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SÉCURITÉ n. f. (du lat. securitas ; rad. securus, sûr)

Signifie confiance intérieure, tranquillité d'esprit, bien ou mal fondée, dans une occasion où il pourrait y avoir sujet à craindre ; c'est en quoi ce mot diffère de sûreté, qui marque un état dans lequel il n'y a rien à craindre.

Le mot « sécurité » assez inusité et quelconque jadis, jouit depuis quelques années d'une faveur particulière. Il constitue l'un des termes essentiels de la fameuse trilogie boncourienne : arbitrage, sécurité, désarmement.

Ceci nous amène naturellement à étudier ce mot en fonction du problème de la paix.

I. HISTORIQUE. - Le problème de la sécurité des États s'est posé de tous temps. Les efforts de l'Église catholique au moyen âge s'essayant à créer une sorte de communauté chrétienne internationale dont elle prétendait, par son chef, assumer la direction spirituelle ; la création du Saint-Empire romain germanique, première tentative d'organisation européenne généralisée, double effort deux fois brisé par le Grand Schisme et la Réforme ; la Sainte-Alliance de 1815, franc-maçonnerie de princes dressés contre l'esprit de la Révolution, qui se garantissaient mutuellement leur pouvoir politique et leurs acquisitions territoriales ; - et nous passons, à regret, sous silence les généreuses rêveries individuelles d'un Sully, d'un Bernardin de Saint Pierre ou d'un Hugo - les multiples conférences de La Haye qui, faute de pouvoir organiser la paix, se sont contentées d'humaniser, de légaliser en quelque sorte la guerre ; ce sont là autant d'efforts convergents et divers qui tendaient à l'organisation de la sécurité permanente par la consécration d'un statu quo politique et territorial.

Après la grande guerre, il fallut reprendre cet effort. Ne l'avait-on pas promis ? C'est la raison des grands actes internationaux de 1919 : traité de Versailles et Pacte de la Société des Nations. Le traité de Versailles apparaissait surtout comme la consécration des vieilles idées politiques d'avant-guerre : démembrement territorial des vaincus, affaiblissement de l'adversaire par le désarmement, système d'alliances combinées, et le Pacte constituant, à l'inverse, sous l'impulsion du président Wilson, un incontestable effort tendant à l'organisation juridique et morale de la paix.

Il convient alors de rappeler ici, pour mémoire et pour éclairer ce qui suit, l'obligation de désarmer contenue précisément dans l'un des articles de ce Pacte.

ARTICLE 8. - Les membres de la société reconnaissent que le maintien de la paix exige la réduction des armements nationaux au minimum compatible avec la sécurité nationale et avec l'exécution des obligations internationales imposées par une action commune.

L'engagement pris à Versailles en 1919, par les nations signataires du Pacte est donc inconditionnel, absolu.

M. Henri Rollin, délégué de la Belgique à la S. D. N., commentant cet article 8, écrivait récemment pour répondre à ceux qui prétendent - c'est là l'argument des milieux officiels français - qu'avant de songer à l'application de cet article il faut d'abord réaliser la sécurité :

« Eh bien non ! la sécurité n'est pas une condition de la réduction. Comme l'a dit mon collègue italien M. Scialoja : la sécurité n'est pas la condition, c'en est la mesure. Dans ce Pacte, les membres de la S. D. N. ont pris un engagement d'honneur inconditionnel : A Versailles, à Saint-Germain, au Trianon, on a exigé au comptant la réduction des armements pour certains pays, (l'Allemagne, l'Autriche, etc.) mais on a promis à terme celle de tous les membres de la S. D. N. L'heure est venue d'acquitter cette dette. »

Cette promesse a même été aggravée.

Après le Pacte où figurent cet engagement d'honneur inconditionnel et cette promesse à terme, la partie V du Traité de Versailles imposé à l'Allemagne (clauses militaires, navales et aériennes) débute ainsi :



« En vue de rendre possible la préparation d'une limitation générale des armements de toutes les nations, l'Allemagne s'engage à observer strictement les clauses militaires, navales et aériennes ci-après stipulées ... »

Que signifie ce texte encore qui figure également et dans les mêmes termes, dans les traités de Saint-Germain, du Trianon et de Neuilly imposés aux alliés de l'Allemagne ? Il signifie, contre toute autre exégèse, que la limitation des armements de l'Allemagne et de ses alliés, avait pour but de rendre possible et immédiate dès que constatée, la limitation générale des armements dans le monde.

