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SEXOLOGIE n. f. (du latin sexus : sexe et du grec logos : discours ou traité)

Néologisme non encore admis aux dictionnaires en usage courant, employé fort probablement pour la première fois en France par Eugène Lericolais et Eugène Humbert en juillet 1912, dans la fondation de leur « Bibliothèque de Sexologie Sociale ». La sexologie est la science qui comprend l'ensemble de nos connaissances anatomiques, physiologiques, biologiques, psychologiques et sociales se rapportant à toutes les manifestations de la sexualité sur les êtres vivants. Elle se divise en quatre grandes branches :

I. La sexologie générale, normale ou biosexologie : Différenciation des sexes. Anatomie et physiologie des organes génitaux, fonctions, morphologie. Ovulation. Spermatogénèse. Fécondation, Embryogénèse, Gonocritie. Endocrinologie et neurologie sexuelles. Impuissance. Stérilité.

II. Sexopsychologie : Manifestations internes et externes de la sexualité dans ses relations de causes à effets. Psychologie sexuelle générale. Besoin génital. L'amour. Erotologie. Virilité et féminité psychiques. Psychanalyse.

III. Sexopathologie : Anomalies et malformations. Hygiène et névrose sexuelles. Onanisme et masturbation. Pédérastie et saphisme. Pédophilie. Zoophilie. Fétichisme. Sadisme et Masochisme. Maladies vénériennes.

IV. Sexologie sociale : Nubilité, virginité, célibat et chasteté. Mariage et union libre. Polygamie et polyandrie. Maraichinage. Natalité et fécondité. Loi de population. Prolétariat. Prophylaxie anticonceptionnelle et vénérienne. Stérilisation. Avortement et infanticide. Filles-mères et enfants naturels. Prostitution. Dégénérescence et eugénisme. Éducation sexuelle. Lois et morales régissant les actes et les rapports sexuels.

En dépit de l'interdit méprisant jeté par les religions, particulièrement la religion judéo-chrétienne, sur les organes génitaux et sur les rapports sexuels - parties honteuses, maladies honteuses - l'importance de ceux-ci dans la formation des individus, dans leurs relations, éclate chaque jour davantage aux yeux des penseurs éclairés comme à ceux des hommes libérés des dogmes désuets. On se demande par suite de quelle aberration d'esprit, par crainte de quel « tabou » les générations passées ont pu négliger l'étude franche et rationnelle des organes et des fonctions qui président à la transmission de la vie, à la chose la plus grave qui forme, avec la conservation de l'individu, les deux pôles autour desquels gravite toute matière animée ? Sans doute, la notion de « péché » que les moralistes religieux ont attaché aux relations amoureuses, surtout à l'acte de la copulation, a été pour beaucoup dans le maintien de l'ignorance voulue et peureuse où se sont complus nos ancêtres.

