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SÉLECTION n. f. (du radical latin : seligo, selectus, choisir, trier)

Sélection naturelle, eugénisme, sélection sociale, voilà le triple point de vue qui retiendra notre attention dans le présent article.

Trompés par le récit biblique de la création, des naturalistes comme Linné, Cuvier, Agassiz ont faussement supposé que toutes les espèces végétales ou animales, et l'humanité elle-même, demeuraient immuables et fixes parce qu'elles résultaient du tout-puissant vouloir divin. Si la faune et la flore ont changé au cours des âges, ainsi qu'en témoigne la paléontologie, ce n'est pas, disait Cuvier au début du XIXème siècle, en raison de la transformation des espèces, mais par suite de « révolutions » du globe, de « catastrophes subites, se produisant périodiquement et détruisant des populations entières ». A la même époque, Lamarck enseignait que les espèces évoluent. « Si cette vérité n'est pas généralement admise, déclarait-il, c'est parce que la chétive durée de l'Homme lui permet difficilement d'apercevoir les mutations considérables qui ont lieu à la suite de beaucoup de temps ». Mais Lamarck fut tourné en ridicule et Cuvier, qui cumulait tous les honneurs officiels, triompha bruyamment.

Avec Darwin, qui publia en 1859 son livre De l'Origine des Espèces, la théorie fixiste reçut un coup dont elle ne s'est point relevée. La prodigieuse documentation du naturaliste anglais, le nombre et la variété des faits qu'il apportait en faveur de la mutabilité des espèces, finirent par convaincre tous les esprits impartiaux. Sur les facteurs essentiels de l'évolution, Lamarck et Darwin sont loin, d'ailleurs, d'être d'accord. Le premier invoque surtout l'adaptation au milieu, les effets héréditaires du besoin qui crée l'organe et de l'usage qui le fortifie, ainsi que l'action opposée du défaut d'usage qui engendre l'atrophie, puis la disparition des organes inutiles. De préférence, le second explique les transformations observées par la lutte pour la vie et la sélection naturelle. Chez Darwin, cette dernière notion acquiert une importance de premier ordre.

Variabilité des espèces et concurrence vitale, telles sont, d'après lui, les causes principales de l'évolution biologique. Dans une même espèce, tous les individus présentent des différences plus ou moins accentuées qui sont en relation avec les modifications survenues dans le mode d'existence. Par ailleurs, la progression rapide selon laquelle les êtres organisés tendent à s'accroître, dans une région donnée, engendre une lutte fatale de chaque individu avec ses semblables et avec ses ennemis de tous ordres, pour la place à prendre ou la nourriture à obtenir. En conséquence, les variations nuisibles seront une cause de destruction pour les êtres qu'elles affligent ; les variations utiles auront un effet inverse, elles assureront la survivance des individus les plus aptes et se transmettront à leurs descendants. Une meilleure adaptation aux conditions d'existence et une lente amélioration de l'espèce suivront, si les variations heureuses persistent et si le même processus se répète pendant longtemps.

