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SUPERSTITION

On connaît le mot de Voltaire: « La superstition est à la religion ce que l'astrologie est à l'astronomie ; la fille très folle d'une mère très sage. »

Si la comparaison est juste en ce qui concerne l'astrologie et l'astronomie, la première n'étant - on le sait - qu'une science purement empirique, consistant en l'art de prédire (?) l'avenir par l'inspection (?) des astres et qui n'a jamais pu passionner que des esprits prévenus et plus ou moins teintés de religiosité, alors que I'astronornie est une science positive, basée tout entière sur l'observation méticuleuse, patiente, délicate des astres, dont il s'agit de rechercher la constitution, les positions relatives, les diverses lois qui président à leurs mouvements, observation renouvelée mille fois et dont les résultats sont toujours sujets à révision, science qui, entre toutes les siences naturelles, est, aux dires du grand Laplace, celle qui présente le plus long enchaînement de découvertes ; si, nous le répétons, la comparaison est juste dans ce prernier cas, nous estimons qu'elle est foncièrement inexacte lorsqu'elle s'applique à la superstition et à la religion, ces deux vocables pouvant indifféremment servir à exprimer les sentiments, à traduire les diverses manifestations d'une même mentalité qui, dans l'un et l'autre cas, ne peut que s'accommoder des principes, base de toute foi : Credo quia absurdum, quia ineptum, ce qui se traduit par ceci : « Je crois parce que c'est absurde, parce que c'est inepte, et je crois d'autant plus que c'est absurde, d'autant plus que c'est inepte !... »

Le Dieu des religions dites révélées, ne se révèle-t-il pas, en effet, par la négation même du naturel, et le mystère n'est-il point le seul, l'unique moyen de preuve ? Toutes les « vérités » enseignées, imposées par les religions ne procèdent-elles pas de conceptions, d'opinions, d'appréciations, d'idées a priori qui toutes sont du domaine de l'incontrôlable et même de l'inobservable ? Ces « vérités éternelles et nécessaires » dont la puérile métaphysique a gâté, empâté nos esprits, que sont-elles, au fait, si ce n'est I'antithèse même des éternelles et inflexibles lois de la nature ? La foi ne découle-t-elle pas des affirmations - et non des démonstrations ­ faites par les maîtres (parents et éducateurs) et acceptées par des esprits forcément dociles, où le sentiment joue le plus grand rôle ?

« Le cœur bien souvent affirme, alors que l'esprit nie. »

La religion, on le sait, n'est vraiment facile à définir que pour l'adepte d'une religion particulière. Celui-ci ne saurait admettre comme conforme à la vérité que sa religion propre, toutes les autres croyances étant délibérément, sans examen, rangées dans la catégorie des superstitions grossières. Pour lui évidemment - mais pour lui seul - la religion c'est sa religion, type absolu, indiscutable, à l'égard duquel les autres cultes ne sont que des formations fausses, imparfaites, indignes de la moindre considération !

Qu'on ne nous oppose pas certains croyants dont les connaissances, dont le savoir, dont l'acquis scientifique seraient considérables et indéniable la rectitude de jugement. Nous répondrions que s'ils admettent le mystère, les faits invérifiés et indémontrables, ils font tout simplement bon marché de leur intelligence et de leur esprit critique ; que d'ailleurs, c'est aller à l'encontre même de l'affirmation invariable des autorités ecclésiastiques de tous les temps, que c'est nier l'enseignement archiséculaire de toutes les Eglises en prétendant pouvoir s'acheminer vers la croyance, vers la religion par la raison ! Non, la foi, c'est-à-dire cette adhésion irraisonnée du sentiment à ce qu'on croit reconnaître comme la vérité, la foi seule peut animer ces « savants religieux » !

En vain objectera-t-on qu'il y a religion et religion et que celle de certains prêtres et de quelques savants, tel Pasteur par exemple, que nos catholiques se plaisent tant à nous opposer comme le modèle associant la foi à la science, que cette religion des prêtres et savants est une religion épurée, qu'elle est une doctrine ésotérique à laquelle on ne saurait décemment assimiler les superstitions des peuples fétichistes.

Encore une fois, nous répondrons que, seule, la foi du charbonnier étant digne d'un certain respect, du fait qu'elle repousse tout compromis de quelque nature qu'il soit, il ne saurait y avoir d'autre religion que celle qui, tous les jours et depuis des siècles, est enseignée par des milliers de prêtres à des millions d'enfants ; d'autre religion que celle du peuple, qui n'est qu'un ramassis de bourdes, d'invraisemblances, d'inepties, de contresens, d'absurdités pour tout dire, de superstitions et que nul par conséquent, ne peut prétendre, au regard de l'intraitable orthodoxie, revendiquer le droit de choisir ses croyances !

