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SPORT n. m. (mot anglais)

Vient de l'ancien français : desport qui signifie : amusement. Il est employé pour désigner tout exercice en plein air : course de chevaux, pêche, chasse, canotage, tir, escrime, gymnastique, football, bicyclette, etc. Le sport « est la pratique méthodique des exercices physiques, non seulement en vue du perfectionnement du corps humain, mais encore de l'éducation de l'esprit » (Larousse). On voit que, d'après cette définition, le domaine du sport est très vaste. Il englobe non seulement les jeux, mais tous les exercices d'entraînement, physiques et intellectuels. Toutefois, dans l'acception courante du mot sport, entre une idée de compétition qui ramène la chose aux exploits athlétiques. C'est le point de vue étriqué de la question, nous l'étudierons plus loin. D'une façon générale, le sport étant pratiqué en vue du développement harmonieux de la personne, il en résulte qu'est sport tout effort méthodique accompli dans ce but. Nous pourrons dire, en élargissant la chose jusqu'à son ultime limite : le sport, c'est la lutte même et c'est la vie. « Etre, c'est lutter ; vivre, c'est vaincre » (Le Dantec).

Il est évident que l'homme, dont l'origine remonte à une époque très reculée, n'a pu s'adapter aux diverses périodes préhistoriques qu'en luttant sans cesse contre les conditions changeantes de vie. Il a été pour lui d'une nécessité impérieuse d'habituer son corps à résister aux variations atmosphériques, aux maladies, au milieu ennemi. Il a fallu qu'il s'ingénie à dominer ce milieu, sinon c'était la fin de l'espèce, comme ça l'a été pour certaines espèces animales (mammouth, bison). Il a fallu qu'il éduque son corps à la course, à la natation, à la lutte. Il a fallu que, dans son cerveau, jaillisse la première lueur d'intelligence qui, justement pour combattre les forces mauvaises acharnées à sa perte, lui a permis d'ajouter à sa force et à son agilité, son ingéniosité, son adresse, sa ruse. Tout cela a demandé des expériences sans nombre, tout cela a coûté d'innombrables vies. Mais l'homme a triomphé grâce à cet entraînement incessant. Si maintenant nous considérons l'individu en lui-même, nous voyons que, depuis le jour où il a été conçu jusqu'à celui de sa mort, c'est encore par la pratique incessante de la lutte contre le milieu hostile qu'il est parvenu à vivre. Il lui faut sa place au soleil, coûte que coûte. Si on la lui dispute, il se rebelle ; et s'il est le moins fort, il succombe. La vie est le triomphe du muscle allié au cerveau.

Le fœtus se développe au détriment de sa mère; l'enfant fait la connaissance de tout ce qui l'entoure pour mieux éviter les embûches, pour mieux s'imposer plus tard. Et plus cette connaissance sera poussée, plus l'espèce de carapace qui l'emprisonne sera disloquée, plus il acquerra de maîtrise et de confiance en soi. Il en est de même pour tout être vivant. Nous pouvons dire que le sport date des origines de la vie. Mais au fur et à mesure que l'homme s'est élevé, il a cultivé son intelligence au détriment de ses muscles. Cette intelligence lui a permis, en effet, de ménager ses efforts et d'atteindre des buts bien plus étendus. La massue fut supérieure aux poings de l'anthropoïde. La hache, l'arc, l'arbalète, le fusil, le revolver, la mitrailleuse, marquent dans l'art de la défense et de la destruction les étapes de ce progrès. Aujourd'hui, l'intellectuel tendrait à n'être plus qu'un cerveau. D'où cette anomalie : une tête bien faite sur un corps débile. En réaction : revenons au culte du muscle ; allons aux exercices physiques ; allons aux sports ! La vérité est dans la conciliation des extrêmes : « Le corps d'un athlète et l'âme d'un sage, disait Voltaire, voilà ce qu'il faut pour être heureux ». Et il pensait sans doute à Eschyle, à Sophocle, vainqueurs aux jeux olympiques, ou à Platon, « l'homme aux larges épaules ». Un corps d'athlète ne s'acquiert que par un méthodique entraînement. Le corps humain est une machine dans laquelle les combustions organiques doivent être actives pour ne laisser aucun déchet ; mais il faut, pour assurer son bon fonctionnement, que tous ses organes soient harmonieusement développés. D'où la nécessité de pratiquer des exercices rationnels et progressifs. Ces exercices sont utiles à l'enfant qui se développe chaque jour ; ils sont utiles à l'adolescent et à l'homme mûr pour entretenir la souplesse des organes ; ils sont indispensables dans certains cas (arthritisme, obésité) pour redonner au corps sa capacité de résistance et de rendement. Les méfaits de la sédentarité - cette plaie de la « civilisation » - sont connus. Voici, à ce sujet, l'opinion du Docteur G. Durville :