« Supposons, écrit Darwin, une espèce de Loup, se nourrissant de divers animaux, s'emparant des uns par ruse, des autres par force et des autres par agilité ; supposons encore que sa proie la plus agile, le Daim par exemple, par suite de quelques changements dans la contrée, se soit accrue en nombre ou que ses autres proies aient, au contraire, diminué pendant la saison de l'année où les Loups sont le plus pressés par la faim. En de pareilles circonstances, les Loups les plus rapides et les plus agiles auront plus de chance que les autres de pouvoir vivre. Ils seront ainsi protégés, élus, pourvu toutefois qu'avec leur agilité nouvellement acquise ils conservent assez de force pour terrasser leur proie et s'en rendre maîtres, à cette époque de l'année ou à toute autre, lorsqu'ils seront mis en demeure de se nourrir d'autres animaux. Nous n'avons pas plus de raisons pour douter de ce résultat que de celui que nous obtenons nous-mêmes sur nos Lévriers, dont nous accroissons la vitesse par une soigneuse sélection méthodique ou par une sélection inconsciente, provenant de ce que chacun s'efforce de posséder les meilleurs Chiens sans avoir aucune intention de modifier la race. Sans même supposer aucun changement dans les nombres proportionnels des animaux dont notre Loup fait sa proie, un louveteau peut naître avec une tendance innée à poursuivre de préférence certaines espèces. Une telle supposition n'a rien d'improbable, car on observe fréquemment de grandes différences dans les tendances innées de nos animaux domestiques : certains Chats, par exemple, s'adonnent à la chasse des Rats, d'autres à celle des Souris. D'après M. Saint-John, il en est qui rapportent au logis du gibier ailé, d'autres des Lièvres ou des Lapins, d'autres chassent au marais et, presque chaque nuit, attrapent des Bécasses ou des Bécassines. On sait enfin que la tendance à chasser les Rats plutôt que les Souris est héréditaire. Si donc quelque légère modification d'habitudes innées ou de structure est individuellement avantageuse à quelque Loup, il aura chance de survivre et de laisser une nombreuse postérité. Quelques-uns de ses descendants hériteront probablement des mêmes habitudes ou de la même conformation, et, par l'action répétée de ce procédé naturel, une nouvelle variété peut se former et supplanter l'espèce mère ou coexister avec elle. »

Ainsi Darwin accorde à la mort une grande valeur sélective : elle élimine les moins aptes à la manière de l'éleveur qui, dans un troupeau, ne garde que les meilleurs individus. Il estime que la sélection sexuelle exerce aussi une action qui n'est pas négligeable. Les mâles plus énergiques ou mieux armés écartent leurs rivaux moins vigoureux. Parfois, chez les oiseaux en particulier, ce sont les mâles les plus beaux ou ceux dont la voix est la plus mélodieuse qui sont choisis de préférence par les femelles : « Des voyageurs nous ont raconté des combats d'Alligators mâles au temps du rut. Ils nous les représentent poussant des mugissements et tournant en cercle avec une rapidité croissante, comme font les Indiens dans leurs danses guerrières. On a vu des Saumons combattre pendant des jours entiers. Les Cerfs-Volants portent quelque fois la trace des blessures que leur ont faites les larges mandibules d'autres mâles. M. Fabre, cet observateur inimitable, a vu fréquemment les mâles de certains insectes Hyménoptères combattre pour une certaine femelle qui restait spectatrice en apparence indifférente du combat, mais qui, ensuite, suivait le vainqueur. La guerre est plus terrible encore entre les mâles des animaux polygames ... Chez les oiseaux, la lutte offre souvent un caractère plus paisible. Tous ceux qui se sont occupés de ce sujet ont constaté une ardente rivalité entre les mâles de beaucoup d'espèces pour attirer les femelles par leurs chants. Les Merles de roche de la Guyane, les Oiseaux de Paradis et quelques autres espèces encore s'assemblent en troupe ; et, tour à tour, les mâles étalent leur magnifique plumage et prennent les poses les plus étranges devant les femelles qui assistent comme spectatrices et juges de ce tournoi ; puis, à la fin, choisissent le compagnon qui a su leur plaire. Tous les amateurs de volières savent bien que les oiseaux sont très susceptibles de préférences et d'antipathies individuelles. Sir B. Héron a remarqué un Paon tacheté qui était tout particulièrement préféré par toutes les femelles de son espèce ».

