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SAVANTS (LES) ET LA FOI

Leur argument. - Souvent, il nous a été donné, de la part de nos adversaires, d'entendre ce raisonnement : « Ce qu'il y a de plus impressionnant c'est que tous les grands esprits qui sont la gloire de l'Humanité ont été convaincus de l'existence de Dieu. Platon, Aristote, Kant, Descartes, Saint Thomas, Lamartine, V. Hugo, etc ... ont employé les ressources de leur génie à glorifier le Créateur, et cette idée leur a inspiré leurs plus belles pages. Les encyclopédistes même ont combattu l'athéisme et Voltaire a cru en Dieu. Il n'est pas jusqu'aux grands révolutionnaires de 1789 qui n'aient été des déistes convaincus : Robespierre, lui qui voulait qu'on inscrivît sur tous les monuments : « Le peuple français croit à « Dieu et à l'immortalité de l'âme » - a glorifié l'Etre Suprême. Et personne n'ignore que les plus grands savants contemporains, les Pasteur, les Roux, ont été des croyants sincères. Enfin, il a été constaté, après enquête rigoureuse, que, sur 100 savants, 85 se proclament déistes. L'infime minorité restante se classe parmi les indifférents et les athées. Eh bien , Messieurs, ces simples constatations vous montrent qu'entre la science et la foi, il n'y a nulle opposition, au contraire, et nous sommes fiers de nous ranger résolument du côté des savants ! »

Que vaut une telle affirmation ? Tout de suite, on peut répondre : l'argument du nombre, ou de la majorité, n'a jamais prouvé la véracité d'un raisonnement. Ce n'est pas parce que tous les chrétiens croient ou feignent de croire et affirment que 1 + 1 + 1 = 1, que je suis obligé de les suivre. Ce n'est pas parce que tous les hommes ont cru jadis que la terre était immobile et plate que la chose était vraie. 85 %, ou même 100 % des savants en faveur de l'existence de Dieu, qu'est-ce que cela prouve si un seul être humain nie Dieu ? Et, si l'universalité de la croyance était reconnue aujourd'hui, pourrait-on être assuré que, demain, un homme ne se lèverait pas pour crier l'erreur ? Devant tout ce qui n'est pas rigoureusement démontré par l'expérience, la seule attitude raisonnable est le doute ; mais peut-on demander à des croyants de rester dans une position dubitative ? Leur disposition d'esprit s'y oppose.

Et cette réplique suffirait à détruire l'argument exposé plus haut. Cependant nous allons pousser plus avant notre examen afin de montrer irréfutablement comment on peut tromper les esprits superficiels avec des arguments spécieux.

Les savants. - Tout d'abord, il n'est pas niable qu'on se fait, en général, illusion sur le mot : savant. L'esprit humain, à peine dégagé de la gangue des siècles d'ignorance, attribue à ce mot - plus ou moins inconsciemment - la valeur mystérieuse nuancée de respect déléguée jadis aux mots : devin, prophète, thaumaturge ou sorcier. Qu'est-ce qu'un savant ? Le Larousse dit : « Celui, celle qui a de la science ». Qu'est-ce qu'un homme savant ? L'homme « qui a la science de quelque chose » (être savant en mathématiques). Qui a des connaissances étendues : un savant professeur. Qui est bien informé de quelque chose : « parler d'une chose en homme savant ». Il résulte de ces définitions qu'un savant n'est savant que pour une partiede la science. Avoir la science de quelque chose, avoir desconnaissances étendues, être bien informé de quelque chose, cela n'a jamais voulu dire : avoir la science de tout, connaître tout; être bien informé de tout. Il fut peut-être une époque où un savant pouvait être considéré comme un être possédant un savoir universel ; les connaissances humaines étaient relativement peu étendues ; un individu d'intelligence supérieure pouvait les embrasser toutes. Il ne peut en être de même aujourd'hui. Le champ des explorations scientifiques est tellement vaste qu'il est impossible à un seul individu de le parcourir en entier. La vie humaine n'y suffirait pas. Force a été de se spécialiser. Et, d'ailleurs, rares seraient les hommes aptes à avoir « des clartés de tout ». Celui-ci limitera ses recherches à une branche de la chimie, cet autre passera son existence à se pencher sur les infîniment petits, ce troisième enfin sera un mathématicien hors pair ; mais il n'y en aura aucun qui touchera, avec un égal succès, à tous les arts et à toutes les sciences. C'est tellement vrai que les œoeuvres encyclopédiques nécessitent la collaboration d'un nombre imposant de savants, tous spécialisés dans l'étude de quelques questions très précises. Tel savant en paléontologie, par exemple, peut être un parfait ignorant en musique ; tel physicien de valeur peut ne rien connaître en sociologie. H. Fabre, le célèbre entomologiste, raconte, dans ses souvenirs, que Pasteur ignorait les métamorphoses du ver à soie lorsqu'on le chargea de combattre une maladie microbienne qui, tuant ce ver, ruinait les sériciculteurs du Midi, et comment il se fit expliquer ces notions tout élémentaires.

