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SNOBISME

On appelle ainsi la pose, l'affectation ridicule, « l'admiration factice et sotte pour tout ce qui est en vogue ». Le snob est celui « qui juge tout sans connaître rien ». Ces définitions résultent de la double origine attribuée aux mots snobisme et snob. Elles sont anglaises. D'une part, snobisme qui s'écrivait plus exactement snobbisme il y a cent ans, viendrait de snobbish qui qualifie la vulgarité prétentieuse. Un snob, en anglais, est au sens propre un savetier, et au figuré un homme vulgaire et prétentieux. Le cordonnier qui critiquait systématiquement le peintre Apelle, et à qui celui-ci disait : « Pas plus haut que la chaussure », était un snob dans les deux sens du mot. D'autre part, snobisme et snob seraient les produits de filius nobilis dont l'abréviation a fait fil-nob et nobs, appellations données dans les collèges anglais aux fils des nobles. Ceux qui voulaient les imiter étaient les quasi-nobs ou snobs. Le snobisme est ainsi, comme conséquence des deux origines, l'affectation de connaître ce qu'on ignore et celle du genre noble. Celui qui prend le Pirée pour un homme en se donnant les airs d'un Richelieu est un snob. Il étale la double stupidité aristocratique qui consiste à se croire supérieur à tout et à prétendre tout savoir par droit de naissance.

Snobisme et snob sont entrés dans la littérature anglaise vers 1830. C'est Tackeray qui les a présentés dans sa revue humoristique intitulée The Snob, puis dans son Livre des Snobs où il a raillé la sottise aristocratique et surtout le cant, forme particulièrement anglaise de l'hypocrisie politique, religieuse et mondaine.

Le snobisme est la forme aristocratique, esthétique de la sottise en ce qu'il prétend non seulement régir la mode mais aussi le goût. Il n'est pas spécial aux monarchies. Il sévit aussi, avec encore plus de ridicule, dans les démocraties qui singent les monarchies, dont le gouvernement et « l'élite » ne sont pas composés des « meilleurs » mais, au contraire, des plus audacieux, des plus fourbes, des plus avilis. Le snobisme aristocratique a encore une certaine tenue en ce qu'il entretient la prééminence de valeurs intellectuelles et morales parfois respectables, mais le snobisme démocratique n'en a plus aucune. Il est le luxe des parvenus pour qui toute qualité n'est à considérer que suivant sa valeur argent. Le goût lui importe peu ; il ne voit que ce qui est cher. Aussi ne méprise-t-il la mode vulgaire, celle du bazar, du grand magasin, que parce qu'elle est à bon marché, à la portée de toutes les bourses. Sa vanité exhibitionniste ne trouve sa pleine satisfaction que dans le luxe coûteux. Il est sûr qu'il a du goût lorsqu'il a payé cher, de même qu'il est convaincu d'être honorable quand il peut fleurir sa boutonnière d'un machin rouge. M. Lechat ne douta plus qu'il fut un grand homme quand il eut payé 35.000 francs son portrait peint par Bonnat, et qu'ayant fait son légataire universel d'un ministre des Beaux-Arts, il eut l'assurance que ce portrait entrerait au Louvre, dut-on pour cela lui donner la place d'un Delacroix ou d'un Courbet.

Sous des formes diverses, des aspects différents, le snobisme est toujours la manifestation du besoin de paraître avec le plus d'éclat et le plus avantageusement possible par des apparences supérieures à celles de la simple mode. Le snobisme est l'aristocratie de la mode, la serviette qu'il ne faut pas mêler aux torchons. C'est lui que La Bruyère dépeignait, lorsqu'il écrivait dans ses Caractères, au chapitre des « Grands », ceci : « C'est déjà trop d'avoir avec le peuple une même religion et un même dieu ; quel moyen encore de s'appeler Pierre, Jean, Jacques, comme le marchand ou le laboureur ? Évitons d'avoir rien de commun avec la multitude ; affectons au contraire toutes les distinctions qui nous en séparent. » Les « Grands » prenaient les noms d'Achille, d'Hercule, d'Annibal, si mal fichus ou si foireux qu'ils fussent. Le snobisme démocratique a répandu cette sottise chez les femmes d'aujourd'hui qui troquent leurs prénoms roturiers, Marie, Louise, Catherine, contre ceux plus distingués de Mary, Loyse, Ketty. Le snobisme féminin cherche ses élégances non dans le sentiment et la grâce, mais dans les takolonneries dont il se farde des pieds à la tête. Il se fait griller la peau au soleil, ou se la fait peindre et tatouer pour des exhibitions grotesques. Le sentiment et la grâce ne sont pour lui qu'une question de « sexappeal » et il justifie ainsi le mot de Flaubert disant que « les femmes prennent leur cul pour leur coeur ».

