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STUPÉFIANT

adj. : qui frappe de stupeur ; nom masc. : un stupéfiant, des stupéfiants, se dit des médicaments qui produisent une sorte d'inhibition des centres nerveux, d'où résulte un état d'inertie physique et morale qui ne va pas jusqu'à la narcose, mais produit une anesthésie partielle (Larousse).

Cette définition ou n'est pas très exacte, ou est incomplète, car cette inhibition des centres nerveux, c'est-à-dire ce choc qui les met en état d'inertie, est soit précédée, soit suivie d'une période d'excitation telle qu'on a volontiers tendance à considérer comme stupéfiants des médicaments qui, en réalité, sont juste l'opposé.

Nous poserons donc de suite, en principe, qu'il n'y a que deux corps répondant exactement à l'idée moderne des stupéfiants : 1° la cocaïne ; 2° l'opium et ses dérivés.

A côté de ces deux médicaments, nous trouvons d'autres substances dont la pharmacodynamie est voisine des stupéfiants.

Nous les classifierons en :

Hypnotiques (chloral, sulfonal, bromure de potassium, et tous les dérivés de la série barbiturique : véronal, gardénal, somnifène, allonal, etc ... ) ;

Anesthésiques (éther, chloroforme, chlorure d'éthyle, protoxyde d'azote).

Deux autres corps existent qui, à tort, ont été souvent considérés comme stupéfiants, alors qu'en réalité ce sont des excitants : ce sont le hachisch et l'alcool. Un dernier venu, le Peyotl est intéressant à citer pour les phénomènes bizarres que procure son ingestion. Nous en dirons quelques mots.

Historique. - Dormir, ne plus souffrir ... car le sommeil est bien le réparateur souverain de tous les maux. L'insomnie est le pire des supplices : se tourner et se retourner sur sa couche, ressasser dans son cerveau tous les problèmes qui vous tracassent durant la veille et qui, dans le noir, prennent des proportions formidables ! Tout plutôt que cela... Et le stupéfiant vient qui va donner quelques heures d'accalmie.

Aussi, comme la douleur a été de tous les temps, le stupéfiant a une origine vieille comme le monde. L'Humanité souffrante a toujours cherché un procédé pour rendre la vie plus supportable. Les Incas, les Chinois, les Égyptiens trouvaient un bien-être physiologique dans l'emploi de certaines plantes dont ils avaient découvert les propriétés. C'est ainsi que l'opium et la coca furent utilisés chez ces peuples bien des siècles avant qu'on en entendit parler en Europe.

Homère ne parle-t-il pas, dans l'odyssée du « Nepeuthès » : Hélène, dit-il, tenait de l'Égyptienne Polydamna ce médicament propre à « calmer la douleur et à dissiper les chagrins ». Opium ou jusquiame ? Les commentateurs ne sont pas très d'accord.

Plus tard, en 932, Alexandre le Grand fonda, en même temps que la ville d'Alexandrie, la première école de pharmacie qui eut la gloire de lancer le fameux Thériaque, qui, par l'opium qu'elle contenait, parcourut tout le cycle des années, puisqu'elle figurait encore dans le « Codex » de 1883. Bref, à toutes les époques de l'histoire, nous trouvons des médicaments qu'il serait trop long de citer ici et qui, tous, ont eu pour but de supprimer la douleur. Nous sommes donc en bonne compagnie pour parler des stupéfiants, et d'abord du premier de tous, l'opium.

Opium. - Tout le monde sait comment on obtient l'opium : une incision sur le fruit du pavot avant sa complète maturité : un suc blanc, laiteux, poisseux par le caoutchouc qu'il contient, sourd, qui, abandonné à lui-même, se dessèche et donne un produit brunâtre : l'opium. L'on a dit longtemps que la vertu principale de l'opium était de faire dormir. Non : l'opium n'est pas somnifère, mais il facilite le sommeil, parce qu'il calme la douleur en permettant à l'organisme de ne plus sentir l'irritabilité de son système nerveux. Que l'on fume l'opium ou qu'on se pique à la morphine, la douleur cesse d'abord et la sensation d'euphorie s'installe.