D'ailleurs combien de vrais savants, en dehors des officiels, qui n'ont jamais été consacrés par la Faculté ! Le petit inventeur, le chercheur, l'homme persévérant qui approfondit au-delà des limites connues la technique de son métier, le rêveur qui, à la suite de longues méditations et d'expériences multiples, aboutit à savoir davantage que tous ceux qui l'ont précédé, ne sont-ils pas des savants ? Des savants parfois raillés par les officiels, mais dont les découvertes bouleverseront le monde plus que ne le feront jamais les élucubrations de quelques dizaines de membres de l'Institut. Est-ce que Forest, l'inventeur du moteur à explosion, simple forgeron, n'était pas un savant ? Dire maintenant : tel savant grammairien croyait en Dieu ; tel autre, botaniste distingué, était déiste, de même ce troisième, dont la valeur en ichtyologie n'est contestée par personne ; est-ce que cela prouve l'existence de Dieu ? Cela prouve tout simplement que le grammairien, le botaniste, l'ichtyologue, n'ont probablement jamais apporté à l'étude du problème de Dieu la méthode rigoureuse qu'ils ont employée à leurs autres recherches et qu'ils sont restés, à ce point de vue, des produits du milieu, soumis, comme la majorité des humains, aux croyances, aux préjugés, aux opinions communes de leur entourage. Victor Ernest, répondant sur ce sujet à l'abbé Desgranges, disait : « La raison profonde qui enlève toute valeur à la preuve invoquée consiste dans l'indépendance des manifestations diverses de l'intelligence ; un savant de valeur peut n'avoir pas d'aptitudes philosophiques, comme être dépourvu d'aptitudes artistiques. Victor Hugo, un des plus grands génies poétiques, a fait montre d'une philosophie souvent puérile. Sainte Thérèse, mystique et hallucinaire, témoigne d'un esprit d'organisation remarquable dans la fondation de plusieurs couvents de femmes. Lamartine était réfractaire aux mathématiques. La Fontaine n'avait pas le sens des affaires. Et Rockefeller n'a pas celui de la poésie. Les croyances métaphysiques ou religieuses de Pasteur ne l'empêchaient pas de procéder d'une façon rigoureuse et avec un esprit positif à ses expériences. Mais c'est à cette méthode rigoureuse, non à ses croyances, que Pasteur devait ses succès. Et rien ne démontre qu'il ait soumis ses croyances à cette méthode. »

La Science et la Foi. - « La raison et la foi sont de nature contraire. » (Voltaire, Dict. phil., art. âme.) Nous affirmons qu'il y a opposition absolue entre la Science et la Foi dans tous les domaines qui touchent de près ou de loin la question de Dieu. Et cela s'explique. Comment procèdent et la Science et la Foi dans la recherche de la vérité ? La Science part de zéro, tout terrain déblayé, net. Le savant se pose l'éternelle et féconde question : que sais-je ? Et, pour savoir, il expérimente. C'est par l'expérimentation, c'est-à-dire « l'emploi systématique de l'expérience », qu'il fait pas à pas son chemin. « L'expérimentation, préparée par les recherches des alchimistes, a fait la puissance et le développement rapide des sciences de la nature ... La valeur et la puissance de l'expérimentation viennent d'abord de ce qu'elle réalise des conditions meilleures d'observation, en mettant le phénomène à l'échelle de nos moyens, en le produisant au moment voulu, et, autant de fois qu'il est nécessaire, ensuite et surtout de ce qu'elle a créé des séries de phénomènes, dans lesquelles la variation continue d'un élément donne des éléments très sûrs de comparaison ; par suite, en raison de ces variations, et aussi grâce aux déterminations très précises que permet la technique des expériences, aidée de toute la science acquise, elle réalise une analyse de plus en plus poussée du phénomène » (Larousse.) Décomposer le phénomène, comparer de multiples réactions, regrouper les éléments dispersés, en deux mots faire l'analyse et la synthèse, voilà comment procède la Science. Elle n'admet donc pour vérité démontrée que ce que chacun, employant ses procédés, doit retrouver nécessairement. Certes, elle avance ainsi lentement ; mais le terrain est solide et sûr. Ce qu'elle gagne sur l'inconnu est définitivement gagné. On lui doit le merveilleux essor de l'esprit humain dans la période contemporaine. L'homme doit avoir, par la Science, la connaissance totale de l'Univers. « La grande épopée, à côté de laquelle toutes les autres pâlissent, c'est l'histoire de l'esprit humain s'élançant, de siècle en siècle, à la poursuite du vrai, atteignant un jour l'atome, un autre jour la galaxie, et dominant la matière par l'image intelligible qu'il en donne. » (Albert Bayet.)

Et la Foi ? Disons tout de suite que la Foi ne recherche pas la vérité ; elle la possède tout entière - ou plutôt elle croit la posséder. Nous lisons ceci dans l'Encyclopédie : « Les philosophes et les logiciens peuvent bien faire des distinctions entre la certitude et la foi. Ceux qui ont la foi n'accorderont jamais qu'ils ne sont pas certains que leur foi n'enveloppe pas la certitude. Il semble cependant que tout le monde peut admettre que, si la foi atteint la certitude, elle y arrive par d'autres chemins que la science proprement dite ou la raison. Avoir foi en un homme, en une institution, en une idée, en un système ; avoir foi dans l'avenir ; avoir une foi politique ou religieuse, toutes ces expressions supposent et impliquent que l'esprit fait usage d'autre chose que de la raison pour atteindre la vérité, qu'il est éclairé d'une autre lumière que celle qui brille pour la seule intelligence ». Cette « autre lumière » n'atteignant que quelques humains, vague à souhait, imprécise, indéfinissable, produit de l'imagination plus ou moins maladive et non de la raison, cette « grâce », c'est elle qui révèle la vérité ! Et, ici, comment ne pas s'étonner que cette « vérité », atteinte depuis si longtemps, repose sur des bases si peu sûres qu'il suffit du raisonnement méthodique d'un logicien pour la mettre en échec ; qu'il ait fallu, aux époques de foi profonde, dresser des bûchers pour la défendre, et que toute la chrétienté s'alarme sans cesse des progrès incessants de l'athéisme ? Mais le monde ne peut revenir en arrière, et comme on ne peut arrêter l'essor de la science, le déiste est bien obligé de composer en proclamant qu'il n'y a nulle opposition entre la raison et la foi. Il faut voir « en quels termes galants ces choses là sont dites », c'est-à-dire avec quelle impudence et quelle perfidie.

