Accueil


SOL n. m.

Dans le concert économique des nations, habilement organisé, pour entretenir une illusoire harmonie qui cache, plus ou moins bien, l'exploitation des masses laborieuses, la question du sol joue un rôle prépondérant. Cette question, si importante soit-elle, est toujours grignotée sous divers aspects par les élites ... qui laissent le monde travailleur dans l'ignorance sur ce sujet capital. Les politiciens de toutes nuances évitent soigneusement d'exposer aux travailleurs que la propriété individuelle représentant le fruit du travail et de l'intelligence, est conditionnée par le mode d'appropriation du sol.

Nous allons essayer d'expliquer que la question du sol ou foncière, rationnellement définie, permet de se rendre compte de la liberté ou de l'esclavage du travail.

L'organisation rationnelle de la propriété immobilière est, non seulement d'ordre économique mais aussi d'ordre moral, c'est-à-dire de justice sociale. Sans nous étendre, comme on pourrait le faire dans un livre, nous pensons que le lecteur comprendra qu'il serait vain d'émettre l'idée de laisser à chacun le produit intégral de ses efforts, tant que le sol (ou richesse foncière immobilière) ne sera pas entré au domaine social ou commun. Nous nous résumerons en disant que l'entrée du sol à la propriété collective est la condition sine qua non de l'établissement de la souveraineté du travail. Ce que nous dirons par la suite aura pour but de mieux aider à comprendre la portée de justice sociale qui s'attache à la question du sol.

Il y a, de par le monde, des faits et des vérités qui, par eux-mêmes, paraissent, dans leur ensemble, si évidents à tous, qu'il semble inutile d'en fournir quelques explications. Parmi les nombreux phénomènes sur lesquels on paraît renseigné, celui du sol n'est pas le mieux déterminé dans le domaine de l'opinion. Nous allons essayer de le démontrer en tenant compte de l'expérience, de l'observation et du raisonnement qui se rapportent à la question foncière dans le cycle des époques parcourues du début de l'histoire à ce jour.

En sociologie, qui est le point de vue sur lequel nous nous plaçons, le mot sol représente la richesse foncière immobilière sous ses divers aspects. C'est une des deux principales espèces de richesse : les capitaux, la richesse mobilière étant l'autre. De l'utilisation plus ou moins rationnelle de ces richesses, la société vit en harmonie ou dans le désordre.

Le sol qui est, comme nous le verrons, essentiellement distinct du capital, de la richesse mobilière, représente une force productrice mécanique comme source passive des richesses. D'autre part, le travail, qui est le raisonnement en action et devient force productrice consciente, représente la source active des capitaux, de la richesse mobilière.

De l'organisation des richesses que nous venons de définir, et tout particulièrement de la richesse foncière (sol), dépendent l'ordre social et le bonheur domestique ou l'esclavage des masses laborieuses.

Sans le sol, l'homme n'existerait pas ; et, socialement parlant, sans l'homme, le sol serait comme s'il n'existait pas. L'histoire sociale n'existe que pour l'homme et ne saurait intéresser les autres êtres qui, sous ce rapport, n'apportent directement aucune contribution. L'homme seul sait qu'il existe, il en a conscience. Dès lors, il examine, compare, apprécie ; de sorte que le raisonnement lui explique que, dans l'Univers, il y a des choses nécessaires à la vie et au développement social, comme il sait qu'il y en a d'autres qui sont, suivant les cas, et les circonstances, plus ou moins utiles au développement des sociétés. Cette remarque amène à comprendre que : confondre ces deux espèces de richesses - sol et capitaux - sous le seul nom de propriété dans l'attribution des richesses aux individus, c'est employer un langage inexact et dangereux qui conduit aux abus de l'organisation sociale actuelle.

Dans l'étude du Problème Social, si l'on veut éviter les équivoques, toujours dangereuses et souvent nuisibles, il convient de situer scientifiquement les rôles respectifs du sol et du capital dans la formation des richesses.

Se refuser de connaître la différence essentielle qu'il y a, dans l'ordre des richesses, entre l'indispensable et l'utile, c'est, le sachant ou l'ignorant, faire le jeu de la bourgeoisie et retarder d'autant l'heure de la libération du travail.

