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SUGGESTION n. f. (du latin subqerere), placer au dessous, entasser des arguments. 

Insinuer pour faire accepter ce qu'on désire, en agissant sur l'esprit de la personne.

L'étude de la suggestion est extrêmement délicate, car on côtoie, par les phénomènes que l'on découvre, tout un terrain où la science officielle n'ose pas encore s'aventurer.

Les faits sont indéniables mais leur interprétation est difficile à analyser.

Dès la plus haute antiquité, les phénomènes de suggestion ont été employés dans des buts plus ou moins avouables, car il est évident que tous les miracles, les mystères, les expériences des fakirs, les prédictions des pythonisses ou des augures n'avaient d'autres causes que des suggestions soit personnelles, soit collectives.

Un exemple de ces dernières est le « baquet de Mesmer ». On sait que ce médecin allemand, fondateur de la théorie du magnétisme animal sous le nom de mesmérisme, avait réalisé, à Paris, des expériences de chaîne magnétique, comme nous en avons tous vu sur différentes scènes par des magnétiseurs fameux, il y a trente ans. Ceci est de l'hétérosuggestion, c'est-à-dire produite par des éléments extérieurs à la personnalité du sujet, en principe la volonté d'une autre personne.

L'autosuggestion, elle, se manifeste par un travail du subconscient, et peut agir d'une façon merveilleuse sur tout notre organisme, même en dehors de notre volonté.

On se rappelle qu'en 1923, Coué et sa méthode firent beaucoup de bruit par la simplicité même de l'application de la suggestion et les résultats probants qu'il obtenait chez beaucoup de malades. Cette méthode consistait à dire soir et matin à haute voix, machinalement, sans faire effort de volonté : « Tous les jours, à tous points de vue, je vais de mieux en mieux ». Ou, si l'on a une crise névralgique aiguë ou une secousse morale très déprimante, on dit très vite comme dans un bourdonnement : « ça passe ... ça passe ... ». Et les maladies physiques et les ennuis moraux, tout cela disparaît comme par enchantement.

Nous reviendrons tout à l'heure sur la méthode Coué et montrerons combien elle a été en progrès sur les anciennes écoles où toute la psychothérapie avait également la suggestion à sa base.

Il y avait, en ce temps-là, deux écoles rivales : l'École de la Salpêtrière et l'École de Nancy.

Rivales, elles l'étaient, et férocement, par des différenciations qui, disons-le tout de suite, ont disparu totalement aujourd'hui : car on ne voit plus dans les grandes névroses de la Salpêtrière, que des maladies mentales susceptibles de guérison par des soins normaux : suggestion, psychothérapie, électrothérapie, etc.

L'École de la Salpêtrière, illustrée par Charcot, Richet, Féré et beaucoup d'autres, voyait en tout névrosé un hystérique.

L'hystérie était une maladie aux manifestations diverses, dont le phénomène le plus frappant était l'attaque convulsive et dont la caractéristique était d'être sans lésions anatomiques. Angoissant et théâtral était le tableau de la grande attaque : au début, l'aura, c'est-à-dire cette boule qui remontait de l'épigastre au pharynx ; puis, la phase tonique, avec sa raideur de tout le corps ; la phase clonique, avec ses convulsions ; enfin la résolution, suivie souvent d'une crise de larmes. Au retour de la conscience, aucun souvenir.

A cette grande hystérie, Charcot adapta le grand hypnotisme avec ses lois immuables : léthargie, catalepsie, somnambulisme, dans leurs phases toujours semblables et parfaitement réglées. Il n'est pas un médecin de cette époque qui ne les ait reproduites expérimentalement et ne s'en soit même servi comme anesthésie naturelle pour les petites opérations.

C'est avec de semblables sujets que Charcot faisait la gloire de l'École de la Salpêtrière. A côté d'elle, comme une parente pauvre, vivait doucement, tranquillement, modestement, l'École de Nancy où Bernheim et Liebault dans cette ville même, Edgar Bérillon à Paris, Burot et Bourru à Rochefort, et beaucoup d'autres disciples un peu partout, soignaient également les psychoses de toutes sortes par une seule thérapie : la suggestion à différents degrés. Admettant avec tous les philosophes que nous avons deux états en nous, un conscient et un subconscient, le premier agissant par la volonté, le deuxième par l'automatisme, c'est par une action directe sur ce subconscient qu'ils purent obtenir toutes les modifications psychiques nécessaires aux guérisons. Mais c'est par l'hétérosuggestion qu'ils agissaient, c'est-à-dire par une volonté étrangère à celle de l'individu. Nous verrons tout à l'heure que les méthodes modernes et celle de Coué entre autres, consistent à substituer à cette volonté étrangère, non pas même la propre volonté du malade, mais la seule imagination, seul élément capable d'agir automatiquement sur son subconscient, de lui-même, sans aucun facteur étranger.