Malheureusement, quand l'action de l'opium diminue, une irritabilité spéciale remplace l'insensibilité. Ce sont d'abord des démangeaisons insupportables. Puis, si l'on se lève, des sensations pénibles, allant jusqu'à la nausée et aux vomissements.

Alors, pour retrouver le bien-être évanoui, le fumeur, le morphinomane recourront de nouveau au poison, augmentant fatalement les doses, pour obtenir l'effet cherché. C'est le « cercle vicieux » de Gilles de la Tourrette.

Voilà la rançon de tous les stupéfiants. Car nous retrouverons ce même phénomène en étudiant tous ces produits ; c'est une véritable mithridatisation qui permettra à l'intoxiqué d'absorber des grammes de poison alors que quelques milligrammes pourront tuer un non initié.

L'opium agit par les différentes substances qui le composent, et dont la principale est la morphine. Une piqûre à la morphine, seule, est plus active et dangereuse que l'emploi de l'opium total avec tous ses alcaloïdes, comme le fait le fumeur. Ces alcaloïdes, dont les six principaux sont : morphine, narcotine, papavérine, codéine, thébaïne et narcéine, atténuent la valeur d'intoxication de l'opium brut. L'héroïne, trop connue de certains intoxiqués, est un dérivatif de la morphine.

Tous les fumeurs d'opium ont traité sur le mode dithyrambique les jouissances psychiques que procure la « bonne drogue ». Voici Claude Farrère qui chante l'hymne à la Fumée d'opium : « Oh ! se sentir de seconde en seconde moins charnel, moins humain, moins terrestre !... Admirer la multiplication mystérieuse des facultés nobles ; devenir, en quelques pipées, l'égal véritable des héros, des apôtres, des Dieux ... ». Farrère et les fumeurs ont raison : une des caractéristiques de l'opium est d'abolir tout désir sexuel en exaltant, au contraire, les « facultés nobles » : intelligence, mémoire, sens du beau. « Ainsi, dit toujours cet auteur, les nerfs féminins sont troublés amoureusement par l'opium mais l'opium apaise et maîtrise les virilités. Et regardez se jouer l'opium capricieux : aux femmes, créatures d'amour, il exaspère et multiplie l'ardeur amoureuse ; aux hommes, créatures de pensées, il supprime le sixième sens qui s'oppose grossièrement aux spéculations cérébrales. Il est certain que les choses sont bien ainsi et que l'opium a raison. » (Cl. Farrère, Fumées d'opium.)

Trois stades bien caractérisés marquent la carrière d'un opiomane. Les voici résumés d'après Jarland. (L'opium au Yunnam, 1925) :

1° Sensation d'euphorie dès les premières pipes. On ne sent plus son corps. Les idées surgissent. Exacerbation de l'intelligence, de la mémoire, des sentiments de beauté et de bonté.

2° Le fumeur est imprégné. Pour avoir « ses » sensations, il double, triple même le nombre de pipes. La paresse s'installe et l'activité motrice diminue.

3° L'Euphorie devient de plus en plus lointaine. L'organisme ne réagit plus : anorexie, constipation, dyspepsie, troubles de la circulation.

Bref, l'opiomane a perdu le rythme de la vie. Et, au point de vue psychique, c'est la déchéance qui commence. Ah ! les poètes ont chanté tout à l'heure l'hymne à l'opium avec ses joies et ses sensations qui font du fumeur un surhomme. Écoutez les maintenant : « …. C'est une pipe meurtrière ... dix poisons, tous féroces, s'embusquent dans son cylindre noir, pareil au tronc d'un cobra venimeux ... Il n'est plus qu'une sensation humaine qui me soit restée ... si, une chose, un verbe : souffrir ! ».

