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THEOLOGIE n. f. du grec theos, dieu, logos, discours


Fausse science qui prétend nous renseigner sur Dieu et sur l'au-delà, grâce à l'étude des traditions sacrées et des fables de la révélation. Dédaigneuse de l'expérience et de la raison, elle s'appuie de préférence sur les textes des livres saints, sur les décisions des autorités ecclésiastiques, sur les divagations des mystiques ou les frivoles croyances des écrivains pieux. Alchimistes et astrologues avaient du moins le mérite de procéder à des observations minutieuses et précises ; malgré des erreurs de tous genres, ils furent les précurseurs de la science contemporaine. Parce qu'elle s'oppose sottement au savoir positif et à la philosophie, la théologie n'est plus, depuis plusieurs siècles déjà, qu’un ramassis de sottises, où les chercheurs sérieux ne trouvent rien à glaner. Et son goût pour les raisonnements abstraits, pour les disputes quintessenciées, la dépouille du charme poétique, de la naïve beauté qui plaisent dans les vieux récits mythologiques et dans les légendes dont s'entoure la naissance des principaux mouvements religieux. Comment des hommes sensés peuvent-ils prendre au sérieux les stupides élucubrations qui remplissent les ouvrages des théologiens? On se l'expliquerait mal, si l'on ne tenait compte des intérêts secrets qui guident les individus, si l'on ne remarquait combien la véritable intelligence est rare, même dans le monde des diplômés et des érudits. Toutes les théologies du monde ne valent pas dix minutes de sérieuse attention : leur ensemble constitue un immense sottisier qui parviendra peut-être à faire rire ceux qui nous succéderont. Pourtant de prétendues sommités intellectuelles, des professeurs de Facultés, des membres de l'Institut font l'apologie de ces insanes élucubrations ; et leurs vaines recherches sont portées aux nues par les autorités académiques, par les critiques en vogue, par les journaux et les revues qui, à volonté, font et défont la réputation d'un écrivain.

Alors que les Grecs donnaient le nom de théologiens aux poètes qui, comme Hésiode, racontaient l'histoire des dieux ou aux penseurs qui tiraient des Leçons de sagesse des récits mythologiques, les modernes ont réservé ce titre à des ergoteurs, chargés de fondre en un tout cohérent les données parfois contradictoires, d'une foi habituellement absurde. Toutes les religions, grandes ou petites, ont leurs théologiens qui se chicanent et s'injurient avec ardeur. Brahmanistes, bouddhistes, juifs, protestants, catholiques, musulmans, théosophes, etc., se traitent mutuellement de scélérats et d'imposteurs ; ils ne tombent d'accord que pour maudire le penseur indépendant qui répudie tous les cultes et ne porte d'offrande à aucun temple. Volontiers, nous reconnaissons néanmoins que la sottise et la mauvaise foi théologiques présentent des degrés ; dans l'ensemble, les pasteurs protestants sont moins déraisonnables que les prêtres catholiques, et certains théosophes sont assez voisins des incroyants. Mais aucune religion, qui se prétend d'origine surnaturelle, ne peut se dispenser d'organiser ses postulats fondamentaux, de les fondre en un système harmonieux et logique, d'en poursuivre l'application dans le domaine pratique, moral, spéculatif. Et parce qu'elle repose en définitive sur des données irrationnelles, de confuses intuitions mystiques, des erreurs et des préjugés qui ne cessent point d'être tels parce qu'ils sont millénaires, toute théologie est une construction dépourvue de solidité ; ses déductions les plus rigides s'avèrent fausses, car elles partent de principes erronés ; ses formules les plus séduisantes n'éliminent jamais complètement l'absurdité des dogmes quelles traduisent ou des croyances qu'elles exposent. Ajoutons que c'est une prétention singulière de la part d'un homme de vouloir parler des choses divines avec plus de clarté et de logique que dieu, les prophètes ou les auteurs inspirés. Or telle est la prétention du théologien qui interprète les textes sacrés, les adapte et les corrige de façon à leur donner un sens conforme à l'intérêt de sa secte ou de son Eglise, mais souvent tout à fait contraire à sa primitive signification.