Certes, malgré ses mérites, la conception de Darwin soulève de nombreuses difficultés. Si le transformisme est un fait qu'aucun naturaliste sérieux ne songe à nier, la façon dont on l'explique a singulièrement varié. Les doctrines néo-lamarkistes, weismaniennes, mutationnistes, etc... se sont éloignées des idées darwiniennes sur des points parfois très importants. De préférence, ce sont les individus moyens, non les individus supérieurs, que l'action sélective préserve de la mort ; et, très souvent, aucune différence ne distingue les éliminés des survivants. Dans toutes les espèces, les phases d'intense mortalité s'observent pendant les jeunes stades ; mais, parmi les animaux adultes restés sauvages, il n'est pas rare de rencontrer des individus diminués par des malformations naturelles ou des mutilations accidentelles. Au dire des biologistes contemporains, qui ont confronté de près la théorie darwinienne avec la réalité, il n'y a pas de « survivat of the fittest » ; sauf au début, la mortalité intraspécifique n'a aucun caractère sélectif. Et ainsi tombe l'argument principal des bellicistes qui prétendent légitimer la guerre en l'assimilant, d'une façon d'ailleurs très fausse, à la lutte pour la vie et en lui faisant jouer un rôle sélectif comparable à celui que l'on a prêté à la nature.

Si la sélection naturelle n'a pas l'importance que Darwin lui attribue, la sélection artificielle, intentionnellement pratiquée par l'homme, peut aboutir à de merveilleux résultats. On sait quels miracles réalise l'horticulture ! Des chercheurs patients ont précisé et codifié les règles à suivre pour obtenir des formes végétales inconnues ou pour renforcer les caractères que nous désirons voir s'accroître dans une espèce donnée. Des variations surviennent brusquement, même parmi 186 plantes issues d'un producteur commun ; et l'on obtient des races stables, lorsqu'on marie ensemble les individus qui présentent des variations identiques. Pour conduire une espèce au degré de perfectionnement souhaité, 1'on peut choisir comme reproducteurs, dans chaque semis, les sujets qui présentent à un très haut degré les caractères que l'on désire voir se développer. En procédant de la sorte assez longtemps, d'étonnantes variétés apparaissent, conformes aux modèles que nous avions imaginés. A ces modifications il y a néanmoins des limites ; la rose bleue, par exemple, n'a encore été obtenue par aucun horticulteur. Le croisement des races permet aussi de produire des types inédits, qu'il s'agisse de fleurs, de céréales, d'arbres fruitiers, de plantes industrielles quelconques. C'est ainsi que l'on a sélectionné des variétés de betteraves, de blé, de pommes de terre, dont les qualités augmentent singulièrement la valeur. « La rose du Bengale, écrit Edmond Perrier, a été importée chez nous vers 1800, la rose multiflore en 1837, la rose de l'île Bourbon en 1820 ; elles ont fourni, depuis, de nombreuses variétés : c'est en les croisant les unes et les autres avec nos roses anciennes, fleurissant au printemps, qu'on a obtenu les roses hybrides remontantes, qui fleurissent deux fois par an ».

Dans leur ensemble, ces procédés sont imités de ceux que l'homme utilise, depuis les temps les plus anciens, pour l'amélioration des races d'animaux domestiques ou pour la production de races nouvelles. Nous ne savons rien de précis concernant l'origine et l'histoire de la majorité des grandes races domestiques, soit qu'elles remontent à des époques sur lesquelles nous sommes très mal renseignés, soit qu'elles résultent d'une sélection lente, variable, intermittente et qui n'eut rien de méthodique. C'est à des mutations ou des combinaisons qui parurent intéressantes que sont dus chiens et chats sans queue, moutons et boeufs sans cornes, de nombreuses races de poules, de pigeons, de chevaux, de chiens, etc ... Quoi qu'il en soit, la sélection, intentionnellement appliquée par l'homme, dans l'ordre végétal ou animal, apparaît merveilleusement utile et féconde. Non seulement, disait Youatt, elle permet à l'éleveur de modifier le caractère de son troupeau, mais elle lui fournit le moyen de le transformer complètement : « C'est la baguette magique, à l'aide de laquelle il appelle à la vie quelque forme ou moule qui lui plaise ». L'éleveur de pigeons John Sebright affirmait « qu'il répondait de produire quelque plumage que ce fùt en trois ans ; mais qu'il lui en fallait six pour obtenir la tête et le bec ». Et l'on sait quels prix énormes valent les beaux reproducteurs dont la généalogie est irréprochable. Grâce aux lois de Mendel, il est d'ailleurs possible de calculer les résultats des croisements entre individus de caractères différents. Ajoutons que les méthodes à suivre, pour obtenir deux individus capables d'être la souche d'une race stable, varient selon la nature dominante ou dominée de la qualité que l'on désire. Facile dans le second cas, l'isolement est long et incertain dans le premier ; beaucoup d'individus, que les éleveurs déclarent de race pure, n'en ont que l'apparence : la disjonction mendélienne, qui survient lorsqu'on les croise entre eux, le démontre.

