TERRORISME
n. m.
La terreur est une crainte poussée à un très haut degré, une peur d’une
intensité exceptionnellement grande. On appelle terrorisme le système
de gouvernement qui s’appuie sur la terreur pour contraindre les
membres d’une collectivité à l’obéissance. Mais c’est arbitrairement
que l’on réserve ce terme à de très rares périodes de l’histoire. En
réalité, la peur fut toujours, et demeure, à notre époque, le principal
moyen d’action de l’Autorité. « Avec raison, les anciens choisirent
comme symboles du pouvoir suprême des instruments de supplice et de
mort. Sans le gendarme, le geôlier et le bourreau, un chef d’Etat
perdrait sa flamboyante auréole ; force et contrainte, voilà les
attributs essentiels qui caractérisent l’autorité. Inopérantes seraient
la pompe carnavalesque dont les souverains s’entourent, la superbe
orgueilleuse de leurs discours, toute la mythologie profane ou sacrée
dont s’enveloppe leur personne, si derrière ce somptueux décor l’on
n’entrevoyait prisons, bagnes, guillotine, chaise électrique, corde
pour la pendaison. A un degré moindre, ceci reste vrai de quiconque
détient une parcelle d’autorité, même minime. Percepteur, douanier,
garde champêtre ne sont obéis, dans l’exercice de leur fonction, que
par crainte des peines qui frappent le récalcitrant. Pouvoir
gouvernemental, puissance administrative, se ramènent à une question de
force et reposent sur la peur. Toute infraction aux ordres des chefs,
aux prescriptions du code, aux lois édictées par les parlements,
entraîne des représailles ; la police, voilà l’institution fondamentale
qui permet à l’Etat de subsister ». (En marge de l’Action). Mais nous
reconnaissons que la peur inspirée par les chefs comporte des degrés,
qu’un gouvernement peut être plus ou moins tyrannique, plus ou moins
respectueux de la vie et de l’indépendance des individus. Toutefois,
même si l’on préfère, au point de vue historique, limiter le terrorisme
gouvernemental à certaines époques particulièrement sanglantes, il faut
reconnaître que les écrivains officiels font preuve d’une insigne
partialité dans l’étude de ces époques tragiques. Chez nous, par
exemple, ils racontent avec un grand luxe de détails les crimes de
Robespierre et de ses partisans, mais parlent à peine des meurtres
commis par les royalistes au début de la Restauration, ou de la
répression qui suivit le coup d’Etat du 2 décembre 1851, ou encore du
massacre des Communards, ordonné par le gouvernement de Thiers.
La Terreur Blanche débuta à Marseille, le 25 juin 1815, par le meurtre
de 200 personnes. A Avignon, l’on égorgea 300 prisonniers ; à Nîmes,
150 individus furent mis à mort en moins de deux mois. Des bandes
royalistes, comme celles desMiquelets ou des Verdets, parcoururent la,
vallée du Rhône et le bassin de l’Aquitaine, incendiant les maisons,
égorgeant leurs adversaires politiques avec des raffinements de
cruauté. Et les autorités locales laissaient faire, quand elles
n’encourageaient pas les assassins. Bientôt, d’ailleurs, les violences
et les meurtres furent organisés d’une façon parfaitement, légale. Sous
prétexte d’empêcher tout complot contre l’autorité royale, les Chambres
votèrent des mesures draconiennes. « Il faut des fers, des bourreaux,
des supplices, s’écriait le comte de la Bourdonnaye. La mort, la mort
seule peut mettre fin à leurs complots. Ce ne sera qu’en jetant une
salutaire terreur dans l’âme des rebelles que vous préviendrez leurs
coupables projets ». Dans chaque département, une cour prévotale jugea
sans appel les accusés politiques, et ses sentences impitoyables
étaient exécutoires dans les 24 heures. Les victimes furent nombreuses,
les peines de mort et de bannissement étant distribuées à profusion.
Après le coup d’Etat, exécuté au profit du président Louis-Napoléon
dans la nuit du lundi, 1er au mardi 2 décembre 1851, coup d’Etat
organisé sous la haute direction du franc-maçon Morny et qui, en fait,
marqua la fin de !a Seconde République, un régime de terreur s’installa
en France. Vainement, quelques braves dressèrent des barricades et, se
firent tuer courageusement. Le 4, la troupe tira au hasard sur des
femmes, des enfants, des citoyens inoffensifs qui se promenaient sur
les grands boulevards de Paris. Un rapport officiel déclare qu’il y eut
26.800 arrestations ; en réalité, elles furent beaucoup plus
nombreuses. L’état de siège fut proclamé dans 32 départements. Des
commissions mixtes, composées du préfet, du procureur et d’un général,
jugèrent les emprisonnés ; elles se montrèrent féroces. Le gouvernement
reconnut qu’il avait déporté 9.581 personnes en Algérie et 239 en
Guyane ; mais ces chiffres ne donnent qu’une faible idée de ce que fut
la répression exercée par le président Louis-Napoléon. Devenu empereur,
il continuera pendant de longues années à bâillonner complètement ses
adversaires et à rendre impossible toute expression de la pensée
indépendante.