« … en collaboration avec l'alimentation mal comprise, elle crée deux types opposés de malades : les gras et les maigres. Les gras sont des déchus à la première période: leur organisme résiste à la sédentarité en entassant de la graisse dans les tissus, en congestionnant le foie et les viscères, en hypertendant la circulation sanguine; de temps en temps, quand l'organisme est par trop plein, une soupape s'ouvre, qui déverse le trop plein: c'est la crise d’eczéma, de furoncles, d'entérite, de saignements hémorroïdaire, utérin, nasal, etc., la crise de gravelle, de rhume, de toux, etc. Par cette crise de nettoyage toujours considérée comme une mauvaise chose, alors qu'elle est un sauveur, le gras retrouve, pour un temps, des conditions plus normales de vie ; il a puisé en lui l'énergie de réagir. Comme il va récidiver à la même existence, une nouvelle crise reviendra un jour, mais sans doute sera­ t-elle moins efficace, car l'organisme prend de l'âge et s'use ; il arrivera même, peut-être, que l'organisme laisse ouvrir la soupape là où il ne faut pas. Au lieu des veines hémorroïdaires, si une artère cérébrale s'ouvre, parce que devenue durcie, cassante, artério-sclérieuse, ce sera l'apoplexie, mortelle peut-être. Les maigres sont des types plus déchus de sédentarisés. Ce sont souvent des fils de sédentaires et de dyspeptiques. Leur organisme débilité n'a plus la force de faire de la graisse. Même s'ils mangent « bien », c'est-à-dire « trop », « rien ne leur profite plus », car leur nutrition est trop tarée. S'il leur arrive de prendre, par hasard, du poids, leur embonpoint est fugace ; en quelques semaines, ils l'ont reperdu; ils sont redevenus ces êtres jaunes, faibles, à ventre flasque et vide, gastritiques et entériteux, sans muscle et sans ressort. La sédentarité a fait cela. La sédentarité détruit la forme de l'être. Or, quand l'être perd sa forme, il devient non seulement laid, mais malade. » Et, plus loin : «  D'où provient cette déchéance ? Il se passe que le muscle s'en va, et avec lui la forme du corps. Il n'est pas douteux qu'aux yeux de bien des gens, le muscle a une mauvaise réputation. Combien d'intellectuels, aujourd'hui encore, regardent le muscle comme un instrument pour imbéciles et pour brutes ! Pourtant, pendant plus de mille ans, la Grèce sut imposer au monde sa suprématie, grâce à sa splendide conception de l'éducation musculaire. L'idéal de beauté, c'était alors le discobole ou le gladiateur, admirables de vigueur et d'optimisme. Il est navrant qu'à la saine conception de la beauté grecque ait succédé celle qui donnait en modèle un Christ amaigri, crucifié et renonçant. Si le christianisme avait pris au paganisme son amour de la beauté naturelle, le eût été une époque de lumière. Il y a parallélisme entre la vigueur d'un muscle et la beauté de sa ligne, car la nature est essentiellement logique. Beauté et santé sont les deux faces d'une même médaille ou, plus exactement, la beauté est l'extérieur de celle-ci et la santé l'intérieur. Et la splendide cage thoracique des statues de l'ancienne Grèce signifie maximum de force et de résistance des poumons et du cœur. Socrate et Platon ne furent pas seulement des génies de la pensée, ils furent aussi des athlètes s'exerçant nus sous le soleil. En sédentarisant son corps, on abaisse ses résistances. Les atrophiés du muscle donnent naissance à des enfants débiles, insuffisants des glandes, arthritités à l'avance et délicats. Les sédentaires trahissent leur descendance... Il faut savoir qu'à presque toutes les maladies de la nutrition, à presque toutes les asthénies, à toutes les affections chroniques, correspond un appareil musculaire insuffisant ou inactif. Toute déchéance de la forme normale, c'est-à-dire athlétique, du corps humain, va de pair avec une vitalité diminuée. » (La Cure Naturiste.)

Comment réagir ? Par les exercices physiques. Ils s'effectueront autant que possible en plein air, sous les rayons régénérateurs du soleil, le corps nu (voir : Nudisme) et se composeront de mouvements simples, capables de développer l'harmonie des formes. L'équilibre des fonctions ne s'obtiendra qu'à la condition de ne pas surmener certains groupes d'organes au détriment d'autres groupes, et en restant toujours dans la limite de résistance physiologique de l'individu. Suivra­t-on la méthode analytique ? (méthode suédoise de Ling), ou synthétique ? (méthode « naturelle » d'Hébert). Celle-ci connaît la plus grande vogue. Elle repose sur la pratique des exercices naturels: marche, course, saut, grimper (appuis, suspensions, équilibres et escalades), lancer (avec le jonglage), lever, défense (lutte et boxe), natation. Elle comprend aussi les bains de soleil et d'air pur, ainsi que des séances de repos. Toutes choses d'ailleurs que pratiquaient les Grecs. Le sport ainsi compris, débarrassé des vanités de la compétition et des prouesses des recordmen augmentera la force, la souplesse et la résistance du corps et deviendra le premier élément de la santé et du bonheur. « L'âme d'un sage » s'acquerra par la pratique parallèle du sport intellectuel, par cette gymnastique de l'esprit qui développe au plus haut degré le désir de savoir, par l'éducation méthodique de la volonté qui rend l'homme vraiment maître de lui, dominant ses instincts, et capable de s'élever à cette sérénité suprême où le corps est l'instrument d'exécution des décisions mûrement pesées par la raison. C'est alors que sera atteint l'idéal antique : une âme saine dans un corps sain.

Les Romains, et davantage encore les Grecs, ont été amoureux de la beauté des formes humaines. Mais la pratique des exercices gymniques remonte à des temps très anciens. Il y a 3600 ans, le Cong-fou chinois traite d'éducation physique rationnelle avec façons profitables de bien tenir son corps et de bien respirer. Cette gymnastique curative fut connue aussi dans l'Inde et en Egypte. Les mêmes exercices furent pratiqués par les asiatiques occidentaux dans leurs rites funéraires, leurs cérémonies religieuses et dans l’agonistique guerrière. Les Grecs arrivèrent à la perfection de la beauté physique par la pratique de la gymnastique ; leur merveilleuse statuaire, qui en est le témoignage, fera toujours l'admiration des hommes. À Sparte, « l'Etat s'occupe de l'enfant dès sa naissance : mal constitué, est exposé sur le Taygète ; solide, il reste aux mains des femmes jusqu'à sept ans, âge où commence son éducation publique, militaire. Un pédonome réunit en groupes les enfants de la même année ; eux-mêmes élisent, parmi des camarades plus âgés, des moniteurs qui dirigent les exercices, assistés de « fouettards ». Exercices violents : gymnastique, lutte, jeu de balle ; à côté de cela, une culture de I'esprit très élémentaire ; on admet la musique, pour accompagner les chants guerriers. Et l'éducation des filles est à peu près semblable. » (Maxime Petit : Histoire Générale des Peuples.) Du même ouvrage : « L'Athénien était un bon soldat, intelligent, courageux, manquant parfois de discipline, très supérieur aux Spartiates dans la guerre de sièges. L'éducation du militaire se confondait avec celle du citoyen, elle avait pour bases le patriotisme et l'entraînement physique. Ce dernier trait distinguait l'Hellène du barbare, qui ne s'entraînait pas méthodiquement et s'étonnait des exercices que les Hellènes exécutaient dans un état de nudité complète, d'où le nom de gymnastique. À cette éducation, on s'accoutumait déjà, à douze ans, dans des palestres privés ; à dix-huit ans commençait l'apprentissage des armes, lors de l'entrée dans l'éphébie ». Et lorsque l'éphèbe est citoyen : « Pendant un an, il fréquente un des trois grands gymnases, l'Académie, le Lycée, le Cynosarge, y pratique le saut, la course, la lutte, l'équitation, le maniement des armes, la manœuvre en peloton » (pp. 58 et 67).