Le snobisme a été dans tous les temps le décor, 1'ornement des convenances sociales, ces convenances « si utiles pour faire tenir debout les pourritures », a dit encore Flaubert. Toutes les affectations aristocratiques grossièrement singées par les imbéciles ont été du snobisme. Le nom de Pétrone est demeuré pour représenter, en le « plutarquisant », celui d'une époque, celle de l'empire romain, qui fut aussi méprisable que la nôtre par ses moeurs. Le snobisme eut une grande allure et un véritable éclat au temps de la Renaissance italienne, lorsqu'il reçut ses directions d'hommes qui furent, malgré leurs crimes, des artistes et des savants. Mais il déchut singulièrement quand il devint, sous l'inspiration des Jésuites, le snobisme des honnêtes gens, titre que se donnèrent les aventuriers de sac et de corde composant « l'élite » des cours de France et d'Espagne au XVIème siècle. Ce fut le snobisme des âmes noires et des pieds sales. Il y eut, au XVIIème, celui des précieux aussi crasseux physiquement et moralement, mais plus léger et ridicule dans des formes littéraires. On trouve le précieux dans ce portrait de La Bruyère qui l'apparente dans tous les temps au snobisme intellectuel : « Arsène du plus haut de son esprit contemple les hommes ; et dans l'éloignement d'où il les voit, il est comme effrayé de leur petitesse. Loué, exalté et porté jusqu'aux cieux par de certaines gens qui se sont promis de s'admirer réciproquement, il croit, avec quelque mérite qu'il a, posséder tout celui qu'on peut avoir et qu'il n'aura jamais. » La Régence de Philippe d'Orléans, au XVIIIème siècle, vit les roués ; ils donnèrent le ton aux agioteurs de la rue Quincampoix et aux débauchés du Palais Royal et des « folies », petites maisons où ils se livraient à ce qu'on appelle aujourd'hui les « partouzes ». Le même siècle vit les merveilleux, sous Louis XV, les mirliflores, sous Louis XVI, les incroyables, sous le Directoire, tous se multipliant, comme la vermine dans les époques de décomposition sociale, dans des formes de snobisme de plus en plus excentriques et dépourvues de véritable élégance, d'esprit et de goût. Le premier Empire eut les agréables qui firent peu de tapage tout en étant fort ridicules.

La forme la plus curieuse du snobisme a été dans le dandysme, né en Angleterre au commencement du XIXème siècle. Il fut l'aspect supérieur du snobisme anglais. Le snob, d'après la peinture de Tackeray, était le gentleman hypocrite conservant, grâce au cant, les apparences d'un honnête homme ; c'était le noble étalant une façade de richesse alors que chez lui maîtres et valets ne mangeaient pas tous les jours ; cétait le prêtre cachant sous une charité ostentatoire une cupidité et des moeurs inavouables ; c'était le militaire dissimulant sous sa vantardise, et sous une poitrine rembourrée par l'uniforme, sa couardise et une anatomie délabrée ; c'était enfin tous les pantins sinistres ou grotesques faisant une insanité publicitaire du conformisme dirigeant. Le dandy fut le gentleman supérieur, le snob aristocrate qui donna le ton à la société anglaise la plus élevée en fortune, sinon en intelligence.

