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SCOLASTIQUE (adj. et n. f. du latin schola, école)

Beaucoup s'imaginent que la philosophique scolastique constitua un tout homogène, un système unique et que ses partisans adoptèrent les mêmes principes et les mêmes conclusions. En réalité elle comprit une nombreuse collection de doctrines contradictoires, enseignées dans les écoles d'Occident depuis Charlemagne jusqu'à la diffusion de l'imprimerie. Historiquement, Scot Erigène, Amaury de Chartres, David de Dinan sont à ranger parmi les scolastiques, malgré leur panthéisme hétérodoxe. Néanmoins, de cet amas confus d'idées adverses et de disputes quintessenciées un système général s'est dégagé, que l'on s'est remis à enseigner dans les séminaires, et qui réduit la philosophie à n'être que l'auxiliaire très humble, la servante de l'orgueilleuse théologie catholique, ancilla theologiae.

Au moyen âge, l'Eglise fut souveraine maîtresse en matière d'enseignement. Commenter l'Ecriture Sainte et les Pères, telle était la préoccupation essentielle des savants d'alors. Avant d'aborder les spéculations théologiques, les étudiants devaient toutefois subir une formation préalable, et d'ailleurs longtemps très rudimentaire, assurée par la connaissance du trivium (grammaire, logique, rhétorique) et du quadrivium (arithmétique, musique, géométrie, astronomie). C'est sous le couvert de la logique que la philosophie reparut ; elle fut appelée scolastique ou philosophie de l'école. Comme pour la grammaire et la rhétorique, on utilisait la méthode herméneutique ou interprétative ; les professeurs se bornaient à lire à leurs élèves l'Isagoge de Porphyre puis les Catégories et l'Hermeneia d'Aristote, accompagnant leur lecture d'explications et de commentaires. Aussi toute question philosophique était-elle pour eux d'ordre logique ; ce qui explique leur goût pour les querelles de mots, les distinctions d'une subtilité outrancière, toutes les arguties d'une dialectique formaliste et purement verbale. C'est au début du XIIIème siècle seulement, et grâce aux écrits des savants arabes, que les philosophes scolastiques connaîtront les autres ouvrages d'Aristote. D'où les confusions et les erreurs prodigieuses qu'ils ont commises concernant la doctrine du Stagirite.

De plus, l'Eglise apportait des solutions toutes faites aux principaux problèmes et ne laissait qu'un champ fort limité aux discussions. Sous peine d'excommunication, et l'on sait que cette dernière aboutissait normalement à la prison ou au bûcher, il était interdit d'attaquer les dogmes ou d'y rien changer. Démontrer que foi et raison se concilient, apporter des arguments en faveur du credo catholique, fabriquer une fausse philosophie pour donner plus de vraisemblance aux grotesques assertions des théologiens, voilà le travail préféré des scolastiques. Mais on leur permit, dans le domaine restreint qu'on leur abandonnait, de se livrer à d'extravagantes acrobaties de langage, à des querelles de mots, à des disputes aussi bornées que celle qui mit aux prises les réalistes et les nominalistes. Constatons pourtant que les plus célèbres logiciens du XIIème siècle ne conservèrent qu'un médiocre crédit au siècle suivant, après l'introduction dans les écoles de la Physique, de la Métaphysique et du Traité de l'Ame d'Aristote. La diversité des sujets étudiés apparaît grande selon les époques ; la terminologie en usage et la forme du langage ont aussi beaucoup varié.

Parmi les premiers scolastiques, citons Alcuin, Raban Maur, Scot Erigine qui vécurent sous Charlemagne et ses successeurs, puis Gerbert au Xème siècle. Au XIème siècle commence la querelle des universaux ; elle dura pendant tout le moyen âge et mit aux prises nominalistes et réalistes. Roscelin affirma que les idées générales étaient de purs mots, flatus vocis, dénués de toute valeur objective. Pour Guillaume de Champeaux, son adversaire, les universaux ou concepts universels possèdent seuls, au contraire, une réalité véritable ; ce sont les individus qui ne sont que des noms, des apparences. Saint Anselme s'attacha surtout à l'étude de la théodicée ; il est l'inventeur de l'argument ontologique qui, pensait-il, fournissait une preuve irréfutable de l'existence de dieu. Mais les croyants eux-mêmes ont reconnu depuis qu'il s'agissait là d'un pur sophisme.