« Une heure sans opium, voilà l'horrible, l'indicible chose, le mal dont on ne guérit pas, parce que cette soif là, la satiété même ne l'éteint pas... et je suis le damné qui, pour se délasser de la braise ardente, trouve seulement le plomb fondu ». (Claude Farrère, loc. cit.).

Telle est la grande caractéristique de la psychologie des stupéfiants. A côté de la joie intense que procure le poison tant que dure son effet, se trouve la désespérance épouvantable pour l'intoxiqué devenu l'esclave de sa passion.

ALCALOÏDES DE L'OPIUM. - Morphine. - C'est le dérivé de l'opium le plus employé ; et c'est le meilleur aide que possède le médecin dans tout son arsenal thérapeutique pour soulager toute douleur de quelque nature qu'elle soit. Il est même dommage que la phobie de l'accoutumance empêche beaucoup de médecins de l'employer quand ils devraient le faire, car chez des incurables, c'est un acte de charité que d'adoucir leurs derniers moments avec des injections de morphine, même à haute dose.

Chez les morphinomanes avancés, l'emploi de ce stupéfiant est redoutable, car ils ne peuvent vivre la vie à peu près normale qu'avec leur dose d'entretien. Rien n'est d'ailleurs plus triste et plus répugnant que de voir l'intoxiqué au faciès hébété, sortir de sa poche ou de son sac (car hélas ! les femmes sont en plus grand nombre que les hommes), sans nul souci d'antisepsie, la seringue toujours prête, et se larder, même en public, dans un coin retiré. (c. f. un reportage de « Gringoire », janvier 1933).

Aussi faut-il voir dans quel état se trouve la peau des jambes, des cuisses, du ventre, des bras, absolument tatoués de mille coups d'aiguille, sans compter les cicatrices d'abcès qu'on s'étonne de ne pas voir apparaître à chaque piqûre.

Héroïne. - Un dérivé de la morphine, devenu très à la mode chez les toxicomanes, c'est l'héroïne.

La sensation d'euphorie est, en effet, plus grande, plus subtile, plus spécialisée dans son raffinement, qu'avec la morphine ou l'opium. Évidemment, comme avec tout stupéfiant, elle s'atténue à la longue et finit par disparaître même en augmentant les doses.

Cette euphorie s'accompagne d'un état d'hyperactivité psychique avec facilité d'association d'idées et de paroles extraordinaires. Cela dure deux heures environ.

C'est le meilleur médicament conseillé pour la toux et la dyspnée, ainsi que pour l'état dépressif de la mélancolie, mais son emploi doit être très surveillé, car la « faim » de l'héroïne est plus impérieuse que celle de la morphine et de l'opium, surtout la sensation de « paradis » disparaissant très rapidement à l'usage.

Les autres succédanés de l'opium n'ont rien d'intéressant au point de vue « stupéfiant ».

Nous allons donc étudier le grand poison à la mode, la « coco », la « neige », qui fait tant de ravages dans un monde spécial de viveurs ou de faibles qui se laissent prendre à ses appâts.

Cocaïne. - Nous savons tous que c'est l'alcaloïde, principe actif, que contiennent les feuilles de l'Érythroxyloncoca. Les Incas, de temps immémorial chiquaient ces feuilles, remède souverain contre la faim, la soif, la fatigue.

La cocaïne fut isolée en 1859 par Niemann. Elle est employée sous la forme de chlorhydrate, sel qui se présente sous la forme de paillettes blanches, brillantes, ce qui lui a acquis très rapidement chez les cocaïnomanes la dénomination de « neige ».

On l'utilisa d'abord en chirurgie, sa propriété anesthésique étant remarquable. Reclus en formula les lois. En art dentaire, et en petite chirurgie, il rendit de grands services grâce à l'absence de toute douleur qu'on obtenait pendant les opérations.

Ce n'est que depuis quelques années qu'on s'aperçut que, prise en inhalation nasale, il se produisait des phénomènes d'euphorie, d'ivresse spéciale, et d'excitation agréable.