Balzac a dit que le dandy ne fut jamais un être pensant. Il représenta, en tout cas, une forme très particulière de l'esprit anglais : le dédain de tout ce qu'il juge inférieur à lui-même, dissimulé sous une impertinence polie. Ce fut la manifestation esthétique du cant. Le fâcheux, pour le dandysme, fut qu'il eut des préoccupations trop vestimentaires qui le conduisirent à l'excentricité ; mais même excentrique, il garda une certaine tenue, le rendant inabordable à ceux qui n'étaient pas de « race », comme les chevaux de leurs écuries. Le dandysme ne fut jamais le snobisme des gens « trop bien habillés » dont il faut se garder aujourd'hui plus que du rôdeur patibulaire et classique. Le snobisme du vêtement fut la fashion, ou « mode anglaise », contrefaçon du dandysme. Elle se répandit hors d'Angleterre, particulièrement en France où elle retrousse toujours ses bas de pantalon parce qu'il pleut à Londres ! Brummel fut l'incarnation du dandysme. Il fut l'esprit le plus britanniquement froid et calculateur ; il fut en même temps un fou.

Baudelaire, en qui les moralistes hypocrites ont vu un dandy, a écrit sur le dandysme des pages où il l'a mis certainement trop haut. Mais Baudelaire, à qui il manquait l'essentiel, c'est-à-dire la fortune, pour être un véritable dandy, voyait dans celui-ci « un homme blasé, un homme souffrant qui sourit comme le Lacédémonien sous la morsure du renard ». Ce dandysme devenait du stoïcisme. C'était celui de Leconte de Lisle dans la Mort du Loup ; c'était l'indépendance morale de Stendhal, s'excluant du « bégueulisme » de son temps et dénonçant le snobisme de ceux qui ne sentent point et dont le goût est simplement d'être sensibles à l'argent et aux dindes truffées ; c'était le don-quichottisme de Barbey d'Aurevilly s'escrimant contre les moulins à vent démocratiques ; c'était la noble et ironique impassibilité de Villiers de l'Isle-Adam, cygne tombé des hauteurs du Graal dans la basse-cour de la gendelettrerie ; c'était la protestation hautaine du fier et légitime orgueil humain contre les croupissantes et fétides promiscuités du muflisme. Baudelaire voyait apparaître le dandysme « surtout aux époques transitoires où la démocratie n'est pas encore toute puissante, où l'aristocratie n'est que partiellement chancelante et avilie. » Il le voyait fondé par « quelques hommes déclassés, dégoûtés, désoeuvrés, mais tous riches de force native », et qui lui donnaient pour base « les facultés les plus précieuses, les plus indestructibles, et les dons célestes que le travail et l'argent ne peuvent conférer ».

Un tel dandysme était bien loin, même de celui de Brummel dévoué au cant anglais et à toutes les pourritures des convenances sociales. Il était encore plus loin de cette bourgeoisie qui « pense bassement », autant qu'elle agit, et dont les « philistins » fournirent au snobisme les fashionables et les lions. Le « Jockey Club » lui-même, qu'Eugène Sue fonda en 1834 avec les gens les plus riches de Paris, et qui est aujourd'hui le cercle aristocratique le plus fermé de France fut fashionable et non dandy. Il n'a jamais représenté, comme son nom l'indique, qu'un snobisme de grande écurie.

La France eut dans le lion le contraire du dandy glacial, distant, dédaigneux, inébranlablement décidé à ne pas s'émouvoir. Le lion fut excité, galant, empressé, cherchant à plaire et à séduire par ses cravates, ses bottes, et par un débordement de sentimentalité. D'Orsay fut le premier et le plus magnifique des lions ; il fut leur Brummel. Ils sortirent des salons de la grande bourgeoisie balzacienne pour pulluler comme des rats et se répandre dans tous les trous de province. Il ne fut pas de boutique en France où ne trôna au comptoir un lion et à la caisse une lionne. Les deux furent des personnages essentiellement romantiques ; quand ils n'arrivaient pas à se faire admirer par leur costume ils recouraient au suicide. Ils ne sortaient pas du domaine des excentricités. La littérature et le théâtre romantiques empruntèrent largement à cette humanité délirante ; on eut le Lion amoureux de Frédéric Soulié, un autre Lion amoureux de Ponsard, le Lion empaillé de Cozlan, les Lionnes pauvres, d'E. Augier et E. Fournier, et nombre d'autres. Tous les artistes et les littérateurs qui ne se tinrent pas à l'écart du « monde » et connurent le succès, furent plus ou moins des lions, de 1830 à la fin du second Empire.