Cette faveur dont jouissaient les exercices physiques a son écho dans les œuvres littéraires. Nous cueillons, dans l'Odyssée, ce récit « sportif » des exploits d'Ulysse (Chant VIII) : « Il dit, et, sans se dépouiller de son manteau, il se précipite du siège, saisit une pierre deux fois plus grande et plus lourde que le disque lancé par les Phéaciens ; et, la tournant en l'air avec rapidité, il la jette d'un bras vigoureux ; la pierre vole et tombe au loin avec un bruit grondant et terrible. Ce peuple de hardis nautoniers, ces fameux rameurs qui brisent les flots, se croient frappés et s'inclinent jusqu'à terre ».

Et ces paroles d'Alcinoüs : « Nous ne prétendons point nous illustrer au pugilat ni à la lutte, mais nos pas atteignent en un moment le bout de la lice, et rien n'égale le vol de nos vaisseaux. Toujours brillants d'une nouvelle parure, nous coulons nos jours dans les festins, le chant et la danse ; les bains tièdes font nos délices ; le sommeil a pour nous des charmes ». Enfin, cette description d'un match de football (si l'on peut dire !) : « Ils prennent un ballon d'une pourpre éclatante, sorti des mains de l'industrieux Polybe ; tandis que, tour à tour, l'un, se pliant en arrière, jette ce ballon jusques aux sombres nuées ; l'autre, s'élevant d'un vol impétueux, le reçoit avec aisance et grâce, et le renvoie à son compagnon avant de frapper la plaine de ses pas cadencés. Quand ce ballon lancé a montré leur force et leur adresse, ils voltigent sur la terre avec des mouvements variés et une prompte symétrie. La nombreuse jeunesse, debout autour du cirque, faisait retentir l'air des battements de leurs mains, et tous éclataient en tumultueux applaudissements ».


Il y avait diverses catégories d'athlètes, mais tous devaient être de condition libre et Grecs de naissance. On distinguait les lutteurs, les coureurs, les pugilistes, les lanceurs de javelots et de disques, les pancratiastes. Suivant leur âge, on les classait en trois groupes : enfants (12 à 16 ans), adolescents (16 à 20 ans) et adultes. Les athlètes rivalisaient dans les grandes fêtes sportives ou grands jeux, dont la plus renommée était les Jeux Olympiques, célébrés à Olympie, en l'honneur de Zeus. Le premier jour était consacré aux cérémonies religieuses, puis on assistait aux fêtes du stade qui comprenaient les épreuves de courses à pied, de lutte et de pugilat. Les lutteurs combattaient le corps nu, enduit de sable et d'huile. Dans la course, on distinguait la. course simple (stade), le double stade (diaule), la course longue (dolique), la course en armes et la course aux flambeaux (larnpadédromies). Dans le pugilat, les adversaires se portaient de terribles coups avec leurs poings garnis de plomb. Le pancrace qui combinait la lutte et la boxe était plus sauvage encore puisque tous les moyens étaient permis pour terrasser l'adversaire. Les fêtes se continuaient à l'hippodrome par des courses de chevaux et de chars, parfois par des chasses, des combats d'animaux féroces, des naumachies ; elles se terminaient au stade par le pentathle (saut, lancement du disque, du javelot, course et lutte) et par la course en armes (bouclier et casque). La course était un exercice très en honneur ; on organisa partout des courses de jeunes gens, mais il y eut aussi des courses de jeunes filles à Cyrène et à Sparte. Des coureurs, en se relayant, remplirent l'office de courriers, et l'on connaît l'exploit de celui qui expira après avoir annoncé à Athènes la victoire de Marathon. Aux Jeux Olympiques, le vainqueur recevait simplement une couronne d'olivier sauvage et c'était un honneur très grand pour lui d'avoir triomphé. Mais à la fin du Vème siècle, les jeux se commercialisèrent : le métier nourrit son homme. On vit Pindare chanter les exploits du stade. Le vainqueur obtint de nombreux privilèges dont les plus substantiels furent les exemptions d'impôts et la nourriture au prytanée. Il reçut en récompense des sommes d'argent, des couronnes, des objets précieux et des statues (Discobole, Diadumène, Apoxyomène, etc.) À Rome, les athlètes apparurent un siècle avant notre ère. Plus tard, les jeux dégénérèrent en luttes de factions, le peuple prenant parti pour l'une ou pour l'autre de ces factions reconnaissables suivant la couleur des casaques des cochers, Mais ce n’était plus de la gymnastique, ni de l'éducation physique, c'était presque le... sport dans ce qu'il a de plus mauvais. On vit ainsi, à Byzance, tout le peuple divisé en bleus et en verts. Chaque corporation avait ses chefs élus (démarques) avec ses milices. Leur rivalité déborda l'enceinte du cirque, envahit la ville et s'étendit à tout l'empire. La vie publique fut profondément troublée par ces luttes aux VIème et VIIème siècles.

