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THAUMATURGE (du grec thauma, merveille ; ergon, œuvre)


On appelle thaumaturge l'individu qui opère des miracles et thaumaturgie l'art d'accomplir ces derniers. L'attrait du merveilleux, le désir d'entrer en rapport avec la divinité, de participer à sa science et à son pouvoir, telles sont les raisons d'être de ce goût pour les prodiges que l'on trouve à l'aurore des temps historiques et qui, de nos jours encore, assure la fortune de nombreux faiseurs de miracles et même de véritables officines qui vendent grâces et secours célestes, comme d'autres débitent de la choucroute ou du boudin. Chez les primitifs, sorciers ou prêtres monopolisèrent à leur profit la puissance surnaturelle ; c'est par leur intermédiaire que se manifestaient les esprits bons ou mauvais ; leurs incantations et leurs prières savaient rendre favorables ou hostiles les entités de l'au-delà. Les sauvages d'Océanie, les noirs d'Afrique, les indiens d'Amérique continuent de croire à la vertu miraculeuse des opérations magiques faites par leurs sorciers. D'officiels ministres des cultes parlèrent et agirent au nom des dieux chez les peuples civilisés ; art et poésie contribuèrent à la beauté des rites ; mais le résultat final resta sensiblement le même. En Grèce, Zeus, Héraclès, Aphrodite, etc., se manifestèrent souvent aux hommes, s'il faut en croire la mythologie, A Delphes, la Pythie annonçait l'avenir que lui révélait Apollon, Hector apparut maintes fois aux habitants de la Troade et Achille se montra à de nombreux matelots du Pont-Euxin. Comment les simples n'auraient-ils pas aperçu les dieux, quand un sage, tel que Socrate, avait à son service un démon familier? La Grèce eut même un centre de thérapeutique céleste, où les guérisons miraculeuses étaient aussi remarquables qu’à Lourdes : nous voulons parler du temple d'Esculape à Epidaure. Après un jeûne rigoureux, un bain préalable et le sacrifice rituel d'un porc et d'une chèvre, le malade passait une ou plusieurs nuits sous le portique du temple. Puis les portes du sanctuaire s'ouvraient d'elles-mêmes devant lui et la statue du dieu apparaissait brillante, au milieu d'un décor d'une féérique splendeur. On le conduisait, la nuit venue, dans un dortoir obscur et, pendant son sommeil, il recevait en songe des conseils concernant sa santé. Les guérisons immédiates et soudaines étaient fréquentes ; dans d'autres cas, Esculape se bornait à prescrire un traitement hygiénique ou des remèdes appropriés. La multitude des ex-voto découverts à Epidaure, les éloges donnés à ce centre thérapeutique par tous les auteurs anciens témoignent de la prodigieuse vogue dont il a joui durant de nombreux siècles. Beaucoup d'autres temples, à Rome et dans diverses villes furent aussi le théâtre de guérisons miraculeuses et jouirent d'une grande renommée. En somme, Esculape, Apollon, Proserpine, Isis, etc., jouèrent, chez les anciens, le rôle dévolu, chez nous, à la Vierge de Lourdes, au Sacré-Cœur et à la foule des saints thaumaturges qui peuplent le panthéon chrétien. Après avoir exaucé les prières des païens durant de longs siècles, dieu est venu au secours des catholiques, leurs mortels adversaires. Tant il est vrai que le miracle a sa source dans l'homme seulement, non dans une force qui lui serait extérieure.

Parmi les premiers chrétiens, thaumaturges et voyants furent particulièrement nombreux. Il est vrai qu'on élevait au rang de miracles des faits simplement burlesques comme la glossolalie, ou des manifestations d'un caractère pathologique très accentué, ainsi les crises, de nature épileptique probablement, auxquelles était sujet saint Paul. Si grandes étaient l'ignorance et la crédulité des fidèles, qu'ils voyaient partout la main du Très-Haut. De l’avis des historiens catholiques eux-mêmes, les premières communautés chrétiennes servirent d'asile à une multitude de détraqués, de frénétiques, d’hallucinés. La lecture des Evangiles acceptés par l'Eglise et celle des Evangiles qu'elle déclare apocryphes, mais qui datent, en réalité, de la même époque et possèdent une valeur équivalente, nous renseigne sur la soif du merveilleux qui tourmentait les âmes, durant les premiers, siècles de notre ère. Et le diable rivalisait avec le bon dieu, témoin les miracles de Simon le Magicien, d'Apollonius de Tyane, de Jamblique et de beaucoup d'antres thaumaturges qui relevèrent pour quelque temps le prestige du paganisme alors agonisant.