C'est ainsi que l'Allemagne l'entendit et M. Clémenceau lui-même, dans sa lettre aux puissances centrales, qui fait autorité en ces matières, du 16 juin 1919. Ajoutons encore : c'est toujours ainsi que l'Allemagne l'entend. Et, par ailleurs, rappelons que le désarmement de cette Allemagne a été constaté par le maréchal Foch lui-même, dans un rapport, resté célèbre, de 1927. Dans ce rapport, le maréchal Foch a reconnu, le 27 février 1927, que, au 1er janvier 1927, l'Allemagne était effectivement désarmée.

Mais, nous l'avons vu, à cette idée claire, dynamique, populaire du désarmement, succède, dès 1923, une idée obscure dont nous nous proposons de juger le contenu : l'idée de sécurité. Le désarmement, même limité, c'est un peu simple et cela trouble trop de calculs. On ne pourra désarmer qu'après avoir fondé la sécurité. Alors, derrière ce paravent, viennent s'abriter tous les adversaires résolus ou sournois du désarmement ; militaires, marchands d'obus et politiciens sans vergogne, que rassemble le même sordide intérêt, écrivains et journalistes au service du profit menacé. Aucun ne manque à l'appel.

Ni les accords de Locarno, de 1925, garantis par l'Angleterre, et par lesquels l'Allemagne renonçait à l'Alsace-Lorraine - librement cette fois ! - ni le pacte Briand-Kellogg de renonciation à la guerre, rien ne peut les satisfaire. Il leur manquera toujours un engagement supplémentaire qu'on jugera dérisoire et insuffisant dès qu'obtenu.

Nous résumerons notre pensée en disant qu'on a ainsi dressé la sécurité contre le désarmement.

II. LA SÉCURITÉ PARŒ LES ARMEMENTS. - Il nous faut donc suivre nos adversaires sur ce terrain où ils s'engagent. Est-il besoin de démontrer que la guerre classique, la guerre telle qu'elle a été faite jusqu'à ce jour, c'est-à-dire avec des armées en campagne s'étendant et se stabilisant sur des fronts interminables jusqu'à ce qu'intervienne, par lassitude ou par usure, la décision militaire finale ; la guerre avec un avant et un arrière, des combattants menacés et des non-combattants protégés par les premiers ; la guerre avec ses innombrables légions de sacrifiés et ses quelques cohortes de profiteurs, cette guerre-là a vécu.

Méthodes d'hier !

Aujourd'hui, demain, la science et la technique industrielle aidant, la guerre aéro-chimique menacera toute l'humanité. Cités populeuses, fortes agglomérations industrielles seront plus particulièrement menacées, sévissant sur tout et partout à la fois, elle emportera dans une sorte de rage folle ce qui peut subsister encore de civilisation !

En présence de telles perspectives, que valent ces mots : sécurité, défense nationale ? Il est indéniable que ces notions acquièrent un nouvel aspect, qu'elles ne sont plus ce qu'elles étaient au temps où les moyens des hommes s'avéraient plus restreints ou différents.

D'autant que nos moyens de défense contre cette guerre monstrueuse sont tragiquement limités. La guerre aéro-chimique et bactériologique ne peut pas plus être exactement prévue qu'empêchée, soit par des moyens de défense appropriés, soit par des réglementations internationales.

Méditez les citations suivantes (extraites du rapport final de la Conférence de Genève, 1925) :



« La mise en exécution d'une interdiction ou d'une limitation de fabrication des gaz toxiques est impossible en raison de leur emploi en temps de paix. » Et cette autre : « En raison des résultats effectifs inouïs de la guerre des gaz, aucune nation ne saurait encourir le risque d'une convention qu'un adversaire sans scrupule pourrait violer. »

Voilà la conclusion (extraite des « Règlements militaires français ») : « Respectueux des engagements internationaux auxquels la France a souscrit, le Gouvernement français s'efforcera, au début d'une guerre, d'obtenir du Gouvernement ennemi de ne pas user de ces armes de guerre ; si ces engagements ne sont pas observés, il se réserve d'agir suivant les circonstances. »

Que faut-il conclure ? La vérité : à savoir qu'en raison des formidables progrès d'une science sans conscience, d'un machinisme broyeur d'intelligence et d'âme, d'une technique démoniaque, il n'y a plus aujourd'hui de sécurité ni pour nous, ni pour personne. De sécurité, lorsqu'il est possible que nos femmes et nos enfants soient brusquement emportés dans une vague de gaz mortels ? Sinistre plaisanterie !