« La foi et la raison, non seulement ne peuvent jamais se contredire, mais elles se prêtent une aide réciproque, parce que la droite raison établit les bases de la foi et, éclairée par sa lumière, cultive la science des choses divines, tandis que la foi, de son côté, la libère ou la préserve de l'erreur et l'enrichit de connaissances diverses. C'est pourquoi l'Eglise, bien loin de s'opposer à la culture des arts et des sciences humaines, l'aide et la favorise de beaucoup de manières. Car elle n'ignore ni ne méprise les avantages qui en résultent pour la vie de l'humanité ; elle répète même que ces sciences issues de Dieu, qui est le Maître des Sciences, doivent, avec sa grâce, si elles sont traitées comme il faut, conduire à Dieu. Et elle ne s'oppose en aucune manière à ce que ces sciences, chacune dans leur champ d'action, usent de principes et de méthodes qui leur soient propres ; mais, tout en reconnaissant cette juste liberté, elle veille avec soin pour empêcher que, par hasard, se mettant en contradiction avec la doctrine chrétienne, elles ne tombent dans l'erreur, ou bien qu'en sortant de leurs frontières elles n'envahissent pour le bouleverser le terrain de la foi. » (Con. Vat., sess. 3, C. 4.)

Et encore : « Dire que l'Eglise voit de mauvais oeœil les formes plus modernes des systèmes politiques et repousse en bloc toutes les découvertes du génie contemporain, c'est une calomnie vaine et sans fondement. Sans doute, elle répudie les opinions malsaines, elle réprouve le pernicieux penchant à la révolte, et tout particulièrement cette prédisposition des esprits où perce déjà la volonté de s'éloigner de Dieu ; mais comme tout ce qui est vrai ne peut procéder que de Dieu, en tout ce que les recherches de l'esprit humain découvrent de vérité, l'Eglise reconnaît comme une trace de l'intelligence divine ; et comme il n'y a aucune vérité naturelle qui infirme la foi aux vérités divinement révélées, que beaucoup la confirment, et que toute découverte de la vérité peut porter à connaître et à louer Dieu lui-même, l'Eglise accueillera toujours volontiers et avec joie tout ce qui contribuera à élargir la sphère des sciences ; et ainsi qu'elle l'a toujours fait pour les autres sciences, elle favorisera et encouragera celles qui ont pour objet l'étude de la nature. » (Encyc. Immortale Dei Léon XIII, 1er nov. 1885.)

En somme, c'est toujours l'antique : « Hors de l'Eglise, point de salut ! ». Dieu dit aux savants : « Touchez à tout ce que vous voudrez ; étudiez les moeœurs des escargots, des oursins et des bélugas ; inventez des troncs inviolables pour que le denier du culte ne soit plus en danger ; et puis des mitrailleuses, des tanks et des gaz asphyxiants pour la prochaine ; intéressez-vous à « l'influence des queues de poissons sur les ondulations de la mer » ; bref, débrouillez-vous à rendre votre Terre, que j'ai laissée en plant, jadis, plus habitable que du temps d'Adam, plus sanguinaire que du temps de Caïn, cela tant que vous voudrez ; je vous donne pleine liberté. Mais je vous préviens : traitez les choses comme il faut, n'ayez pas d'opinions malsaines ; et si, par hasard, vous vous mettiez « en contradiction avec la doctrine chrétienne », si vous « bouleversiez le terrain de la foi », d'abord vous ne seriez point des savants, mais de vulgaires bafouilleurs hérétiques et suppôts de Satan, et ensuite malédiction sur votre enveloppe terrestre, si le bras séculier obéit à nos saintes sentences et malédiction sur votre âme, lorsque vous comparaîtrez devant Moi... »

Non, il n'y a pas contradiction entre la Science et la Foi si celle-là se fait l'humble servante de celle-ci ; c'est-à-dire si elle se renie elle-même. Dans ce cas, elle n'est plus qu'une science étriquée, diminuée, châtrée ; elle n'est plus la Science tout court pour laquelle rien n'est inviolable, rien n'est sacré, tout étant sujet à expériences, tout étant soumis au jugement de la raison, même l'Eglise, même les dogmes, même Dieu !

Les Savants selon l'Eglise. - Car il y a eu des savants selon l'Eglise. Ou alors, comment appeler ces lumières (!) qui ont osé expliquer la nature sans que l'ombre d'un doute assombrît leurs pensées ; tranchant souverainement, avec l'aide de la grâce divine ? Certainement le pape Zacharie (741) était de ceux-là. Il faut être un Voltaire pour écrire sur son compte qu' « il anathémisa ceux qui démontraient qu'il y a des antipodes : l'ignorance de cet homme infaillible était au point qu'il affirmait que, pour qu'il y eût des antipodes, il fallait nécessairement deux soleils et deux lunes. » (Annales de l'Empire.)

Et citons :

Nider, dominicain, une des lumières du concile de Bâle, qui expliqua, vers 1431, dans son Formicarius, « comment les sorciers s'y prenaient pour soulever des tempêtes, faire tomber la grêle, transporter chez eux la moisson de leurs voisins, rendre les femmes stériles ». Hollen, moine (1481), écrivant le Praceptorium, raconte « l'histoire d'une femme de Norvège qui vendait le vent dans un sac fermé par une corde à trois nœoeuds. Un vent doux s'élevait quand le premier nœoeud était défait. Le vent devenait violent après la disparition du second noeœud. Enfin, une tempête furieuse s'élevait quand le troisième noeœud était dénoué ». (Janssen, 8.525.) Sprenger, dominicain - dans le Maillet des sorcières (1486), qui fut le manuel des inquisiteurs, couvert par le patronage du pape Innocent VIII - nous apprend (2-1-15) « que pour produire de la grêle, les sorcières font un trou, y versent de l'eau, et remuent avec le doigt ». (Turmel, Histoire du Diable, p. 196.)

N'est-ce pas aussi Origène, qui disait : « A parler rigoureusement, si les démons jouent ici quelque rôle, ce qu'il faut leur attribuer, c'est la famine, la stérilité des arbres et des vignes, les excès de chaleur, la corruption de l'air qui détruit les fruits, tue les animaux et amène sur les hommes le fléau de la peste. Les auteurs de ces maux sont les démons dont la justice divine se sert comme de bourreaux ... ». (Turmel, op cit., p. 139.)