Favorisés par l'incommensurable naïveté des fidèles et par la disparition complète de tout esprit critique, les faiseurs de prodiges pullulèrent au moyen âge. Le culte des reliques prit des proportions invraisemblables ; certaines églises se vantèrent de posséder le prépuce enlevé à Jésus le jour de la circoncision ou du lait de la Vierge Marie ou le membre viril d'un bienheureux en renom. On canonisa des individus d'une moralité douteuse, parfois de vrais criminels ; on honora des saints qui n'avaient jamais existé. Des personnages excentriques, comme saint Bernard et saint François d'Assise, acquirent de leur vivant une réputation de thaumaturges que des légendes posthumes grossirent démesurément. Nombre de saints se spécialisèrent dans la fabrication de tel ou tel genre de miracles : saint Cloud guérissait les furoncles, saint Ouen la surdité, saint Fiacre les hémorroïdes. Parce qu'ils étaient nantis d'un pouvoir surhumain, les rois de France pouvaient guérir le goitre et les écrouelles par simple attouchement. Certains malades avalaient la poussière recueillie sur le tombeau du saint qu'ils invoquaient, ou la mèche des cierges qui brûlaient en son honneur. Quotidiennement, de pieuses personnes recevaient la visite des habitants des cieux ; des saints qui n'existèrent que dans l'imagination des hagiographes n'hésitaient pas, eux aussi, à se montrer. C'est ainsi que Jeanne d'Arc vit fréquemment sainte Catherine qui, de l'avis du pieux Jean de Lannoy, de Mgr Duchesne et de tous les historiens catholiques sérieux, n'a jamais vécu ni à Alexandrie, ni ailleurs. Des légions de diables s'abattaient également sur notre malheureuse planète ; des milliers de sorcières et de magiciens se rendaient chaque semaine au sabbat pour rencontrer messire Satan. Beaucoup payèrent de leur vie ce commerce avec les puissances infernales, car les moines inquisiteurs estimaient qu'un crime si atroce appelait impérieusement les flammes purificatrices du bûcher.

Comme les catholiques orthodoxes, les hérétiques eurent aussi leurs thaumaturges. Ils ne manquèrent point parmi les albigeois et les sectes mystiques écloses au moyen âge. Confirmation éclatante, disaient leurs chefs, de l'excellence de leur doctrine et du caractère diabolique des persécutions dirigées contre eux par le clergé catholique. Plus tard, le don des miracles sera départi avec prodigalité aux camisards des Cévennes, odieusement persécutés par l'autorité royale. Mais le plus fameux des thaumaturges hérétiques fut le diacre Pâris qui devait, après sa mort, causer tant de tracas aux pouvoirs publics. Ce pieux personnage n'avait pu être ordonné prêtre, parce qu'il refusait obstinément d'accepter la bulle Unigenitus. Il s'était retiré dans une petite maison du faubourg Saint-Marceau à Paris, et l'austérité de sa vie ainsi que son inépuisable charité lui valurent une réputation de sainteté que le clergé catholique ne parvint pas à ternir. Pâris mourut en 1727 et fut enterré dans le cimetière Saint-Médard. Bientôt l'on apprit que des guérisons s'opéraient sur son tombeau ; une foule de malades et de dévots vinrent implorer le nouveau saint ; et les miracles se multiplièrent d'une façon surprenante. Epouvanté de voir que le ciel se prononçait en faveur des jansénistes, le clergé obtint la fermeture du cimetière Saint-Médard, sous le ministère du cardinal Fleury. Les autorités ecclésiastiques n'admettent, en effet, jamais d'autres prodiges que ceux qui cadrent avec leurs desseins ou peuvent servir leurs intérêts. Les historiens catholiques insistent de préférence sur le caractère extravagant des scènes qui se déroulèrent. Un tremblement convulsif saisissait les assistants les plus impressionnables et gagnait, par contagion, l'ensemble des personnes présentes ; des cris aigus étaient poussés par ceux que visitait l'esprit divin. Mais des guérisons merveilleuses s'opéraient indéniablement. Charcot rapporte le cas de Mlle Coirin, atteinte depuis quinze ans d'un cancer du côté gauche, et qui fut guérie en août 1731. On pourrait multiplier les exemples de ce genre, démontrant que, malgré ses dires, l'Eglise catholique n'a point le monopole des prodiges divins.

