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SCIENCE n. f. (du latin : scientia ; de scire, savoir)

On donne communément le nom de science à tout ensemble de connaissances humaines, vraies ou supposées. J'insiste sur ces deux mots, qui terminent ma définition : « ou supposées ». En effet, il est courant encore, au XXème siècle, de désigner, sous le nom de « sciences occultes » : l'alchimie, la chiromancie, l'astrologie, la cabale ; de croire à la réalité de la « science infuse », qui nous viendrait directement de Dieu, par inspiration ; de déclarer, enfin, que la métaphysique est la « science des abstractions », comme la théologie est la « science des choses divines », alors qu'il s'agit de données fort douteuses, contestables et contestées. Honorer du nom de « science » des choses aussi peu certaines, c'est faire un abus du mot. Si l'on ne veut pas rompre délibérément avec de très vieilles coutumes installées dans la langue, encore y aurait-il lieu de distinguer, très nettement, entre les sciences et la Science, celle-ci étant considérée comme le savoir humain par excellence, sans confusion possible avec ses soeurs inférieures.

La Science se compose exclusivement des connaissances qui, étant fondées sur l'expérience positive, et, par cela même, évidentes pour tout le monde, ne sont plus contestables par personne. Un fait est d'ordre scientifique lorsque sa réalité ne souffre plus aucun doute, c'est-à-dire lorsque quiconque peut contrôler son existence à volonté, à la seule condition de se placer dans les conditions requises pour cette constatation.

Il y a lieu de distinguer entre les faits scientifiques d'observation et les faits scientifiques d'expérimentation. Ces derniers sont ceux dont nous connaissons si bien les conditions déterminantes, et dont celles-ci sont tellement aisées à réunir, qu'il nous est loisible d'en opérer, chaque fois que nous le voulons, la démonstration. A cette catégorie appartiennent les expériences de physique et de chimie, journellement présentées dans des laboratoires, devant des élèves, par les professeurs chargés de leur enseignement, et qui ont cette haute conscience de n'affirmer rien qui ne soit de suite prouvable, par la production du phénomène confirmant la théorie. Les faits scientifiques d'observation sont ceux qui, en raison de leur nature, ne peuvent être produits à volonté, mais dont l'apparition régulière, enregistrable, et souvent prévisible, ne laisse prise à aucune contestation à l'égard de leur authenticité. Tel est le cas des éclipses de soleil et des aurores boréales, pour ne citer que des exemples bien connus.

Alors que les raisonnements de la philosophie abstraite n'ont donné lieu qu'à des systèmes incertains et contradictoires, tous plus ou moins discutables, selon le point de vue auquel on se place, le fait scientifiquement démontré, et démontrable, a ceci de particulier qu'il s'impose à tous par la force de l'évidence, et réduit à néant la possibilité des controverses.

Il a été dit de la Science qu'elle avançait parmi des ruines, la vérité du jour étant l'erreur du lendemain. Cette affirmation n'est pas conforme à l'exactitude. La réalité d'un fait scientifiquement prouvé est définitivement acquise, toujours. Ce qui change parfois, c'est l'interprétation du fait quant à sa nature exacte, et les hypothèses, c'est-à-dire les suppositions, auxquelles, de le constater avait donné lieu. Ce n'est point la même chose.

A mesure qu'un aviateur s'élève au-dessus du sol, le paysage apparaît pour lui beaucoup plus vaste qu'au moment du départ, et avec des aspects nombreux qu'il ne soupçonnait pas, mais ceci n'infirme point l'existence, et le souvenir, du terrain d'aviation dont il a pris son vol, et qui continue, quoique dans des proportions plus modestes pour l'oeil de l'observateur, à faire partie du paysage. Ainsi en est-il pour l'homme de science, sans cesse avide de nouvelles découvertes.

Si ce que nous connaissons de l'univers, grâce aux méthodes scientifiques d'observation et d'expérimentation, ne fournit pas à tous les problèmes qui se posent devant notre conscience, une solution, il n'en demeure pas moins que la somme de nos connaissances positives s'accroît chaque jour, donnant aux humains des certitudes qui, pour être relatives, n'en sont pas moins autrement dignes d'intérêt que les données, imprécises ou suspectes, du mysticisme et de la raison pure.

Le rationalisme scientifique n'est pas une doctrine philosophique, mais une attitude intellectuelle, qui s'offre comme préférable à toute autre, jusqu'à nouvel ordre, en raison de l'excellence de ses résultats acquis. Alors que la raison pure s'efforce d'imposer à la réalité des faits, coûte que coûte, l'arbitraire de ses concepts, le rationalisme scientifique fait dépendre constamment la théorie de l'expérience et n'hésite pas à sacrifier les données de la théorie à celles de l'expérience, chaque fois qu'il existe entre elles deux un conflit. Le rationalisme scientifique ne condamne point la théorie, indispensable à l'explication des faits, et qui est d'une aide très précieuse pour faciliter les recherches, mais il n'accorde à la théorie que la valeur d'une supposition - disons : d'une donnée contestable et provisoire - tant que la théorie n'a pas reçu de la pratique une indiscutable confirmation.

- Jean MARESTAN