Et voilà ! Ce n'est pas plus difficile que ça. Quand Dieu daigne vous éclairer d'une si éclatante façon, on se demande pourquoi certains s'obstinent encore à inventer, par exemple, des liquides pour tuer mouches et moustiques. Que n'adoptent-ils la méthode du grand Saint Bernard, de celui qui avouait ingénument, à propos de la Vierge Marie, qu' « il est grand d'être vierge ; mais être vierge et mère en même temps, c'est ce qui dépasse toute mesure » ? Qu'ils sachent donc comment opérait le saint homme :

« A Foigny, près de Laon, lieu infesté de mouches, Saint Bernard s'écrie : Je les excommunie. Les mouches, immédiatement, passèrent de vie à trépas, et on les enleva à la pelle. » (Première vie de Saint Bernard, I 52.)

Voici également, à titre documentaire, un autre procédé employé par les « savants » selon l'Eglise dans le même but que plus haut : C'est une « lettre adressée au clergé de Langres, en 1552, par le Vicaire général » :

« De l'autorité du Révérend Père en Dieu, Monseigneur Claude de Lougni, par la miséricorde de Dieu, cardinal prêtre de la sainte Eglise romaine, du nom de Givry, évêque, duc de Langres et pair de France, moi, son vicaire général au spirituel et temporel, par l'autorité de la sainte et indivisible Trinité confiant en la miséricorde divine et plein de pitié, je somme, en vertu de la sainte croix, armé du bouclier de la foi, j'ordonne et je conjure, une première, une deuxième, et une troisième fois, toutes les mouches, vulgairement appelées urébires ou uribères, et toutes les autres bestioles nuisant aux fruits des vignes, qu'elles aient à cesser immédiatement de ravager, de ronger, de détruire et d'anéantir les branches, les bourgeons et les fruits ; de ne plus avoir ce pouvoir dans l'avenir ; de se retirer dans les endroits les plus reculés des forêts, de sorte qu'elles ne puissent plus nuire aux fidèles, et de sortir du territoire . Et si, par les conseils de Satan, elles n'obéissent pas à ces avertissements et continuent leurs ravages, au nom du Seigneur Dieu, et en vertu des pouvoirs ci-dessus indiqués, par l'Eglise, je maudis et lance la sentence de malédiction et d'anathème sur ces mouches urébires et leur postérité. » « La malédiction, ajoute Turmel (Hist. du Diable, p. 204), il va sans dire, c'était la peine de mort. »

Savants ? Certes oui, à l'époque, l'opinion de ces hommes-là faisait autorité dans toute la chrétienté. Ah ! ils ne possédaient pas ce « pernicieux penchant à la révolte » ; ils n'avaient pas de ces « opinions malsaines » que d'aucuns possédaient déjà. Ils ne méritaient que la bénédiction de Dieu. Mais si les connaissances humaines ont progressé, on ne doit rien à ces moines, à ces prêtres, à ces saints. L'évolution s'est faite malgré eux, contre eux. On doit tout, au contraire, aux hérétiques, non-conformistes, qui n'ont pas craint de « bouleverser le terrain de la foi », de « s'allier à Satan », et de braver les rigueurs de l'Inquisition, car ils voyaient poindre à travers les flammes des bûchers l'image ardente de la vérité.

Les savants contre l'Eglise. - Toutes les fois qu'un esprit curieux, chercheur, hardi, arrive, par la logique de son raisonnement, à formuler des propositions qui s'opposent à l'Ecriture, il trouve l'Eglise devant lui qui met tout en Œoeuvre pour lui barrer la route. Aujourd'hui, la Bête est, en général, impuissante, et le savant se rit de sa ridicule sentence d'excommunication. Il n'en a pas toujours été ainsi. Il n'en serait pas de même si l'Eglise pouvait recouvrer son antique puissance. Les leçons du passé et les paroles des pontifes ne laissent aucun doute à ce sujet. C'est le cardinal Lépicier qui écrit dans son livre « De la stabilité et du progrès du dogme» (p. 194) : « Si les hérétiques professent publiquement leur hérésie et excitent les autres, par leur exemple et par leurs raisons à embrasser les mêmes erreurs, personne ne peut douter qu'ils ne méritent d'être séparés de l'Eglise par l'excommunication et d'être enlevés par la mort du milieu des vivants ; en effet, un homme mauvais est pire qu'une bête féroce et nuit davantage, comme dit Aristote ; et comme il faut tuer une bête sauvage, ainsi il faut tuer les hérétiques ».

C'est la même idée qu'exprimait Saint Augustin : « Qui de nous ne loue les lois rendues par les empereurs contre les sacrifices païens ? De telles impiétés ne méritent-elles pas le sacrifice capital ? » (Epistola, 93.)

Le pape Célestin Ier, dans sa lettre aux évêques de Calabre et de la Pouille, déclarait aussi : « Le peuple doit être enseigné et non pas écouté ; nous seuls avons le droit de lui apprendre ce qui est licite ou non. S'il se trouvait quelqu'un d'assez audacieux pour juger par lui-même les choses défendues par nous, il sentirait ce que peut la censure épiscopale : car si nos admonitions sont impuissantes, nous devons employer la sévérité et la rigueur ».

Ainsi, l'esprit de l'Eglise, au long des siècles, n'a pas varié. L'Inquisition - qui a sa source dans la Bible - est en puissance dans la pensée des Pères de l'Eglise ; comme elle vit encore dans celle des évêques, cardinaux et papes. Elle est une conséquence logique du fanatisme de ces sectaires, hommes de foi, persuadés de posséder la vérité totale. Ah ! qu'on veuille faire un retour vers ce passé, où toute lumière semblait venir de la flamme tremblante des cierges brûlant dans les sanctuaires ! Qu'on se reporte, par la pensée, à ces époques de misère, où les âmes simples croyaient entrevoir dans leurs prières les joies éternelles du paradis, en compensation à leur existence toute de souffrance et de malheur ! Qu'on se représente la chrétienté à genoux, s'humiliant avec ferveur devant le Christ-Roi ; et qu'on suppose alors, en face des chefs tout-puissants, une frêle conscience humaine venant tout à coup formuler l'ombre d'un doute, ou même énoncer une certitude qui ébranle le dogme ; et on comprendra la terrible colère du Dieu pressentant sa fin, on comprendra la sauvage agression contre la pensée libre naissante, on comprendra le Saint-Office, la question du feu, la corde, les garrots, le supplice de l'eau, les pinces ardentes, l'emmuraillement ; on comprendra tout ! Il fallait bien peu de chose alors pour que l'audacieux pérît dans les plus affreux tourments. Quelques exemples, entre tant !