Avec le christianisme, le corps humain devint l'enveloppe méprisable. Il disparut sous les draperies. « ... On vit alors se déchaîner cette rage bien connue des fanatiques contre la chair, considérée comme le principal obstacle à toute impulsion intellectuelle et morale. La terre devint une vallée de larmes ; la nature fut l'objet de la malédiction divine, le corps parut méprisable, et l'on s'ingénia à l'outrager et le martyriser. L'apôtre Paul, le vrai fondateur de la. nouvelle religion avait dit : « Ceux que le Christ a conquis, ont crucifié leur chair avec leurs passions et leurs désirs. »


« Au Moyen Âge, durant cette époque grossière d'arbitraire féodal et de fanatisme théocratique, de soi-disant serviteurs de Dieu avaient poussé les choses à ce point qu'on en vint à mépriser la matière et que des hommes clouèrent au pilori leur propre corps, ce noble ouvrage de la nature. Les uns se crucifiaient, d'autres se torturaient ; des troupes de flagellants parcouraient le pays en tous sens, exposant aux regards leurs corps qu'ils avaient eux-mêmes lacérés ; on cherchait à détruire la force et la santé par les moyens les plus raffinés, afin de laisser à l'esprit, indépendant de la matière et sur­ naturel, la prépondérance sur son misérable substratum. » (Louis Büchner, Force et Matière, Ch. V.)

Le Moyen Âge fut une époque de crasse intellectuelle et physique. Nous sortons à peine de cette époque à ce sujet. Si quelque actrice, pour exciter le bourgeois, peut s'exhiber aujourd’hui toute nue sur la scène, les nudistes intégraux sont obligés de rechercher des endroits isolés pour livrer leur corps à la caresse bienfaisante de l'air et du soleil. Il n'y a pas encore si longtemps, dans les peintures et les sculptures, la feuille de vigne émasculait l'individu. La race des cuistres qui insultaient ainsi à la beauté humaine n'est point disparue; l'attentat à la pudeur est toujours inscrit dans l'arsenal de nos lois. Cependant, la réprobation qui frappait le corps d'anathème s'est estompée au fur et à mesure que s'écroulaient les dogmes. Mais aussi une réaction suscitée par le capitalisme dans un but de défense (abrutissement des esprits et préparation à la guerre) a poussé les foules à pratiquer ou à admirer le sport tel que nous le connaissons aujourd'hui. Actuellement, nous pouvons classer les individus en trois catégories :

Les pratiquants du sport rationnel ;

Les professionnels du sport ;

Les foules passionnées pour les exploits athlétiques accomplis par les professionnels.

Les pratiquants du sport rationnel, relativement peu nombreux, sont gens de saine raison qui, d'une façon souvent discrète, s'exercent à vivre harmonieusement. Amoureux d'hygiène, d'air pur, de soleil ; amis des divertissements profitables à leur santé, ils cherchent avant tout à atteindre ce sommet où ils peuvent se considérer comme des « êtres complets » et ils tâchent de s'y maintenir. Ce sont, souvent, des contempteurs de notre infecte

« civilisation » qui a créé ces monstruosités : les villes modernes avec leurs bagnes d'usines et de bureaux, avec leurs taudis, foyers de misère et de tuberculose. Aux moments de loisirs, ils fuient la ville qui tue, pour la campagne, pour la mer, pour la montagne, qui vivifient. Et là, sans désir d’exhibition malsaine, tout naturellement comme font les bêtes dites sauvages livrées à elles-mêmes dans la nature, ils s'ébattent pour le plus grand plaisir de leurs sens, pour le plus grand profit de leurs muscles. C'est comme s'ils remontaient le cours des siècles ... Et, se débarrassant de toutes les entraves imposées par le milieu « civilisé » (faux-col, chaussures, chemise même) ils redeviennent I'animal primitif qui court, saute, grimpe, joue, nage librement comme aux époques où la « morale » n'existait pas ! Le mouvement nudiste est une des plus belles résurrections des époques antiques où les hommes étaient fiers de la beauté de leurs formes. Mais dans le canotage, dans la pêche, dans la chasse, et aussi dans les sports d'application comme le hockey, le tennis, le basket-ball, quelle belle gymnastique des muscles pour la coordination des mouvements, quel développement des réflexes mentaux qui accoutument à prendre de rapides décisions, quel profit pour le corps et pour l'esprit ! Ici, le sport est ce qu'il y a de plus pur, de plus socialement désintéressé, de plus profitable individuellement. Le sport est la vie intense et belle.

