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TEMPÉRANCE n. f. (du radical latin temperare, tempérer)

Les anciens indiquaient par ce terme l'état d’une âme capable de dominer ses passions et de rester ainsi dans un équilibre harmonieux. Chez les modernes, il est synonyme de mesure dans la satisfaction des besoins corporels en général et plus spécialement des besoins qui concernent la nourriture et la boisson. En nous apprenant à supprimer les désirs qui ne sont ni naturels, ni nécessaires, la tempérance assure notre bonheur, affirme Epicure. 

« Il ne faut pas la rechercher pour elle-même, mais pour la sécurité qu'elle donne et le calme qu'elle apporte dans les esprits ». Les stoïciens lui assignaient un autre but : elle devait nous détacher des faux biens qui ne dépendent pas de nous.

« C'est un signe de sottise, écrit Epictète, que de s'attarder aux soins du corps, comme de s'exercer longtemps, de manger et de boire longtemps, de donner beaucoup de temps aux autres nécessités corporelles.

« Toutes ces choses doivent se faire par accessoire ; que vers l'esprit soient tournés tous nos soins. » La maîtrise intérieure, tel était, aux yeux des stoïciens, le but qu'il convenait d'atteindre. 

La plupart des religions témoignent d'une défiance profonde à l'égard des plaisirs sensuels. Certaines sociétés primitives imposent à leurs membres des privations ou des mutilations atroces ; et l'initiation des jeunes gens comporte fréquemment de véritables tortures. Brahmanisme et Bouddhisme ont prêché un ascétisme dont les rigueurs nous paraissent contre nature. Dans le christianisme, nombre de saints, persuadés qu'ils devaient « mourir à la vie du corps » pour être dignes du ciel, se livrèrent à des macérations effroyables. Stylites, flagellants, moines de divers ordres se sont parfois montrés à l'égard d'eux-mêmes d'une cruauté qui confinait à la folie. 

A l'inverse, les hédonistes ont placé le souverain bien dans le plaisir corporel, source et condition de tous les autres. Chez les Grecs, Gorgias, Calliclès et surtout Aristippe de Cyrène développèrent cette thèse. Ces penseurs accordèrent, d'ailleurs, une large place aux joies du cœur et de l'esprit. Diverses sectes religieuses et philosophiques soutinrent des idées de même ordre, au moyen âge. Au XIXème siècle Fourier et les Saint-Simoniens prêchèrent la « réhabilitation de la chair » ; des romanciers et des poètes romantiques développèrent ce thème sous une forme moins dogmatique. « Vivre dangereusement », telle sera un peu plus tard la formule préconisée par Nietzsche. « Recommandons aux fort, écrira-t-il, ces 3 choses les plus maudites et les plus calomniées jusqu’à présent : la volupté, le désir de domination, l'égoïsme ». Chasteté tempérance, humilité ne sont que des « vertus d’esclaves » ; loin de modérer nos désirs, il faut les laisser se développer sans entrave et largement. En proclamant que l’individu est un centre et qu’il porte en lui-même la mesure de tous les biens, Stirner prend également parti contre l’ascétisme des prêtres et des moralistes. « L’Homme n’est pas la mesure de tout ; mais je suis cette mesure ». Aussi n’ai-je pas à me préoccuper des règles ou préceptes que les autres veulent m'imposer. 

Il est absurde, à notre avis, de considérer le corps comme une source de corruption et de jeter l’anathème sur les plaisirs sensuels. Une telle aberration découle de la croyance en une âme spirituelle et divine ; elle est à l’origine de cette haine contre la beauté corporelle, de cet amour des mortifications, de ce goût sadique pour la crasse et la souffrance que l'on rencontre aussi bien chez les saints catholiques que chez les ascètes d'Extrême-Orient. « Que des souffrances passagères façonnent les esprits, qu'une maladie puisse devenir féconde en conséquences heureuses, nous le savons ; les mères enfantent dans la douleur et rien de grand ne se fait sans fatigues. Mais ce serait folie d'exalter pour elle-même la peine des hommes ; simple rêve d'un philosophe en délire ou machiavélique invention d'un défenseur des aristocraties. Trop rares sont nos joies pour que nous les méprisions ; et l'ascétisme, qui tue le corps ou réduit ses forces, prend rang parmi les aberrations ; prodiguer sa vie pour l'élargir est bon parfois, l'amoindrir jamais. Par ses effets, quoique pour des raisons contraires, la débauche est parente de la privation : s'épuiser en noces crapuleuses, empâter son esprit par la bonne chère ou le bon vin restreignent aussi notre puissance humaine, Malade par excès, malade par défaut, qu'importe, si l'on songe que, pour le corps, la santé reste le premier des biens. Elégance, beauté, souplesse en sont d'autres, et désirables certes, l'art gymnique apparaît précieux, tant qu'il ne développe pas les muscles aux dépens du cerveau. En matière organique, hygiène et médecine, au demeurant, ont seules mission d'édicter des lois ». (A la recherche du bonheur). Vivre une vie aussi féconde et aussi pleine que possible, en s'inspirant des conseils de la raison et des leçons de l'expérience, en veillant à l'harmonieux développement de notre corps et à son maintien en bon état, voilà ce qu'enseigne une sagesse exempte de préjugés. 

La même sagesse nous conseille d'éviter certains plaisirs dont les conséquences sont désastreuses, soit pour nous-même, soit pour les autres. N'abrégeons pas, par imprudence, une vie qui pourrait être longue encore et riche en joies variées ; ne creusons pas notre tombe avec nos dents, pour nous servir d'une expression aimée des stoïciens. Une hygiène alimentaire bien comprise, un judicieux emploi des méthodes raisonnées de culture physique, une modération intentionnelle dans la recherche de jouissances capables d'épuiser l'organisme, peuvent largement contribuer à rendre heureuse l'existence de l'homme ordinaire. Nous ne condamnons d'ailleurs nullement celui qui sacrifie la longueur de l'existence à l'intensité des plaisirs éprouvés ; avant de se décider, nous lui demandons seulement de réfléchir et d'observer. Pour l'alcoolisme et les questions concernant, la nourriture ou la sexualité, nous renvoyons aux articles où ces sujets sont spécialement traités. 

– L. BARBEDETTE