Et comme malheureusement, là comme partout, et encore plus que partout, l'habitude naît de la première réalisation, l'intoxication progressive abolit toute volonté de réagir, et la cocaïnomanie est installée.

La cocaïne, plus que tout autre stupéfiant, a gagné un certain public, grâce à sa facilité d'absorption. La « prise » est simple et facile. Pas de solution ou d'ampoule, ni de seringue comme pour la morphine. Pas de mise en scène ni de matériel comme pour la fumerie d'opium. « Point de cachoterie gênante et humiliante : une boîte, une poudre blanche qui n'a pas d'odeur, qui ne tache pas, un geste rapide et discret, bref tous les avantages d'une habitude élégante et de bon ton ». (Dupré et Logre).

Les effets psychologiques de la cocaïne sont variables selon les individus. Ils ne sont pas les mêmes, non plus, selon que le terrain est neuf ou déjà imprégné.

L'initiation se fait, soit par curiosité, soit par l'entraînement d'un camarade, car il est à noter que les toxicomanes cherchent toujours à enrôler le plus possible d'adeptes.

Après la prise de cocaïne, le sujet ressent d'abord une anesthésie complète de la muqueuse nasale ; puis il éprouve sur la face, autour du nez et de la bouche une impression de froid et quelques phénomènes désagréables tels que nausées, défaillances, palpitations, changement de la voix, trismus et prognathisme du maxillaire inférieur. Chez ceux qui sont un peu entraînés, cette phase n'existe pas, et la cocaïne provoque d'emblée son euphorie spéciale : contentement profond, sentiment de force et d'intelligence, oubli des chagrins, qui n'apparaissent plus à la conscience rassérénée, que comme des contingences négligeables. C'est une ivresse forte et joyeuse. Dans son visage épanoui, l'œœil vif et humide, troué par une large mydriase offre un éclat singulier, mais combien de temps cela dure-t-il ?

Fugace, ce rêve s'estompe dans un lointain, laissant un désir de recommencement inextinguible. Alors arrive un sentiment pénible de lassitude et de tristesse avec anxiété et énervement. Le malade n'est plus qu'une loque incapable du moindre effort. Et pour échapper à cette dépression angoissante, pénible comme un supplice, il ne voit plus qu'un moyen : recourir à une nouvelle dose de cocaïne. Les prises succèdent aux prises jusqu'à ce que l'on sente physiquement que l'on a son plein. Ce seuil, après quelques entraînements, peut atteindre facilement deux grammes et chez les grands cocaïnomanes, dix et vingt grammes.

Alors pendant quelques instants, c'est un vrai coma, avec cœur battant la chamade par son arythmie. C'est la période vraiment stupéfiante et tellement redoutée, que beaucoup préfèrent continuer leurs doses jusqu'au jour pour que les occupations de la vie courante les arrachent à leur cauchemar.

En effet, après ce cycle de perte absolue de toute conscience, celle-ci revient peu à peu, et c'est alors l'insomnie avec tout son bagage d'excitation cérébrale. Il y en a pour, à peu près, cinq heures. Après, la vie reprend, et quand le toxique est digéré et en partie éliminé, c'est une impression d'apaisement, avec une vitalité plutôt exacerbée. La faim, même boulimique, revient, car sous l'influence de la cocaïne, il y a presque impossibilité de manger ou de boire. Nulles aussi les fonctions urinaires et génésiques.

Ce n'est que lorsque l'organisme s'est libéré du poison par des mictions copieuses, que ces deux fonctions reprennent leur activité avec même un peu d'exagération.

Nous pouvons donc dire, d'après l'étude de ces phénomènes, qu'il y a une grande différence entre l'intoxication de la cocaïne et celle de l'opium. Dans la cocaïne, la phase d'excitation, toujours consécutive à l'état primitif et essentiel de stupéfaction, est plus développée que dans celle de l'opium. L'opiomane est en général muet, le cocaïnomane parle énormément et avec jugement et facilité.

Mais, en résumé, cocaïne comme opium suppriment les malaises de la fatigue plutôt qu'ils ne donnent de la force.