Avec les professionnels du sport, nous passons dans le mercantilisme du siècle. Avec les passionnés - physiquement inertes - qui se repaissent des gestes de ces professionnels, nous touchons à la question sociale. Mais ici, il faut prendre la chose de plus loin. L'homme garde en lui-même un vieux fonds d'ancestrale brutalité. Lorsqu'il n'a pas été longuement habitué à réfléchir, à raisonner, à faire la critique scientifique des faits dont il est témoin, il s'abandonne à ses impulsions premières, et l'on aperçoit très vite alors, sous le léger vernis des convenances, l'être primitif avide de sensations violentes, de spectacles où la force domine, et même où le sang coule. Le panem et circenses n'est pas seulement la formule de mépris de Juvénal pour les Romains de la décadence, il exprime le besoin profond des hommes encore voisins de l'animalité. Il faut des tempéraments artistes pour goûter pleinement les plaisirs de l'esprit. Aujourd'hui, comme autrefois, Aristophane, Molière, Hugo, ont moins d'admirateurs que tel boxeur réputé; et le nom du savant qui aura fait de merveilleuses découvertes restera ignoré des foules tandis que la biographie d'un quelconque saltimbanque des sports sera connue des bambins de l'école ! Or, tout individu ou tout groupe d'Individus qui dispose de l'autorité demande des foules dociles. Ces foules le seront d'autant plus qu'on leur masquera les causes de leur misère. La religion a été longtemps le dérivatif nécessaire : on pensait selon une certaine morale éminemment profitable aux puissants. La religion s'écroulant comme s'écroulent toutes choses qui ont trop duré, on a trouvé de nouveaux opiums pour endormir les foules ; ces poisons ont nom : politique, alcool, presse, cinéma, sports ... Par l'instruction distribuée au compte­ gouttes, par I'éducation dirigée dans un sens contraire aux intérêts du prolétariat, le capitalisme a réussi à créer des « citoyens » sachant tout juste lire les décrets et les lois et aptes à s'agenouiller devant les idoles du jour. Par la presse, il a complété l'abrutissement commencé dès l'enfance la plus tendre. Le service militaire vient à point pour couronner le chef-d'œuvre. L'individu est mûr alors pour l'exploitation intensive en temps de paix et pour enrichir les marchands de canon l'heure venue. Encore faut-il qu'il soit de constitution assez robuste pour tenir sa place à I'usine et à l'ost. De là, la nécessité de créer et d'entretenir une mentalité sportive. De là, le sport plus ou moins officiel et subventionné. Déjà, les Anciens, nous 1'avons vu, (Assyriens, Grecs), par les exercices physiques se préparaient à la guerre. Lorsque le corps était un objet de mépris, Rabelais, Montaigne et Rousseau préconisaient l'éducation physique ; la gent militaire sentait confusément tout ce qu'elle pouvait tirer de ces indications. Cela commença en Prusse, après Iéna : le pays avait besoin de vigoureux soldats. Le professeur Iahn conçut une méthode très complète d’entraînement physique. À Stockholm, Ling créa, en 1815, une méthode nouvelle. Des gymnases furent construits au Danemark, en Suisse, en Belgique. En France, un institut de gymnastique, sous l'impulsion du colonel Amoros, fut installé dans la plaine de Grenelle ; il devait devenir plus tard l'Ecole Normale Militaire (Joinville). « C'est au ministre V. Duruy que revient le mérite d'avoir, en 1868, introduit ce genre d'enseignement dans les lycées et les collèges. Enfin, après la guerre de 1870, se produisit, dans une pensée patriotique, une renaissance véritable de l'éducation physique », (Larousse). Aujourd’hui, ça commence avec les multiples sociétés de scoutisme qui se disputent l'enfance. Une des plus laïques de ces associations écrit dans sa « loi scoute » : « .... L'Eclaireur sait obéir ... L'Eclaireur est travailleur, économe et respectueux du bien d'autrui... » Et, au chapitre discipline : « La discipline, chez les Eclaireurs, est une discipline librement consentie, non une discipline imposée. Elle repose sur l'adhésion complète à la loi, dont ils sont habitués eux-mêmes à être les gardiens ». Il sera si facile, par la suite, lorsque le scout sera devenu un homme, de lui. faire croire à des « disciplines librement consenties », et de le rendre obéissant aux lois, même à celles qui lui demanderont sa vie pour que « la Patrie ne meure pas » ( !). Quoi qu'il en soit, l'enfant, tout de suite, devient un matricule sous un uniforme ; il est respectueux de ses « chefs », prêt à se plier aux ordres reçus sans discussion ni murmure. « La discipline faisant la force principale des armées », dit le refrain. On aperçoit aussitôt le but poursuivi par ces sociétés. Comme on comprend qu'une « Médaille d'Honneur de l'Education Physique » vienne récompenser les bons valets qui ont rendu des services au sport, à la préparation militaire et à l'éducation physique ! (Décret du 4 mai 1929). D'ailleurs, les personnalités officielles ne cachent pas leur jeu : « Le maréchal Pétain, lisons-nous dans la revue l'Animateur des Temps Nouveaux, assistant un jour à une réunion sportive, paraissait médiocrement intéressé : – Que pensez-vous des joueurs, M. le Maréchal ? lui demanda un officiel. – J'aimerais mieux, répondit le Maréchal, voir ces vingt-deux joueurs sur les gradins et ces milliers de spectateurs dans l'arène ». Evidemment, l'ogre sentait la chair fraîche ; il la voulait à point pour la prochaine « heure H ». Voici, du Soldat de Demain, un écho non moins officiel :

« M. Adolphe Chéron, président de l'Union des Sociétés d'éducation physique, interviewé par M. Ménard, rédacteur au journal l'Auto sur ce que pourraient être les progrès du sport au cours de l'année 1933, a fait les déclarations suivantes :

« Au début de la nouvelle année, je continue à demander des terrains de jeux et des pelouses pour les écoles et les clubs. Où sont ceux dont l'aménagement avait été prévu sur la zone dès le lendemain de la guerre et dont le regretté Frantz-Reichel et moi-même rappelions la nécessité devant la Commission départementale de la Seine ? Oui, des terrains de jeux nombreux à la portée de la jeunesse, dans la banlieue immédiate des villes comme dans les campagnes et aussi des locaux dignes de l'activité des Fédérations. Sur le plan de la formation des maîtres : d'une part, la reconstruction de I'Ecole Supérieure d’éducation physique de Joinville et, d'autre part, l'ouverture de l'Ecole Normale d'application des professeurs de l'Université, constituant chacune sur son terrain, les deux éléments essentiels et inséparables de l'Institut national, seul capable d'assurer à la méthode française des progrès renouvelés et fondés à la fois sur la science de la vie, sur l'expérience, sur le contrôle des résultats. »

Citons aussi cette riposte (qui en dit long) de l'Union des Sociétés d'éducation physique et de préparation au service militaire, présidée par M. Chéron (un périodique sportif accusait une Fédération d’avoir « touché un million pour construire un siège social » :

« L'Union, pour les besoins de ses sociétés, a participé, dès le lendemain de la guerre, à la campagne des stades. On peut même dire qu'elle fut des premières, sinon même la première, à ouvrir cette campagne par ses créations du Parc Saint-Maur. À ce premier stade, d'autres, par la suite, s'ajoutèrent: à Saint-Maur, un deuxième stade et une école de natation ; au Perreux, un stade complet : à Romainville, un terrain d'entraînement avec école de mécaniciens d'aviation. Soit 5 établissements d'éducation physique et sportive, toujours en service, pour l'aménagement et l'entretien desquels on est bien loin des millions que la Fédération mise en cause aurait touchés. Et les stades du Parc Saint­Maur, complets dans leur installation jusqu'à comprendre un stand pour le tir, chose rare dans les organisations similaires, mais que l'Union considère comme indispensable, connaissent, de la part des Sociétés, une faveur qu'il est facile de contrôler. Le rédacteur du périodique sportif avait d'ailleurs, à la direction de son propre journal, le moyen de recueillir des témoignages probants. Des exemples malheureux de stades créés à coups de millions, et dont la vie ne fut qu'éphémère, sont connus. Les conditions mises par le sous-secrétaire d'Etat de l'Education physique à l’attribution des subventions éviteront à l'avenir, nous en avons l'espoir, le retour des erreurs commises par d'autres et assureront aux Sociétés de préparation au service militaire et à leur Union l’aide dont elles ont besoin pour rendre des services dont la portée dépasse le cadre par trop étroit des matches à recettes de l'amateurisme marron, qui, au lieu de préparer des citoyens pour le pays, fournit trop souvent au corps social des déclassés, au corps médical des malades, aux corps de troupes des ajournés, voire des réformés. » (Le Soldat de demain, janvier 1933).