Lorsque les troupes du gouvernement de Versailles pénétrèrent à Paris,
le dimanche 21 mai 1871, après une héroïque résistance des Communards,
elles commirent d’inqualifiables atrocités. Les soldats de Mac-Mahon,
encouragés par l’ignoble Thiers, massacrèrent, sans nul souci de la
justice ou de l’équité, quiconque leur semblait suspect. Un maire de
Paris, qui n’était point du côté des rebelles, a déclaré : « J’ai la
conviction profonde que l’on a fusillé plus d’hommes qu’il n’y en avait
derrière les barricades ». Et les historiens bourgeois, dont la
partialité est révoltante dès qu’il s’agit de la Commune, reconnaissent
que 20.000 malheureux au moins furent sommairement exécutés par les
Versaillais. Jusqu’en 1876, les conseils de guerre continuèrent de
prononcer des milliers de condamnations à mort, au bagne, à la
déportation. Et les assassins qui présidèrent à ces tueries occuperont
longtemps les plus hautes charges de l’Etat. Ainsi, la Troisième
République a débuté, tout comme la Restauration et le Second Empire, en
installant un terrorisme de droite.
Aujourd’hui, la Terreur règne en maîtresse sur la plus grande partie de
l’Europe : terreur rouge en Russie, terreur blanche en Italie, en
Allemagne, en Autriche, en Hongrie, etc... L’installation d’une
dictature marxiste en Russie provoqua, par contre-coup, une violente et
durable réaction fasciste dans de nombreux pays. Après une tentative de
révolution bolchéviste, la terreur blanche s’est installée en Hongrie
avec le régent Horthy. En octobre 1922, Mussolini, aidé par les
réactionnaires, par de nombreux francs-maçons et par des marxistes
traîtres à la classe ouvrière, s’empara du pouvoir par un coup de
force. Implacable a l’égard de ses adversaires, le duce ne s’est pas
montré plus bienveillant. à l’égard de quelques-uns de ses anciens
alliés, les francs-maçons par exemple. Mais il a baissé pavillon devant
le pape et s’est fait le protecteur du catholicisme. La malheureuse
Pologne étouffe sous la botte de Pilsudski, que les socialistes
contribuèrent en 1926 à investir, sinon en droit du moins en fait, du
souverain pouvoir. En Allemagne, Hitler et ses lieutenants sont les
maîtres absolus du pays. Pour sa propagande, le chef des nazis avait
reçu des sommes énormes de grands industriels allemands et même de
capitalistes étrangers, de Schneider du Creusot par exemple. Ni les
communistes, ni les socialistes, ni la franc-maçonnerie, ni les
syndicats ouvriers ne se dressèrent contre le nouveau et tout puissant
chancelier ; ils se soumirent dans l’ensemble, avec un empressement et
une bassesse qui ne les honorent pas. Pour les récompenser de leur
servilisme, Hitler a dissous leurs groupements et s’est emparé de leurs
biens. Des mesures draconiennes ont été prises contre les juifs et
contre tous ceux qui pensent autrement, que les nazis. La liberté de la
presse est abolie ; les prisons regorgent ; les condamnations à mort
pour crime politique sont fréquentes ; les camps de concentration sont
remplis de suspects auxquels on inflige les supplices les plus
raffinés. En Autriche, le pieux chancelier Dollfuss a fait massacrer
les ouvriers courageux qui tentaient de lui résister. Approuvé par le
pape, soutenu par Mussolini, il s’est révélé sanguinaire, dès qu’il a
pu jeter sans danger le masque doucereux qui lui permit d’endormir ceux
dont il méditait la perte. En Espagne, radicaux et socialistes ont
égalé, surpassé même, dans le crime, le dictateur Primo de Rivera. Au
Portugal, le terrorisme sévit pareillement, ainsi que dans les pays
balkaniques où les souverains ont d’ailleurs toujours exercé une
autorité tyrannique.
On voit qu’en fait de terrorisme, les hommes d’ordre, les soutiens de
l’autorité détiennent le record. Mais, comble de l’hypocrisie, les
écrivains bien-pensants affectent de ne songer qu’aux excès commis lors
des révolutions populaires ou aux attentats dûs aux organisations ou
aux individus d’avant-garde, lorsqu’ils parlent de terrorisme. Ces
excès, ces attentats sont pourtant bien peu de chose à côté des crimes
innombrables et monstrueux que perpètrent, chaque jour, au nom de la
loi et de la morale, les séides du Pouvoir. Simples ripostes aux
attaques injustifiées de chefs inhumains, ces actes de désespoir
s’expliquent sans peine, hélas ! Et le droit de légitime défense les
justifie en bien des cas. Celui qui se résigne à toutes les servitudes
mérite le mépris, en effet.
L. Barbedette.