On trouve bien, par ci par là, quelques oeuvres : Les Kama-Soutra de Vatsyayana, El Ktab, L'art d'aimer d'Ovide, les Traités secrets à l'usage des confesseurs où les questions sexuelles, les rapports conjugaux, les lois de l'amour ont été exposés, examinés même avec assez de pénétration intuitive, principalement dans l'oeuvre des jésuites ; mais, c'était surtout du point de vue des manifestations extérieures, si l'on peut dire, et d'une manière plutôt psychologique, morale, et le plus souvent pour condamner et non pour instruire. Ce qui faisait déjà dire à Montaigne, au seizième siècle : « Qu'a donc fait aux hommes l'action génitale, si naturelle et si nécessaire, pour la proscrire et la fuir, pour n'oser en parler sans vergogne, et pour l'exclure des conversations ? On prononce hardiment les mots tuer, voler, trahir, commettre un adultère, etc ... et l'acte qui donne la vie à un être on n'ose le prononcer ? O fausse chasteté ! Honteuse hypocrisie !... ne sont-ils pas bien brutes ceux qui nomment brutal l'acte qui leur a donné le jour ? » Il faut venir jusqu'au dix-huitième siècle pour voir apparaître les premières études vraiment scientifiques de l'instinct sexuel et de la génération, mais c'est aux dix-neuvième et vingtième siècles qu'il appartiendra d'avoir fait le pas décisif en posant les bases solides de la science de la vie et de sa perpétuation. Parmi les précurseurs citons au hasard : de Graaf, Hunter, Jacob, Spallanzani, Buffon, Malthus avec sa découverte de la « loi de population », Darwin « l'Origine des espèces », H. Spencer ; plus près de nous, Mendel avec les « lois d'hérédité », Raciborski et ses travaux sur l'ovulation, Krafft-Ebing dont la « Psychopathia sexualis » fait toujours autorité en la matière, Garnier avec ses dix volumes bourrés d'observations, le célèbre entomologiste H. Fabre qui nous a laissé de si remarquables révélations sur les moeurs sexuelles des insectes, Joanny Roux « L'Instinct d'amour » , qui portait en exergue : « Aimer, comprendre », Steinach, Francillon, Mantegazza, Rémy de Gourmont avec son admirable essai « Physique de l'amour », Camille Mauclair et ses deux ouvrages : La Magie de l'amour et De l'amour physique, Anton Nystom et son courageux livre : La Vie sexuelle et ses lois, G. Hardy La Question de population (le problème sexuel : moyens d'éviter la grossesse, l'avortement), ouvrage poursuivi, condamné et interdit, René Guyon l'audacieux écrivain de La légitimité des actes sexuels, Binet-Sanglé avec Le haras humain, Camille Spiess, le créateur de la psychosynthèse érotique, Gobineau et les pansexualistes ; les vulgarisateurs aussi : Jean Marestan, dont l'Éducation sexuelle a atteint le chiffre formidable de deux-cent-deux mille exemplaires, Eugène Lericolais avec Peu d'Enfants. Pourquoi ? Comment ? (la gonocritie ou procréation volontaire des sexes) et tant d'autres dont la liste serait trop longue.

Cependant, nous devons une mention toute spéciale aux six sexologues suivants qui sont, à nos yeux, les véritables fondateurs du mouvement actuel :

Auguste Forel, professeur à l'Université de Zurich, psychiatre et naturaliste éminent, dont le très important ouvrage La Question sexuelle fut traduit en seize langues.

Sigmund Freud, le créateur de la psychanalyse, qui contribua surtout à mettre en relief l'influence du fait sexuel sur un grand nombre de manifestations de la vie courante demeurées jusqu'ici inexpliquées.

Gregorio Maranon, professeur à Madrid, dont les admirables travaux sur l'endocrinologie ont ouvert des horizons immenses et à qui nous empruntons la conclusion de son volume sur « l'Évolution de la sexualité et les états intersexuels » : « Pour que chacun fasse correctement son devoir, il faut que l'homme et que la femme prennent conscience de ce qu'ils doivent être. Et pour cela, il faut qu'ils le sachent d'avance. Nous arrivons donc, comme à la clé de voûte d'un arc, à cette conclusion : « Il faut savoir » ; il faut remplacer le mystère du sexe par la vérité du sexe ; la chasteté dangereuse de l'ignorance - qui ne sachant rien invente tout - par la chasteté sereine de la science. Et la morale ? nous dira-t-on. Pour la morale, répondons-nous : il ne faut pas s'en préoccuper. La morale - l'éternelle et divine morale et non celle qu'ont inventée les hypocrites - est toujours du côté de la lumière. »

Serge Voronoff, universellement connu pour ses travaux sur l'endocrinologie sexuelle et la greffe humaine, et dont la doctrine se trouve résumée dans son livre Les Sources de la vie.

Magnus Hirschfeld, fondateur et directeur de l'Institut de sexualité de Berlin, fondateur et un des présidents de la « Ligue Mondiale pour la réforme sexuelle sur une base scientifique » (voir au mot : Régénération), auteur de nombreux ouvrages sur l'instinct et les perversions sexuelles, créateur de l'ethnographie sexuelle.

