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STOÏCISME n. m. Du grec stoa, portique, parce que Zénon de Cittium, fondateur de la philosophie stoïcienne, enseignait sous un portique

Ce substantif correspond à deux adjectifs : stoïcien et stoïque. Le stoïcien est celui qui appartient à l'école de Zénon ; le stoïque est celui qui a la fermeté recommandée par Zénon. On pourrait dire d'Epictète, plus fervent de la pratique que des dogmes, qu'il était encore plus stoïque que stoïcien.

Si j'osais mêler les vocabulaires, je constaterais qu'il y a une façon pharisaïque (et d'ailleurs vulgaire) de comprendre le stoïcisme. C'est celle que blâme La Fontaine (Le philosophe scythe) quand il nous montre « un indiscret stoïcien » qui

... Retranche de l'âme

Désirs et passions, le bon et le mauvais,

Jusqu'aux plus innocents souhaits.

Le fabuliste ajoute que « de telles gens »

... Ôtent à nos cœurs le principal ressort

Ils font cesser de vivre avant que l'on soit mort.

Ce que condamne La Fontaine est une caricature, non le véritable stoïcisme. Il est vrai que beaucoup de professionnels de la philosophie s'y sont trompés, depuis Plutarque, ce pauvre prêtre, jusqu'à Paul Janet, membre de l'Institut, qui donna au Dictionnaire des Sciences philosophiques de Franck un article « Stoïcisme» d'une injustice et d'une ignorance émerveillables. Nul stoïcien n'a jamais élagué avec une telle indiscrétion. Ils ont seulement établi entre nos puissances une hiérarchie trop sévère et donné trop absolument l'empire à la raison. S'ils semblent condamner sans réserve les « passions », c'est question de vocabulaire : ils blâment sous ce nom les agitations folles et excessives, mais ils consentent aux « affections », mouvements beaux et eurythmés. Ils distinguent quatre « passions » dont la laideur s'efforce vers les faux biens ou se désole de ne les point posséder ; ils appellent ces quatre passions : tristesse, plaisir, désir, crainte. Le sage, par une méthode que j'indiquerai plus loin, s'affranchit de toute tristesse. Au lieu du plaisir et de ses petites secousses inquiètes, il se donne la joie continue : ascension dans la clarté ou, suivant la définition de Spinoza, émouvant voyage et « passage d'une perfection moindre à une perfection plus grande ». Au lieu de la crainte et de ses affolements, il connaît la souriante prudence qui veille toujours sur le trésor intérieur. Enfin, comme son effort n'exige jamais l'impossible ou l'aléatoire, comme ce qu'il réalise c'est toujours, dans I'indifférente victoire ou l'indifférente défaite extérieure, la beauté même de son effort et son propre perfectionnement par cette beauté, le sage ne dit pas qu'il désire, mais qu'il veut.

Bien loin que le stoïcien détruise aucune de ses puissances internes, ce qui domine en lui, c'est le sentiment de l'unité de son être et de son accord avec lui-même. Les mauvais instincts, pour employer un vocabulaire plus nouveau et plus clair que le sien, il ne les supprime pas en lui, il les rend indifférents par la platonisation, ou utiles par la sublimation. Connaître l'harmonie que je suis, la réaliser de plus en plus et, à mesure que je la perfectionne, en prendre une conscience de plus en plus nette et de plus en plus large : voilà l'essence de l'éthique stoïcienne. Monter en quelque sorte sur chacune de mes connaissances pour agir plus haut, sur chacune de mes actions pour voir plus vaste.

La grande méthode morale du stoïcisme s'appuie sur la fameuse doctrine des choses indifférentes. Le stoïcien appelle indifférent tout ce qui ne dépend pas de lui. Cette définition, d'abord âprement volontaire, il en fait peu à peu une réalité subjective. Quand il a donné tout l'effort qui dépend de lui, il devient indifférent au résultat.

J'ai montré, dans La Sagesse qui rit, que le stoïcisme est essentiellement « un positivisme du vouloir ». Le savant positiviste, pour se donner tout entier à la recherche scientifique, se désintéresse de tout le domaine inconnaissable et métaphysique. Le stoïcien, pour ne perdre à des regrets et des découragements aucune parcelle de sa force et de sa volonté, se rend indifférent tout ce qui ne dépend pas de sa volonté et de sa force.

Mais, parmi les choses qu'il déclare indifférentes dès qu'il les compare au bien unique, la beauté de sa vie, il en reconnaît de préférables : il les recherche dès que cette recherche ne nuit pas au souverain bien ; il évite, quand il le peut sans laideur, les choses contraires aux préférables. Il y a plus : rechercher le préférable et éviter son contraire est un effort naturel, raisonnable, sans lequel on ne serait pas stoïcien.

Je ne parle que de ce qu'on appelle improprement la morale stoïcienne et qui est sagesse non morale. Quant à la logique et à la métaphysique de la secte, ce sont curiosités historiques qui n'intéressent plus que l'érudition. 

- HAN RYNER.