Afin de bien comprendre les données du Problème social , remarquons que l'homme, le travailleur, au moyen de l'usage de la richesse foncière, du sol, crée, par ses efforts, des richesses, des produits, enfin des capitaux selon les besoins qu'il en a ; alors que ce même travailleur reste impuissant pour créer le sol. N'oublions pas que la richesse foncière a des limites que les sciences au service du travail ne permettent pas de dépasser, et nous comprendrons que l'homme qui n'a pas droit à l'usage du sol se trouve placé dans le vide des richesses, comme dit Colins.

Des vérités qui précèdent, il résulte qu'il est de toute impossibilité de pouvoir ajouter la moindre étendue à la surface ou à la profondeur du sol. Par contre, la possession de la richesse foncière confère, à celui qui la détient, un véritable monopole présidant à l'attribution du travail aux individus puisque le travail ne peut s'exercer que sur ou dans le sol. Inévitablement, ceux qui détiennent le sol commandent ceux qui en sont privés. Dès lors, logiquement, l'entrée du sol au domaine commun apparaît comme une nécessité sociale pour l'instauration d'un régime de liberté individuelle et de bien-être social. En n'attachant pas au sol toute la valeur sociale qu'il comporte, permettant de mettre chaque chose à sa place et à la place qui lui convient, on consacre, dans l'équivoque, la contradiction des intérêts à l'avantage de la féodalité financière.

C'est l'ignorance de la valeur sociale qui s'attache au sol qui permet, pendant les périodes électorales où les ... élites ... de la politique sont en rapport plus ou moins direct avec les masses laborieuses, de camoufler la question foncière dans ses rapports avec l'attribution des produits du travail aux individus. Si, en 1930, nous lisons les programmes politiques des candidats, qui vont du rose pâle au rouge vif, nous remarquerons un silence volontaire sur la question du sol ; ce qui prouve que c'est en dehors des politiciens de toutes nuances que la question du sol peut et doit être étudiée sérieusement.

Les militants devraient enseigner, s'ils n'étaient des ignorants ... , que l'entrée du sol à la propriété collective est créatrice de bien-être général, génératrice de liberté et dispensatrice de la souveraineté du travail.

L'entrée du sol au domaine commun répond aux idées de justice, de liberté et de bien-être que les travailleurs désirent appliquer dans les rapports des hommes entre eux. Aussi, tant que le sol est aliénable, il est logiquement impossible de libérer le travail de l'emprise du capital, et, quelles que soient les réformes plus ou moins tapageuses de l'époque d'ignorance, les résultats ne tardent pas à devenir, avec le développement des intelligences et des nouveaux besoins qui en naissent, moins supportables que par le passé.

Tout retard, volontaire ou non, à la solution de la question du sol, qui dépasse et domine toute question agraire, minière, forestière, etc ... retarde d'autant la libération des opprimés et des travailleurs. La tactique du silence sur la question du sol compromet l'avenir du socialisme et de la liberté.

D'une manière générale, le socialisme souffre d'une crise d'indétermination qui place le futur régime sous le signe de l'équivoque en donnant à certains termes d'économie sociale un sens plus ou moins rationnel. Pour les uns, le socialisme paraît être le bien-être qu'une production intensifiée peut procurer à la collectivité à des conditions définies. Pour d'autres, dont nous sommes, le socialisme est l'application de la justice à la société. Par l'application de la justice, chacun devient l'artisan de sa fortune et de sa destinée que l'égalité du point de départ permet de réaliser. De nouveaux cieux, une nouvelle terre où la justice règnera seront le domaine social sur lequel chacun recevra selon ses œuvres. Une éducation morale généralisée et une organisation rationnelle de la propriété faciliteront la jouissance d'un pareil régime qu'une phraséologie trop élastique ne saurait définir.

C'est, parce que certains mots comme le mot sol et certaines expressions comme instruments de travail et moyens de production sont mal déterminés qu'il y a, selon les besoins politiques, des propositions confuses, parfois contradictoires, dans la confection des programmes plus ou moins teintés de socialisme. Comment se reconnaître dans ces labyrinthes de la cacophonie, que l'on dirait établis à dessein ? ...

