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SOLITUDE n. f. (lat. solitudo)

La solitude (magnifiée par Ibsen), cette solitude où se forge la force et s'affirme l'originalité, ne peut être le « splendide et stérile isolement » dans lequel l'individu épuise un foyer jamais renouvelé, enchaîne la pensée - ce Prométhée - au rocher d'un moi aride. Un abîme la sépare, cette solitude, de l'absolu de glace où se fige la suffisance. Être seul, c'est réaliser son soi-même aux limites du possible et ne pas le laisser entamer par un adverse obstiné, c'est dégager de la gangue sa personnalité. Du type édifié profitera l'environ. Si nous radions, notre clarté repoussera, dans autrui, l'obscurité et il fera, tourné vers nous, saisi par notre exemple, un pas vers sa propre lumière. Et nous aurons satisfait, en dons rayonnants, à la solidarité qui nous lie au social pour tous les biens dont nous jouissons ...

Compatir aux maux du prochain, sentir dans sa chair et jusqu'au vif de nous-mêmes sa détresse et son pitoyable agenouillement ne peut, sans une descente vers l'inconscience, impliquer que nous devons accepter de nous écraser à son niveau. Mais, au contraire, que nous devons - tenant libre et fraternel le chemin de lui à nous - nous élever dans notre dignité et la notion avertie de notre plan, et l'inciter - ce prochain prostré - à secouer la rouille de ses chaînes, à briser la coque des préjugés agglutinés pour s'ouvrir à la liberté personnelle.

La solitude intelligente et bonne n'est pas la retraite dédaigneuse en marge et au dessus de l'humanité. Elle est toute chaleur, sympathie, rayonnement, attraction aussi vers les cimes. Et menace seulement pour les prêtres, pour les maîtres, les tyrans qui tiennent en bas, éloignés d'eux-mêmes et petits sous le joug ou dans l'ombre, nos frères qui sont aussi des hommes. Les médiocres, les durs, les fats, les ambitieux, les chefs, les ventres, tous les faux individualistes (aristocrates, ouvriers ou bourgeois : les classes, ici, ne sont que des étages provisoires ou des paliers d'accès) méprisent et redoutent cette solitude de flamme, de résolution, de solidarité et d'expansion ...

Vivre seul, c'est se tenir hors du sillage des foules, agréger autour de soi les éléments d'une solide et vivante unité, à la fois attentive et mouvante, c'est se refuser à demeurer complice des passivités où les majorités s'enlisent, à faire nombre parmi les multitudes, à consentir aux multiples abdications en la misère desquelles se traîne, en troupeau, le peuple ilote. Mais c'est tourner sa volonté lucide et recueillie contre les règnes accroupis sur cette torpeur et cette acceptation , contre les vampires agrippés au flanc des masses douloureuses et faisant de cette souffrance immense un insolent, cruel et grossier « bonheur » ...

L'homme fort et seul que nous comprenons et que nous aimons manie sans défaillance une investigation ardemment dénonciatrice. Il porte - aigus - le regard et le scalpel au coeur des conventions, des morales et des institutions échafaudées sur le non-sens d'une puissance d'étranglement. Il tente d'arracher - lambeaux précieux, bribes sacrées qui s'agglomèrent - un peu de cet humain qu'elles atrophient, réduisent et broient. Il se dresse, ici : flambeau, appel, main tendue, mais là : répudiation, combat, barrière résolue. Il se lève comme une espérance et un vouloir. L'homme seul et fort repousse l'isolement des tombeaux et des ruines. Sa solitude est un exemple d'énergie et elle ne cesse d'être active et féconde : elle est foncièrement généreuse ...

- S. M. S.