Aux XIXème et XXème siècles, la source des miracles ne s’est point tarie. Les catholiques continuent d'avoir des thaumaturges et des centres thérapeutiques renommés, mais ils sont dépassés par des hérétiques, par des non-chrétiens et quelquefois, chose horrible à dire! par de notoires matérialistes. Dieu, ayant sans doute perdu la tête, néglige de plus en plus ses adorateurs et favorise des athées!

En 1846, un berger et une bergère virent la Vierge sur la montagne de La Salette, dans l'Isère. S'il faut en croire un jugement rendu le 25 février 1855 par le tribunal de Grenoble, il s'agirait seulement d'une pieuse supercherie de Mlle de la Merlière, une dévote fanatique. Mais, comme l'autorité épiscopale s'était prononcée dès 1847 en faveur de la réalité de l'apparition et que le pape confirma cette approbation, les catholiques ont continué d'aller en pèlerinage à La Salette ; et de nombreux miracles se sont produits sur cette sainte montagne. En 1858, c'est à Lourdes, dans les Hautes-Pyrénées, que la Mère de Dieu se montra plusieurs fois à une petite fille inculte et d'esprit arriéré, Bernadette Soubirous. Une source miraculeuse opéra des guérisons qui valurent à Lourdes une renommée extraordinaire, et en firent le principal centre de la thérapeutique sacerdotale. Nulle part on n'a su exploiter la crédulité humaine d'une façon plus savante et plus méthodique. Tout est disposé pour provoquer le délire mystique, pour engendrer une formidable émotion chez les assistants. Des masses vibrantes et suggestionnées chantent, vocifèrent, implorent ; un immense frisson traverse la foule des pèlerins qui s'agenouillent les bras en croix, se prosternent, pleurent, gesticulent comme des déments. De vrais malades quelquefois, souvent des hystériques ou des simulateurs hurlent avec force qu'ils sont guéris. Alors ce sont des cris d'enthousiasme, d'ardentes invocations, des appels passionnés que dirige un prêtre à la voix tonitruante. Aidée par des médecins ignares ou peu consciencieux, la presse dévote transforme ensuite ces faits parfaitement naturels en miracles de premier ordre. Et, dans la caisse des Pères de la Grotte, ces commerçants d'une adresse sans égale, s'entassent, à un rythme accéléré, les pièces et les billets. Pour le pape et pour les moines, Lourdes est une source inépuisable de revenus. Ni au point de vue des écus, ni au point de vue des miracles, Paray-le-Monial, Pont-main, Pellevoisin, etc., n'obtiennent un rendement comparable. Fatima, au Portugal (où la Vierge se montra en 1917 et annonça la fin de la guerre pour le 13 octobre de la même année : légère erreur comme on le voit!) attire de nombreux malades et possède même un bureau des constatations qui, comme celui de Lourdes, entérine les miracles et les arrange à sa façon. Les apparitions d'Ezquioza, en Espagne, et celles de Beauraing, en Belgique, ont fait couler beaucoup d'encre ces dernières années ; on ne sait encore à quels résultats pratiques elles aboutiront.

Au XIXème siècle, le catholicisme n'a pas manqué non plus de saints thaumaturges. Le plus célèbre fut le curé d'Ars qui était quotidiennement en rapport avec les habitants des cieux, en particulier avec sainte Philomène qui se montrait souvent à lui et guérissait les malades par son entremise. Pourtant un religieux, le Père Delahaye, démontra plus tard, d'une façon irréfutable, que cette sainte n'a jamais existé! Quant au démon, il jouait, assure-t-on, mille niches au curé d'Ars, surtout pendant la nuit. Sainte Thérèse de Lisieux, aujourd’hui si populaire, n'opéra aucun miracle durant sa vie ; c'est seulement après sa mort que de pieux charlatans firent, à son sujet, un battage aussi ignoble que fructueux. Un jeune cancre, qui mourut à douze ans, le 24 janvier 1925, et dont la mère fut une grande amie du nonce Ceretti, Guy de Fontgalland, commence, lui aussi, à opérer des prodiges. C'est une savante publicité qui a permis d'obtenir ce résultat, car ceux qui l'ont connu parlent sans bienveillance de sa dissipation en classe et de son indécrottable paresse : ils s'indignent en voyant qu'on veut faire un saint de ce garçonnet ridicule.

