SOPHISME n. m. (du grec sophisma, artifice, expédient)
Raisonnement qui pêche soit dans les termes, soit dans la forme, le sophisme est un argument captieux qui donne à l'erreur une apparence de vérité. « Il est d'usage, dans les ouvrages de logique, écrit Rabier, de traiter séparément des erreurs et des sophismes. Cette division semble peu justifiée. On appelle sophisme une erreur de raisonnement. Mais toute erreur est, au fond, une erreur de raisonnement. En effet, il n'y a d'erreur possible ni dans le fait de se représenter telle ou telle chose, ni dans le fait de croire à cette représentation elle-même. L'erreur consiste à juger d'un objet par le moyen d'une représentation, à interpréter une représentation comme signe ou image d'un objet. Or, juger d'une chose par une autre, interpréter une représentation comme signe ou comme image, c'est faire une inférence. Donc toute erreur est une inférence vicieuse ou un sophisme. » Dans l'ensemble, les philosophes contemporains adoptent cette manière de voir. Aussi l'étude des sophismes, confondue avec celle de l'erreur, a-t-elle cessé de retenir l'attention des logiciens. Rappelons cependant qu'une classification courante distingue des sophismes d'induction et des sophismes de déduction.
Parmi les premiers, citons le dénombrement imparfait, l'ignorance de la cause, le sophisme de l'accident. Déclarer qu'il y aura toujours des guerres parce qu'il y en a toujours eu, nous fournit un exemple de dénombrement imparfait. Croire que l'apparition d'une comète sera la raison d'être de meurtres ou d'épidémies dénote une complète ignorance de la cause. Déclarer que la religion est bonne parce que le sentiment religieux ne tue pas la générosité chez certaines personnes, c'est confondre une coexistence accidentelle avec une relation nécessaire. Les principaux sophismes de déduction sont l'ignorance du sujet, la pétition de principe, le cercle vicieux. On tombe dans l'ignorance du sujet, lorsqu'on déplace la question dont on s'occupe et que l'on prouve autre chose que ce dont il s'agit. C'est un procédé cher aux apologistes de la religion et aux politiciens, qui évitent ainsi de répondre aux interrogations embarrassantes et parlent indéfiniment sans jamais fournir les explications qu'ils redoutent. Dans la pétition de principe, on considère comme vraie la chose qui est en question. Ce sophisme est à la base de la majorité des arguments que servent, aux imbéciles, les partisans d'un pouvoir fort. Le cercle vicieux consiste à prouver une proposition par une autre proposition qui s'appuie sur elle. Ajoutons que la violation des huit règles du syllogisme, ou des règles concernant l'opposition et la conversion des propositions, donne naissance à des sophismes qui furent longuement étudiés par les logiciens du moyen âge, mais dont le formalisme désuet et la creuse subtilité n'intéressent plus les penseurs contemporains.
Certains déclarent même que le syllogisme, si cher aux scolastiques, est toujours un sophisme. Stuart Mill, en particulier, estime qu'il constitue une stérile tautologie ou un véritable cercle vicieux. Soit par exemple le syllogisme suivant, très correct au dire des logiciens : « Tous les hommes sont mortels ; or le duc de Wellington est un homme ; donc le duc de Wellington est mortel. » Pour affirmer que tous les hommes sont mortels, nous devons savoir au préalable que le duc de Wellington est mortel ; dans ce cas, le syllogisme ne nous apprend rien, c'est une pure tautologie. Et, si nous ne savons pas au préalable que le duc de Wellington est mortel, nous n'avons aucunement droit d'affirmer que tous les hommes sont mortels. Le cercle vicieux serait, en effet, manifeste, puisque la vérité de la majeure, qui sert dit-on à démontrer la vérité de la conclusion, dépendrait elle-même de la vérité de cette conclusion. Poussant la critique du syllogisme encore plus loin, Herbert Spencer estime qu'il constitue un raisonnement par analogie et qu'il suppose quatre termes, non trois seulement comme on le croit d'ordinaire. Ceux qui ne partagent pas le point de vue de Stuart Mill ou de Spencer doivent au moins reconnaître que le syllogisme déductif n'est pas un instrument de découverte, un procédé d'invention, mais qu'il vaut uniquement comme moyen d'analyse et d'exposition. Ainsi s'effondrent les prétentions de la scolastique, ce vain château de cartes que les écrivains catholiques vantent à tout propos.
Lorsque, délaissant les
subtilités baroques de la logique formelle, nous examinons la
question des sophismes d'un point de vue moins artificiel et plus
conforme aux exigences de la réalité concrète, nous constatons que
les démonstrations fallacieuses, la duperie verbale, les erreurs de
raisonnement constituent la règle générale en matière de
politique, de religion, de métaphysique, de sociologie. Le prêtre,
le parlementaire, le haut fonctionnaire, le chef d'État sont
toujours des menteurs professionnels qui colorent de prétextes
humains et raisonnables leurs projets les plus injustes, les moins
réfléchis. Sophistes un Poincaré, un Mussolini, un Hitler et tous
leurs larbins de la presse qui abritent leurs mensonges sous l'égide
d'un patriotisme pointilleux ! Sophistes les savants officiels qui,
pour plaire aux maîtres de l'heure, falsifient les faits et
dénaturent la vérité ! Sophistes les professeurs de philosophie
qui estiment qu'une chaire en Sorbonne ou au Collège de France vaut
qu'on s'aplatisse devant les pontifes en vogue et les autorités
académiques ! Sophistes de bas étage les membres du clergé ou les
éducateurs laïcs qui entretiennent chez les simples des préjugés
ineptes, qui déforment et corrompent la mentalité des enfants ! Et
ces modernes sophistes sont autrement redoutables que les rhéteurs
habiles qui, dans l'ancienne Grèce, soutenaient le pour et le contre
avec une égale intrépidité. En s'interrogeant sur les rapports du
réel et de la pensée, les sophistes grecs ont favorisé le
développement du scepticisme et de l'esprit critique. Ou peut leur
adresser des reproches nombreux et fondés, mais ils n'entraînèrent
pas des millions d'hommes dans une mort atroce, ils n'eurent pas
l'hypocrisie de se proclamer d'incorruptibles soutiens de la vertu.
Les rhéteurs qui trônent dans nos Grandes Écoles et nos Instituts,
qui pontifient dans les Églises, qui président aux destinées des
États modernes se donnent pour mission de réduire les peuples en
servitude et de préparer d'ignobles tueries pour un avenir qu'ils
espèrent proche. Et ces serviteurs du Capitalisme, nantis de grasses
prébendes, pourvus de tous les avantages que procurent le pouvoir et
l'argent, n'ont à la bouche que les mots de sacrifice, d'héroïsme,
de désintéressement.
- L. BARBEDETTE.