La préparation à la guerre est donc le but nettement poursuivi par l'Etat. « L'intérêt » qu'il apporte aux sports est, en définitive, celui des magnats qui sont dans la coulisse et qui représentent la finance internationale. Aussi, se leurrent ceux qui croient voir un jour le sport au service de la paix. « Faites-nous des hommes, nous ferons des soldats », disait le général Chanzy. Exaltant au contraire le patriotisme (dans l'intérieur du pays même un patriotisme de clocher : voir certains matches de football), le sport, comme la presse, comme le cinéma, comme la langue internationale, comme la T.S.F., comme tout projet détourné du but de libération des hommes vers lequel il devrait tendre normalement, est canalisé vers des fins de division et d'extermination des peuples. Le sport sera simplement au service de l'homme lorsque le régime capitaliste aura disparu. Pour le moment, nous voyons de multiples sociétés sportives, fédérées et riches. Elles sont organisées pour exploiter commercialement et les aptitudes athlétiques des joueurs et la sottise des foules. Parfois, elles servent à flatter la vanité d'un roi de 1a coiffure ou de la chaussure. Les mécènes d’autrefois préféraient protéger les artistes ; ceux d'aujourd'hui s'attachent à des équipes de sportsmen. C'est le progrès ! ... La mentalité du professionnel est en harmonie avec celle de ses chefs et avec celle du public. À de rares exceptions près, l'athlète est - comme dit la chanson - un individu « grand, fort et bête ». Nous pourrions ajouter, souvent brutal et presque toujours vendu au plus offrant. On voit tel joueur radié à vie pour « s'être livré à des voies de fait sur la personne de l'arbitre », tel autre « pour insultes à l'arbitre et brutalités ». Combien en est-il qui luttent simplement pour des questions de gros sous ! Nous copions dans nos notes prises au hasard des lectures :

« On se demande, avec quelque naïveté, dans les milieux sportifs, pourquoi certains athlètes, et non des moindres, se sentent tout à coup attirés vers un sport qui n'est pas le leur. Je crois qu'il faut chercher la raison de ces décisions subites dans la crise qui pèse actuellement sur la France et sur le monde. Quand (mettons X … ) veut devenir boxeur, il est évident que ce sont les lauriers dorés de la boxe qui l'intéressent ; quand (Z ... ), à son tour, veut lâcher la course à pied pour le football, il est évident qu'il songe aux deux mille francs par mois des joueurs professionnels de la balle ronde... etc. ». Pourquoi maintenant cet athlète est-il attaché à cette équipe, alors que naguère on le voyait ailleurs ? Beau joueur, on l’a « eu » en lui faisant cadeau, par exemple, d'un fonds de commerce. Ne devait-il pas profiter de la chance, cette garce qui tourne si rapidement ? Et le « commerce » n'est-il pas partout ? À propos de la radiation à vie du coureur Ladoumègue, nous avons recueilli, dans la France de Bordeaux (7 mars 1932), un article de C. A. Gonnet, dans lequel nous lisons : « ... Entendons-nous bien. Je ne crois pas Ladoumègue absolument innocent ... Je suppose qu'il a dû, quelquefois, pour courir, passer à la caisse. Mais - on connaît notre sentiment - j'estime que ce garçon, sans fortune, sans famille, marié, père d'un enfant, a fichtrement raison, si ses jambes de lévrier peuvent lui rapporter quelques billets de mille, de les prendre. ... On sait trop ce que c'est que le sport. Le jour où Ladoumègue n'avancera plus (et la course à pied, à ce régime-là, ne dure pas quinze ans !), il perdra et sa place - due au sport uniquement - et la foule d'amis qui l'entoure et toutes ses illusions. Il se retrouvera, comme bien d'autres, sur le pavé, avec sa gloire passée pour tout potage ... Or, la gloire n'a jamais nourri personne. Qu'un universitaire, nanti de solides rentes, coure en pur amateur, bravo ! Mais un pauvre bougre a plus que le droit : le devoir de se débrouiller dans la vie. L'intelligence est un capital, la beauté en est un autre ; la « classe » sportive peut en être un troisième. Une réunion d'athlétisme à Paris sans Ladoumègue « fait » cinq mille francs. Avec « sa » présence, cent mille ! Et vous voudriez que de tout cet argent gagné dans la foulée de Ladoumègue, il n'eût même pas les miettes? Allons donc ! Un boxeur montant sur un ring et qui attire la foule, exige 30 % de la recette. Tout le monde trouve cela naturel. Mais d'un Ladoumègue, c'est un crime. On me dira: « Les dirigeants sont bénévoles ... ». Ce n'est pas vrai ! Ils ont pour eux les banquets, les voyages, les relations, les honneurs. L'un de ceux qui se sont acharnés le plus sur Ladoumègue criait à qui voulait l'entendre : « Les décorations, je les méprise ! » Mais il s'est tu ... du jour où on lui a donné la Légion d'honneur. Ce qui prouve d'ailleurs combien les dirigeants « bénévoles et dévoués » tiennent à leur fromage, c'est l'acharnement avec lequel ils le conservent, s'y accrochent - tout tremblants ... Edifiant exemple que nous procure, entre autres, comme une triste leçon humaine, le rugby ! Ladoumègue pouvait être radié, mais après les Jeux Olympiques. La Fédération d'Athlétisme, quand elle autorisa les tournées Nuami, Peltzer, Paddock Sholz and Co, savait bien que ses athlètes étrangers ne faisaient pas de voyages d'études ... Pourquoi a-t-elle accepté cela? Pour faire de l'argent ! Il lui était égal que des étrangers vinssent en France avec un pourcentage sur les réunions auxquelles ils participaient, parce qu'elle, Fédération, en avait un autre ... etc. »