Abélard, 1079-1142, substitua aux doctrines opposées de Guillaume de Champeaux et de Roscelin un système intermédiaire, le conceptualisme, qui accorde une réalité, mais d'ordre purement subjectif, aux universaux : les idées ne sont pas de simples mots, elles répondent à des représentations mentales. On sait quel roman tragique troubla la vie d'Abélard. Ses hardiesses théologiques lui valurent, en outre, la haine tenace de saint Bernard et plusieurs condamnations par les autorités ecclésiastiques. Rappelons le nom de l'évêque Gilbert de la Porrée, qui mourut vers 1154 et fut, lui aussi, accusé d'hérésie par saint Bernard, ainsi que celui de Pierre Lombard, plus théologien que philosophe, dont le Livre des Sentences devint un manuel presque obligatoire dans les écoles du XIIIème siècle : il sut courtiser Philippe-Auguste et fut nommé évêque de Paris. Amaury de Chartres et David de Dinan, qui furent condamnés en 1209, au concile de Paris, parce qu'ils professaient un panthéisme non déguisé, avaient subi l'influence de la philosophie arabe, propagée en France par des juifs venus d'Espagne.

Déjà, au IXème siècle, l'arabe Alkindi, auteur de très nombreux ouvrages, tous perdus, avait écrit plusieurs traités sur Aristote. Al-Farabi, au Xème siècle, et plus tard Avempace, le maître d'Averroès, le célèbre Avicenne, Ibn-Thofait (l'Abubacer des scolastiques), Gazali se sont inspirés, à des degrés divers, de la doctrine du Stagirite ; ils aboutirent parfois à un audacieux mélange de mysticisme panthéistique et de rationalisme qui les rendit suspects aux musulmans. Le plus célèbre des philosophes arabes fut Averroès, qui naquit à Cordoue dans le premier quart du XIIème siècle et mourut en 1198. Condamné à l'exil pour crime d'impiété, il fut rappelé, par la suite, dans sa ville natale, mais demeura toujours antipathique aux pieux disciples de Mahomet qui le soupçonnaient d'être mécréant. Son érudition encyclopédique est attestée par d'innombrables ouvrages. Grand admirateur d'Aristote, dont les écrits avaient été traduits en arabe par les savants de Cordoue, il donna des commentaires de tous ses livres : commentaires où des réminiscences néo-platoniciennes altèrent souvent la pure doctrine péripatéticienne. Parmi les partisans d'Averroès, signalons deux israélites, Avicébron et Maimonide, qui tempérèrent la virile hardiesse de son enseignement rationaliste par des idées empruntées à la Bible. De l'arabe, les ouvrages d'Aristote furent peu à peu traduits en latin, et des horizons nouveaux furent ainsi découverts aux philosophes du moyen âge. Par contre, ils continueront d'ignorer les livres les plus essentiels de Platon.

Dans le péripatétisme, l'Eglise vit d'abord un cadeau des pires ennemis de la foi catholique, les musulmans et les juifs. En outre, les théologiens estimaient cette philosophie incompatible avec certains dogmes chrétiens. La Physique d'Aristote fut solennellement condamnée en 1209, sa Métaphysique en 1215 et en 1230. Puis un revirement s'opéra dans l'esprit des dirigeants ecclésiastiques ; ils estimèrent qu'il valait mieux se faire un allié du Stagirite que de l'avoir pour adversaire. Adorant ce qu'ils avaient brûlé, ils finirent par adopter officiellement le péripatétisme et par faire d'Aristote un précurseur du Christ dans l'ordre de la nature, proeœcursor Christi in rebus naturalibus. Si l'Eglise y gagna en tranquillité, la philosophie y perdit toute indépendance et toute originalité. Bien que les écrivains catholiques assurent le contraire, le XIIIème siècle fut une pauvre époque au point de vue philosophique. Il faut l'aveuglement ou la mauvaise foi d'un Maritain, d'un Massis et des autres candidats aux récompenses de l'Académie française, pour affirmer le contraire.