Puisque la sélection artificielle, appliquée aux animaux domestiques, conduit à d'heureux résultats, l'homme gagnerait sans aucun doute à user de procédés analogues, quand il s'agit de sa propre reproduction. Malheureusement, la religion chrétienne en général et plus particulièrement la branche catholique exercent une influence très néfaste en matière de procréation humaine. Asservis à des dogmes absurdes, les catholiques continuent d'obéir à l'ordre donné par Jahveh à Adam et à Ève : « Multipliez-vous ! ». Dans une encyclique de décembre 1930, le pape a rappelé que la doctrine traditionnelle ne devait subir aucune atténuation. « En considération du bonheur éternel qui est normalement à leur portée, écrit le jésuite J. Keating, il est mieux que des enfants naissent estropiés ou tarés, que de ne pas être nés du tout. » Le pitre Jean Guiraud, dont j'ai pu apprécier la sottise et la mauvaise foi lorsqu'il enseignait à l'Université de Besançon, résume les explications des théologiens catholiques en assurant que la restriction volontaire de la natalité est une faute d'une gravité exceptionnelle.

Moins déraisonnables, les protestants ont adopté de nos jours une attitude différente, du moins dans certains pays. Le député Sixte-Quenin le constate dans son intéressant rapport sur le Problème de la Natalité : « Le nombre considérable des chômeurs anglais, écrit-il, a montré à des membres de la Chambre des Lords et à de hautes personnalités de l'Église anglicane, que la propagande néo-malthusienne devenait, en Angleterre, une mesure de salut public. On sait quel éclatant démenti a été donné, par les colonies anglaises, à la thèse qui prétendait que les colonies pourraient toujours, le cas échéant, recevoir un excédent possible de population de la métropole. Les gouvernants anglais ont essayé de se débarrasser, en les envoyant dans leurs colonies, d'une partie au moins de leurs chômeurs qui représentent une si lourde charge pour le budget anglais. Cette entreprise a lamentablement échoué ... Ainsi s'explique-t-on que des lords et des évêques en soient venus à penser que l'Angleterre est trop peuplée, que les chômeurs qui y sont en excédent et à la charge de ceux qui travaillent, peut-être eût-il mieux valu qu'ils ne naquissent point et qu'en tout cas il serait sage d'éviter que leur nombre s'augmentât par une procréation exagérée. En Amérique, il faut bien croire que ce sentiment est encore plus répandu, car on a pu lire, dans Paris-Midi, ce télégramme de New-York du 9 décembre 1932 : « Le Conseil fédéral des églises du Christ en Amérique a tenu hier, à Indianapolis, son congrès annuel, à l'issue duquel des résolutions sensationnelles ont été adoptées. Disons d'abord que cette association groupe 135.000 églises protestantes et que ses adhérents sont au nombre de 22 millions. En ce qui concerne les problèmes sociologiques, le Conseil fédéral insiste sur la nécessité du contrôle des naissances dans « l'intérêt de la morale et de la protection de la vie humaine ». Il estime que c'est là le seul moyen de maintenir le standard de vie désirable et n'hésite pas à préconiser 1a création d'écoles du mariage, dont les élèves seraient initiés, par des médecins et professeurs qualifiés, aux mystères de l'eugénisme ». C'est que l'Amérique, qui compte pourtant encore de vastes étendues peu peuplées, non seulement elle aussi, après avoir fermé ses portes aux Asiatiques, les ferme aux Européens, mais elle doit reconnaître son impuissance à utiliser son territoire soi-disant insuffisamment peuplé pour donner du travail à ses millions de chômeurs ». En France, en Italie, les prêtres s'associent par contre au pouvoir civil pour condamner la restriction volontaire de la natalité. D'une façon générale, le désir de disposer d'un « matériel humain » abondant, pour les guerres en perspective, pousse les nationalistes du continent européen à réclamer une procréation toujours amplifiée.

