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ROUTINE n. f. (étymologie : diminutif de route)

« Proprement, petite route qu'on prend, toujours la même, par habitude » (Littré). De là : façon de faire ou d'apprendre par répétition en suivant toujours le même procédé. Par routine, on entend donc l'usage, consacré par les traditions, les habitudes, les convenances, de faire une chose de la même manière sans chercher à s'évader des sentiers battus. Un esprit routinier est, en quelque sorte, pétrifié et incapable de voir autre chose que ce qu'il a toujours vu. L'innovation le déroute, il ne conçoit pas un changement à l'ordre tout provisoire des choses, et il taxe de rêveur, d'utopiste ou de fou quiconque essaie de modifier ou de détruire ce qui est. La routine est la grande ennemie de l'évolution. C'est elle qui maintient l'erreur en freinant les forces de progrès. D'où la lenteur de cette évolution. C'est par la routine, ancrée dans les intelligences moutonnières, que les religions survivent. C'est par elle que les idéologies sanguinaires se perpétuent ; c'est par la routine que la bêtise règne. Pourquoi vous habillez-vous de noir à la mort de votre parent? Pourquoi ces fleurs sur cette tombe? Pourquoi cette tombe même? Pourquoi cette alliance au doigt ? Pourquoi vous découvrez-vous devant le saint sacrement, devant le drapeau, devant la Marseillaise ou l'Internationale? Pourquoi cette ridicule concession à la mode? Et, puisqu'il fait si chaud, pourquoi ce cache-sein et ce cache-sexe ? - Ô homme, dit libre-penseur, pourquoi cette cérémonie au monument aux morts ? - Ô camarade, pourquoi, dans ton vêtement, dans ton langage, dans tes attitudes, ce conformisme aux traditions « révolutionnaires »?

La routine est toujours là pour faire accomplir ce qui est conforme à une des plus grandes lois naturelles : la loi du moindre effort. Mais l'individu qui raisonne se dégage vite de l'emprise de la routine, lorsqu'il a conscience de son geste routinier. Vient un moment où il est tout heureux de s'être débarrassé de la masse de préjugés, de vérités toutes faites, de faux symboles, de sentiments factices qui étaient auparavant les moteurs de ses actes. Aussi est-ce dans tous les domaines de l'activité humaine que les novateurs ont eu à lutter contre la routine. Science, philosophie, littérature, arts divers, etc., ont évolué dans l'incessant combat entre le présent et le devenir, car ce qui est ne veut pas disparaître devant ce qui sera.

Et c'est l'épopée gigantesque de la pensée ; c'est son envol, malgré la routine, vers les cimes où le ciel pur se mire dans l'eau pure de la source. C'est Christophe Colomb cherchant la route des Indes par l'ouest ; c'est Galilée faisant tourner la terre ; c'est l'esprit des Encyclopédistes détrônant les vieux dogmes ; c'est le savoir, la logique, la raison, mis à leur place souveraine. C'est le brabant remplaçant l'araire. Et c'est le tracteur remplaçant le brabant. C'est le romantisme triomphant ; et c'est, par la suite, le naturalisme s'installant au pinacle. Ce sont les diverses écoles de peinture, de sculpture, de musique, etc., qui s'imposent successivement... Mais ce sont aussi les supplices, les bûchers, les Bastilles, les haines des « cous-pelés » qui, accrochés au passé, défendent leurs situations compromises. Ce sont toutes les embûches que la routine accumule en vain pour empêcher que s'accomplisse ce qui doit être.

Tout homme qui pense doit se dresser contre la routine. Moins son emprise sera grande, et plus rapide se fera l'évolution, C'est vers l'avant que l'on doit résolument se tourner et, en évitant les sentiers tortueux, s'élancer sans œillères sur les routes neuves, vers le soleil de beauté, de justice et de fraternité.


- Ch. B.