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STRATÉGIE n. f. (du grec stratos, armée ; agô, je conduis)

Sur la stratégie, considérée comme une partie de l'art militaire, nous dirons peu de chose. Elle a pour but essentiel de faciliter l'assassinat collectif de milliers d'êtres humains. Elle fut toujours une source de destructions inutiles et de monstrueuses douleurs Si les peuples étaient moins stupides, ils rangeraient les généraux fameux dans la catégorie des bandits les plus pervers. Mais, au lieu de m'arrêter à des considérations longuement développées par les meilleurs écrivains pacifistes, je préfère montrer aux adversaires de l'autorité que le pouvoir militaire n'échappe pas plus que le pouvoir patronal, administratif etc., à une décomposition qui devrait faire réfléchir les adorateurs de l'Etat. « Même dans l'armée, institution où l'esprit de barbarie subsiste à un très haut degré, le commandement se ramène, au sommet de la hiérarchie, à une affaire de calcul et d'organisation. Un chef militaire n'a plus besoin de faire preuve de courage, ni de s'exposer personnellement au danger ; et maints haut gradés se comportèrent en pleutres durant la guerre de 1914 - ­1918. Endurance, bravoure, audace, force de caractère, ces qualités impérieusement requises des anciens conducteurs de troupe, sont bonnes seulement pour le simple soldat et, quelquefois, pour les officiers subalternes. Installés loin des balles, des obus et des gaz asphyxiants, dans de confortables et luxueux châteaux, avec un nombreux personnel de cuisiniers et de valets, les grands généraux, ou plus exactement ceux qui travaillent pour leur compte, n'ont besoin que du téléphone, de cartes et des menus objets nécessaires pour écrire ou calculer. On les renseigne sur la position des armées antagonistes, sur l'importance et la qualité des éléments dont eux-mêmes disposent, sur la force de l'adversaire et sur ses intentions présumées. D'après les facteurs en présence, et nullement d'après leur fantaisie s'ils jouissent encore de leur bon sens, nos stratèges résoudront les problèmes qui se posent. La guerre se conduit comme une affaire industrielle ou commerciale ; à son stade supérieur, le pouvoir militaire ressemble de moins en moins à ce que nos pères appelaient le commandement. Organiser d'une façon adéquate et rationnelle, voilà quel est, dans l'armée comme ailleurs, le vrai travail de direction. Et si nous avons pris cet exemple, c'est qu'aux yeux des naïfs, le chef militaire demeure l'incarnation la plus typique de l'autorité entendue au sens des anciens. » (En Marge de l'Action). On voit combien profonde est l'erreur de ceux qui attribuent une mystérieuse vertu à l'Autorité, qui prêtent à la volonté des chefs une mirobolante efficacité. L'histoire de la stratégie le démontre : cela est faux, même lorsqu'il s'agit des bravaches galonnés qui plastronnent dans les cérémonies patriotiques et les défilés officiels.

Comme il existe une stratégie militaire, il existe aussi une stratégie électorale, fasciste, communiste, cléricale, maçonnique, etc. Sectes et partis s'efforcent de détenir les leviers de commande et de procurer des places enviables à leurs adhérents. Quelle que soit l'étiquette dont ils se parent, toujours il s'agit d'assurer la domination d'un groupe restreint de privilégiés sur une masse d'imbéciles. A l'occasion, et pour mieux tromper le public, l'on adopte un programme (lui, en apparence, donne satisfaction aux plus ardentes aspirations égalitaires. En réalité, le but secret des divers groupements politiques, c'est d'obtenir la meilleure part du gâteau gouvernemental, Se faire la courte échelle pour grimper toujours plus haut, telle est la loi primordiale de ceux qui s'associent pour exploiter la sottise humaine. Une réciprocité de bas services, voilà en quoi consiste la camaraderie qui règne entre les membres de maintes organisations, dont les allures magnanimes et désintéressées imposent le respect à ceux qui n'ont pu les observer de très près.

Pour nous, quels que soient les symboles sous lesquels se développe l'exploitation des pauvres et des ignorants : croix, triangle, faucille et marteau, etc., nous restons du côté des victimes. Certes, nous conseillons la prudence : mouchards et provocateurs manquent rarement dans les milieux d'avant-garde ; et nous savons les gouvernants capables de tout pour perdre ceux qui les font trembler. Pourquoi fournir à l'administration et à la police des renseignements qui leur permettront de nous mater? Or, des manifestations mal calculées, des déclarations courageuses mais dépourvues d'efficacité pratique, peuvent aboutir à ce résultat. Soyons prudents ; toutefois gardons-nous d'avilir la cause que nous voulons servir, en maniant le mensonge et la calomnie comme le font nos adversaires. Laissons à d'autres ces armes empoisonnées ; c'est sur la vérité seulement que doit s'appuyer la stratégie de ceux qui luttent pour le triomphe de la raison et de l'amour. 

- L. BARBEDETTE.