Ainsi, à propos du mot sol qui nous préoccupe, certains économistes, et même des socialistes, croient nécessaire d'ajouter au mot sol celui de sous-sol. Ces personnes se sont-elles demandé s'il était possible d'établir une limite réelle entre ce qu'on appelle sol et sous-sol ? Poser la question c'est la résoudre par la négative. D'autres prétendent que les récoltes, les engrais, etc., tant qu'ils font corps avec la richesse foncière ne font pas partie du sol ; d'autres enfin n'admettent pas la richesse immobilière comme étant du sol amélioré par construction, tout comme l'est un champ de blé, ou de fourrage par le travail se rapportant à la production du champ. Socialement, c'est inutile, même dangereux de s'en remettre à des détails d'exposition.

A notre époque d'industrialisme intensif, tout le sol a été, à divers degrés, plus ou moins amélioré et, socialement, il est impossible d'établir une règle pour indiquer le degré d'amélioration qui classe le champ dans une catégorie quelconque et qui, finalement doit entrer au domaine commun. L'entrée du sol à la propriété collective est indispensable à notre époque de nécessité sociale, pour établir le socialisme à l'avantage de tous. Il est inutile et superflu d'épiloguer sur des apparences et des illusions.

En nous intéressant à la question du sol qui représente le point cardinal de l'ordre socialiste, retenons que le sol n'est pas à proprement parler, un moyen de production, un instrument de travail ; il est plus et mieux socialement parlant. Le sol est la matière absolument première, il est le fonds d'où le travail extrait, avec ou sans instrument, toutes les richesses nécessaires à l'entretien et au développement de l'Humanité.

Des explications qui précèdent il résulte que le sol se manifeste à l'intelligence que les préjugés n'ont pas atrophiée, sous le caractère de l'indispensabilité. De son organisation, dans le domaine des propriétés, dépendent la liberté ou l'esclavage du travail, le bien-être ou la misère des travailleurs. Ainsi, la confusion de la richesse foncière - sol - avec la richesse mobilière - capitaux - est, dit Colins, une escobarderie de l'Économie Politique destinée à confondre l'illusion et la réalité, l'utile et le nécessaire, afin de maintenir l'esclavage du travail et la domination du capital. C'est un tour d'escamotage économique habilement exécuté au profit du capital. A notre époque, s'intéresser à la question sociale, œuvrer en faveur du socialisme, et confondre le sol avec richesse naturelle, incréée par le travail, avec le capital, richesse mobilière, qui n'est et ne peut être que le résultat du travail, c'est vouloir, le sachant ou non, que le paupérisme reste indestructible, c'est vouloir perpétuer les révolutions, c'est vouloir la mort de la société par le désordre. La nécessité sociale forcera bien un jour, plus ou moins prochain, notre pauvre humanité à ouvrir les yeux et à s'orienter vers la connaissance du bien avec la volonté de le réaliser.

Si l'humanité réfléchissait à la question de l'appartenance des richesses, elle verrait que celles-ci s'approprient par le travail, soit au critérium de la force, soit au critérium de la raison. Remarquons, dans cet ordre d'appropriation des richesses, que l'appropriation individuelle du sol est possible tant que le droit de la force est le seul connu socialement. Alors cette appropriation est de nécessité sociale puisqu'elle est la seule qui offre une sécurité relative à l'ignorance économique de l'époque. Mais pour cette période, et quelle qu'en soit la durée, la privation du sol, pour la plus grande partie des travailleurs, fait que l'offre du travail, malgré tous les progrès possibles, est toujours au minimum des circonstances et tient les travailleurs en état d'esclavage économique. Ceux-ci ne reçoivent pas le produit intégral de leur travail, mais simplement ce que les détenteurs des moyens de production consentent à leur donner. Ajoutons aux droits des propriétaires, imposés aux travailleurs déshérités, la perception de l'impôt ou revenu social retombant exclusivement sur le travail et nous comprendrons pourquoi en époque d'aliénation du sol aux individus, la plupart des travailleurs ne consomment pas selon leurs besoins, alors que les produits agricoles et manufacturés restent inutilisés et se détériorent. Dans le régime bourgeois, l'abondance des biens nuit quelquefois et même bien souvent. Ainsi l'aliénation du sol, et par suite la monopolisation de cette richesse indispensable, canalisée chez quelques individus, créa les castes et les classes, les maîtres et les esclaves, la richesse pour quelques-uns, la misère pour le plus grand nombre.