Malgré leur parenté évidente, le problème de la limitation des naissances et celui de la sélection eugénique ne sont point rigoureusement identiques. Le premier, d'ordre surtout quantitatif, se préoccupe d'établir un heureux équilibre entre les ressources du globe et l'effectif de la population qui s'agite à sa surface. Le second, d'ordre qualitatif, porte sur les moyens d'éviter un amoindrissement de notre espèce, et même d'assurer son amélioration autant qu'il est possible. Il faut, déclarent avec raison les partisans de l'eugénisme, que la procréation cesse d'être le résultat d'un instinct aveugle et du hasard, pour devenir l'oeuvre volontaire et réfléchie de parents sains de corps et d'esprit. Un enfant vigoureux, robuste, bien doué intellectuellement, ne vaut-il pas mieux que cent enfants malingres et tarés ? Favoriser la procréation d'une manière aveugle, sans tenir compte des maladies héréditaires, des aptitudes familiales, des conditions favorables au perfectionnement de l'espèce, c'est précipiter la déchéance de la race humaine. Ils commettent un crime, les parents alcooliques, tuberculeux, syphilitiques, ou tarés à d'autres points de vue, qui jettent dans la lutte pour l'existence un être chétif, mal conformé, dont la destinée sera de souffrir constamment. S'il peut disposer librement de sa vie et chercher son plaisir où il le trouve, l'homme n'a pas le droit d'engager l'avenir d'un enfant condamné d'avance à une irrémédiable dégradation physique ou mentale. La stérilisation des anormaux se pratique déjà dans certains pays, et la nécessité d'un examen prénuptial est admise par les meilleurs esprits. L'américain Lothrop Stoddart rapporte l'histoire d'une famille de 1.200 individus qui eurent pour ancêtres un couple de deux dégénérés : 300 moururent prématurément, 310 furent des mendiants professionnels, 440 furent minés par la syphilis, 130 devinrent des criminels et, parmi ces derniers, 7 commirent des assassinats. Quoi qu'en pensent les catholiques, de tels exemples démontrent qu'une sélection s'impose en matière de procréation.

L'eugénisme comporte tout un ensemble de procédés dont nous ne parlerons pas ici. Dans certains pays comme l'Angleterre, les Etats-Unis, l'Allemagne, la Hollande, la Suisse, il a inspiré des mesures dont les effets bienfaisants se feront sentir dans un avenir prochain. Russie et Suisse ont même permis l'avortement, quand il a lieu dans certaines conditions. En France, par contre, la loi du 31 juillet 1920 punit d'un emprisonnement de six mois à trois ans, et d'une amende de cent à cinq mille francs, quiconque « se sera livré à une propagande anticonceptionnelle ou contre la natalité ». Le simple exposé des doctrines eugéniques peut donner lieu à des poursuites qui aboutissent d'ordinaire à de sévères condamnations. Des apôtres ont cependant bravé les foudres de la loi pour les faire connaître chez nous. Concernant l'hérédité des aptitudes intellectuelles et morales, nous sommes encore très mal renseignés, malheureusement. Mais de merveilleuses perspectives s'ouvriront pour notre espèce, le jour où l'on pourra sélectionner des races supérieures par le coeur et le cerveau. Les plus audacieuses conceptions sociales, des espoirs que beaucoup déclarent utopiques, seront alors d'une réalisation aisée ; à condition, bien entendu, que cette science nouvelle ne passe point au service des oppresseurs du genre humain.

