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SUBJECTIF, SUBJECTIVISME, SUBJECTIVITÉ

Ces mots s'opposent directement à objectif, objectivisme, objectivité. Le sens des mots sujet et objet et de leurs composés a tellement varié en philosophie, que leur histoire sémantique serait longue à exposer ou peu intelligible. La seule explication du sens que donne Descartes au mot objet demanderait des pages. Un philosophe presque contemporain, Charles Renouvier, mort en 1903, employait encore objet et sujet dans un sens à peu près contraire à l'usage généralement adopté aujourd'hui.

L'acception moderne a son origine dans la terminologie de Kant. Mme de Staël dit excellemment (De l'Allemagne, III, 6) : « On appelle, dans la philosophie allemande, idées subjectives celles qui naissent de la nature de notre intelligence, et idées objectives toutes celles qui sont excitées par les sensations ». D'une façon plus générale encore et pour parler le langage substantialiste coutumier, le subjectif est tout ce qui a rapport au Moi et à la vie intérieure ; l'objectif, tout ce qui a rapport au Non-Moi.

Page 1817 de cette Encyclopédie, Ixigrec a exposé clairement le point de vue scientifique et condamné toute méthode subjective. Il a absolument raison dans le domaine de l'affirmation générale. Ce qui est subjectif doit rester individuel et ne jamais tenter de s'imposer à autrui. Je ne propose même pas ma métaphysique ou mon éthique, je les expose. Et ce n'est pas pour que d'autres rêvent mon rêve ou agissent selon ma conscience. Ceux qui ont, comme moi, le goût de cette poésie particulière qu'on appelle métaphysique ne doivent ni se laisser imposer un seul poème, je veux dire un seul système, ni prétendre que d'autres adoptent leur rêve et leur système. Si, élargissant peut-être le sens actuel du mot, j'ai intitulé Le Subjectivisme un exposé de mon éthique, c'est pour plusieurs raisons. J'indique ainsi que, méprisant toutes les morales qui se veulent universelles et qui osent ordonner, je m'efforce de styliser ma vie selon les conseils d'une « sagesse qui rit » et qui n'a pas la prétention de pouvoir servir à tous. Qu'elle m'encourage stoïquement ou qu'elle me berce épicuriennement, la sagesse que j'écoute m'enseigne toujours que le dehors, l'objectif, la matière de ma vie, a moins d'importance que la façon dont je l'accueille : il est peu de circonstances auxquelles je ne puisse donner en moi, si je suis un artiste suffisant, la forme du bonheur. Enfin le premier conseil de toute sagesse me paraît le fameux « Connais-toi toi-même » et la partie intellectuelle de la sagesse n'est qu'une critique de mes pouvoirs et de mes vouloirs.

En métaphysique, ce que j'appelle subjectivisme n'est que le refus de toute autorité pour autrui comme pour moi ou, si l'on préfère, une affirmation de libre-pensée et d'individualisme. Mais, en éthique, aurai-je l'immodestie de croire que mon subjectivisme est un approfondissement de l'individualisme ordinaire ? 

- HAN RYNER.