Nous contre-attaquerons, me dira-t-on. Soit, je l'accorde. Nous répondrons à la destruction de Paris, de Marseille ou de Lyon par la destruction de Berlin ou de Londres ou de Rome, que sais-je ! Mais en quoi la destruction de ces villes garantit-elle la sécurité des nôtres ? Tout le problème est là !

En conséquence, c'est se moquer du monde que de prendre précisément pour pivot de toute politique extérieure une idée qui, dans l'état présent des choses ne correspond plus à rien. Exactement.

La sécurité par les armements est une dangereuse illusion qu'il nous faut dissiper sans délai. Les armements ne garantissent plus aux peuples la sécurité. Les canons sont impuissants à barrer le passage à toute une escadrille d'avions porteurs d'explosifs et de bombes incendiaires. Et que peuvent fusils, canons, tanks et mitrailleuses contre une nappe de gaz ? Rien.

D'ailleurs, même militairement vaincue, envahie, la guerre se développant sur son territoire, une nation peut encore frapper dangereusement, sinon anéantir son adversaire victorieux, avec son aviation de bombardement pratiquement insaisissable.

Les armements ne nous défendent plus.

D'ailleurs, si les armements créent la sécurité, l'Allemagne - soyons attentifs à ceci - peut légitimement réclamer le droit de réarmer pour assurer sa propre sécurité. D'autre part, enfin, si les armements créent la sécurité, comment la guerre a-t-elle pu éclater dans l'Europe surarmée de 1914 ?

Par contre, l'histoire toute récente nous enseigne, d'expérience, qu'à des armements donnés répondent des armements rivaux qui rétablissent l'équilibre et cette concurrence contient en elle-même le pire danger de guerre qui soit. Notre sécurité réside ailleurs nous le verrons. Le désarmement n'est pas sa conséquence, il est sa condition.

III. SÉCURITÉ PAR LE DÉSARMEMENT. - « L'histoire moderne fournit une preuve incontestable et accablante de la fausseté de ce principe selon lequel la sécurité d'une nation est en proportion de la puissance de ses armements », disait Henderson, dans son discours inaugural (Conférence du désarmement, Genève, février 1932). Ce n'était là qu'un commentaire éloquent de l'article 8 du Pacte de la S. D. N. : « Les membres de la Société reconnaissent que le maintien de la paix exige la réduction des armements nationaux ... ».

En outre, l'arbitrage obligatoire implique, exige même, un désarmement suffisant à écarter la menace d'une guerre brusquée venant paralyser, par son développement rapide de violence les centres vitaux d'un pays et, partant, sa défense possible. D'autre part, cet arbitrage semble une dérision au peuple sûr de sa force qu'on ne contraindra que difficilement à s'y soumettre. C'est toute l'histoire du conflit sino-japonais !

Abandonnons résolument cette thèse longtemps classique : un pays doit être fort pour être en sécurité. La sécurité par les armements n'est d'ailleurs pas absolue, constante, mais relative et précaire. Nous le constatons : l'armement de l'un appelle le surarmement de l'autre. L'équilibre ou le déséquilibre des forces n'est pas en rapport constant. Il se déplace continuellement. Ainsi, le déséquilibre subsiste, en définitive. Prétendre fonder l'édifice de la Paix en déposant à sa base une masse d'explosifs, quel paradoxe extravagant ! Disons mieux : Quelle redoutable antinomie ! Quelle absurdité !

Il faut le dire et le répéter inlassablement, la course aux armements que fait prévoir l'échec définitif de la Conférence de Genève - dont on admet, par coupable légèreté, la possibilité dans certains milieux officiels français - accélérerait tout aussitôt cette course aux armements, ce serait la course fatale vers un universel suicide.

Un nouveau conflit serait tel qu'il constituerait, pour tous, un désastre sans précédent. Cette guerre plongerait l'univers civilisé dans un abîme de dévastation. Ce n'est pas l'habituel traité de paix consacrant, orgueilleusement, la gloire des uns et le misérable écrasement des autres qui en serait la conclusion, mais la révolution brutale, effroyable déchaînement d'appétits exaspérés par la misère et par la peur.