A côté des lions « par calcul et par spéculation » de la littérature balzacienne, il y eut les lions par vanité, par sentimentalisme, et surtout par snobisme, parce qu'ils se seraient cru déshonorés s'ils n'avaient pas été aussi sots que tout le monde. Flaubert a dit du lion A. de Musset : « Le Parisien chez lui entrave le poète, le dandysme y corrompt l'élégance, ses genoux sont raides de ses sous-pieds .. » Eugène Sue, qui affectait de mépriser la royauté de 1830 mais sollicitait une invitation aux chasses du duc d'Orléans, disait : « C'est à sa meute que je me rallie ... » L'espèce dégénéra de plus en plus pour passer au gandin, au petit crevé, au gommeux, au smarteux, qui firent du snobisme une véritable cour des miracles, en attendant que la Guerre « régénératrice » de 1914 lui fît prendre des aspects encore plus calamiteux.

Avant de voir les aspects d'aujourd'hui du snobisme, constatons qu'il ne persévère, comme toutes les formes de la sottise, que parce qu'il a, d'une part ses convaincus, ses fanatiques, ses badauds, ses dupes, ses héros, ses martyrs, et, d'autre part, ses farceurs et ses parasites. Marcel Boulenger a écrit sur le « snobisme des gens du monde », ceci : « Le snobisme n'est point du tout, dans le monde, une sorte de manie légère, gentille, aimable, mais au contraire une passion sérieuse, violente, dévorante, secrète et perpétuelle, un feu caché qui couve chez les plus fins, alors qu'il gronde et fulgure chez les plus naïfs, une fureur qui les mènerait à tuer père et mère pour être familièrement reçus dans tel ou tel salon, ou afin d'entrer au Jockey. Il se pourrait que le snobisme fût dans le « monde » la seule passion vraiment profonde, irrésistible, et d'ailleurs assez pure - car que veut atteindre un snob, sinon un véritable idéal, et que huit fois sur dix il s'est formé lui-même ? » - Soulignons que ces lignes sont tirées du journal de l' « élite mondaine », le Figaro (19 mai 1928), car malgré l'atténuation de la dernière phrase, on pourrait dire que nous calomnions le « monde ».

Cet « idéal » que le snob se forge ainsi, sans être bien difficile sur sa qualité, et encore moins sur ses moyens, est habilement reforgé pour le faire produire à l'infini par des exploiteurs qui « se paient la tête de l'humanité », n'ayant d'autre idéal, eux, que de téter avidement les mamelles gonflées de la sottise. Les circonstances ont permis d'étendre cette exploitation à toutes les classes sociales. A défaut d'autres réalisations démocratiques, la Guerre a indiscutablement apporté celle-là. Si on est prêt chez les « gens du monde », à tuer père et mère pour être reçu par les douairières du « noble faubourg », ou entrer au Jockey-Club, on y est encore mieux prêt dans les « milieux » où se recrute « l'aristocratie républicaine » et où l'exercice du revolver est devenu un sport aussi officiel et national que familial et moralisateur.

Constatons encore, pour faire exacte mesure au snobisme, qu'il peut être bon quand il s'attache - oh ! sans le faire exprès ! - à quelque chose de bien. Cela lui arrive sans effort d'intelligence, puisque sa nature est de ne rien comprendre ; il y a là un hasard heureux, comme lorsque la pluie arrive quand les cultures sont menacées par la sécheresse. Ainsi, le snobisme a imposé de grands artistes que la routine académique, et l'ignorance qui la suit, auraient accablés. Le cas le plus typique est celui de Wagner en France. Le snobisme nationaliste, hérissé d'aveuglement et de haine, se dressa une première fois contre lui, à l'occasion de Tanhauser, en 1861. Les snobs du Jockey-Club réussirent à le proscrire sans vouloir l'entendre. Ils voulurent recommencer en 1891 contre les représentations de Lohengrin. Malgré la mobilisation des marmitons de M. Déroulède, ils échouèrent cette fois devant le bon sens public. Le snobisme devint alors wagnérien. (Voir Symbolisme). Il le demeura jusqu'en 1914 où il exhala ce cri du coeur par la voix d'un ministre des Beaux-Arts : « Enfin, je vais pouvoir dire que Wagner m'em ... ! » Depuis, le snobisme wagnérien est à la dérive, comme les intelligences ministérielles.