Parmi les scolastiques qui ne brillèrent qu'au second rang, rappelons sans insister Alexandre de Halès, anglais d'origine, qui enseigna à l'Université de Paris, le dominicain Vincent de Beauvais, lecteur de saint Louis, l'évêque de Paris Guillaume d'Auvergne, Henri de Gand, que l'on surnomma le docteur solennel. Albert le Grand, saint Thomas d'Aquin, saint Bonaventure, Duns Scot, Raymond Lulle méritent, à des titres divers, de retenir plus longuement notre attention. Albert le Grand, né en Souabe, en 1193 ou 1205, se fit dominicain, enseigna la théologie avec éclat, puis fut nommé évêque de Ratisbonne. Mais il résigna bientôt cette charge pour s'adonner plus librement à l'étude. Son érudition lui valut une durable réputation de sorcier ; et les œoeuvres qu'il a laissées remplissent 21 volumes in-folio. Il manque d'originalité et se borne généralement à accommoder à sa façon les emprunts qu'il fait aux autres. Sous sa plume, les erreurs, les inexactitudes, les redites abondent. Sa philosophie est celle d'Aristote, à qui il attribue quelquefois les idées de Platon ; ses arguments sont en général très peu probants, car sa pensée n'a aucune profondeur. Il mourut vers 1280. L'Eglise lui fut reconnaissante d'avoir été le maître de saint Thomas d'Aquin et le mit au nombre des bienheureux.

Thomas d'Aquin est aux yeux des catholiques le philosophe chrétien par excellence, celui dont la doctrine inspire une confiance entière aux plus rigides gardiens de l'orthodoxie. « Il a fait autant de miracles qu'il a composé d'articles, déclarait Jean XXII qui le mit au nombre des saints ; à lui seul il a donné plus de lumières à l'Eglise que tous les autres docteurs, et l'on profite plus en une année seulement dans ses livres que pendant une vie tout entière dans les écrits des autres. » Nombreux sont les papes et les dignitaires ecclésiastiques qui ont tenu à son égard un langage aussi flatteur. Peu intéressante en elle-même, sa doctrine a exercé une influence considérable parce qu'elle est devenue, en quelque sorte, partie intégrante du catholicisme. Thomas naquit dans la ville d'Aquino, vers 1227 ; il entra chez les dominicains, étudia sous la direction d'Albert-le-Grand et se fit recevoir docteur à Paris. Son embonpoint devint tel qu'on dut faire une entaille à la table où il mangeait, pour y loger son ventre. Il écrivit beaucoup et enseigna dans les principales écoles d'Italie, ainsi qu'à Paris. La mort le surprit près de Terracine, en 1274, alors qu'il se rendait au concile de Lyon. Son système philosophique n'a rien d'original ; il n'ouvre pas à la pensée des horizons nouveaux ; il se contente d'accommoder Aristote à une sauce orthodoxe pour le rendre agréable aux gosiers chrétiens. Ajoutons que l'Ange de l'Ecole, c'est le titre que les catholiques donnent à Thomas, se trompe parfois singulièrement sur la vraie pensée du Stagirite. Les preuves qu'il donne de l'existence de dieu (en particulier celle du mouvement, dont les auteurs chrétiens font si grand cas et qui est empruntée à la doctrine péripatéticienne) ne supportent pas un examen approfondi. En psychologie, il reproduit le Traité de l'Ame, mais en jargon scolastique et en faisant une place aux querelles des réalistes et des nominalistes. A la suite d'Aristote, il distingue dans tout être la forme et la matière ; et c'est dans la matière qu'il place le principe d'individuation. En morale, Thomas d'Aquin affirme l'existence d'un souverain bien qui est dieu ; il accorde à l'homme une liberté plus grande que la doctrine augustinienne de la grâce ne le permettait. D'où de nombreuses disputes entre ses disciples et ceux de Duns Scot. Toutes les sottises, tous les préjugés, toutes les erreurs qui fourmillent dans la philosophie spiritualiste se retrouvent chez l'Ange de l'Ecole. Aussi ne peut-on s'empêcher de sourire lorsqu'un Gonzague Truc ose écrire : « Le thomisme est une restauration des valeurs philosophiques. Nulle doctrine n'apporte plus de satisfaction à l'esprit. Nulle pensée n'est si complète ni ne joint à tant de hardiesse une si subtile prudence. Elle paraît naturellement ou providentiellement appelée à corriger l'erreur moderne, à nous réapprendre que le sensible n'épuise pas l'être ... Que faut-il penser de la valeur dernière du thomisme ? Ce serait la vérité, si la vérité pouvait appartenir à ce monde. » De telles flagorneries à l'adresse d'un système dépourvu de vues géniales, toujours terne, souvent grotesque, montrent jusqu'où va le servilisme des contemporains lorsqu'ils veulent gagner les bonnes grâces des bourgeois bien-pensants et du clergé.