Le célèbre Pierre d'Abano enseignait (1250), à Padoue, la médecine et l'alchimie. Il fut dénoncé à l'Inquisition comme magicien et accusé de travailler de concert avec le diable. Il mourut avant la fin de son procès et, d'après quelques auteurs, son cadavre fut exhumé et brûlé par ordre de l'Inquisition (1316).

François Stabili Cecco, professeur à Bologne « par l'audace de sa science, sondait les choses défendues ». Il fut accusé d'attaquer la religion. Condamné à la peine du feu, il fut brûlé vif à Bologne.

Mais le procès le plus typique et que tout le monde connaît fut celui de Galilée. Né en 1554, à Pise, Galilée occupa, à 25 ans, la chaire de mathématiques à l'université de Padoue. Admirateur de Copernic, en 1597, il écrit à Képler : « J'ai recueilli beaucoup d'arguments et de preuves que je n'ose publier, car je redoute le sort échu à notre maître Copernic ». Il est l'auteur de nombreuses découvertes. Avec le télescope « sa vue plongeait dans l'infini ». On le surnomma « Le Christophe Colomb de l'empyrée ». L'Eglise romaine fut épouvantée. Quoi : cet homme osait saper les bases de la sainte religion ? L'Inquisition va « analyser et juger ces théories absurdes et impies ». C'est le cardinal Bellarmin qui parle : « Nous vous ordonnons de ne plus défendre et soutenir une théorie que la Bible condamne ». Après un silence de seize ans, il publie un nouvel ouvrage : « Quatre dialogues ». Dénoncé à l'Inquisition (10 fév. 1633), il est soumis à de nombreux interrogatoires et jeté dans les cachots du Saint-Office, puis condamné. Il faut connaître cette condamnation, ce monument de sottise et d'iniquité :

« Au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit ! Nous tous rassemblés en ce lieu, sous l'inspiration de l'Esprit Saint, éclairés par les lumières du souverain pontife, nous décidons qu'aucun fidèle ne doit croire ni soutenir que le soleil est placé immobile au centre du monde ; nous décidons que cette opinion est fausse et absurde en théologie, aussi bien qu'hérétique, parce qu'elle est expressément contraire aux paroles de l'Ecriture, et impliquerait une accusation d'ignorance envers Dieu, la source de toute science et le révélateur des livres saints. Nous défendons également d'enseigner que la terre n'est point placée au centre de l'univers, qu'elle n'est pas immobile et qu'elle a un mouvement journalier de rotation, parce que cette seconde proposition est, pour les mêmes motifs, fausse, absurde, même en philosophie, autant qu'erronée en matière de foi. »

Galilée s'agenouille et abjure ; il avait 70 ans ! « Et pourtant, elle tourne ! » Cri de la conscience, cri de la vérité qui, s'il n'a pas été prononcé par l'illustre savant, est la protestation de l'humanité pensante contre le dogme étouffant et absurde.

En prison, Galilée est obligé de réciter les psaumes de la pénitence. Puis, interné dans sa villa, toujours sous la surveillance de l'Inquisition, il écrit : « Ici, je suis vaincu par la tristesse et par une mélancolie immense ». Il meurt, aveugle, à 78 ans, surveillé par ses bourreaux jusqu'à son dernier souffle.

Voilà ce que fait l'Eglise des savants qui ne savent pas retrouver, dans le calme de leur laboratoire ou dans la profondeur des cieux, les traces de la main divine ; ou plutôt voilà ce qu'elle en ferait si elle pouvait redevenir souveraine. Car le savant, ici et là , se heurte nécessairement au dogme ; il démolit, sans que ce soit précisément son but, mais en passant, par surcroît, l'erreur embusquée derrière le psaume ou la prière. « Galilée ne fut point persécuté comme bon astronome, mais en qualité de mauvais théologien. On l'aurait laissé tranquillement faire marcher la terre s'il ne se fût point mêlé d'expliquer la Bible », écrit Mallet du Pan, écrivain genevois et protestant, en 1784. Malheureusement, Galilée ne pouvait point être bon astronome sans que, en conséquence, il se révélât mauvais théologien.

L'autorité toujours contestable des savants. Savants officiels et autres. Leurs bévues. Leur doute. - D'une façon générale, il n'est pas de vérité absolue. Ce qui a été reconnu pendant des années et parfois des siècles comme l'expression même de la vérité est mis un jour en doute, et bientôt ne résiste plus aux investigations nouvelles. L'hypothèse ancienne, avec toutes ses conséquences fécondes, est désormais périmée ; un coin de l'inconnu est éclairé ; mais, à côté, c'est encore la nuit. Alors on découvre des routes parallèles inexplorées et, placé dans de nouvelles conditions de vie, on se rend compte que ce qui paraissait hier comme un roc indestructible présente de profondes lézardes, qu'il faut aller plus loin, regarder ailleurs et de façon différente. Il ne reste de l'antique créance qu'une poussière de vérité, brillante, précieuse, certes, mais si légère, si ténue ! Et l'on est surpris que si peu de chose ait suffi à alimenter pendant si longtemps les passions humaines.