Si nous passons à l'époque où le sol appartiendra à tous et qui sera l'époque de connaissance sociale, nous verrons que, par l'entrée du sol au domaine commun, le paupérisme se trouve anéanti, du fait que les travailleurs, c'est-à-dire tous et chacun, seront, au même titre, des propriétaires indépendants plus ou moins capitalistes.

A ce moment, contrairement à ce qui se passe en période d'aliénation du sol, les capitaux abonderont, offerts par la Société et les individus qui ne consommeront qu'une partie de leurs productions. Bien plus, les capitaux des particuliers devront concurrencer ceux de la société.

De ce fait, les capitaux animeront toujours la demande du travail et leur utilisation contribuera à l'augmentation du bien-être général. En résumé, le salaire, compris comme rémunération du travail, qui est éternel, par rapport à l'homme, sera constamment au maximum des circonstances, du minimum où il se trouve en époque d'aliénation du sol aux individus. Il n'est pas téméraire d'affirmer que l'entrée du sol au domaine social a pour but et résultat inévitable la disparition du paupérisme matériel dans une atmosphère de justice et de moralité générale.

A ce moment, mais pas avant, l'homme naît sous un régime d'égalité sociale relative et peut, en toute liberté, exercer ses facultés pour obtenir par son travail - et sans nuire à son prochain qui jouira des mêmes droits - la satisfaction des besoins ressentis.

Contrairement à ce qui se passe à notre époque, et toujours du fait de l'entrée du sol à la propriété collective inaliénable, chaque membre aura à sa disposition, selon ses goûts et son tempérament, pour exercer son activité dans le domaine qui lui plaira, d'incontestables garanties de sécurité, d'indépendance réelle et de bien-être permanent. Relativement au passé, au présent et à l'avenir, l'organisation de la propriété du sol représente une clé merveilleuse qui, dans le passé, a ouvert la serrure sociale à l'avantage des nobles, comme, actuellement, elle l'ouvre à la bourgeoisie et comme elle l'ouvrira à l'avantage de tous quand le sol fera partie du domaine commun.

C'est de sa possession individuelle ou de sa possession commune que dépend la liberté ou l'esclavage du travail. Pour notre époque, la possession commune de la richesse foncière-immobilière est de nécessité sociale, mais, en France, tous les partis font la conspiration du silence sur cette importante question qui est, sous divers aspects et dans différentes nations, dans l'ordre de mise en pratique. Un avenir relativement prochain démontrera, expérimentalement, les avantages généraux de l'entrée du sol au domaine social par rapport à l'entreprise de certaines mobilisations anti-scientifiques du sol. Nos parlementaires socialistes s'apercevront alors que le socialisme ne signifie pas, le moins du monde, que la terre agricole, qui est une partie du sol à socialiser doit appartenir à celui qui la cultive, mais à tous.

De l'exposition de la question du sol ou foncière que nous venons de faire il résulte : 1° que le socialisme ne peut se réaliser que par l'entrée intégrale du sol au domaine social aussi bien que de la richesse mobilière ou capitaux provenant de générations passées ; 2° que, de ce fait, le travail sera libre au lieu d'être esclave comme de nos jours, ou forcé comme l'enseigne et le veut le marxisme ; 3° que l'appropriation sociale des richesses indiquées n'implique pas forcément l'exploitation du domaine commun par l'État ; 4° que cette exploitation peut et doit être faite, généralement, par des associations de travailleurs libres ou par des travailleurs isolés et indépendants afin que, sous ses divers aspects, la liberté individuelle soit sauvegardée ; 5° que le produit du Travail sera, alors seulement la propriété de celui qui l'aura créé ; 6° que tous et chacun jouiront, au même titre, des avantages qui précèdent, dans une atmosphère sociale et morale d'égalité relative suffisante pour la satisfaction des besoins ressentis ; 7° que le travail sera souverain et la domination du capital anéantie.

Ces conditions de vie générale prendraient rationnellement corps, pour ainsi dire automatiquement, sous l'impulsion du principe rationnel de l'intérêt qui guide l'Humanité. L'homme libre sur la Terre libre sera l'œuvre du socialisme rationnel qui ne saurait équitablement admettre avec Engels et les marxistes, le travail obligatoire et égal d'une administration à étiquette socialiste qui paraît oublier que la liberté est le plus grand de tous les biens. Le rythme du travail et de la production sera déterminée par les besoins ressentis équitablement par tous et par chacun.

- Élie SOUBEYRAN.