L'illusion ne se prolonge pas et l'oubli momentané de la fatigue sera compensé par une dépression plus grande du système nerveux, réclamant fatalement une nouvelle dose de poison, et amenant l'accoutumance.

Hachisch. - Nous ne devrions pas, en vérité, parler du hachisch dans cette étude, car, nous l'avons dit au début, quoique considéré comme stupéfiant, ce n'est en réalité qu'un excitant, comme l'alcool et le café.

Extrait du chanvre, (cannibis indica), il est en grand honneur chez les populations arabes, au même titre que l'opium en Chine et Indo-Chine. La préparation la plus connue est le Dawamesk qui renferme en plus de l'extrait gras du chanvre, du sucre, des aromates : musc, cantharide, noix vomique, etc ...

Il était très snob de manger le hachisch au temps des romantiques, comme il le fut plus tard pour l'éther, comme il l'est aujourd'hui pour la cocaïne, et de tout temps pour l'opium.

Théophile Gautier, Baudelaire, Moreau de Tours, Charles Richet même, notre grand maître de la physiologie, nous ont laissé des observations extrêmement fouillées sur l'ivresse hachischienne.

L'euphorie du mangeur de hachisch est causée par l'illusion d'une activité débordante. On trouve une grande analogie avec l'alcool dans cette superexcitation. Les impressions qui viennent du dehors déclenchent des actes. Une musique, même banale, provoquera des exubérances de cris, de rires ou de larmes. Nous avons vu tout le contraire chez l'opiomane ou le cocaïnomane, la passivité étant leur état habituel, et le moindre bruit pendant l'état de stupéfaction, devenant une vraie souffrance.

La plus belle observation que nous ayons de l'ivresse hachischienne est celle que Théophile Gautier publia dans un journal (La Presse) et que Moreau de Tours a reproduite dans son livre « Du Hachisch et de l'aliénation mentale ». Nous y renvoyons le lecteur.

Alcool. - C'est franchement un excitant, et l'action stupéfiante n'arrive que comme réaction intense. Alors, c'est le sommeil de brute, prélude d'une attaque possible de delirium tremens.

Peyotl. - Disons un mot de cette petite plante originaire du Mexique, le peyotl, dont A. Rouhier nous a fait connaître les sensations bizarres qu'elle provoque lorsqu'on l'absorbe en infusion.

L'ivresse du peyotl est essentiellement visuelle, et consiste en un défilé d'images vivement colorées et animées d'un mouvement continu.

Le peyotl se rapprocherait donc du hachisch mais n'a rien d'un stupéfiant. (c. f. l'auto-observation de A. Rouhier dans son livre Le Peyotl, G. Douin, Paris, p. 233).

Hypnotiques. - Toute une série de nouveaux médicaments provenant en partie de l'acide barbiturique ont envahi la pharmacopée moderne. Énervés, excités par la frénésie et la trépidance de la vie actuelle, les gens des grandes villes ont le sommeil difficile, et l'usage des hypnogènes leur semble un appoint bienfaisant au repos qu'ils désirent.

Véronal, gardénal, allonal et combien d'autres font partie aujourd'hui du matériel de la table de chevet.... (avec peut-être le revolver dans le tiroir !.... ). Et quoi d'étonnant, alors, que l'on enregistre à chaque instant des suicides par le plus connu de ces produits, je veux dire le Véronal, puisque le pharmacien peut le délivrer tout comme un vulgaire tube d'aspirine, sans ordonnance ?

Anesthésiques. - Ceux-ci ne sont pas aussi facilement employés par le public. Le chloroforme, le chlorure d'éthyle, le protoxyde d'azote, restent l'apanage des chirurgiens. Quant à l'éther, je crois qu'il n'est guère plus de mode ; ceux d'il y a cinquante ans qui se vantaient de son ivresse et dégustaient avec délice (?) des fraises à l'éther (cf. le livre de Willy : L'Éther), ne sont plus guère en état de l'employer, et leurs petits-fils préfèrent de beaucoup la cocaïne ...