Charcot mourut. Des années encore ses disciples purent croire à la véracité des phénomènes qu'ils observaient chaque jour ; mais peu à peu, la désagrégation se fit : on s'aperçut que les hystériques étaient capables, suivant certaines modalités de leur caractère ou de leur état social, de reproduire les symptômes les plus multiples. Consciemment ou non, par suggestion ou supercherie, l'hystérique présentait toutes les manifestations morbides constatées si souvent, et d'autant plus facilement qu'il y était encouragé par des examens médicaux répétés ou mal conduits, qui leur ont enseigné en quelque sorte la symptomatologie de leur maladie.

C'est pourtant un fidèle disciple du maître qui démolit ainsi le monument si durable, paraissait-il, de la Salpêtrière : c'est son ancien chef de clinique devenu à son tour un maître incontesté par l'éclat de sa science, j'ai nommé le professeur Babinski.

Pour Babinski, l'hystérie qu'il nomme de préférence Pithiatisme (du grec : persuasion guérissable) est un état pathologique se manifestant par des troubles qu'il est possible de reproduire par suggestion, chez certains sujets, avec une exactitude parfaite, et sont susceptibles de disparaître sous l'influence de la persuasion seule.

Donc, par la persuasion seule, une personne, ayant l'autorité nécessaire pour cela, arrivera facilement à créer dans un malade un état d'esprit tel qu'il croira fermement que sa guérison dépend entièrement de lui même.

Et c'est ce qu'enseignait Coué : « Je ne vous guéris pas, disait-il en substance, c'est vous qui vous guérissez vous-même : je vous montre seulement le pouvoir que vous avez en vous pour cela, et la façon de vous en servir ». Sa méthode était expliquée dans un petit livre : « La maîtrise de soi-même par l'autosuggestion consciente », Entendez bien qu'il ne s'agit pas d'un de ces livres plus ou moins américains enseignant la façon de cultiver sa volonté pour renverser tous les obstacles de la vie. Coué, au contraire, supprime tout effort volontaire : c'est l'imagination seule qui agit, et quand il y a conflit entre la volonté et l'imagination, c'est toujours l'imagination qui l'emporte. Exemples : voulons-nous dormir ? Le sommeil ne vient pas. Voulons-nous trouver le nom d'une personne ? Le nom vous fuit. Voulons-nous nous empêcher de rire ? Le rire éclate de plus belle, etc.

Il est certain qu'aujourd'hui, des maîtres de la psychothérapie, les professeurs Bérillon, Pierre Vachet et Marcel Viard, pour citer trois des principaux, ne soignent pas autrement leurs malades. Le docteur Viard fait suivre souvent ses conférences d'exercices de suggestion collective, et il ne dit pas autre chose : « Soyez calmes, laissez vos muscles en résolution, ne pensez à rien, et vous sentirez une euphorie parfaite vous pénétrer, vos soucis s'atténueront, votre santé sera meilleure ... ».

Le professeur Louis Bénon a dit aussi : « Pour aider à guérir, l'influence morale a une valeur considérable. C'est un facteur de premier ordre qu'on aurait grand tort de négliger, puisqu'en médecine, comme dans toutes les branches de l'activité humaine, ce sont les forces morales qui mènent le monde.

» Le bon médecin suggestionnera donc ses malades, mais à leur insu. Il devra créer en eux une autosuggestion, en leur persuadant qu'avec le temps et la patience, la guérison viendra. Il leur dira la façon de prendre leurs médicaments et l'action qu'ils auront sur leur organisme : cette action sera décuplée par I'assurance qu'ils auront de leur bon effet. »

Et les médecins de villes d'eau le savent bien qui prescrivent à leurs clients des dosages et une exactitude peut-être exagérés, mais qui rentrent pour une bonne part dans la réussite du traitement.

Je ne parlerai pas des miracles de Lourdes, ni de la part énorme que prend la suggestion dans les guérisons de malades nerveux subissant un doping formidable par le cadre et la mise en scène. Car là, comme en toute chose, il n'y a que ceci : la foi qui sauve

- LOUIS IZAMBARD.