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SOCIETE DES NATIONS

Le principe d'un état de société entre les nations avait déjà été proclamé avant la guerre. On lit dans les conventions de la Haye de 1907 : « Les Nations civilisées constituent une Société. Les membres de cette société sont solidaires, soumis à l'Empire du Droit et de la Justice Internationale ». Certains pacifistes désignèrent, à ce moment, sous le terme « Société des Nations » l'organisation juridique internationale, assurant la paix, par le respect du droit, à laquelle ils aspiraient.

Ce fut pendant la guerre de 1914-1918 que se développa, principalement sous l'influence du président Wilson, un mouvement d'opinion en faveur d'une association générale des Nations civilisées, destinée à empêcher le retour de conflits sanglants. La formule « Société des Nations » devint populaire. Mais la forme de cette institution était conçue de manières très diverses. La conception anglaise était rebelle à l'idée de contrainte, rebelle aussi à une limitation trop accentuée de la souveraineté de l'Empire. Confiante en la puissance de l'opinion publique, la tendance anglaise envisageait des liens contractuels librement acceptés par les États, un organisme destiné à faciliter la coopération des peuples et le règlement amiable de leurs conflits, une ligue dont les adhérents auraient à tout moment le pouvoir de se retirer.

Selon la conception du pacifisme officieux de France, représentée surtout par Léon Bourgeois, la société des nations ne devait pas non plus avoir le caractère d'un sur-État ni porter atteinte à la souveraineté des États. Mais pour assurer le respect du droit et le maintien de la Paix, les nations associées devaient s'engager à mettre à la disposition de l'organisme à créer leur puissance économique et militaire contre le pays violant le pacte social.

Enfin, certains doctrinaires plus hardis du pacifisme constructif appelaient « Société des Nations » une autorité politique internationale dominant les États, munie des trois pouvoirs : législatif, exécutif, judiciaire, disposant d'une puissance suffisante pour limiter effectivement la souveraineté des nations et les mettre dans l'impossibilité de se faire justice elles-mêmes.

Plusieurs projets envisageaient soit la représentation directe des peuples, soit la participation au parlement mondial, à côté des délégués des États, de mandataires des grandes forces internationales comme le Syndicalisme et l'Église. Il s'agissait donc, non d'une Société des nations souveraines et armées, mais d'une société souveraine des nations désarmées.

La Société des nations existante, celle qu'institua le traité de Versailles, ne réalise sous aucun aspect la troisième conception.

Elle n'est pas une vraie fédération, sa constitution n'est pas démocratique, elle n'organise pas le règlement de tous les conflits sans exception, elle n'interdit pas dans tous les cas le recours à la guerre.

Elle a été le produit d'un compromis entre la conception française et la conception anglaise. Elle est, principalement, un organisme diplomatique.

Ses principaux organes sont : l'Assemblée des délégués, le Conseil et le Secrétariat.

La cour de justice internationale est rattachée à l'institution de Genève. L'Assemblée n'est pas un Parlement. Elle n'a pas le pouvoir de voter des lois à la majorité des voix ; ses décisions doivent être prises à l'unanimité et n'engagent les États qu'après leur ratification. Son mode de désignation n'est pas démocratique. Ses membres sont nommés par les gouvernements. Mais tandis que chaque pays dispose d'une voix à l'Assemblée, le Conseil est fondé sur une base oligarchique. Seuls les États puissants y ont un siège permanent. Le Conseil et l'Assemblée « connaissent de toute question qui rentre dans la sphère d'activité de la Société et intéressent la Paix du Monde ». Le Conseil n'est pas un pouvoir exécutif ; l'exécution des décisions de la S.D.N. et la mise en oeuvre des sanctions dépendent des États membres.

Le Conseil et l'Assemblée ont certaines attributions communes, notamment, la compétence pour la solutions des différends entre membres de la société. Parmi les attributions spéciales de l'Assemblée figure la désignation des membres nouveaux, en statuant à la majorité des deux tiers. Parmi les tâches réservées au Conseil, citons la préparation du plan de réduction des armements, la réception des rapports annuels des puissances disposant d'un mandat colonial.

La cour de justice internationale, dont le siège est à La Haye, est un corps de magistrats indépendants élus sans considération de leur nationalité par l'Assemblée et le Conseil. Sa compétence s'étend à toutes affaires que les parties lui soumettront aussi bien qu'à tous les cas prévus par les conventions en vigueur.

Signalons comme autre organe : le secrétariat, dont le siège est à Genève. C'est le seul organe permanent de la société.