Dupré et Logre ont décrit l'élément d'excitation de l'éther, qui manque dans l'effet de l'opium. Mais la plus belle observation est celle de Guy de Maupassant, qui respirait l'éther lorsqu'il avait la migraine, et qui en recevait ensuite une excitation intellectuelle admirable : « C'était, dit-il, une acuité prodigieuse de raisonnement, une manière nouvelle de voir, de juger, d'apprécier les choses et la vie avec la certitude, la conscience absolue que cette manière était la vraie. Et la vieille image de l'Écriture m'est revenue soudain à la pensée : Il me semblait que j'avais goûté à l'Arbre de Science ... J'étais un être supérieur, d'une intelligence invincible, et je goûtais une jouissance prodigieuse à la constatation de ma puissance ...

Puis des bruits vinrent, sons indistincts, et je reconnus que ce n'étaient que bourdonnements d'oreille.

Je respirais toujours le flacon - soudain je m'aperçus qu'il était vide, et la douleur recommença ».

Nous voyons bien, qu'il s'agisse d'opium, de morphine, de cocaïne ou d'éther, que le rythme est toujours le même. Exaltation avec la sensation de beauté et de bonté et réaction de souffrance - avec l'impression que tout est fini. - On recommence alors ... jusqu'où ?

Conclusion. - Lorsque Tolstoï a demandé : pourquoi les hommes usent-ils de stupéfiants, il a répondu : « C'est pour étouffer leur conscience et altérer le sens de leur responsabilité ». Je ne crois pas que ceux qui s'adonnent aux stupéfiants voient aussi loin dans leurs réactions sentimentales, mais il semble que, malgré eux, ce but soit atteint.

En réalité, on crie à la déperdition de la race, à l'abrutissement des individus, à la dégénérescence de la nation parce que quelques imbéciles se livrent à la fumée d'opium ou à la prise de « coco ». C'est profondément ridicule. Qu'on les laisse donc s'abêtir, tous ces inutiles, ces snobs qui peuplent les dancings, ou les bars plus ou moins interlopes !.... Et ces fameuses fumeries d'opium des environs de l'Étoile ... et ces maisons, où tous les vices sont couverts par une respectable matrone souvent au service de la préfecture de police !.... Quelle perte voulez-vous que ce soit pour la nation de les voir se tuer ou peupler les maisons de santé ? La cure de désintoxication ? Oui, elle peut donner quelques bons résultats, mais elle coûte cher et ne nous intéresse pas.

Voit-on la classe ouvrière se livrer à ce geste stupide de se mettre une prise de cocaïne dans le nez ? Elle en rirait si on le lui proposait. Non, elle n'a que faire de tous ces poisons, et a pour elle des joies autrement saines.

Faut-il écouter les pessimistes, qui pensent que notre planète est destinée à une dégénérescence universelle : l'Extrême-Orient paralysé par l'opium, le monde musulman par le hachisch, l'Amérique par la cocaïne et la vieille Europe usée par l'abus de l'alcool ? .. (Dr Legrain.)

Non, je ne veux pas croire cela. A côté de ces fossiles, se trouvent des éléments jeunes et sains qui, loin des poisons et des stupéfiants, régénéreront la race.

Laissons aux demi-fous leurs intoxications. La société se défend contre eux le mieux possible, en créant des difficultés d'approvisionnement. La cocaïne et tous les dérivés de l'opium sont inscrits au fameux tableau B et leur délivrance par le pharmacien est de plus en plus rigoureuse. La Société des Nations s'occupe, de temps en temps, de légiférer les fournitures mondiales de ces produits. Quant aux trafiquants, la police spéciale sait leur donner la chasse et le tableau est souvent fructueux.

Mais, encore un coup, le poison n'atteint que quelques éléments peu intéressants de la société et laisse indemne la vraie fleur de la population ; et c'est le principal.

- Louis IZAMBARD.