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SOCIETES SECRETES

Les Sociétés secrètes ont existé de tout temps et chez tous les peuples ; on les trouve même dans les pays de civilisation rudimentaire. Religieuses, philosophiques ou politiques, elles ont généralement pour but de systématiser leurs conceptions et de les imposer au pays où elles vivent.

Presque partout, elles comportent une initiation impressionnante, avec des épreuves dans lesquelles on simule un danger. Le but est de lier le récipiendaire par la crainte. Certaines sociétés secrètes du Thibet liaient le postulant à un cadavre et l'abandonnaient ainsi pendant plusieurs jours. Avec l'évolution des moeœurs, les initiations s'adoucissent, mais partout et toujours demeure l'idée de contraindre à la discrétion, au dévouement et à la fidélité par une réception redoutable, parfois même répugnante, comme dans certains compagnonnages ouvriers où on obligeait, paraît-il , le candidat à avaler des excréments.

Certaines sociétés secrètes ont joué un grand rôle dans l'histoire. Le nom de la Sainte Wehme, société secrète de Bohême, qui contraignait par la teneur d'un assassinat les dirigeants à entrer dans ses vues est parvenu jusqu'à nous.

Les partis d'extrême droite d'Allemagne auraient, paraît-il, ressuscité, aujourd'hui, la terrible Sainte Wehme.

L'ordre des Illuminés a été fondé, en Allemagne, au dix-huitième siècle par Weishaupt, professeur à l'Université d'Ingolstadt. Weishaupt ne se proposait rien moins que de transformer le monde et de le diriger au moyen d'une société secrète dont les agents du pouvoir politique de l'État ne seraient que les membres dévoués et obéissants. Son idée n'était pas tout à fait originale. Weishaupt avait appartenu, dans sa jeunesse, à l'ordre des Jésuites, et il avait voulu fonder une sorte de congrégation de jésuites de gauche qui gouvernerait le monde, non pour y maintenir les conceptions du passé, mais pour l'aiguiller, au contraire, dans la voie du progrès.

Ce progrès catholique, à la merci du hasard, il s'agissait d'en régulariser la marche, selon un plan établi à l'avance, dans une vaste association inconnue des masses et d'autant plus puissante.

Weishaupt réussit à grouper plusieurs milliers de personnes, appartenant à toutes les classes de la société. Le recrutement était assuré par les « frères insinuants », qui choisissaient eux-mêmes ceux des hommes de leur entourage qu'ils croyaient pouvoir être utiles à l'ordre et, pendant un temps très long, le nouvel adhérent ne connaissait de l'ordre qu'une personne : celle qui l'y avait fait entrer. Il devait lui remettre périodiquement des rapports sur lui, sa famille et son entourage. Ces rapports devaient être rigoureusement véridiques. Le nouveau membre devait se présenter et présenter les autres tels qu'ils étaient, avec leurs qualités et leurs défauts.

Une fois admis définitivement, l'illuminé avait à gravir une hiérarchie très compliquée : minerval, illuminé mineur, illuminé majeur, etc ... Au sommet, était un conseil que dirigeaient Weishaupt et son principal disciple Khnigge.

Pour donner un caractère mystérieux et, par cela même, accroître la force de ses directives, Weishaupt avait fait croire à ses associés qu'il n'était pas le chef, mais ne faisait que transmettre les ordres des « supérieurs inconnus ».

L'ordre des Illuminés ne dura pas ; Weishaupt et Khnigge se disputèrent, il y eut la scission et la société aux ambitions magnifiques s'écroula comme s'écroulent toutes les associations.

L'Illuminisme aurait grandement influencé la Révolution Française. Cela est plus que probable. Beaucoup d'hommes qui ont joué un rôle dans la révolution avaient fait partie de l'ordre ; ils y avaient certainement puisé des idées, mais prétendre, comme l'abbé Samuel que les événements de la révolution avaient été concertés d'avance dans cette société, cela ne peut être que faux, parce qu'impossible.

D'ailleurs, l'abbé Samuel, qui publia son livre au commencement du dix-neuvième siècle, est un ennemi des Illuminés.