L'examen des principaux articles du pacte nous montrera qu'aucune des revendications fondamentales du pacifisme n'est réalisée.

Sur le désarmement, l'article 8 proclame, non pas qu'il faut tendre au désarmement total, mais que « le maintien de la paix exige la réduction des armements nationaux au minimum compatible avec la sécurité nationale et avec l'exécution des obligations internationales prévues pour une action commune. »

Le principe formulé est certes un progrès sur la vieille formule « Si vis pacem para bellum » mais l'engagement moral n'a pas été tenu.

Tandis que les pacifistes les plus modérés, tout en admettant la guerre défensive, condamnent la guerre d'agression, le pacte permet la guerre offensive dans certains cas.

Signalons les articles 12 et 13 :

« ARTICLE 12. - Paragraphe 1. - Tous les membres de la Société conviennent que s'il s'élève entre eux un différend susceptible d'entraîner une rupture, ils le soumettront, soit à la procédure de l'arbitrage ou à un réglement judiciaire, soit à l'examen du Conseil. Ils conviennent encore qu'en aucun cas ils ne doivent recourir à la guerre avant l'expiration d'un délai de trois mois après la décision arbitrale ou judiciaire ou le rapport du Conseil ».

« ARTICLE 13. - Paragraphe 4. - Les membres de la Société s'engagent à exécuter de bonne foi les sentences rendues et à ne pas recourir à la guerre contre tout membre de la Société qui s'y conformera. Faute d'exécution de la sentence, le Conseil propose les mesures qui doivent en assurer l'effet ».

Enfin le paragraphe 6 de l'article 15 dit :

« Si le rapport du Conseil est accepté à l'unanimité, le vote des représentants des parties ne comptant pas dans le calcul de cette unanimité, les membres de la Société s'engagent à ne recourir à la guerre contre aucune partie qui se conforme aux conclusions du rapport. »

« Paragraphe 7. - Dans le cas où le Conseil ne réussit pas à faire accepter son rapport par tous les membres autres que les représentants de toute partie au différend, les membres de la Société se réservent le droit d'agir comme ils le jugeront nécessaire pour le maintien du droit et de la justice ».

La portée des paragraphes les plus monstrueux, qui prévoient le recours à la guerre licite et légale, se trouve certes diminuée depuis la signature du pacte Kellog, condamnant la guerre en tant qu'instrument de politique nationale. Mais jusqu'alors les membres de la S. D. N. n'ont pu se mettre d'accord pour un amendement mettant en harmonie les deux pactes de Paris. On voit aussi dans ces deux articles que certains conflits restent sans solution lorsqu'il n'y a pas un rapport adopté à l'unanimité par le Conseil. Ajoutons aussi (paragraphe 8 de l'article 15) que le Conseil ne recommande aucune solution lorsqu'il reconnaît que le conflit porte sur un problème que le droit international laisse à la compétence exclusive d'un État. Figurent dans cette catégorie les principaux problèmes économiques, immigration, douanes, etc ...

Enfin, dans leurs sentences, le conseil ou la cour de justice doivent tenir compte des traités existants, dont certains furent imposés par la violence. Or, c'est surtout la question de la révision des traités qui divise aujourd'hui les peuples. Le président Wilson avait proposé que l'Assemblée puisse procéder aux deux tiers des voix, à la modification d'un traité. La suggestion fut repoussée. Le fameux article 19 dit seulement « L'Assemblée peut, de temps en temps, inviter les membres de la Société à procéder à un nouvel examen des traités devenus inapplicables, ainsi que des situations internationales dont le maintien pourrait mettre en péril la paix du monde ».

Si insuffisant que soit cet article, l'intervention de la S. D. N. pourrait être précieuse, pour aider à régler les différends insolubles par la voie diplomatique ordinaire. Mais, jusqu'alors, en ce qui concerne le traité de Versailles, il n'a pas été utilisé. Venons ensuite au problème des sanctions.

Dans une fédération d'États désarmés, le pouvoir fédéral disposera de moyens de sanctions d'autant plus justes qu'elles s'exerceront directement sur les individus coupables d'attentat à la paix. De plus, une partie de l'organisation économique étant internationalisée, des mesures de pression économique ne dépendront plus du bon vouloir des gouvernements. Enfin, certains envisagent une force de police préventive.

De toute manière, une part importante de la puissance politique sera transférée à la communauté internationale.

La S. D. N. actuelle ne peut agir par elle-même. Ses sanctions dépendent du bon vouloir des États.

