rarissime, des parlementaires ont l’audace de faire des révélations réellement gênantes pour les maîtres de l’heure, la grande presse, tout entière aux mains de quelques potentats, organise le silence autour des vérités qu’ils ont pu dire. Témoin le peu de retentissement obtenu par les déclarations que Barthe fit à la Chambre, sur les accords conclus avant guerre entre Krupp et notre Comité des forges, ainsi que sur les moyens mis en œuvre par la grosse industrie française, afin d’empêcher une défaite trop rapide de l’Allemagne.


Même dans l’ordre littéraire ou artistique, c’est pour des raisons qui n’ont, d’ordinaire, rien à voir avec le talent que les critiques en renom découvrent de prétendus chefs-d’œuvre, qu’ils louent servilement dans les revues puissantes ou les journaux à grand tirage. Domestiqués par des industriels cossus, exclusivement dévoués aux prêtres de Mammon, ces larbins de la plume n’aiment et n’adorent que les idoles dorées. Ils s’agenouillent, puis brinqueballent leurs encensoirs prestement devant les vedettes dont les managers passent à la caisse. Si l’on veut des super éloges et un bruit capable d’étouffer toute note discordante, il faut y mettre le prix. On sait à quels scandales aboutissent les distributions de lauriers littéraires ou artistiques ! Simple appareil automatique, la renommée aux cent bouches reste à la disposition de quiconque est assez riche pour financer largement. Les brusques révélations de génies inconnus, faites par l’académie Goncourt, par l’Académie française, par les publications à la solde des éditeurs ou des marchands de tableaux, sont dictées par des motifs inavouables habituellement. Elles ne valent pas mieux que les révélations politiques et, comme ces dernières, se rattachent à d’occultes et louches combinaisons.


Quelques scandales récents jettent aussi une lumière assez crue sur les dessous du monde journalistique. Rappelons la mésaventure survenue, le 30 janvier 1933, au directeur du Temps, Chastenet, ainsi qu’au professeur Joseph Barthélémy, administrateur du même journal. Sous l’égide de la Nouvelle école de la paix, ces pantins faisaient une conférence sur « la presse et la formation de l’opinion publique ». Le premier, ancien directeur de banque, placé à la tête du plus grand journal de la République par la grâce de MM. de Wendel et de Peyerimoff, s’indigna contre la presse trop servile à son gré et loua l’indépendance du Temps. Mais des auditeurs bien renseignés posèrent des questions très précises sur les rapports que ce dernier journal entretient avec le Comité des forges, le Comité des houillères et le Comité des assurances. Et l’on apprit que le Temps était la propriété de ces puissantes organisations capitalistes, que l’ancien banquier Chastenet, que Barthélémy, le clown pontifiant de la faculté de droit, n’étaient que les serviteurs appointés des magnats de l’industrie. Malheureusement, bien des révélations ont déjà été faites sur la vénalité, la corruption, la servilité éhontée de la presse, sans que le public repousse les feuilles immondes et mensongères qu’on lui fournit quotidiennement. Il est vrai qu’à aucune époque l’intoxication méthodique des cerveaux n’y fut organisée sur une aussi large échelle, et d’une manière aussi savante, qu’à l’heure actuelle.


Au point de vue religieux, la révélation consiste dans la communication faite aux hommes, par dieu ou par l’un de ses envoyés, de vérités qui présentent, dès lors, un caractère de certitude absolue, si obscures qu’elles puissent paraître à notre entendement. Sur la question vitale de notre destinée, sur l’existence qui nous attend après la mort, sur l’ensemble des problèmes que la métaphysique pose sans parvenir à les résoudre, la révélation apporterait des lumières éclatantes, au dire des croyants. Elle nous renseignerait sur les incompréhensibles qualités d’un dieu dont la nature échappe à notre raison comme il nos sens, et sur les mystères d’un avenir que l’être omniscient connaît d’avance, même s’il dépend du libre vouloir humain. Un autre procédé de communication entre le tout-puissant et les hommes consiste dans l’inspiration, secours divin qui pousse l’auteur à écrire et le garantit contre toute erreur essentielle. L’assistance du Saint-Esprit, qui permet au pape d’énoncer des sentences dogmatiques où morales infaillibles, présente, d’après les théologiens catholiques, un caractère purement négatif. Révélation, inspiration, assistance du Saint-Esprit sont, à nos yeux, il n’est pas besoin de le dire, également dépourvues de valeur : de pareilles balivernes ne méritent point d’être prises au sérieux. Nous ne répéterons pas ici ce que nous avons déjà exposé à l’article Religion (voir ce mot) ; mais puisque le catholicisme admet que, de nos jours encore, Jésus, Marie ou d’autres habitants du ciel se manifestent parfois à des âmes privilégiées, nous examinerons quelques-unes des révélations célestes dont furent favorisés des dévots contemporains. Par une singulière ironie du sort, j’ai d’ailleurs rencontré sur ma route d’illustres et nombreux visionnaires.