Alors que les théologies musulmane et juive sont assez simples, les théologies brahmaniste et bouddhiste sont d'une complexité extraordinaire. Les premières répondent à la mentalité de peuples essentiellement pratiques, les secondes au goût pour les subtilités métaphysiques et les abstractions échevelées qui caractérise certaines races d'Extrême-Orient. Si le catholicisme possède une dogmatique touffue et quintessenciée, il le doit d'abord aux Grecs chrétiens des premiers siècles : passionnés pour les querelles idéologiques, ces derniers apportèrent à l'étude des choses saintes un amour des chicanes et des disputes transcendantes bien caractéristique de leur tempérament particulier. Les Romains, plus positifs, comprenaient mal ces discussions à perte de vue sur des questions futiles ; c'est l'aspect juridique et moral du christianisme qui retint de préférence leur attention. Pour le théologien catholique, d'innombrables difficultés résultèrent, en outre, du fait que les décisions des conciles œcuméniques et des papes sont considérées comme infaillibles, au même titre que les Saintes Ecritures. Moins gênés par un dogmatisme étroit et des formules vieillottes, les plus évolués des protestants rajeunissent, de temps en temps, leurs concepts théologiques, et les adaptent au goût de l'heure. Malgré son caractère mesquin et sa faible valeur philosophique, la théologie catholique s'impose d'ailleurs tyranniquement chez les nations occidentales ; pendant toute la durée du moyen âge, art, science, philosophie devinrent ses esclaves ; elle régna en maîtresse absolue dans les Universités et les écoles ; ses décisions s'imposèrent même aux souverains ; et le bûcher purificateur expédia dans l'autre monde les téméraires assez audacieux pour braver ses décrets. Aux héros du paganisme, enflammés de désirs indomptables, furent substitués des saints d'une apathique indolence ; des anges privés de sexe remplacèrent les dieux sensuels et belliqueux du panthéon grec ou romain ; l'antique Zeus, épris des jouissances terrestres, fut détrôné par un dieu ami de la souffrance et qui n'hésitait point à faire mourir son fils dans des supplices ignominieux. La nature et la raison, corrompues par le péché originel, parurent des ennemies qu'il fallait couvrir de chaines pour les atteler au char de la révélation. D'où l'inhumaine civilisation du moyen âge, son mépris sadique de la douleur et de la vie du pauvre, l'ascétisme fou dont ses saints donnèrent l'exemple, sa haine de la pensée indépendante et du progrès.

Au XVIème siècle, la Réforme porta un coup terrible au prestige de la théologie catholique, en rejetant l'autorité du pape et des conciles. Culte et dogmes furent simplifiés ; mais la Bible, devenue la suprême règle de la foi, fut le mauvais génie des protestants. C’est la Renaissance qui, repoussant avec vigueur la tradition chrétienne, réhabilita la nature et la raison. La diffusion de l'esprit critique, les progrès de la science, les recherches de l'exégèse biblique indépendante ont rendu de plus en plus difficile la position des théologiens. Avant 1914, beaucoup de rationalistes s'imaginaient naïvement qu'il convenait de respecter la religion, comme on respecte ces vieilles choses, autrefois redoutables, qui n'offrent plus qu'un intérêt de curiosité. Il était de bon ton, même dans les milieux de gauche, de ne parler des croyances ancestrales qu'avec une sympathie non déguisée. Pour bien montrer qu'ils n'étaient point sectaires, les pontifes radicaux et socialistes, les dirigeants de l'Université et des grandes administrations, les francs-maçons libres penseurs prenaient, ouvertement, sous leur protection les pieux catholiques que de saintes femmes, des écrivains renommés ou des financiers opulents recommandaient à leur bienveillance. Aujourd'hui, la désillusion de quelques-uns doit être grande. Ils sont bafoués par les enfants de Marie qu'ils ont si tendrement réchauffés dans leur sein. Ne les plaignons pas ; plusieurs se firent sciemment les complices des chefs d'Etat qui prévoyaient la guerre et des patrons qui craignaient pour leurs coffres-forts. Malgré l'adresse indéniable des théologiens, la religion disparaîtra du globe ; mais c'est une erreur de croire qu'elle n'est plus dangereuse, qu'elle a épuisé tout son venin.



- L. BARBEDEITE