D'idées généreuses, constructives, aucune en de telles heures ! Ce que la guerre, dans son délire sanglant, aurait épargné peut-être, la bestialité l'emporterait. Il faut désarmer !

IV. LES ÉLÉMENTS DE LA SÉCURITÉ FRANÇAISE. - Serrons le problème de plus près. Quels sont les éléments constitutifs, essentiels de la sécurité française ? Ce sont les suivants :

a) Notre armée ; b) Le désarmement de l'Allemagne ; c) Les accords internationaux. Apprécions-les sommairement.

a) Notre armée ? Une natalité décroissante réduit nos effectifs d'année en année. Relativement au potentiel démographique, nous serons bientôt, vis-à-vis de l'Allemagne seule, dans le rapport de 1 à 2. Ce serait une grave imprudence que de compter sur nos alliances pour rétablir la situation à cet égard. Reste, il est vrai, pour quelque temps encore, nos ressources coloniales. Elles ne sont pas d'un maniement facile. Nous ajoutons que pour ce qui est du potentiel industriel et chimique, le rapport de l'Allemagne à nous est de 5 à 1 ! Concluez.

b) Désarmement de l'Allemagne. - Nous nous rassurons en disant : l'Allemagne est militairement désarmée. Pour combien de temps encore ? Nous l'avons démontré : le désarmement de l'Allemagne n'était que la préface du désarmement général. Les peuples vaincus ont été désarmés il y a quatorze ans ; mais, ne l'oublions pas, en vertu d'un engagement solennel réciproque.

Nous savons comment cet engagement a été respecté.

Et, si Genève échoue en fin de compte, Hitler est fondé en droit à réclamer, pour son pays, la liberté des armements. La menace est claire. Nous sommes hors d'état d'y parer. C'est la guerre avant 10 ans ! En conclusion, caractère transitoire du désarmement allemand.

Dans ces deux cas, si la course aux armements reprend, nous serons rapidement distancés et finalement vaincus par notre voisine mieux outillée et plus industrialisée que nous.

De telles vérités ne peuvent être cachées.

c) Quant aux accords internationaux que nous ne pouvons, ici, analyser en détail, disons brièvement que leur caractère d'imprécision d'une part et l'indétermination des sanctions éventuelles contre l'agresseur d'autre part, suffisent à en paralyser l'essor sinon à en ruiner l'efficacité.

V. LE CARACTÈRE VÉRITABLE DE LA SÉCURITÉ. - Qu'il nous soit permis, au terme de notre démonstration, de dénoncer l'erreur que constitue la recherche de la sécurité sur le plan de la force militaire. Matérialisme aussi décevant que vain ! La sécurité - étymologiquement d'ailleurs - est essentiellement un état de fait moral. La sécurité est fonction d'éléments psychologiques ou intellectuels. La sécurité sera acquise le jour où chaque individu, dans chaque nation, possèdera la certitude confiante qu'aucun pas ne veut ni ne peut l'attaquer brusquement. Or, les armements menacent cette sécurité intérieure précisément parce qu'ils sont la cause déterminante de la méfiance. Armer, c'est diviser les peuples. Armer, c'est surexciter leur inquiétude. Armer, c'est les dresser, demain, les uns contre les autres.

Car l'angoisse présente du monde réside, en dernière analyse, dans le sentiment de l'existence d'un redoutable armement universel et dans la crainte douloureuse qu'il inspire. Seule, sa disparition permettra la sécurité qui, dans le même temps, désarmera les coeurs comme elle aura désarmé les bras. C'est là que réside le problème de la véritable sécurité.

En conclusion, à la vieille conception latine et juridique de la paix - la justice portant un glaive, - nous opposons, sur ce plan particulier, notre conception éthique de la paix et l'action incoercible de la conscience humaine ; aux armées nationales ou internationales, survivances brutales du passé, la pression des forces intérieures, symbole d'un radieux avenir.

Notre sécurité ne repose pas sur des armements ou des sanctions extérieures, mais sur un état psychologique générateur de confiance. Et c'est dans la révolte de la conscience individuelle que réside notre suprême espoir !

Arbitrage, Sécurité, Désarmement, dit M. Paul-Boncour ? Allons donc ! Il faut réaliser le désarmement d'abord qui engendre la sécurité et permet seul un fonctionnement harmonieux de l'arbitrage.

Le reste est indigence coupable ou habileté politicienne.

- R. JOSPIN.