Le 17 janvier 1871, les deux plus jeunes fils du fermier Barbedette, ainsi que d’autres enfants, virent la Vierge Marie, à Pontmain, une bourgade de la Mayenne. Vêtue d’une robe bleue parsemée d’étoiles, l’apparition se tenait en l’air au-dessus de la maison d’un débitant ; il faisait nuit, le ciel était limpide, et tous les fidèles de Pontmain se réunirent sous la conduite du curé pendant la durée du miracle. Cette vision fut reconnue divine par les autorités ecclésiastiques ; une grandiose basilique fut construite sur le lieu de l’apparition ; et les catholiques y viennent en pèlerinage de toute la région de l’Ouest. Inutile d’ajouter que nonnes et curés y pullulent, exploitant, selon leur coutume, la sottise des dévots. Les Barbedette sont nombreux dans la contrée, et j’ignore si j’étais parent avec ceux de Pontmain, mais j’étais reçu chez eux comme un membre de la famille ; j’ai connu et interrogé personnellement les visionnaires. Certes, je n’étais pas encore habitué aux recherches psychologiques ; toutefois, maints détails entendus de leur bouche m’ont, depuis, permis de conclure que, poussés aux dernières limites de l’exaltation religieuse par le curé de l’endroit, les enfants Barbedette furent victimes d’une hallucination. Dans l’intimité, ils avouaient qu’à leur avis les autorités ecclésiastiques avaient approuvé leur vision sans y croire ; et ils racontaient qu’une petite fille encore au berceau, et qui aurait contemplé la madone elle aussi, déclarait, quand elle fut grande, ne se souvenir de rien. Comme ils étaient prêtres tous deux, et que le clergé avait fait de grandes largesses à leurs parents, ils se gardaient de dire leur pensée complète à l’adolescent que j’étais. Ils auraient moins parlé encore s’ils avaient pu deviner que je deviendrais, plus tard, un incroyant notoire. À Pontmain, la Vierge annonçait la fin des hostilités : maigre prophétie, on en conviendra, puisque la défaite française était alors consommée.


Au moment où la dernière guerre battait son plein, une jeune fille de Loublande, commune des Deux-Sèvres, reçut presque quotidiennement la visite du Sacré-Cœur. Sans en avoir officiellement le titre, je remplissais, en fait, les fonctions de chef de laboratoire à la faculté des sciences de Poitiers, cette année-là. Et comme Loublande fait partie du diocèse de Poitiers, ce furent les autorités de cette ville qui s’occupèrent de la visionnaire. J’étais donc bien placé pour étudier cette nouvelle révélation, qui ne fut rejetée par la curie romaine qu’après l’intervention énergique des cardinaux allemands et autrichiens. Jésus déclarait à la voyante que la victoire des alliés serait foudroyante et irrésistible, si ministres et généraux acceptaient de mettre l’emblème du Sacré-Cœur sur le drapeau français. L’évêque de Poitiers, un prélat politicien d’une sottise insigne, se déclara convaincu de bonne heure, car la visionnaire l’assurait qu’il devait jouer un rôle de premier plan dans l’Église. À l’appui de ses dires, elle obtint même du ciel qu’Humbrech, c’était le nom de cet imbécile, assiste un jour à la transformation du vin, contenu dans un calice, en un liquide sanguinolent. Il permit de célébrer des fêtes à Loublande, d’imprimer des images et des prières en l’honneur du nouveau culte, et laissa s’installer une congrégation dirigée par la visionnaire, les Victimes du Sacré-Cœur, qui compta bientôt parmi ses membres des filles de multimillionnaires. Le cardinal archevêque de Bordeaux et l’archevêque de Tours estimèrent, eux aussi, qu’il s’agissait d’une révélation vraiment divine ; les feuilles pieuses de la contrée firent un battage insensé ; la presse de Paris s’émut, et de longs articles furent consacrés aux apparitions de Loublande par les grands quotidiens.


Sénateurs et députés réactionnaires du Poitou prirent au sérieux les divagations de cette nouvelle Jeanne d’Arc, c’était le titre que lui donnaient les familiers de l’évêché. Elle fut présentée au président de la République, Poincaré, qui lui fit don d’une épingle à chapeau, sa coiffure étant tombée par mégarde durant leur entretien. À l’armée, des insignes du Sacré-Coeur étaient distribués à profusion aux soldats, et nombre de généraux les arboraient fièrement. Mais les prélats d’Autriche et d’Allemagne firent comprendre au pape que Jésus ne pouvait nourrir de si noirs desseins contre les empires centraux, et que la France anticléricale ne méritait pas un traitement privilégié. On les crut d’autant plus facilement à Rome que le supérieur des Jésuites était germanophile et qu’il contraignit le cardinal Billot, membre de son institut, à écrire contre une révélation nettement hostile à l’Allemagne. Malgré les merveilles déjà accomplies, les apparitions de Loublande furent condamnées par le Vatican. Une enquête personnelle, faite dans l’entourage de la visionnaire, m’avait convaincu qu’il s’agissait d’une pauvre fille au cerveau troublé par des jeûnes trop fréquents et la lecture de sainte Thérèse. Son confesseur, un prêtre qui voulait se procurer beaucoup d’argent, était le principal coupable ; il pensait parvenir à ses fins en créant un centre de pèlerinage ; l’affaire de Loublande liquidée, il se trouva, d’ailleurs, suffisamment nanti pour vivre d’une façon cossue.