Qu'on se représente seulement le chemin parcouru depuis Ptolémée jusqu'à Einstein. Avant Copernic et Galilée, toute l'antiquité a considéré la terre comme le centre immobile de l'univers. Einstein modifie, à son tour, la théorie newtonienne de la gravitation universelle. Ici, pourtant, le savant raisonne devant des réalités ; il peut vérifier ses hypothèses, constater l'exactitude ou la fausseté de ses calculs : l'univers entier est à la portée de son regard, ou le sera au fur et à mesure de la perfection des instruments d'optique. Mais que dire du Dieu-Esprit, insaisissable, impondérable, du Dieu éternellement caché ? Cela n'empêche pas certains savants d'affirmer qu'il existe. Il y aurait là, en vérité, de quoi troubler les âmes inquiètes, si l'on ne savait depuis longtemps ce qu'il faut penser de la science pontifiante plus ou moins officielle. Qu'on en juge par ces quelques faits :

Baumé, à l'Académie des Sciences, s'élève contre les théories « subversives » de Lavoisier. Celui-ci prétendait, en effet, que l'air est composé de deux éléments. Ne savait-on pas, depuis deux mille ans, qu'il était intangible, au même titre que l'eau et le feu ? Voltaire était allé encore plus loin : « J'ose regarder l'existence de l'air comme une chose peu probable ». (Dict. phil. Air.) Et il a démontré cette inexistence en sept points bien développés. Il est vrai qu'il dit ailleurs (art. Amour de Dieu) : « Si chaque ergoteur voulait bien se dire à soi-même : Dans quelques années, personne ne se souciera de mes ergotismes, on ergoterait beaucoup moins ». On ne peut se condamner avec plus d'humour. Il semble que la docte Académie des Sciences (déjà nommée) a le monopole des bévues colossales et des hilarantes méprises. C'est elle qui s'opposa obstinément aux idées de Boucher de Perthes (1788-1868) et de ses précurseurs qui proclamaient l'existence de l'Homme fossile. Rien ne put la convaincre, ni les découvertes de Tournal, d'Emilien Dumas, de Christol, de Marcel de Serres, de Schmerling, ni l'obstination et les preuves qu'apportait Boucher de Perthes. Et cependant « les innombrables découvertes faites depuis ont démontré l'exactitude de ses conclusions » (Larousse). En somme, on pourrait presque affirmer qu'il n'est pas de savant plus hâté qu'un membre de l'Institut. Qui ne connaît aussi la fameuse séance où Du Moncel, le physicien, présenta le phonographe à cette même assemblée ? C'était le 11 mars 1878. M. Brouillaud se jeta sur l'opérateur, représentant d'Edison et s'écria en le saisissant à la gorge : « Misérable, nous ne serons pas dupes d'un ventriloque ! » Le dit Brouillaud, qui avait de la constance dans ses idées, déclara six mois plus tard, avec le sérieux de M. Homais : « Il n'y avait là que de la ventriloquie, car on ne pouvait admettre qu'un vil métal puisse remplacer le noble appareil de la phonation humaine ». On pourrait citer encore M. Thiers, ministre des Travaux publics en 1832, disant que les chemins de fer ne seraient jamais que des jouets pour amuser les Parisiens ; Arago, qui déclarait que la basse température des tunnels, avec le passage subit du chaud au froid, procurerait aux voyageurs des fluxions de poitrine ; d'autres encore qui prédisaient qu'au croisement de deux trains, l'air serait tellement comprimé que les voyageurs périraient asphyxiés ! » Est-ce que la déclaration de l'Abbé Moreux, parue dans le Petit Journal du 8 avril 1918, prouve une grande élévation morale, digne d'un savant ? « Mais je gage que, lors de la ruée boche sur Amiens, nos artilleurs préféreraient encore « taper dans le tas » avec nos élégants obus de 75, qui n'empoisonnent pas à la façon des vitrioleurs, mais anéantissent proprement des bataillons entiers ». Faut-il rappeler enfin, plus près de nous, l'affaire dite « de Glozel ». On pouvait lire, dans les journaux du 9 mars 1931, le compte rendu de l'audience de la 12ème Chambre correctionnelle, dans lequel nous trouvons ces phrases : « M. Dussaud, membre de la Société de Préhistoire de France, a expliqué comment, étant conservateur du Louvre, il a cru de son devoir d'étudier les objets de Glozel qui pouvaient être proposés aux collections nationales. Il a trouvé que c'étaient indiscutablement des faux et il l'a publiquement déclaré. Puis c'est un défilé à la barre de savants convaincus de l'authenticité des objets glozéliens : le docteur Gorlet , de Vichy, MM. Salomon Reinach, Romand, etc ... Avec une conviction égale, les savants cités par la défense et qui sont notamment : MM. Vaison, Champion, Randoin, Maheu, sont venus affirmer que les objets trouvés à Glozel n'étaient que des faux grossiers ». Nous ne citerons pas les cas, très nombreux, où des savants renommés furent mystifiés par des prestidigitateurs, spirites, et autres charlatans.

Même lorsque le savant affirme qu'il croit, il se garde bien de baser sa croyance sur une démonstration rigoureuse, scientifique, de l'existence de Dieu. Au contraire, il dit : « Je crois en Dieu, parce que je crois en Dieu » - proposition inverse de celle de Le Dantec : « Je suis athée, parce que je suis athée ! » mais avec la différence qu'à celui-ci on ne peut pas demander de fournir des preuves d'une chose qu'il méconnaît, alors qu'on serait en droit d'être beaucoup plus sévère envers celui qui affirme l'existence de cette chose. Quoi qu'il en soit, c'est ici l'impasse qui coupe court à toute discussion. Pascal, qui fut sans doute le plus tourmenté des humains parce qu'il cherchait à se convaincre de la véracité des Ecritures, malgré la tyrannie implacable de sa raison, nous a laissé dans ses Pensées le reflet de son doute et du terrible combat qui se livra dans son coeœur. Chercher Dieu, en effet, et ne pas le trouver, quelle torture pour un croyant ! Il disait : « Je n'entreprendrai pas de prouver par des raisons naturelles l'existence de Dieu ou l'immortalité de l'âme, parce que je ne me sentirais pas assez fort pour trouver dans la nature de quoi convaincre les athées ». Et aussi : « S'il y a un Dieu, il est infiniment incompréhensible, puisque n'ayant ni parties, ni bornes, il n'a nul rapport à nous : nous sommes donc incapables de connaître ni ce qu'il est, ni s'il est ». (Section III-233.) Puis : « C'est le cŒoeur qui sent Dieu et non la raison. Voilà ce que c'est que la foi : Dieu sensible au coeur, non à la raison ». (Section IV-278.) Encore : « La foi est un don de Dieu. Ne croyez pas que nous disions que c'est un don de raisonnement. Les autres religions ne disent pas cela de leur foi ; elles ne donnaient que le raisonnement pour y arriver, qui n'y mène pas néanmoins ». (IV-279), etc ... Enfin, Pasteur, tant de fois mis en avant par les déistes, s'exprimait ainsi : « En chacun de nous il y a deux hommes : le savant, celui qui a fait table rase, qui, par l'observation, l'expérimentation et le raisonnement veut s'élever à la connaissance de la nature, et puis l'homme sensible ; l'homme de tradition, de foi ou de doute, l'homme qui pleure ses enfants qui ne sont plus, qui ne peut, hélas ! prouver qu'il les reverra, mais qui le croit et l'espère, qui ne veut pas mourir comme meurt un vibrion, qui se dit que la force qui est en lui se transformera. Les deux domaines sont distincts et malheur à celui qui veut les faire empiéter l'un sur l'autre, dans l'état si imparfait des connaissances humaines ». (Discours à l'Académie de Médecine).