Narguant les catholiques, une secte protestante, la Christian Science, opère des miracles bien supérieurs à ceux que les papistes enregistrent à Lourdes. Elle fut fondée à Boston, vers 1880, par Mary Eddy, une femme adroite mais dépourvue de scrupules qui se moqua de ses contemporains avec audace et sang-froid. Thaumaturges et prophètes abondent dans les pays anglo-saxons, où l'on continue de prendre au sérieux les histoires rocambolesques racontées dans la Bible. Parmi les faiseurs de miracles des Etats-Unis, citons Dowie qui fonda une religion nouvelle vers 1894. Son temple était tapissé de béquilles, de bandages herniaires et d'autres « trophées de la Cure divine » par la seule imposition des mains, il accomplit des guérisons innombrables. La fille d'un banquier fut instantanément guérie d'une déviation de l'épine dorsale, des rachitiques, des incurables de toutes sortes retrouvèrent la santé ; mais il ne put sauver sa propre fille. Ce commerce lui permit du moins d'encaisser des millions de dollars. Schlatter, un autre thaumaturge fameux, fut plus désintéressé ; il disparut brusquement le 13 novembre 1895, avertissant ses admirateurs que son Père Céleste le rappelait à lui. Cancer, phtisie, tumeur, surdité, cécité, paralysie, rien ne résistait à l'influence de son action curative ; pour être guéri, il suffisait de toucher un de ses gants. Aussi apportait-on d'énormes monceaux de gants autour de sa demeure ; Schlatter les touchait pour en faire des agents du miracle. Les mormons, ces prosélytes de la polygamie, prétendent eux aussi que leurs saints accomplissent de fréquents et merveilleux prodiges. On voit combien est encore enfantine la mentalité de certains anglo-saxons.

Spirites, occultistes, théosophes ont leurs guérisseurs ; quelques-uns éclipsent même, et de beaucoup, les faiseurs de miracles approuvés par les autorités ecclésiastiques. Pour ne parler que des disparus, rappelons le souvenir du père Antoine et celui du zouave Jacob. A Jemmapes-sur-Meuse, où habitait le père Antoine, se renouvelaient, chaque jour, les scènes qui se passent à Lourdes au moment des pèlerinages. Riches et pauvres, accourus de toute la Belgique, des nations voisines et parfois des contrées du globe les plus reculées, se pressaient autour de sa pauvre maison, et au contact de sa main salvatrice, les paralytiques se levaient, les sourds entendaient, les aveugles voyaient, les cancéreux, les phtisiques se déclaraient guéris. Le père Antoine fonda une nouvelle religion qui compte, aujourd'hui encore, de nombreux adhérents. C'est à Paris que le zouave Jacob opéra ses merveilleuses cures. Dans son officine, les personnages officiels coudoyaient les ignorants, tous également désireux de s'imprégner du fluide rédempteur qui faisait fuir la maladie. Il guérit le maréchal Forey, le comte de Chateauvillers et beaucoup d'autres notabilités de l'époque ; son succès fut prodigieux. Enfin, de nos jours, sont apparus des thaumaturges qui ne rattachent leurs miracles à aucune croyance religieuse, qui, parfois, sont des athées convaincus. Ils ont pour ancêtre Mesmer, le créateur du magnétisme animal, qui connut, au XVIIIème siècle, une vogue éclatante. Le Docteur Charcot et beaucoup d'autres psychiatres foncièrement irréligieux ont réalisé des miracles de tous points comparables à ceux qu'opèrent les thaumaturges chrétiens. Ce n'est pas en faisant appel à des forces surnaturelles, mais en s'adressant aux énergies latentes de l'inconscient, que Coué put guérir tant de malades déclarés incurables. Contrairement à ce que l'on admit longtemps, la pensée exerce une action efficace, non seulement sur les troubles nerveux, mais encore sur les troubles organiques. Les petites tumeurs de la peau appelées verrues résistent rarement à la suggestion, ainsi que l'ont établi d'une façon rigoureuse les docteurs Farez et Bonjour. La laïcisation du miracle apparait comme un fait accompli ; la thaumaturgie n'est plus qu'une branche de la médecine ordinaire. Et voilà qui démontre que jamais, et nulle part, l'on n'a constaté sur notre globe une intervention de dieu ou d'entités immatérielles.



- L. BARBEDETTE