Dans un autre ordre d'idée, le snobisme a adopté de nos jours, le Nudisme. N'aurait-il pour résultat que d'obliger les gens à se laver pour ne pas montrer à nu un épiderme crasseux, que ce serait une bonne chose. Mais le snobisme fait du nudisme une exhibition pas toujours décrassée et souvent dangereuse pour la santé des simples « piqués » de la mode qui s'exposent aux troubles organiques les plus graves. Chez ses protagonistes, le snobisme nudiste entretient le luxe poissonneux et la prostitution esthétique des « têtes de phoques » et des « peaux rouges », équivoques cabotins des plages où ils s'étalent sans beauté et sans pudeur.

Il n'y a que l'insanité qui n'em ... jamais le snobisme même ministériel. Il y est dans son élément, aussi est-il de plus en plus la forme exhibitionniste du muflisme grandissant. De la minorité aristocratique, il est passé à la majorité ochlocratique et il est curieux de le voir à travers des journaux qui en publient des Éloges. On a écrit entre-autres : « Aucune hypocrisie ne lui semble négligeable (au snob) ; aucun mensonge blâmable, aucune ostentation ridicule. Il s'agit de paraître et encore plus de se défendre ». Paraître et se défendre non seulement excusent tout le reste, mais ils font du snobisme une vertu et une discipline sociales que « tout le monde » doit suivre. On voit que snobisme mondain et snobisme populaire sont dignes l'un de l'autre.

Dans ses précédents avatars intellectuels, le snobisme avait été successivement byronien, baudelairien, nietzschéen, ibsénien, barrésien, mallarméen, bergsonien, etc... En art, il fut décadent, cubiste, futuriste, dadaïste, etc ... En tout, il fut fumiste, poseur et gobeur, sous des prétentions à la supériorité de l'esprit. Le snobisme actuel a fini de s'embarrasser d'esprit et d'intellectualité. Il est protéiste en ce qu'il adopte toutes les idées lui permettant de tirer parti de la situation. Il prend tous les visages, celui de Mussolini et d'Hitler, aujourd'hui ; demain, s'il le faut, il sera bolcheviste, comme il fut cosaque en 1815 et en 1894. Il s'intoxique de cocktails, de morphine, de cocaïne ; il fait de la pédérastie un perfectionnement social et un moyen d'arriver dans un monde où il n'y a plus que des bas-ventres. Il est devenu aussi superstitieux que les Négritos africains, mêlant par un amusant éclectisme la Vierge, Saint-Christophe, Nénette et Rintintin. Il fait bénir ses chiens et ses automobiles. Il mettra bientôt la corde de pendu à un prix inabordable pour les petites bourses.

Mais le snobisme actuel est par dessus tout admirateur de la « belle brute » militaire et sportive. M. Reinach écrivait dans le Figaro, en 1916, que « la guerre est un art noble ». Le snobisme, adoptant la formule à la faveur des circonstances, a appliqué cette noblesse à toutes les formes d'assassinat, de brutalité et d'abrutissement. L'aviation est « noble » qui permet de mitrailler des vieillards, des femmes, des enfants, des bestiaux sans défense. La boxe est « noble » qui offre le spectacle de brutes humaines s'assommant. La tauromachie est « noble » qui permet de voir étriper en musique et au grand soleil des chevaux et des taureaux. L'alcoolisme est « noble » grâce auquel, à force de cocktails, on ne peut plus monter son escalier que sur les genoux et on « pique » des crises de delirium tremens dans des établissements « distingués ».

