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TÉLÉPATHIE n. f. du grec télé (loin) et pathos (affec­tion)

Existe-t-il, « chez certains individus, une sensibi­lité spéciale, qui semble s'exercer autrement que par la perception sensible par laquelle nous prenons connais­sance des objets matériels » ?

Certains répondent affirmativement. « Ce phénomène se produit dans la télépathie. Des événements distants et hors de portée des sens sont perçus par certains indi­vidus ; des messages peuvent être transmis sans l'inter­médiaire des organes des sens. Les faits sont affirmés par des personnes tout à fait dignes de foi ». (Dwelshau­vers).

En matière de science, la foi ne suffit pas. Quant au témoignage des personnes même les plus scrupuleuses, nous savons de quelles erreurs involontaires il peut être entaché. Toutes les fois que nous sommes en présence de faits qui ne sont pas, qui ne peuvent être l'objet de véri­fications rigoureuses et répétées, la vraisemblance est un critère. « Or, c'est précisément ce critère de la vrai­semblance qui nous fait défaut dans le cas des manifes­tations psychiques. Car les faits que l'on invoque, non seulement ne peuvent être reproduits à volonté, mais sont, en outre, excessivement rares ; un grand nombre de personnes n'ont jamais eu l'occasion de constater quoi que ce soit qui y ressemblât... Ce sont donc là des faits très extraordinaires. Ils sont aussi extravagants, dans le sens littéral du terme, puisqu'ils impliquent un exercice des sens dans des conditions d'espace et de temps tout autres que celles où nous avons accoutumé de les voir fonctionner". (E. Meyerson).

Il est évident que des phénomènes qui prennent nais­sance à des distances considérables sont perçus par nos sens. Ce sont ces impressions de nos sens qui suscitent en nous des pensées ; pensées qui n'ont d'existence qu'en nous, qui nous sont personnelles, qui, pour un même phénomène, diffèrent d'un individu à l'autre. Les ondes sonores issues d'un canon, provoqueront chez l'un des pensées joyeuses en a'associant au souvenir de réjouis­sances publiques, chez un autre un sentiment de tristes­se, car elles réveilleront les angoisses de la guerre. Nos sens ne reçoivent pas des pensées ; ils perçoivent des signes qui sont au nombre des éléments constitutifs de nos pensées.

Des phénomènes qui ne tombent pas directement sous nos sens peuvent également influer sur notre compor­tement. Par exemple, l'état électrique de l'air ambiant qui, par le malaise qu'il nous cause, agit sur notre bien­ être et notre caractère. Mais les troubles que nous fait éprouver l'état orageux de l'atmosphère sont des trou­bles qui prennent naissance en nous, qui dépendent de notre état du moment, de notre santé. Nous ne voyons pas à quelle idée claire peut répondre l'assertion que le trouble qualifié de notre mentalité a pénétré en nous de l'extérieur. Ces influences extérieures qui agissent sur nous, sans mettre en jeu un sens localisé, sans suivre les voies ordinaires de la perception sont comparables aux phénomènes météorologiques qui brouillent les commu­nications téléphoniques sans faire émettre aux appareils aucune phrase, aucun mot. A supposer même qu'à notre insu une influence spéciale s'exerce sur une portion de notre tégument ou d'un viscère, organe inconnu d'une sensation ne serait pas une pensée trouvant asile dans notre cerveau après un long voyage.

Quelle est, en effet, l'origine de nos pensées ? Des im­pressions éveillent nos sens, des filets nerveux les cana­lisent vers certaines cellules qui les transforment aussi­tôt en réactions par la voie de filets efférents, ou bien les transmettent à des cellules appartenant à des cen­tres supérieurs, par lesquelles elles s'associent à nombre d'autres impressions, provoquent des actes ou, au con­traire, les inhibent, mouvements ou arrêts objets de pensées. Ces pensées ne prennent forme qu'en nous, par nous. Si elles se transmettent à d'autres, c'est par l'inter­médiaire de mouvements, gestes ou paroles, qui impres­sionnent leurs sens, dont l'interprétation donne, chez eux, naissance à leurs propres pensées qui peuvent diffé­rer profondément de la pensée initiale.

Que notre énergie nerveuse émette, comme d’autres, des radiations dans l'ambiance, cela se pourrait. Ce seraient des mouvements ondulatoires du type courant, tels que ceux qui servent à la téléphonie sans fil, par exemple. Mais que se passe-t-il dans ce dernier cas ? Une pensée s'est, chez un interlocuteur, extériorisée en phra­ses, en ondulations de l'air ; un poste émetteur change les ondes sonores en ondes herziennes qui cheminent plus loin dans l'espace. Un poste récepteur en refait des sons qui, après le trajet ordinaire dans notre corps, sont traduits en pensées. Encore ne faut-il pas oublier le proverbe : traduction, trahison, et, de plus, il est néces­saire que les sons appartiennent à une langue connue de nous, sinon il faudra encore introduire dans le circuit un nouvel interprète. A aucun moment, les ondes herziennes ne sont des pensées ; elles ne sont qu'un agent de transport d'une énergie libérée en un point, reçue en un autre, énergie dépourvue de qualification psychique.

On comprend l'embarras des métapsychistes pour expliquer la transmission des pensées. « Il est difficile de penser que l'organisme émet et dirige d'invisibles ten­tacules jusqu'a de grandes distances pour y recueillir l'impression cherchée. Il est aussi difficile de compren­dre comment sa sensibilité serait transportée sous for­mes d'ondes qui s'éloigneraient de lui et resteraient en contact avec lui », (Maxwell).

Ce mystère a une explication. Les témoignages que l'on nous apporte, sont, ou bien des rappels de rêves, ou des récits de dormeurs éveillés et de névropathes mythoma­nes.