Jean de Fidanza (1221-1274), plus connu sous le nom de Bonaventure, ne jouit pas, dans l'Eglise, d'une vogue comparable à celle de Thomas, bien qu'il soit inscrit, lui aussi, parmi les saints. Il entra chez les Franciscains à 21 ans, enseigna, devint supérieur général de l'ordre et finalement cardinal-évêque d'Albano. Foncièrement mystique, il préfère saint Augustin à Aristote, sacrifîe la raison au sentiment et s'égare avec délices dans les chimériques régions de l'absolu. C'est moins, à son avis, grâce à la culture intellectuelle que par la pureté du coeŒur et la pratique des vertus qu'on parvient à la connaissance du vrai. Il s'attarde longuement à décrire les phases d'un prétendu retour de l'âme à dieu qui répond aux divagations imaginaires d'un cerveau surexcité : « Pour parvenir, écrit-il, au principe premier, esprit suprême et éternel, placé au-dessus de nous, il faut que nous prenions pour guides les vestiges de Dieu, vestiges temporels, corporels et hors de nous ; cet acte s'appelle être introduit dans la voie de Dieu. Il faut ensuite que nous entrions dans notre âme, image de Dieu, éternelle, spirituelle et en nous : c'est là entrer dans la vérité de Dieu ; mais il faut encore qu'au-delà de ce degré, nous atteignions l'Eternel, le spirituel suprême, au-dessus de nous, contemplant le principe premier ; c'est là se réjouir dans la connaissance de Dieu et l'adoration de sa majesté ». Dans ces phrases alambiquées, qui pourtant ne sont point choisies parmi les plus obscures, nous retrouvons le pathos mystique cher à Bonaventure. Mais, sauf chez les franciscains, l'influence de ses écrits est aujourd'hui presque nulle dans les milieux catholiques.

On peut en dire autant concernant Duns Scot, un franciscain lui aussi, mais de tendances très différentes. Il naquit en Ecosse probablement, en 1274, se fit moine de bonne heure, enseigna à l'Université d'Oxford, vint à Paris, puis alla professer à Cologne, où il mourut, à l'âge de trente-quatre ans, d'une attaque d'apoplexie. Plus original, plus vigoureux, plus hardi que Thomas d'Aquin, il est resté cher aux membres de son ordre, mais d'ordinaire les auteurs catholiques lui reprochent ses témérités doctrinales et ses critiques à l'adresse de l'Ange de l'Ecole, qu'il a contredit fort souvent. Son réalisme très net aurait sans doute abouti au panthéisme, s'il n'avait redouté les conséquences théologiques d'une pareille doctrine. Pour lui, l'universel est un être réel, il est même le seul être réel. Quant au principe d'individuation, il ne réside ni dans la matière, ni dans la forme, ni dans l'union de ces deux éléments, mais dans une entité positive dont le philosophe n'a pas parlé d'une façon claire et que l'on peut assimiler à l'idée platonicienne. Duns Scot affirme que la raison d'être du bien et du mal se trouve dans la volonté divine dont rien ne limite la liberté. Les discussions qui survinrent entre les partisans de Thomas d'Aquin et les partisans de Duns Scot firent beaucoup de bruit au moyen âge. Elles continuent de nos jours entre les dominicains, qui soutiennent le premier, et les franciscains, restés fidèles au second, mais ne présentent plus qu'un intérêt historique pour la majorité des croyants.

Les modernes apologistes de la scolastique évitent habituellement d'exposer le système de Raymond Lulle. C'est à peine s'ils consacrent quelques lignes à cet auteur pourtant béatifié par l'Eglise. Nous comprenons leur embarras. Ce personnage excentrique construisit une méthode, le Grand Art (Ars Magna), analogue pour le principe à nos machines à compter. Elle permettait d'obtenir des raisonnements tout faits à l'aide de tableaux mobiles et superposables. Le but avoué de Lulle était l'assimilation complète de la philosophie et de la théologie ; il voulait démontrer rigoureusement les dogmes catholiques et faire comprendre, d'autre part, que la philosophie dans ce qu'elle a d'essentiel est partie intégrante du christianisme. Sa méthode découle logiquement des procédés chers aux docteurs scolastiques ; et, pendant deux siècles, elle fut enseignée dans une partie de l'Espagne, ainsi que dans plusieurs collèges de France et d'Italie. Mais ses extravagances, justement parce qu'elles révèlent trop clairement les vices profonds de la scolastique, sont odieuses aux écrivains catholiques de notre époque. Raymond Lulle, né à Palma, vers 1235, fut mis à mort en 1315 par les musulmans de Tunis qu'il voulait convertir ; il avait écrit un nombre prodigieux d'ouvrages ; et, en cherchant la pierre philosophale, il avait reconnu l'importance de la distillation pour obtenir des produits volatils.