« ARTICLE 10. - Les membres de la Société s'engagent à respecter et à maintenir contre toute agression extérieure l'intégrité territoriale et l'indépendance politique présente de tous les membres de la Société. En cas d'agression, de menace ou de danger d'agression le Conseil avise aux moyens d'assurer l'exécution de cette obligation. »

« ARTICLE 16. - Paragraphe 1. - Si un membre de la Société recourt à la guerre contrairement aux engagements pris aux articles 12, 13 ou 15, il est ipso facto considéré comme ayant commis un acte de guerre contre tous les membres de la Société. Ceux-ci s'engagent à rompre immédiatement avec lui toutes relations commerciales ou financières, à interdire tous rapports entre leurs nationaux et ceux de l'État en rupture de pacte et à faire cesser toutes communications financières, commerciales ou personnelles entre les nationaux de cet État et ceux de tout autre État ou non de la Société ».

« Paragraphe 2. - En ce cas, le Conseil a le devoir de recommander aux divers Gouvernements intéressés, les effectifs militaires navals ou aériens, par lesquels les Membres de la Société contribueront respectivement aux forces armées destinées à faire respecter les engagements de la Société ».

« Paragraphe 4. - Peut être exclu de la Société tout membre qui s'est rendu coupable de la violation d'un des engagements résultant du Pacte. L'exclusion est prononcée par le vote de tous les autres membres de la Société représentés au Conseil ».

On a vu, dans le cas du Japon que la seule sanction effectivement appliquée a été l'exclusion, alors qu'une grande fraction de l'opinion mondiale voulait des sanctions économiques.

Cet examen nous fait voir qu'il n'y a rien de commun entre le régime fédératif tel que nous l'envisageons à nos articles Guerre et Pacifisme et la S. D. N. actuelle. Nous savons tous les arguments que les libertaires, partisans pourtant de l'idée de fédération, peuvent opposer à l'idée d'un sur-État. On peut d'ailleurs concevoir une organisation de la solidarité des peuples qui ait pour objet et résultat de faire disparaître les principaux conflits plutôt que de les régler par voie d'autorité. Mais, en tous cas, l'expérience sur laquelle on doit se baser pour établir ses convictions sur l'efficacité d'un régime fédéral est celle des nations à forme fédérative, comme l'Amérique du Nord et la Suisse, mais nullement celle de la Ligue de Genève. Le problème reste entier.

Les revendications immédiates des pacifistes : désarmement, arbitrage généralisé, révision des traités, abaissement des barrières douanières doivent être les mêmes que si la S. D. N. n'existait pas. La S. D. N. ne doit pas être le centre de nos préoccupations. Le problème essentiel de l'internationalisme constructif n'est pas là.

Un de ses articles prévoit, certes, des amendements aux pactes, pour lesquels la majorité des voix suffisent. Mais il n'est nullement prouvé que le futur régime juridique ou politique international sortira de la transformation du pacte actuel. Déjà, certaines de ses lacunes ont été comblées par des pactes distincts, comme l'acte général d'arbitrage. On peut prévoir d'autres conventions auxquelles participeraient la Russie et les États-Unis, sans adhérer à la S. D. N. Enfin, avant la fédération mondiale, nous aurons peut-être la fédération européenne. Pour réaliser n'importe quelle forme hardie de progrès, nous comptons moins sur l'initiative des gouvernants ou de leurs délégués que sur l'action vigoureuse des peuples. Toutefois, une S. D. N. vraiment démocratique et où le principe de l'unanimité ferait place au principe de la majorité, aurait un autre caractère.

L'expérience a donc infirmé la confiance excessive que certains mettaient dans cet organisme. Mais si nous savons nettement que la Ligue de Genève ne peut assurer par elle-même la paix, cela ne veut pas dire qu'elle ne puisse être utilisée pour le règlement de certains conflits. Il y a des cas où les peuples devraient imposer le recours à son intervention, par exemple celui de la révision des traités.

Elle est un des instruments dont on peut se servir. Confiance et utilisation sont deux notions très différentes. Parfois il est bon qu'un problème soit posé sur un plan largement international. Parfois, la diplomatie publique vaut mieux que la diplomatie privée. Et, en tous cas, toute méthode de règlement pacifique est bonne, si elle diminue les chances de guerre.

Mais, ni par les principes qu'elle proclame, ni par le caractère de sa constitution, ni par l'oeuvre qu'elle a réalisée, ni par les possibilités qu'elle contient, la S. D. N. ne mérite de symboliser les aspirations populaires en faveur d'une paix complète, d'une sécurité réelle, d'une solidarité effective, d'un désarmement total.

- René VALFORT.