Il est très difficile d'établir avec vérité le rôle exact d'une société secrète dans les événements historiques. La société secrète écrit peu ; tout s'y passe oralement, ce qui fait que, l'association disparue, plus rien ne reste d'elle.

On attribue de même à la Franc-Maçonnerie un rôle important dans la révolution française. Indirectement, le fait est certain. Toute l'agitation idéologique qui a précédé la révolution a été l'oeuvre d'hommes dont beaucoup appartenaient à la Franc-Maçonnerie. Mais, que la préparation des journées révolutionnaires, émeutes, procès de Louis XVI, etc ... , se soit élaborée dans les loges, cela est plus difficile à établir. D'ailleurs, des auteurs maçonniques, comme Lantoine, nient cette action directe de la Franc-Maçonnerie sur la révolution.

Le dix-neuvième siècle, surtout dans sa première moitié, vit fleurir nombre de sociétés secrètes. Outre la Franc-Maçonnerie, le carbonarisme italien se propagea dans toute l'Europe. Il réunissait des hommes d'opinions diverses : des bonapartistes qui regrettaient Napoléon et des républicains qui avaient vécu la révolution et en avaient gardé les doctrines.

Les idées des carbonari nous paraissent assez anodines. Dans la tour de la Lanterne, à la Rochelle, on peut voir une inscription gravée dans la muraille d'un cachot par l'un des quatre sergents guillotinés en 1820 : « Ici, quatre carbonari ont été enfermés pour avoir défendu ... Dieu et la Liberté ! »

Partout où le gouvernement est despotique, l'opposition s'abrite dans les sociétés secrètes, seul lieu où elle peut s'exprimer, faire sa propagande, formuler ses espoirs.

En Russie, sous le tsarisme, tous les partis, des simples monarchistes constitutionnels juqu'aux socialistes et aux anarchistes, étaient obligés de s'organiser en sociétés secrètes. Souvent, le comité directeur siégeait à l'étranger. On rédigeait des journaux que l'on imprimait ou même dactylographiait sur du papier pelure, et on les envoyait clandestinement dans des ballots de marchandises. Des émissaires les portaient eux-mêmes, dissimulés dans la doublure de leurs vêtements, etc ...

En dépit du caractère impressionnant des initiations, de la menace de châtiments terribles pour les traîtres :

Si, parmi les Français il se trouve un traître Qui respectât les rois et qui voulût un maître, Saisi par nous, qu'il meure au milieu des tourments Et que ses cendres soient abandonnées au vent,

les sociétés secrètes sont, on peut dire, presque toujours trabies. « Dès que vous serez trois, je serai au milieu de vous », dit avec humour Andrieux, préfet de police, dans ses mémoires. C'est-à-dire : dès que vous serez trois, il y aura parmi vous un de mes espions.

Une grande société secrète russe terroriste fut, pendant de longues années, dirigée par un espion : Azew, qui appartenait à la police tsariste où il était très maigrement rétribué.

Azew, assez versé dans la doctrine du parti pour tenir le rôle de chef, dirigeait des attentats ; les hauts fonctionnaires du tsar se servaient de lui pour faire assassiner un confrère dont ils voulaient se venger.

Indispensables en régime autoritaire, les sociétés secrètes ont, en régime de liberté, le très gros inconvénient d'une action limitée. Elles ne sauraient jamais, si florissantes soient-elles, réunir les centaines de mille adhérents d'un parti politique. D'ailleurs on n'a aucun intérêt à s'enfermer dans une cave pour dire ce qui peut, sans inconvénient, être dit au grand jour.

Quant à vouloir, comme Weishaupt, faire diriger le monde par une société secrète, c'est un rêve. Les hommes sont trop fuyants, trop peu fidèles à un idéal pour qu'on puisse espérer les y faire travailler toute une vie sous une contrainte extérieure. Les intérêts, les passions, les ambitions personnelles ont vite fait de mettre la zizanie entre les supérieurs connus ou inconnus et la société disparaît comme disparaissent les organisations de toutes sortes.

Comme les hommes eux-mêmes, les sociétés n'ont qu'un temps et c'est se faire illusion que de vouloir bâtir d'avance pour les siècles futurs.

- Doctoresse PELLETIER.