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THESE n. f. (du radical grec tilhèmi : je pose)


Au sens originel, une thèse c'est une proposition qui doit faire l'objet d'une discussion ; au sens large, c'est toute conception accompagnée de preuves, toute doctrine dont l'argumentation, si développée soit-elle, aboutit à une idée centrale. Le mot thèse sert enfin à désigner des feuilles imprimées ou des livres concernant des discussions d'école.

Souvent l'on parle d'un roman ou d'une pièce à thèse pour indiquer que l'auteur a soutenu dans son œuvre une conception ou un système bien déterminé. Bazin, Barrès, Bordeaux, Bourget par exemple se sont faits les champions du militarisme, du cléricalisme et des autres sornettes réactionnaires dans leurs divers romans. Un trop grand nombre d’historiens se bornent aussi à choisir entre les faits ceux qui s'accordent avec leurs idées préconçues. C'est le cas d'Hanotaux, de Bainville, de presque tous les historiens catholiques et patriotes. Orateurs et journalistes se tiennent, ordinairement, encore plus loin de la vérité ; à tout prix, ils veulent démontrer les thèses chères à ceux qui les emploient et qui les payent. La littérature contemporaine n'est d'ailleurs, dans son ensemble, qu'un immense bourrage de crâne, en faveur d'une oligarchie financière chez nous, d'une hiérarchie de fonctionnaires marxistes chez les Russes, d'un chef encadré de partisans organisés dans les pays fascistes. Karl Marx n'avait pas prévu que le capitalisme trouverait dans le journal un auxiliaire capable, chez bien des peuples, de faire contrepoids aux justes réclamations des ouvriers. Ici encore son matérialisme historique est gravement pris en défaut. Les événements survenus à Paris, le 6 février 1934, ont montré aux plus aveugles qu'en dehors de considérations spécifiquement économiques, la presse est capable d'engendrer des émeutes et de renverser un gouvernement. Mais très peu, hélas, parmi les partisans de l'intégrale libération humaine se rendent encore exactement compte du rôle formidable joué à notre époque par les journaux. Les ennemis du peuple ont, au contraire, organisé d'une façon méthodique l'empoisonnement des intelligences ; leurs thèses sont défendues dans les publications les plus humbles, comme dans les périodiques les plus luxueux.

Dans les écoles, on continue d'appeler thèses des propositions que l'on discute publiquement. Ce genre d'exercice fut particulièrement en honneur durant tout le moyen âge. Dès le premier jour de son entrée à l’université, l'étudiant apprenait à discuter d'une manière conforme aux règles de la logique aristotélicienne ; il devait continuer jusqu’à sa sortie. Ces joutes de paroles habituaient le jeune homme à masquer le vide de sa pensée sous un ensemble impressionnant de mots et de raisonnements captieux. D'où l'art de parler à l'infini, sans se soucier des faits qu'une observation patiente et méthodique parvient seule à découvrir. La soutenance des propositions choisies par le candidat ou données par les professeurs constituait la partie essentielle des grands examens universitaires. De nos jours, la soutenance de thèses subsiste dans l'enseignement supérieur, en particulier lorsqu'il s'agit d'obtenir le doctorat. Les sujets traités sont moins burlesques qu'autrefois, car l'esprit scientifique a lentement pénétré dans tous les domaines. Néanmoins, dans leur immense majorité, ils sont dépourvus d'utilité réelle et ne contribuent nullement au progrès intellectuel. A quoi servent par exemple les études interminables de nos latinistes sur la versification chez Horace ou Virgile? Pourquoi d'énormes ouvrages pour commenter quelques vers obscurs d'Homère ou d'Hésiode? En droit et en médecine, les candidats se bornent, en règle générale, à ressasser une idée chère aux professeurs ; aussi leurs thèses sont-elles universellement considérées comme dépourvues de toute valeur sérieuse. En science et en lettres, elles jouissent d'une réputation meilleure. Le public ne sait pas, en effet, que la flagornerie à l'égard des examinateurs, une docilité complète à l'égard de leurs plus sottes fantaisies constituent, dans ce domaine comme dans les autres, le facteur essentiel du succès. Situation sociale, parenté, relations jouent aussi un rôle de premier ordre. On n'a pas oublié la mésaventure survenue à Palante, quand il présenta sa thèse de doctorat. Pour ma part, j'ai conservé un souvenir nauséabond des pontifes de la Sorbonne, comme aussi des professeurs d’Universités étrangères avec qui j'ai dû entretenir des rapports. Avec l'âge, mon mépris pour eux n'a pas cessé de croître, car j'ai parfaitement connu les raisons secrètes qui dictèrent leur façon d'agir. Comble de l'hypocrisie, des Sorbonnards m'ont écrit pour me féliciter des études que je faisais paraître dans une revue savante. Mais ils apprirent qu'il s'agissait d'extraits d'une thèse qui, autrefois, ne leur convenait point ; et dès lors ils s'empressèrent d'intervenir pour que la revue en arrête la publication. Beaucoup d'autres ont souffert de procédés semblables. Pour ma part, je ne regrette point ces déboires passés ; et les pontifes, à qui j'inspirais déjà de la crainte, n'avaient pas tort de penser que mes dispositions étaient peu rassurantes pour les défenseurs de l'ordre établi.

Dès qu'il s'agit d'une thèse quelconque, scolaire ou non, le danger qui guette l'auteur, même bien intentionné, c'est de faire œuvre partiale, c'est de négliger les observations contraires à ce qu'il suppose, pour ne retenir que des éléments choisis d'une façon arbitraire. Ainsi, d'avance, le catholique pose comme une vérité certaine que la Bible et les Evangiles sont des livres inspirés ; et cette persuasion l'empêche de voir les erreurs, les méprises grossières, les monstruosités morales qui fourmillent dans ces œuvre sacrées. Parce qu'il a voulu plier les faits historiques à ses idées préconçues sur la race, le milieu, le moment, Taine a écrit des ouvrages dépourvus de valeur objective. Si la lecture des œuvres communistes est peu intéressante, d’ordinaire, pour l’individu intelligent et renseigné, c'est que la réalité y subit une déformation systématique, conforme aux thèses marxistes ou aux intérêts du parti. La majorité des études faites par les politiciens, de n'importe quelle nuance, mérite des reproches semblables. Pour être bien vus des nazis, maints professeurs allemands émettent, touchant la race aryenne, des hypothèses absolument contraires à la vérité. Et, comme Mathiez me l'a répété bien souvent, il faut beaucoup d'ignorance on de mauvaise foi pour continuer à dire que la Révolution de 1789 fut l'œuvre de la franc-maçonnerie. Reconnaître avec simplicité les erreurs qu'on a pu commettre, rester toujours sincère avec soi-même, se défier des hommes ou dès institutions qui se disent infaillibles, voilà une attitude qui déplaît aux fabricants de mythes, mais qui nous charme particulièrement. Pour agir de façon efficace, le savant s'appuie sur la simple réalité, non sur de consolantes suppositions.



- L. BARBEDETTE