Les croyants ne font donc pas preuve de beaucoup de sérieux lorsqu'ils s'appuient sur l'autorité des savants pour prouver Dieu.

Les savants athées. - Et puis enfin, quand on cite les savants croyants - avec toute la série de leurs découvertes, comme si le fait d'avoir résolu un problème devait donner par surcroît un éclat nouveau aux antiques preuves (!) de l'existence de Dieu, - on ne nous montre qu'un seul côté de la barricade. Car il y a eu, et il y a, des savants athées. Sans nous arrêter à Descartes, Mallebranche , Arnauld, Nicole el Pascal, considérés comme athées d'après le Père Hardouin (Volt., dict. phil.) nous pourrions citer un nombre imposant d'esprits de valeur qui ont vécu sans Dieu. A titre purement documentaire nous nommerons :

Hobbes (1588-1679), qui, nous dit Voltaire, passa pour athée ; Spinoza (1632-1677), était non seulement athée, mais il enseigna l'athéisme (Volt.) ; Lalande (1732-1807), astronome, disait : « On a beau fouiller le ciel dans toutes les directions, avec les meilleurs télescopes, on n'y a jamais vu trace de Dieu » ; Laplace (1749-1827), mathématicien et astronome, inventeur du système cosmogonique qui porte son nom, s'occupa de la mécanique céleste. Pour lui, Dieu était « une hypothèse inutile » ; Pigault-Lebrun (1753-1835), écrivain, auteur du célèbre Citateur ; Berthelot (1827-1902), chimiste, qui reproduisit artificiellement (1855) un certain nombre d'espèces chimiques existant dans les êtres vivants ; Vogt Karl (1817-1895), naturaliste et anthropologiste allemand, défenseur du transformisme ; Paul Bert (1833-1886) , physiologiste, membre de l'Académie des Sciences ; Giard Alfred (1846-1908), biologiste, partisan convaincu de la théorie transformiste ; Virchow (1821-1902), médecin, fondateur de la pathologie cellulaire, disait notamment : « On ne peut avoir de discussion scientifique au sujet de la foi, car la science et la foi s'excluent » ; Loeb, (1859-1924), physiologiste américain, chef de la section de physiologie à l'Institut Rockefeller ; Delage Yves (1854-1920), zoologiste-biologiste dont l'influence fut si grande sur la science moderne ; Curie Pierre (1859-1906), physicien, Prix Nobel 1904, dont la renommée est mondiale par suite de ses découvertes du polonium et du radium ; Metchnikoff Elie (1845-1916), chef de laboratoire des recherches à l'Institut Pasteur ; Herrera, directeur de l'Institut biologique des Sciences de Mexico, qui atteste être parvenu à créer des cellules vivantes douées de mouvement ; Littré Emile (1801-1881), érudit, philosophe et philologue , de l'Académie Française (son élection provoqua la démission de Mgr Dupanloup), auteur du merveilleux « Dictionnaire de la Langue française ». Il s'est exprimé ainsi : « Quelque recherche qu'on ait faite, jamais aucun miracle ne s'est produit là où il pouvait être observé et constaté » ; Elisée Reclus (1830-1905), savant géographe, auteur de la « Géographie Universelle » , de l' « Homme et la Terre », anarchiste, révolutionnaire, révolté permanent contre la société capitaliste et les dogmes sur lesquels elle repose ; Perrin Jean, de l'Institut, écrit : « En face d'un Univers si prodigieusement riche et dont rien ne nous annonce encore la limite, comment peut-il se faire que nous ne nous sentions pas écrasés ? Sans doute, c'est d'abord parce que nous sommes affranchis de l'oppression que nous faisions peser sur nous-mêmes, au nom de fantômes nés de notre seule ignorance, et c'est parce que nous acceptons un monde qui nous ignore, plus volontiers qu'une tyrannie qui nous étouffe ». (Préface au livre de Paul Couderc : l'Architecture de l'Univers). Félix Le Dantec (1869-1917), biologiste, transformiste convaincu, auteur, entre tant d'ouvrages de haute valeur, de l'Athéisme (1906), écrivait : « Je ne dis pas que la Science vous donnera une démonstration de la non-existence de Dieu ; elle vous démontrera seulement que tout se passe exactement comme si Dieu n'existait pas, et puisque Dieu n'explique aucun mystère sans le remplacer par le mystère encore plus grand de sa propre existence, peut-être renoncerons-nous à cette notion qui nous vient de nos ancêtres plus ignorants ». (Le Conflit, Ch. I).