Mais pourtant, dira-t-on, les prévisions ne se vérifient­ elles pas parfois ? Avant d'y voir un sujet d"étonnement, a-t-on calculé la probabilité de l'événement, a-t-on cher­ché à l'analyser pour découvrir les raisons qui en ont amené la production ? Des coïncidences d'apparence anormale trouvent une explication naturelle. Je puis citer à ce sujet, une observation personnelle. Prenant en lecture un livre à la bibliothèque de l'arrondissement qui rassemble plus de 3.000 volumes, j'y trouve une carte oubliée portant l'adresse du précédent lecteur. Le surlen­demain, au siège d'une association de plus de 1.500 mem­bres, on tire d'un fichier une fiche portant le nom de la même personne inconnue jusqu'alors de moi, bien qu’habitant le même quartier, dont on voulait me signa­ler l'activité. La probabilité de la rencontre était de un contre plus de quatre millions, et bien inférieure encore si l'on tient compte du nombre des lecteurs habi­tuels de la bibliothèque, qui dépasse 200. Tout change si l'on reconstitue la chaîne des causes. L'association précitée est une association de techniciens. Il y a, dans l'arrondissement que j'habite, une Ecole d'Arts et Métiers. Le volume dont j'ai parlé est un livre de Prou­dhon, dont j'avais souvent exposé les idées dans le journal publié par le groupement de techniciens. La rencontre s'avère de moins en moins improbable à mesure qu'on en analyse les circonstances.

Discutons le cas de la divination en rêve. Un grand nombre de nos organes, le cœur, par exemple, n'interrompent jamais leur fonctionnement. Il en est très probablement de même du cerveau dont le jeu, pendant le sommeil, se manifeste par le rêve. Le docteur A. Marie écrit : « Il ne manque pas de psychologues qui considèrent que tout sommeil s'accompagne de rêves, mais que ceux qui n'en croient pas avoir sont simple­ment ceux qui n'en ont aucun souvenir. Et, en effet, il est remarquable que ceux qui prétendent dormir sans rêve sont parfois ceux qui parlent et agissent en dormant, comme certains somnambules qui ont une amnésie totale rappelant celles des comitiaux (épilep­tiques)... Le rêve serait continu pendant le sommeil, mais oublié à mesure, sans quoi il y aurait réveil (rêve retenu) ».

Mais la multitude innombrable des rêves qui parais­sent échapper à notre mémoire a cependant, comme tout fonctionnement physiologique, laissé des traces dans les voies d'association de notre système nerveux. Une perception réelle similaire, au réveil, ou même plus tard, en ramène le souvenir et cela d'autant mieux que l'empreinte a été plus forte, c'est-à-dire le sujet plus dra­matique. D'autre part, nous ne situons un événement dans le temps qu'autant qu'il se trouve intercalé dans une série d’autres événements réels, ce qui n’est pas le cas du rêve, sauf proche du réveil. Que plus tard un incident tragique intéressant un parent ou un ami, objet constant de notre intérêt vienne à la connaissance de qui est superstitieux ou nerveux, ce dernier n'aura pas de peine à tirer de son stock de rêves non explicites, l'un d'eux qui concordera à la catastrophe et qui, libre de toute attache dans le temps, sera automatiquement rapporté à la date exigée.

Ajoutons que de nombreux physiologistes nous aver­tissent qu'il n'est pas de rêve qui ne soit remanié après coup. J'en ai fait moi-même l'expérience. Il s'agit d'un songe ayant l'apparence d'une prémonition. J'étais désappointé de trouver fermé un magasin auquel je devais m'approvisionner le matin − fait qui s'était pro­duit plusieurs fois dans les semaines précédentes. Réveil­lé au moment même, j'écrivis en quelques mots le sujet du rêve qui, justement, se réalisa dans la matinée. J'en rédigeai alors le récit et j'eus la curiosité de comparer avec mes notes nocturnes. Rien n'était inexact, mais, du fait même de la rédaction, des nécessités de langage, tout prenait un caractère de précision, d'exactitude, qui n'était nullement dans la réalité et qui eût trompé cer­tainement un lecteur.

Dans tous les cas, avant d'accepter la possibilité d'es­prits baladeurs capables d'aller faire des reconnais­sances en de lointains pays, voire dans l'avenir, il est prudent de lui opposer des hypothèses qui, reposant sur des données minutieusement contrôlées, soient encore en harmonie avec les notions que nous devons il la saine méthode expérimentale. Le miracle laïque doit nous être aussi suspect que le miracle religieux. C'est pour mieux humilier notre personnalité réelle que l'on exalte une personnalité imaginaire.

Nous pouvons conclure avec E. Meyerson : « Des thau­maturges ont prétendu et prétendent posséder une lucidité, une seconde vue, leur permettant de percevoir en dépit des obstacles du temps et de l'espace. Eh bien, il n'y a qu'à considérer l'attitude de l'historien à l'égard du miracle pour se convaincre de la différence entre son état d'esprit et celui du partisan de la recher­che psychique. Car le miracle, l'historien le connaît fort bien, il est obligé de s'en occuper : les chroniques du Moyen Age, en particulier, même quand elles sont dues aux auteurs les plus sobres et les plus dignes de foi, en sont remplies. Mais l'historien, s'il ne met pas résolument de côté tout ce qui s'y rapporte, ne s'en sert tout au plus que pour caractériser l'état d'esprit du milieu, où le fait, ou du moins la croyance au fait, se sont produits ; le récit entier se transforme en docu­ment psychologique ».

C'est à titre de document sur la mentalité de notre époque que la télépathie méritait une mention. 

– G. GOUJON.