Voici quelques années, la Vierge apparut à Ferdrupt, dans les Vosges, à une petite fille dont les parents étaient cultivateurs. Des alentours, on venait déjà en pèlerinage, quand la voyante eut la malencontreuse idée de promettre qu’à une date, par elle indiquée, l’apparition serait visible pour l’ensemble des personnes présentes. Ce jour-là, une foule immense se pressait sur le lieu du miracle ; mais la madone ne fut aperçue par personne. Pour comble, la visionnaire expliqua que la Vierge s’était trompée en raison du changement d’heure qui s’effectuait à cette époque. Ce fut un éclat de rire général, et le clergé laissa prudemment tomber cette affaire. Une statue s’élève cependant sur le lieu de l’apparition, conformément à la demande formulée par la mère de dieu ; et la famille de la jeune fille, très pauvre auparavant, est fort à l’aise aujourd’hui. Comme Luxeuil n’est qu’à environ 25 kilomètres de Ferdrupt, j’ai pu me documenter sans peine sur ces événements. La voyante, enfant naïve et sotte, semblait prédisposée par nature aux images eidétiques ; néanmoins, le curé de l’endroit avait joué un rôle très actif, en persuadant cette petite que les visions célestes sont choses assez fréquentes.


À l’heure actuelle, on parle beaucoup des apparitions de Beauraing, en Belgique, qui eurent lieu du 29 novembre 1932 au 3 janvier 1933. Cinq enfants auraient vu la Vierge dans le jardin des sœurs de la localité ; et cette dernière leur aurait demandé de faire construire une chapelle. Je ne connais ces événements que par des comptes rendus, articles et brochures. Le travail du docteur Maistriaux, qui écrit pour se « rendre utile à l’Église et à la religion, afin d’éviter les mécomptes du ridicule », suffit pour me démontrer que les apparitions de Beauraing ont des causes très humaines, trop humaines, hélas ! Ce médecin grotesque, d’une prodigieuse ignorance concernant les recherches de psychologie expérimentale, fournit de nombreux détails qui contredisent la thèse de l’intervention surnaturelle. Les voyants avaient promis un miracle pour le 8 décembre, fête de l’Immaculée Conception ; aucun miracle ne s’est produit, ni ce jour-là, ni les jours suivants. Néanmoins, par respect humain sans doute, les parents se déclarent certains de la véracité de leurs rejetons ; « il ne ferait pas bon d’avoir l’air de rire et de se moquer : l’accueil serait foudroyant ». Et le docteur Maistriaux demande aux incroyants de s’abstenir de toute plaisanterie : « Le scepticisme absolu et surtout la raillerie ne sont plus de mise pour le moment. S’il est question d’âmes de petits enfants, on leur doit le respect le plus absolu... De grâce, respectons-les et attendons. Respectons le mystère qui plane sur ces événements dans lesquels sont mêlés des enfants sains de familles respectables. » S’il ne s’agissait pas d’une comédie dévote ou d’hallucinations religieuses, notre auteur tiendrait un langage très différent. Il avoue, d’ailleurs, que les événements de Beauraing peuvent avoir des répercussions politiques qui l’intéressent particulièrement : « Serait-il impossible que la sainte Vierge se soit manifestée pour approuver et intensifier cette pieuse et réconfortante croisade de notre fière jeunesse ouvrière chrétienne, de notre virile jeunesse agricole catholique, de tous nos jeunes gens et jeunes filles librement et ardemment enrôlés sous l’emblème de la croix ? Est-il déraisonnable d’espérer qu’elle ait choisi pour être témoin d’un renouveau religieux notre patrie qui fut la première à mettre son nom dans les annales de l’Action catholique ? » Le docteur Maistriaux a raison, les manifestations surnaturelles, les révélations divines restent, d’ordinaire, incompréhensibles, tant qu’on ne fait pas intervenir les considérations politiques et l’intérêt sacerdotal. À Beauraing, comme dans maintes apparitions précédentes, la Vierge se préoccupe d’assurer aux prêtres une nouvelle source de profits et d’accroître l’influence politique du parti des sacristains.


- L. BARBEDETTE.