N'est-ce pas édifiant ? Le même écrivain sportif nous renseigne, presque un an plus tard (La France du 11 janvier 1933) sur les progrès du fléau : « Gare à la commercialisation! dit-il : ... J'avoue être inquiet un peu de l'orientation actuelle du sport. Le sport, qui fut pur et naturel, est en train de se commercialiser de façon effrayante et excessive. Ce n'est pas la faute des pratiquants qui, à peu de chose près, suivent la même ligne de conduite que leurs prédécesseurs et, quoi qu'on en dise, courent et jouent surtout pour leur plaisir. Mais les dirigeants - et ceci dans toutes les branches de l'activité physique actuelle - sont dominés par des questions de trésorerie qui, peu à peu, les conduisent à l' « exploitation en règle » du capital-argent que sont leurs hommes. Que font ceux-ci ? Ils ne réagissent point, ou faiblement. Je ne sais qu'un exemple : celui d'un quinze de rugby qui s'est constitué en société anonyme (ô combien !) et réclame des comptes après chaque match. Pourquoi ? On le devine ... Mais, en dehors de cette préoccupation, somme toute morale ou normale, de dirigeants heureux de « faire des recettes », il y a autre chose. Des requins sont nés, qui « font » dans le sport, comme d'autres dans la politique, les fonds secrets, le chantage ou la coco. Ces nouveaux adeptes de la « traite des blancs » ont l'ambition avouée d'accaparer le sport pour des fins commerciales et de réaliser ce que New-York, par exemple, a déjà admis : « Tout effort est un spectacle, tout spectacle se paie ». Quand on a admis ce principe, ça vous mène loin. Vous ne faites plus du sport pour vous, mais pour le compte d'un autre. Puis, à un moment donné, vous affranchissant de cette tutelle, vous vous produisez vous-même. Paddock et Weissmüller, quand ils gagnaient le record du monde, songeaient déjà au cinéma et aux dollars. Désagrégation de l'idée originelle, avènement du Gladiateur. Gare ! ... »

C'est, évidemment, un capital, ces athlètes susceptibles de faire entrer de fructueuses recettes dans les caisses des organisateurs. (On connaît l'exemple de matches truqués pour doubler la recette dans une revanche profitable.) Mais sont-ils, du moins, des hommes « complets », de merveilleux spécimens de la race? Hélas ! Là aussi, il faut déchanter. Les méfaits du sport ainsi compris ont, depuis longtemps, été dénoncés. Voici, par exemple, ce qu'écrit Marcel Berger, dans Mondes et Voyages, du 15 juillet 1932 : « Votre sport ? Nous lui reprocherons d'abord d'être un vrai péril pour la race. Un péril physique. Que voyons-nous ? Notre belle jeunesse et, pis, notre adolescence des deux sexes, entraînées par l'amour-propre - et par le bourrage de crâne - aux chemins de la compétition : courses à pied, cyclisme, football, rugby, boxe, natation et le reste ! Le résultat, ce sont ces organismes surmenés, ces écœurés « claqués » que vient dénoncer le conseil de révision. Par l'abus du sport, chaque année des milliers de tuberculeux de plus, des milliers de futurs cardiaques. Consultez les médecins. La plupart se déclarent opposés aux excès journaliers commis sous cette dangereuse égide. En dehors d'eux, le plus grand nombre des « culturiste » « préparatistes », « naturistes », voire des hommes aussi qualifiés - et d'ailleurs en désaccord entre eux - que le professeur Latarget et le lieutenant de vaisseau Hébert, passent leur vie à dénoncer les excès nocifs du sport ».

Plus loin : « … Rien de plus triste, parfois, au point de vue esthétique, qu'un champion spécialisé ! Nous connaissons des « as » de la course dont l'apparence est celle des gnomes ! Par ailleurs, il est fréquent ­ nous dirons presque qu'il est admis - qu'un sauteur ne sache pas nager, qu'un leveur de poids ne sache pas courir, qu'un coureur soit incapable de se hisser au long d'une corde. La carence de nombreux sportifs pendant la guerre - et nous ne parlons que de carence physique - restera sujet de dérision ».

Les progrès du sport se font au détriment de ceux de l'intellectualité : « ... Tout ce temps consacré désormais par la jeunesse - et par l'âge mûr - soit à la pratique soit à la badauderie athlétiques, tout ce temps apparaît volé aux autres distractions hygiéniques et, surtout, aux spéculations et divertissements de l'esprit. Partout, les études régressent, l'intellectualité s'avilit. Le théâtre voit baisser ses recettes au profit de celles des vélodromes. À chaque club sportif qui s'ouvre correspond quelque philharmonique, quelque foyer spirituel ou artistique qui se ferme ».