Havelock Ellis est sans doute l'écrivain qui a le plus contribué par ses nombreux travaux à jeter les fondements rationnels de la Sexologie. La liste de ses oeuvres est longue. Donnons-là ici pour l'édification du lecteur : La pudeur, la périodicité sexuelle, l'auto-érotisme ; L'Inversion sexuelle ; L'impulsion sexuelle ; La sélection sexuelle chez l'homme ; Le symbolisme érotique ; L'état psychique pendant la grossesse ; L'éducation sexuelle ; L'évaluation de l'amour, la chasteté, l'abstinence sexuelle ; La prostitution, ses causes, ses remèdes ; La déroute des maladies vénériennes ; Le mariage ; La femme dans la société ; Le monde des rêves ; L'art de l'amour, la science de la procréation ; L'Ondinisme. Tous ces sujets ont été traités avec le plus vif souci de sincérité et de vérité objective et la conclusion qui s'en dégage s'inspire d'une sereine et très humaine philosophie.

La sexologie est à présent fondée ; ses desseins sont vastes du point de vue de la connaissance de la vie et de sa continuation, de la situation même de l'homme dans la nature. D'ores et déjà, les résultats acquis sont merveilleux. Des horizons nouveaux s'élargissent : amélioration, rajeunissement des individus, arrêt de la décrépitude, prolongation de l'existence. Par la stérilisation des tarés et des anormaux, par l'application des méthodes eugénétiques, l'espèce humaine ira de perfectionnements en perfectionnements jusqu'à un stade d'évolution que nous ne pouvons et n'oserions peut-être pas prévoir. Le Docteur A. Hesnards a parfaitement exposé, dans son magnifique Traité de Sexologie, le plan de la nouvelle science ; il en a fait admirablement ressortir toute l'importance. Nous ne saurions mieux faire que de reproduire la fin de l' « Avertissement » qu'il place en tête de son livre : « Nous terminons ce préambule par le voeu de ne jamais nous laisser émouvoir, dans notre entreprise de connaissance, par les malveillantes protestations de ceux que choquent, dans leurs préjugés d'un autre âge, toute considération sexuelle et jusqu'à l'idée même d'une science de la sexualité. Et répétons des sexologues, adeptes de la science positive, ce qu'un pessimiste illustre écrivait (non pas en vertu de son pessimisme métaphysique, mais avec la sérénité de l'homme de science) des philosophes : « La connaissance de la sévère nécessité des actes humains est la ligne qui sépare les cerveaux philosophiques des autres. »

Pour être aussi complet que possible, nous devons encore signaler qu'à la suite de tous ces travaux de médecins, de savants, de philosophes et de sociologues, des groupements se sont formés dans tous les pays pour répandre les idées nouvelles et répondre aux critiques le plus souvent désobligeantes qu'elles suscitent. Nous avons déjà parlé de la « Ligue Mondiale pour la réforme sexuelle sur une base scientifique », notons à présent l'heureuse fondation, en août 1931, de l' « Association d'Études Sexologiques », par le Docteur Toulouse. Là, entouré de médecins, de sociologues, d'hommes politiques même, l'éminent directeur de l'hôpital psychiatrique Henri Rousselle, mène une action des plus utiles. Le but et l'effort de cette association sont définis par les articles premier et 2 de ses statuts :

« ARTICLE PREMIER. - L'association, dite « Association d'Etudes Sexologiques », fondée en 1931, a pour but l'étude des problèmes de la sexologie et de leurs rapports avec la vie sociale.

ARTICLE 2. - Les moyens d'action de l'association sont : la propagande par la presse, par la parole et par l'image, tracts, cinématographe, publication d'un bulletin périodique, consultations médicales, fondation de dispensaires et de sections et, éventuellement, la création d'un Institut de sexologie. »

Souhaitons de toute notre confiance que cette Association ne se laisse pas détourner, par les mauvais esprits et par les contempteurs de la pensée libre, de son but vraiment humain. Tant de préjugés et de fausse pudeur, tant d'hypocrisie pèsent toujours sur nous, que tout effort vers la lumière est aussitôt paralysé, combattu. Il n'est pas jusqu'aux lois, celles qui consacrent l'injustice et l'iniquité, ou qui sont l'expression de moeurs révolues ou bien encore des instruments de défense d'intérêts de castes que l'on devra modifier, amender ou mieux : abroger. De toute façon, la route est tracée ; l'émancipation sexuelle de l'homme et de la femme préparera sans aucun doute leur émancipation totale, c'est-à-dire aussi l'affranchissement de tous les peuples et leur fusion dans la plus haute réalisation de l'humanisme intégral.

- Eugène HUMBERT.