En attendant ces jours heureux, le problème de la sélection intellectuelle et morale s'impose dans nos actuelles collectivités. C'est en instituant l'École Unique que radicaux et socialistes prétendent dégager de la masse les cerveaux supérieurs. « L'accès du second degré, écrit l'un de ses apologistes, serait réservé exclusivement aux enfants qui auraient été jugés dignes de le recevoir, aux environs de la onzième année. La sélection est une grave détermination qu'on espère réaliser assez exactement au moyen de trois séries d'épreuves, savoir : a) l'examen attentif des résultats de l'ensemble de la scolarité élémentaire, qui doivent être obligatoirement consignés dans un livret scolaire ; b) des épreuves écrites et orales ayant pour but de déceler des aptitudes ou des inaptitudes plutôt que de contrôler des connaissances ; c) des épreuves psychologiques. Ces épreuves donneront lieu à des notes et permettront ainsi de conclure à l'admission ou à l'ajournement d'un enfant à l'enseignement du deuxième degré. Nous espérons du reste voir établir une corrélation étroite entre l'enseignement primaire complémentaire et les deux premières années de cet enseignement de choix, afin qu'un esprit à évolution plus lente puisse reprendre sans dommage la place qui lui est due. Les jurys conscients de leur véritable rôle ne manqueront pas d'être aussi larges que possible dans le recrutement de l'élite de demain. Les éléments ne manqueront évidemment pas et permettront de puiser dans la masse les cadres futurs de la démocratie. Au troisième degré, on a l'enseignement supérieur proprement dit (Grandes Ecoles, Facultés, etc...). Il se propose la formation technique et professionnelle supérieure, l'initiation à la recherche scientifique en vue de la formation de savants, l'enseignement théorique et pratique de la méthode scientifique, la formation du personnel enseignant, etc... ». Afin de permettre aux riches, même très mal doués, de poursuivre leurs études secondaires ou supérieures, on laissera les écoles congréganistes fonctionner comme par le passé. Qualités de coeur et de volonté n'entreront pas en ligne de compte pour le recrutement de la nouvelle élite sociale.

Ligue des Droits de l'Homme, parti radical, loges maçonniques, etc... collaborèrent à la confection de ce projet. Même s'il s'agit de dégager les esprits vraiment supérieurs, les mesures qu'ils préconisent sont notoirement insuffisantes. Ils confondent faussement valeur et précocité ; aux examens et concours ils prêtent des mérites dont ils sont dépourvus. Désireux de sauver la société capitaliste, ils veulent amoindrir l'énergie révolutionnaire du prolétariat, en privant la masse de ses animateurs les plus intelligents. Mais le comble, c'est qu'ils confondent naïvement l'élite scolaire avec la véritable élite sociale. Ils oublient qu'on peut être un grand esprit et un aboulique ou un fieffé gredin ; leur ignorance est telle, en matière de psychologie, qu'ils identifient savoir et moralité. Vainement, j'ai multiplié les rapports et les études pour éclairer les pontifes sur ce point : il n'est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre. Dans leur pensée, l'école unique est, avant tout, un magnifique tremplin électoral, aussi m'ont-ils considéré comme un « gêneur ». Une sélection sérieuse devrait pourtant tenir compte des sentiments, de la volonté, des habitudes, des désirs, de tout l'ensemble des éléments psychologiques qui constituent la vie mentale ; à côté des aptitudes intellectuelles, il existe des dispositions morales dont l'importance est prodigieuse. J'ai traité ce problème dans Ethique Nouvelle ; et j'ai montré, par des expériences pratiques, qu'il était possible d'arriver à découvrir les tendances essentielles du moi profond. Sans l'avouer, certaines associations, certains pontifes de l'Université et même des organisations très officielles s'inspirent des idées que j'émis sur ce sujet voici dix ans. Plusieurs reconnaissent qu'une sélection morale serait indispensable dans une société rationnellement organisée. Mais financiers et politiciens sont d'irréductibles adversaires d'une méthode qui mettrait fin à leurs hypocrites et criminels agissements.

- L. BARBEDETTE.