Les athlètes sont, en général, comparables à ces animaux dont on force le régime pour leur faire produire, en un temps relativement court, ce qu'ils produiraient normalement à des intervalles échelonnés. Ce sont les coureurs du Tour de France, par exemple, « dopés » comme chevaux en carrière et obligés, après l'épreuve, de se reposer ... à l'hôpital. Que devient l'homme après cela ? ... Une baudruche dégonflée. Nous trouvons ceci dans nos notes : « Allez donc vous fier à la forme montrée par un athlète dans une seule manifestation. Elle dure ce que durent les roses, surtout lorsqu'elle n'est pas appuyée d'une robuste santé. Il y a huit jours, nous exprimions une crainte au sujet des efforts surhumains que venait de faire le trop courageux stayer dans le fameux match des champions du monde. Nous redoutions pour lui qu'il ait mis son organisme, à peine rétabli d'une longue dépression, à trop rude épreuve, qu'il ait exagéré la défense d'un capital musculaire et nerveux à peine reconstitué et insuffisamment consolidé. Cette crainte n'était pas vaine. Comme un prodigue qui ne sait pas compter, P ... puisa à pleines mains dans ses réserves, le 5 mars. Malheureusement pour lui, il eut à faire face à une nouvelle échéance, au moins aussi lourde que la première, le 12 de ce mois. En huit jours, P ... n'eut pas le temps de rattraper ses pertes et il ne put, dimanche dernier, faire face à toutes ses obligations. À peine remis d'un long état de déficience, P ... est reparti à fond trop tôt. Il peut redouter, maintenant, les conséquences de son imprudence pour la bonne tenue de sa saison d'été, à moins que le grand air et le bon soleil ne le retapent miraculeusement à leurs premiers contacts ... ».

Passons aux foules, gobeuses de spectacles sportifs. Dans « l'atmosphère des rencontres internationales, le chauvinisme le plus étroit, le plus obtus s'y donne carrière. Sur le terrain, les équipiers - surtout ceux des quinze de rugby - n'ont qu'un but : gagner à tout prix. A tout prix, cela veut dire au prix, souvent, des pires brutalités, des pires déloyautés. Que l'arbitre, excédé, sévisse, et ce sont les 30 000 spectateurs d’un France-Ecosse qui sifflent, l'invectivent, menacent de lui faire un mauvais parti. À Colombes, des grilles acérées les en empêchent. Mais on a vu à Béziers ou à Lézignan, des arbitres roués de coups, menacés de malemort ». (Marcel Berger)

On a vu la France entière vibrer d'une façon inepte lorsque son champion de boxe partit en Amérique pour se faire battre. On assiste souvent à des échanges d'injures et de coups dans certains matches où le public prend parti pour l'une ou l'autre équipe. Et lorsque de graves questions internationales sont susceptibles de précipiter ces troupeaux vers les charniers de la guerre, on voit les foules se ruer vers les haut-parleurs des halls de journaux pour apprendre les derniers résultats sportifs. Vous croyez que l'angoissant problème passionne le public que vous voyez affairé et soucieux ; prêtez l'oreille à la rumeur qui monte : hosanna ! l'équipe de France a vaincu par x points à zéro ! Pauvres êtres qui maudissez parfois le sort qui vous accable, comme vous faites le jeu de vos maîtres en dirigeant votre pensée vers ces futilités ! On ne se doute guère combien est basse la mentalité de certaines foules, tant elles sont avides d'actes de violence et de bestialité ! Les « Annales Anti-alcooliques » (déc. 1932) ont publié la description d'un match de boxe, dont nous reproduisons le passage suivant :

« … Ils étaient là 30 000 dans un immense vaisseau, 30 000 hommes et femmes et même enfants en bas âge, haletants, fascinés par les évolutions, les pirouettes, les coups d'adresse des malheureux athlètes, voués par la nature ou par l'intérêt à des combats hideux, où le peuple, redevenu animal féroce, trouve de sadiques plaisirs. Ils étaient là, étrangement mélangés, bourgeoises très décolletées (car ces réunions sont snobs), demi ou quart de mondaines, panachées de types à physionomie de souteneurs en casquette. Ces spectacles con­ fondent les classes de façon touchante ! Quelle fraternisation ! Mais ce qui est indescriptible et inconcevable même, c'est la physionomie de tout ce peuple, ses manifestations délirantes, cependant que les coups pleuvaient, meurtrissant les chairs, faisant couler le sang, sauter quelques dents, pochant les yeux. La participation du spectateur au combat se lisait sur toutes ces faces dont les émotions débordaient ; les yeux s'écarquillaient, des vociférations sauvages sortaient des bouches convulsées: « Tue-le ! tue-le ; tape plus fort, vas-y Thill ! » On sentait vibrer le super-patriotisme de la brute ayant un vague souvenir des ruées humaines où le sang coule au nom de la Patrie. C'était grandiose de hideur, et l'on se serait cru en pleine corrida, où l'humain ne songe plus à cacher ses instincts sanguinaires. Des femmes pleuraient, surtout derrière moi la femme fluette de l'adversaire de Thill qui encaissait les plus savantes bourrades et qui finit par tomber épuisé. Pourquoi cette petite femme était-elle là ? Sans doute pour cueillir les lauriers sanguinolents de son brutal époux ? Il Y a des femmes que de pareils triomphes mettent en liesse. Elles sont fort nombreuses, et il était visible que l'exaltation passionnée des femmes dépassait de beaucoup celle des hommes ».

Et le docteur Legrain ajoute avec raison :

« Quand on voit cela, on conçoit les boucheries de la guillotine, on s'explique la férocité de ce peuple qui demande la tête de Gorgulof, un fou ! Il lui faut du sang, à cet ours des cavernes, qui n'a du civilisé que le faux-col et la pipe ».

Le sport ? A ce mot, combien de camarades se détournent avec une sorte de répulsion! C'est comme lorsqu'on leur parle du bistrot ou du cinéma... Ils sentent l'exploitation savante, l'abrutissement intellectuel, l’appât empoisonné. Et ils se détournent du piège. Ils s'en détournent pour aller vers leurs livres, vers leurs chères études, vers les hautes joies de l'esprit. Aux moments du délassement, ils prennent leur ligne et vont vers la rivière proche pêcher l'ablette... ou rêver. Et lorsque le cœur leur en dit, ils se dévêtent, plongent dans l'eau riante et fraîche, pour ensuite offrir leur corps aux baisers du soleil... Le sport ? certes, ils détestent celui qui s'apparente aux « véhicules du crime », selon la vigoureuse expression de Mac-Say ; mais ils aiment celui qui est un bienfait pour leur corps. Pourtant, l'autre a tant fait de ravages, qu'il leur semble que ce serait avilir celui-ci que de le dénommer sport. 

- Ch. BOUSSINOT.