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SINCERE adj. (du latin sincerus, qui se disait au propre, du miel « sans cire »)

Qui s'exprime sans intention de déguiser sa pensée : Tous les hommes naissent SINCÈRES et meurent trompeurs (Vauvenargue). Qui est éprouvé, dit ou fait d'une manière franche.

La définition du mot sincère est bien celle que donne Vauvenargue. C'est en naissant que les hommes sont sincères. L'enfant est sincère autant que son éducation lui permet de le rester car, dans la vie, de son début à sa fin, l'homme est victime de ce qui l'entoure. Et tout y est fausseté, tromperie, mensonge. Dès sa naissance, la mère, par ignorance, par amour, ne sait que mentir à son petit. A la maladroite éducation de la famille succède celle de l'école ; c'est alors l'enseignement néfaste, l'éducation novice qui forment l'intelligence, le caractère de l'enfant et c'est vraiment miracle qu'il y ait quand même des êtres sincères parmi les hommes après une telle éducation. La famille, l'instituteur, le prêtre, à l'unisson, chantent faux aux oreilles de l'enfant qui, par lui-même, se rend compte qu'il n'y a rien de sincère autour de lui. Alors, selon le caractère, selon le tempérament que lui ont donné les auteurs de ses jours, il deviendra fourbe ou sincère comme eux.

Puis, pour arracher à l'adolescent tout ce que la nature a pu quand même lui incruster de sincérité, c'est la caserne qui parachèvera l'oeuvre infâme pour faire de cet enfant, de ce jeune homme un soldat ... Un soldat ! ... La sincérité, alors, n'a plus de moyen d'existence ; car pour rester un homme, il ne faut pas être un soldat. Aussi, ce qui se passe est affreux, car la sincérité serait la désobéissance, l'insoumission dont la conséquence serait l'emprisonnement, la souffrance, le martyre, la mort !

Et pourtant, malgré tout, il y a des hommes sincères ! N'est-ce pas une raison de ne jamais désespérer de l'humanité ? Et n'est-ce pas la preuve que nous aurions tort de nous décourager dans notre propagande toute de sincérité, de fraternité, de raison envers nos semblables, pour leur bonheur et pour le nôtre, pour le bien-être et pour la liberté de tous par l'entente sincère et la solidarité cordiale et franche entre nous tous.

Mais la sincérité n'est pas forcément la brutalité dans l'expression de nos meilleurs sentiments, en opposition aux mauvais sentiments des autres. Il y a, aussi, dans la sincérité la manière fraternelle de la faire comprendre à nos compagnons de misère. Elle s'allie là au sentiment de solidarité. Il est beau d'être sincère avec soi-même et avec les autres, mais il est bon de l'être, selon les milieux et les circonstances, avec tact, intelligence et camaraderie. Pour cela, il suffit d'être naturel en tout et partout, sans forcer son talent, sans gonfler sa vertu, c'est-à-dire modestement. Il suffit d'être sincère sincèrement, si je puis m'exprimer ainsi.

Etre sincère, c'est pouvoir dire en face, à quiconque, ce qu'on pense ... A condition de ne pas être soi-même ce que l'on reproche à autrui. Être sincère, c'est oser dire, à qui le mérite, ce que la plupart pensent sans le dire ... A condition de ne pas ajouter en soi-même : « A sa place, je ferais comme lui ». Enfin, être sincère, c'est savoir en toutes occasions opposer la vérité au mensonge ; la franchise à l'hypocrisie ; la dignité à la bassesse ; la fierté à la platitude et vivre assez bien pour ne craindre ni critique ni calomnie des cuistres et des tartufes dont le monde est si abondamment fourni.

Une sincérité consciente et sûre permet de passer partout la tête haute et de ne jamais baisser les yeux devant qui que ce soit. C'est une telle sincérité qui fait la force de l'apôtre, du militant, qui fait honte aux timides, aux fourbes, aux valets et qui fait peur aux chiens de garde de l'Ordre, de la Propriété, de la Morale.

- G. YVETOT.