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TOLERANCE n. f.

Lorsque les individualistes antiautoritaires, les individualistes anarchistes - c'est-à­ dire les individualistes intégraux - réclament, revendiquent la possibilité de coexistence et de fonctionnement parallèle et simultané d'associations de toute espèce et de toute intention ; lorsqu'ils revendiquent pour l’unité humaine - pour l'isolé comme pour l'associé, pour le solitaire comme pour le sociable - la possibilité de « vivre sa vie » sans avoir à redouter qu'autrui (son semblable, l'Etat, le Gouvernement, l'ambiance sociale ou morale) intervienne dans ses faits et gestes, empiète sur sa liberté d'être et d'avoir, les individualistes n'attendent pas la réalisation de leurs aspirations d’une mentalité faisant de la tolérance la base des relations entre les humains.

On a vu précédemment que c'est sur la réciprocité que les individualistes à notre façon voudraient voir se fonder les rapports entre les hommes. Et la réciprocité n'a rien à démêler avec la tolérance, régime de pur arbitraire et de bon plaisir. Il n'y a aucune fierté, aucune dignité à être toléré par ses adversaires. Qu'ils soient mus par la crainte ou par la pitié, par la politique ou la nécessité, il ne s'agit, en réalité, dans tous les cas, que d'une charte aléatoire dont les articles seront abolis dès que ceux qui l'auront octroyée se sentiront plus forts ou n’auront plus besoin de leurs antagonistes.

La tolérance est un autre mot pour humiliation. On vous tolère, c'est-à-dire on vous permet de vous manifester, d'exister, plutôt de végéter ; on vous accorde tout ou partie de l'exercice de votre activité mentale ou physique, quitte à retirer licence ou autorisation dès que la bienveillance ou la patience des privilégiés, des dirigeants ou des multitudes - selon le cas -­ se seront lassées ou épuisées. Ou encore dès que la Raison d'Etat ou la Souveraineté Populaire prescrira de mettre un terme à cette tolérance, tout simplement parce que sa pratique devient dangereuse pour le Pouvoir établi ou le conservatisme du Milieu social.

La Tolérance nous apparaît donc comme un régime tout au plus bon pour les esclaves auxquels l’absence de chaînes fait imaginer qu'ils sont libres.

Ce n'est pas la tolérance qu'exigent, que revendiquent les individualistes à notre manière. Ils réclament, ils veulent la possibilité entière, inaliénable, de vivre leur vie, à leur goût, à leur gré, peu importe que cela scandalise ou épouvante ceux dont la conception de vie diffère de la leur. Ils veulent vivre leur vie à leur façon, sans se mêler de la façon de vivre des autres. Ils ne tolèrent pas autrui : ils laissent autrui poursuivre en toute tranquillité son évolution ; ils se contentent de demander de lui qu'il agisse de même à leur égard. Ils peuvent s'associer pour éprouver, essayer, réaliser telle théorie, tel projet, tel dessein, mais c’est encore à leurs risques et périls, et en se défendant bien d'intervenir dans les buts, les objets, le fonctionnement des autres associations. Les individualistes ne veulent pas plus être des gêneurs que des gênés. C'est sous le régime de la « liberté égale » qu'ils veulent vivre et non sous celui de l'abaissante « tolérance ».


- E. ARMAND