Ces choses-là qui ont leur dénouement dans des asiles d'aliénés ou qui provoquent ces « drames mondains » dont la police n'arrive pas à étouffer les échos crapuleux tant ils sont nombreux, soulevaient le dégoût public quand un Coupeau, ouvrier zingueur, ou des « mecs » du « Sébasto » et leurs « dames » en étaient les héros ; mais elles sont « nobles » quand elles se passent dans la « haute société » !....

Le snobisme s'est démocratisé par la dissolution des classes et des principes, de la morale et des scrupules. Les « purotins » engraissés de la misère publique ont fait le snobisme « nouveau riche » ; les riches « décavés » ont adopté le « snobisme de la purée », lancé par M. de Fouquières, grand ordonnateur des élégances républicaines, et font étalage de leur bon goût dans des bals « de la misère noire », etc ... Les deux snobismes s'épaulent mutuellement, le premier entretenant le second, le second apprenant les « belles manières » au premier, les deux composant « l'élite » de la racaille souveraine dans les hautes sphères comme dans les bas-fonds.

Dans ce snobisme, l'ancien rôdeur et le souteneur, passés nettoyeurs de tranchées, munitionnaires, millionnaires et milliardaires, aventuriers politiciens, députés, sénateurs et ministres, se confondent avec la « vieille noblesse » qui met ses titres et ses parchemins au service des sociétés d'escroqueries financières, et fournit de barbeaux aristocratiques les riches héritières du cochon et du pétrole. Tous étalent des élégances trop ostentatoires pour être honnêtes et ne pas cacher de sales pièges, dans tous les « milieux » où se rencontrent les « gentilshommes » et les « nervis », les « politiciens » et les « faisans », les proxénètes et les mouchards, tous les fripons, les marlous et les assassins que la « justice » ne punit pas, que les gouvernants décorent et que les journaux soutiennent, tout au moins d'un silence complice quand ils sont « allés trop fort » !... Dans un monde aussi exemplaire, la chevalerie de « l'honneur » ne peut que faire bon ménage avec celle du surin, de la pince-monseigneur et du trottoir. Les « nervis » qui, entre un cambriolage et l'assassinat d'un garçon de recettes, mettent leurs talents au service des grands de la terre, sont dignes de partager leurs honneurs.

Le snobisme a fait riches et pauvres égaux en sottise, en cruauté, en sadisme ; mais les pauvres, qui fournissent le plus souvent les victimes, sont les plus stupides quand ils s'appliquent à copier les turpitudes de leurs maîtres. On voit encore, dans la République radicale-socialiste, les « manants » participant à la curée du cerf que des centaines de « gentilshommes », de « nobles dames », de piqueurs, de chiens, ont pourchassé, traqué, torturé pendant des heures, le plus longtemps possible, pour « faire durer le plaisir » !.... On retrouve aux spectacles de la guillotine et du cirque les mêmes foules sadiques de buveurs de sang, de hurleurs à la mort qui s'amusaient aux supplices des Damiens, qui frappaient à coups d'ombrelles les Communards prisonniers et leur crachaient aristocratiquement à la face. Il y avait, il n'y a pas longtemps, il y a peut-être toujours, dans des prisons roumaines des séances de gala où les « dames de la ville » pouvaient assister aux punitions corporelles infligées aux femmes délinquantes !... Il y a toujours en Amérique des pendaisons populaires de noirs. Elles font oublier à huit millions de chômeurs, abrutis par leur « supériorité de citoyens américains », les martyrs de Chicago, Sacco et Vanzetti, les noirs de Scottsborg, Mooney et Billings, les mineurs de Harlan. Aristocrates et démocrates sont confondus dans un snobisme qui n'est plus que de la crapule et de la lâcheté.

Nous n'insisterons pas davantage sur le snobisme produit raffiné de cette putréfaction sociale que nous avons déjà observée aux mots : Élite, Muflisme, Paraître, et dont nous verrons la psychologie aux mots Sottise et Vanité. L'aristocrate, le mufle, le mégalomane, réunis dans le snobisme, sont les éléments « spirituels » de cette putréfaction à quoi le coup de balai révolutionnaire est de plus en plus indispensable pour faire place aux forces vitales, saines et vigoureuses, qui auront à refaire le monde.

- Édouard ROTHEN.