Pour finir - car il faut se limiter - citons encore Joseph Turmel, le vieux prêtre excommunié, qui, sous une quinzaine de pseudonymes (Delafosse, Coulange, Dulac, Herzog, Dupin, Lagarde, Perrin, Gallerand, Lawson, Michel , Letourneur, etc.), a, par la méthode historique, détruit le Dogme, sapé la foi, et cela, de la façon la plus sûre et la plus complète. De l'aveu même de l'abbé J. Rivière (Le Modernisme dans l'Eglise) : « Il comptait parmi les illustrations du clergé de France dans l'ordre scientifique » ; mais pénétré de l'imposture religieuse, il a voué à l'Eglise une haine acharnée : « Je déteste l'Eglise ; j'exècre la bête ... », dit-il ; puis : « J'ai prononcé le serment d'Annibal, le serment de faire sans trêve ni relâche la guerre à la bête ».

Les savants et Dieu. - Il nous reste un dernier point à élucider, c'est celui de savoir quel est le Dieu dont se réclament les savants déistes. Nos adversaires, en général, n'insistent pas outre mesure sur le Dieu anthropomorphe de la Bible. Cela se comprend. Le Dieu philosophique, pur esprit, paraît beaucoup moins vulnérable. Cependant, ni catholiques, ni protestants, ni juifs, ne peuvent renier le premier. Pour leur confusion, il ne résiste pas à l'examen. Ignorant, jaloux, faillible, malhonnête, brigand, plaisantin, lutteur, cruel et sanguinaire par dessus tout, voilà ses principaux attributs. Ce Dieu, répondant à la mentalité grossière d'un petit peuple ignorant d'Asie Mineure vivant il y a 4 ou 5000 ans, est rejeté aujourd'hui par tous les esprits réfléchis et sérieux et les soutiens des diverses religions le bannissent de leur coeœur lorsqu'ils sont intelligents.

Il reste le Dieu « pur esprit », créateur, gouverneur et justicier. Nous n'entreprendrons pas de démontrer ici l'impossibilité d'existence d'un tel Dieu. Cela a été fait ailleurs et magistralement. (Voir par exemple : Sébastien Faure, Douze preuves de l'inexistence de Dieu.) Nous dirons seulement que le problème du mal restera toujours insoluble pour les croyants. L'existence de ce mal condamne le Dieu puissant, gouverneur et justicier. Voltaire n'admet que le Dieu créateur, mais ... « Où est l'éternel géomètre ! Est-il en un lieu ou en tout lieu, sans occuper d'espace ? Je n'en sais rien. Est-ce de sa propre substance qu'il a arrangé toutes choses ? Je n'en sais rien. Est-il immense sans quantité et sans qualité ? Je n'en sais rien. Tout ce que je sais, c'est qu'il faut l'adorer et être juste. (Dict. Phil. Athéisme). Cela frise de bien près l'incrédulité totale. Voltaire était suffisamment averti pour sentir en lui-même le point faible de son raisonnement sur « l'horloger ». Un horloger a des ascendants et Dieu n'en aurait pas ? Mais Voltaire était aussi d'esprit assez pratique - car il était riche - pour affirmer la nécessité d'un Dieu pour ... autrui !

« On demande ensuite si un peuple d'athées peut subsister ; il me semble qu'il faut distinguer entre le peuple proprement dit et une société de philosophes au-dessus du peuple. Il est vrai que, par tout le pays, la populace a besoin du plus grand frein, et que si Bayle avait eu seulement cinq ou six cents paysans à gouverner, il n'aurait pas manqué de leur annoncer un Dieu rémunérateur et vengeur ».

Et encore : « Et je vous demanderai toujours si, quand vous avez prêté votre argent à quelqu'un de votre société, vous voudriez que ni votre débiteur, ni votre procureur, ni votre notaire, ni votre juge ne crussent en Dieu. » (Dict. Phil. Athéisme).

Toujours ce leit motiv en maints endroits de son œoeuvre : « Il est clair que la sainteté des serments est nécessaire, et qu'on doit se fier davantage à ceux qui pensent qu'un faux serment sera puni qu'à ceux qui pensent qu'ils peuvent faire un faux serment avec impunité. Il est indubitable que, dans une ville policée, il est infiniment plus utile d'avoir une religion, même mauvaise, que de n'en avoir point du tout ». Il est donc absolument nécessaire, pour les princes et pour les peuples, que l'idée d'un être suprême créateur, gouverneur, rémunérateur et vengeur, soit profondément gravée dans les esprits. (Dict. Phil. Athéisme).

Mais Voltaire n'était pas dupe lui-même de son raisonnement « pour la populace », car il a écrit ailleurs : « L'intérêt que j'ai à croire une chose n'est pas une preuve de l'existence de cette chose ». (Remarques sur les Pensées, de M. Pascal).

Alors, pas de Dieu Justicier ? Pas de Dieu gouverneur ? Pas de Dieu créateur ? Eh bien, vous pouvez croire à « quelque chose qui est au-dessus de nous », à l'X mystérieux, indéfinissable ; cela ne gêne pas les athées, du moment que cet X n'a plus la prétention de s'immiscer dans la conduite de leur vie. Mais alors athées et croyants seront bien près de s'entendre ; il est vrai que ceux-ci sentiront certainement le fagot.

Conclusion. - A la base de la croyance en Dieu il n'y a, au fond, qu'un désir d'implorante justice. Justice contre les hommes par renonciation à la révolte contre la société inique, par manque de virilité pour l'établissement de rapports plus fraternels entre les individus. Justice aussi contre la vie par peur de la mort. (Voir ce mot). Car la mort, sans survie de « l'âme », reste incomprise de la part des croyants. Cicéron envisageait la chose avec plus de sérénité : « Quel mal lui fait la mort ? Nous rejetons toutes les fables ineptes des enfers, qu'est-ce donc que la mort lui a ôté ? Rien, que le sentiment des douleurs ? » Epicure pensait aussi que « la mort en elle-même n'est pas un mal, puisque tant que nous sommes elle n'est pas, et que lorsqu'elle est, nous ne sommes plus ».

L'athée, en être conscient, débarrassé des vains espoirs et des vaines fumées, dont l'origine remonte aux paniques ancestrales, transformiste et matérialiste par raison, méconnaît Dieu.

Ce n'est pas l'opinion imprécise et sujette à caution de quelques savants qui sera assez forte pour le détourner de sa voie.

- Ch. BOUSSINOT.