Après le XIIIème siècle, la scolastique tombe dans une complète décadence, de l'avis des catholiques eux-mêmes. On continue de l'enseigner dans les Universités, les écoles ecclésiastiques et les monastères, mais l'on ne rencontre plus, parmi ses partisans, que les philosophes de cinquième ordre. Il suffira de citer Guillaume d'Occam, Durand de Saint-Pourcain, Buridan, Pierre d'Ailly et, plus tard, le jésuite Suarez, 1548-1617, qui interpréta le thomisme d'une façon personnelle. Les grands esprits de la Renaissance n'eurent que mépris pour la scolastique. Au XVIIème siècle, des hommes tels que Descartes, Gassendi, Arnauld, Nicole, Malebranche, Fénelon, Huet, qui acceptent le credo catholique, la raillent ou la dédaignent. Elle a, comme dans le passé, des chaires à la Sorbonne, à Rome, à Salamanque, à Coïmbre, etc..., mais les laïques et même une grande partie du clergé échappent à son influence. La pensée scientifique et rationaliste progresse au détriment du thomisme que l'on relègue parmi les systèmes surannés. Aux XVIIIème et XIXème siècles, on enseigna dans les séminaires français un cartésianisme adapté à la foi catholique et connu sous le nom de Philosophie de Lyon. A Rome, au Collège romain, l'Université officielle du pape, on se moquait ouvertement de la scolastique : « On aurait dit, assure le jésuite Curci, que, de Rome, les professeurs du Collège romain voulaient faire disparaître du monde la doctrine de saint Thomas ».

Cousin, le chef de l'école éclectique, qui souhaitait, à la fin de sa vie, devenir un fidèle collaborateur de l'Eglise catholique, ramena l'attention sur les philosophies médiévales. Lamennais contribua aussi, pour une large part, à la résurrection du thomisme que les dominicains n'avaient d'ailleurs jamais abandonné. Sanseverino fut approuvé par Pie IX quand il publia ses ouvrages en faveur de la scolastique ; le même pape refusa néanmoins de rendre cette doctrine obligatoire dans les écoles de Rome. Mais le cardinal Pecci, devenu pape en 1878 sous le nom de Léon XIII, publiait le 4 août de l'année suivante, l'encyclique Aeterni Patris où le thomisme était proclamé la meilleure philosophie. Les professeurs hostiles à ce système durent quitter l'Université romaine ; dans les séminaires, maîtres et élèves furent contraints d'obéir aux volontés du pape. Bientôt ce fut la mode, dans le monde ecclésiastique, de proclamer l'incomparable supériorité du thomisme et de ne voir dans les systèmes philosophiques modernes que de simples aberrations. Les gens du monde, les écrivains, les hommes politiques désireux de plaire au clergé durent se décider eux aussi à témoigner d'un enthousiasme délirant pour l'Ange de l'Ecole. Une bruyante équipe, composée des Maritain, des Massis, des Gonzague Truc et de bien d'autres, encadrés par un bataillon de jésuites et de dominicains, ne cesse, depuis plusieurs années, de manier l'encensoir et d'entonner des hymnes en l'honneur de la nouvelle idole. Car les successeurs de Léon XIII ont tous donné un mot d'ordre identique au sien, concernant le thomisme. Même en Sorbonne, la scolastique est redevenue, avec Gilson, l'objet d'un enseignement favorable, en définitive, aux prétentions cléricales ; et un Brunschvig vigilant chien de garde de la bourgeoisie, favorise secrètement de tout son pouvoir ceux qu'il juge animés d'un esprit nettement réactionnaire. Malheur aux mauvaises têtes qui se dressent contre les traditions et les croyances que nous légua le passé ! Certes tous nos pontifes de la philosophie officielle ne prétendent pas, comme le thomiste Gillet, que pour résoudre le problème de la connaissance, il n'était pas nécessaire « d'opposer l'un à l'autre la pensée et l'être ; mais, qu'au contraire, la pensée appelait l'être comme la matière sa forme, et plus généralement la puissance son acte, en vertu d'une loi mystérieuse d'attraction à laquelle paraît soumis l'Univers ». A l'être cher aux scolastiques, et objet final de toutes leurs recherches, beaucoup de sorbonnards actuels préfèrent le devenir entendu à la manière fumeuse de Bergson. Comme les scolastiques, ce sont des verbomanes dont la préoccupation essentielle est de maintenir un spiritualisme désuet et les vieux préjugés bourgeois.

- L. BARBEDETTE.