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TACHERON n. m. « Ouvrier à la tâche ou à forfait, l’entreprise d’une tâche. »(Dict.larousse)

Espèce de sous-entrepreneur qui se charge d’accomplir une tâche dans des conditions de prix et de temps avantageant le patron ou l’entrepreneur direct qui se trouve, ainsi en dehors des multiples soucis de surveillance et d’observation ; de l’embauchage et du débauchage des ouvriers ; d’évaluations diverses de la main-d’œuvre et de la répartition équitable des salaires ; Le petit et le grand Larousse ignorent tout cela, sans doute et n’en disent pas davantage sur ce mot. Il y aurait pourtant beaucoup à dire.

Les ouvriers du bâtiment : charpentiers, maçons, peintres, etc., savent mieux que personne ce qu’on doit penser des individus désignés par ce nom de tâcherons.

Ils ne sont pas seulement les entrepreneurs ou, plus exactement, les sous-entrepreneurs d’un travail ou même de plusieurs travaux à forfait : ils sont les intermédiaires entre le patron ou l’entrepreneur et les ouvriers. Leur but n’est pas de vouloir simplifier l’exécution du travail à l’avantage de l’ouvrier, mais au contraire de débarrasser l’entrepreneur de multiples soucis et tout particulièrement de celui d’exploiter, de pressurer, de voler ignoblement les salariés ; ils s’en chargent pour lui.

Les travailleurs de beaucoup d’autres corporations ont dû lutter et luttent encore contre le tâcheron.

Les ouvriers terrassiers ont énergiquement combattu ces sortes de jaunes sur les chantiers.

Les dockers ont eu, également, à combattre ce fléau. On ne peut pas énumérer toutes les grèves dont les tâcherons ont été la cause par les injustices et les façons inqualifiables d’agir dont ils illustraient leur tyrannie. On ne peut dire ici les drames sociaux auxquels donnent lieu les provocations de ces louches et lâches individus, capables de tout pour maintenir leur influence auprès des patrons et leur autorité néfaste sur les exploités, lesquels ont toujours sujet de se plaindre et de se révolter.

Aussi, ne faut-il pas m’étonner si les syndicalistes ont maintes fois exercé ou préconisé contre le tâcheron la méthode salutaire de l’action directe justifiant éloquemment l’emploi utile de la chaussette à clous. C’est le seul raisonnement à tenir vis-à-vis de tels individus. Ils ont, d’ailleurs, fait état de ce risque pour décider les patrons à se confier à eux pour obtenir du travail (vite et mal fait) à un prix défiant toute concurrence, en toute tranquillité.

Mais « à mauvaise paie, mauvais travail ». Tout ce qui n’émane pas de la volonté de bien faire de l’artisan et de l’ouvrier, de sa conscience et de son amour propre de métier s’approche fort du sabotage. Certains patrons l’ont compris, surtout s’ils ont été des ouvriers avant d’être des patrons. S’ils ont compris leur véritable intérêt, ils se passent du tâcheron. Le goût, l’orgueil, sagement raisonné, du travail bien fait, les incite à cela.

Le tâcheron est un gâte-métier, un salopard que nulle entreprise sérieuse, nul patron honnête, scrupuleux, intelligent n’emploiera.

Ainsi envisagé, le mot tâcheron n’est plus un substantif, mais un adjectif qualificatif pour désigner l’inqualifiable individu, l’égoïste, le faux frère qui trahit, pour son intérêt particulier, l’intérêt général de ses compagnons de travail, tout en trompant également ceux qui se servent de lui.

Le tâcheron est un produit stupide d’exploiteur, d’imbécillité patronale ou d’ignorance professionnelle.

Le tâcheron est exactement comparable à l’adjudant de semaine, chien de caserne ou de quartier qui, pour plaire à ses supérieurs par les galons, abuse des siens pour punir à tort et à travers les malheureux soldats sous ses ordres. Il en a la mentalité stupide et cruelle. La brutalité dont il fait preuve trop souvent envers les ouvriers qu’il domine, pressure, exploite odieusement, assimile la mentalité du tâcheron à celle du chaouch !

Adjudant, tâcheron, chaouch forment une trinité de qualificatifs appropriés à une même sorte d’individus en des milieux divers. Cette trilogie de brutes prétend également servir. Ils servent surtout à faire détester le système ou le régime dont ils sont les serviteurs ; tels maîtres, tels valets ! Mais les victimes ont le droit d’exécrer leurs bourreaux et le devoir de les supprimer à l’occasion.

Georges YVETOT