Il n'existe donc pas de distinction appréciable entre ces deux formes de la croyance : la religion et la superstition et les quelques faits, parmi les milliers que nous pourrions citer, empruntés aux cultes abolis ou toujours en vigueur et que nous allons très succinctement exposer ci-dessous, corroboreront notre assertion.

Dans le langage courant d'autrefois, nous dit Elie Reclus, dans son admirable ouvrage : « Les croyances populaires », les esprits des morts étaient dénommés génies ou démons. Ces génies et démons composent toute la substance des religions. En mourant, croyaient nos lointains ancêtres, les hommes passaient génies ; les génies passaient divinités - tantôt bonnes, tantôt mauvaises - mais dans leur immense majorité, mauvaises, il faut bien l'avouer. Rappelez-vous l'empereur romain qui, sentant venir la mort, dit aux amis qui s'empressaient à son chevet: « Je me sens passer Dieu ». Les mauvais démons étaient certainement en majorité, pusqu'ils avaient été des hommes comme nous. Néanmoins, les bons n'étaient pas rares. Chacun avait son bon démon et son mauvais. Qui n'entendit parler du « démon de Socrate », du « démon de justice », « de morale », « de bon sens et de bonté »?

Le christianisme naît et se développe dans cette partie de notre planète qui, précisément, avait vu se former tant de « génies ». Et l'Eglise catholique, à la faveur de ce formidable mouvement religieux, s'édifie à son tour. Quel sera son premier souci, son premier soin ? De proscrire « tous les démons de l'ancien régime », de les « mettre hors la loi », de les traiter en diables et de les considérer comme autant de manifestations saugrenues de la superstition la plus coupable !

Allons chez les mahométans. Ils sont, eux aussi, en possession du seul vrai Dieu ! Aucune concurrence n'est tolérée !

Non loin de Tunis, on trouve un tombeau célèbre, celui de Sidi Fethallah. Situé à une lieue environ de la capitale, dans un site charmant, près d'un rocher haut de cinquante pieds, abrupt et très glissant, ce tombeau est toujours l'objet de la profonde vénération, de l'idolâtrie de nombreux musulmans résidant en 'I'unisie. Tombeau et rocher sont devenus un lieu de pélerinage et, chaque samedi, qui est le jour saint, on peut assister à ce spectacle assez réjouissant - à moins qu'il ne soit attristant - qu'offre un grand nombre de femmes qui, tour à tour, ayant une pierre plate appliquée sur le ventre, descendent le rocher sacré au risque de se rompre le cou. Il arrive même qu'elles renouvellent deux et trois fois ce pieux et périlleux exercice, dans l'unique espoir d'acquérir une fécondité que la nature leur a refusée jusqu'alors !

Il faut entendre les catholiques du Protectorat faire des gorges chaudes à la vue de pratiques qui ne sauraient relever que de la ... superstition la plus répugnante et du magisme le plus primitif !

Faisons à présent - car il faut être équitable - une incursion dans le domaine sacré de la religion catholique, cette religion si pure, si éthérée, qui se flatte d'avoir impitoyablement écarté tous les rites, toutes les formules, toutes les pratiques et tous les sacrifices qui faisaient la honte et l'horreur des cultes antiques. Prenons, au hasard, le mystère de l'eucharistie.

La religion catholique professe, avec une imperturbable assurance, qu'un miracle d'ordre matériel s'accomplit ; que le changement réel bien qu'invérifiable (toujours !) de la substance du pain et du vin en la substance du corps et du sang du Christ (lequel, d'ailleurs, en tant que glorifié, n'a ni corps, ni sang qui ressemblent à ceux des êtres vivant sur la Terre), que ce changement s'opère par la simple répétition des paroles qui sont attribuées, par saint Paul et par les évangélistes, à Jésus instituant le rite. Et notez bien que ces paroles n'expriment pas une intention de Jésus, ni une intention du consécrateur qui les répète. Elles sont efficaces par elles-mêmes. Il suffit qu'elles soient prononcées, dans les conditions rituelles voulues, et par une personne qualifiée pour que le miracle invisible s'opère aussitôt !...

Que le lecteur veuille, à présent, conclure. Mais peut­être sera-t-il plus convaincu encore de l'identification profonde, indéniable, de la superstition - forme originelle de la religion - et de la religion - dont le fond même n'est fait que de superstitions - s'il a le loisir de se rendre à Beauraing où il assistera, consterné, à l'indigne et burlesque comédie si magistralement jouée depuis plusieurs mois par le clergé belge et où des milliers et des milliers d'adeptes de la religion du vrai Dieu (elle aussi !) attendent patiemment, sans se décourager, I'apparition, pour le moins problématique, d'une Vierge, faite comme vous et moi, de chair et d'os, qui, il y a quelque dix-neuf siècles, accoucha d'un Dieu, conçu pourtant de toute éternité bien qu'immatériel, et dont la fonction obligatoire fut de créer l'univers ! 

- A. BLICQ.