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TRINITÉ n. f. du latin trinitas, de trinus, triple

Un seul Dieu en trois personnes. C’est, nous assure-t-on, le dogme fondamental de l’Église catholique et de plusieurs sectes protestantes. La certitude en est si bien établie que Calvin fit brûler Michel Servet parce que cet impie refusait de voir Dieu comme « un monstre à trois têtes ». Servet était indulgent pour le ridicule « mystère ». Un monstre à trois têtes est chose concevable. Mais non la trinité. Car, pour copier le Catéchisme du Diocèse et de la Province de Paris, « chacune des trois personnes est Dieu et possède la trinité tout entière » et cependant « les trois personnes ne sont qu’un seul et même Dieu ». Malebranche avoue (Recherche de la vérité, livre III, deuxième partie, chapitre VIII) : « On croit, par exemple, le mystère de la Trinité, quoique l’esprit humain ne le puisse concevoir ». Qu’est-ce que croire quelque chose qu’on ne conçoit pas ? Malebranche continue : « Et on ne laisse pas de croire que deux choses qui ne diffèrent point d’une troisième ne diffèrent point entre elles, quoique cette proposition semble le détruire ». Semble est indulgent. C’est qu’« on est persuadé qu’il ne faut faire usage de son esprit que sur des sujets proportionnés à sa capacité et qu’on ne doit pas regarder fixement nos mystères ». Il faut donc répéter des mots sans leur donner aucun sens et affirmer qu’on croit sans savoir ce qu’on croit. L’aveu célèbre de saint Augustin au livre VII de son traité De la Trinité, est plus court et plus net : « On parle de trois personnes, non pour dire quelque chose, mais pour ne pas se taire ». Dictum est tamem tres personœ, non ut illud diceretur sed ne taceretur.

Les trois dieux (pardon ! il n’y en a qu’un) ; les troiss morceaux de Dieu (pardon ! chacun « possède la divinité tout entière ») : les trois ce que vous voudrez ; les trois personnes, - puisqu’il est entendu, depuis Saint Augustin, que le mot n’a aucun sens, - sont également éternelles et pourtant le Fils est engendré par le Père ; le Saint-Esprit n’est pas engendré mais, pour l’Église grecque et pour les Pères de Nicée, il procède du Père, pour l’Église latine, il procède du Père et du Fils. Prière de ne donner aucun sens aux mots engendrer et procéder, si on ne veut pas tomber dans quelque hérésie.

N’essayons pas une histoire de ce dogme ou de tout autre dogme. Croyons-les et croyons qu’ils remontent tous aux apôtres. Car, affirme Bossuet (préface de l’Histoire des Variations), « le Saint-Esprit répand des lumières pures et la vérité qu’il enseigne a un langage toujours uniforme... Tout ce qui varie, tout ce qui se charge de termes douteux et enveloppés a toujours paru suspect et non seulement frauduleux mais encore absolument faux, parce qu’il marque un embarras que la vérité ne connaît point ». Car « la vérité catholique, venue de Dieu, a d’abord sa perfection ». Et « l’Église, qui fait profession de n’enseigner que ce qu’elle a reçu, ne varie jamais ».

C’est pourquoi, dans le Symbole dit des Apôtres, le Père est le seul créateur ; mais, au symbole de Nicée, c’est par le Fils que « toutes choses eurent l’existence », si je traduis littéralement le texte grec ; et, si je m’en tiens au latin, « par lui toutes choses ont été faites ». Acceptons ce changement d’une Église « qui ne varie jamais » et ne lui rappelons pas que « tout ce qui varie a toujours paru... absolument faux ».

Pourquoi ai-je la mauvaise idée d’ouvrir le Catéchisme du Concile de Trente ? Après avoir étudié l’article du Symbole des Apôtres qui présente le Père comme le « créateur du ciel et de la terre », il ajoute : « En voilà assez pour l’explication de ce premier article, pourvu toutefois que nous donnions encore cet avertissement que l’œuvre de la Création est commune à toutes les personnes de la Trinité sainte et indivisée. Car nous confessons ici, d’après la doctrine des Apôtres, que le Père est créateur du ciel et de la terre ». Après ce précieux aveu, on ajoute le Fils et le Saint-Esprit, en se référant - mais terriblement on « se charge de termes douteux et enveloppés » - à des textes de la Sainte Écriture tendancieusement ou plutôt follement commentés.

Les divers symboles se débarrassent rapidement du Père tout-puissant, seul créateur dans le premier, demi-créateur dans le second, tiers de créateur dans le troisième. Ils ne sont pas non plus très longs sur le Saint-Esprit. Mais ils s’attardent sur la deuxième personne. Le symbole de Nicée, par exemple, après avoir affirmé « un seul Seigneur Jésus-Christ, fils unique de Dieu et né du Père avant tous les siècles, Dieu de Dieu, lumière de Lumière, vrai Dieu du vrai Dieu, qui n’a pas été fait mais engendré, consubstantiel au Père », nous détaille sa folle incarnation humaine. Un Dieu fait homme, dit à peu près Spinoza, c’est un triangle revêtant les propriétés du cercle.

C’est dans le Symbole dit de Saint-Athanase parce que personne ne croit plus depuis longtemps qu’il soit de ce Père, que l’Église expose le plus clairement - si l’on a la cruauté d’employer ce mot - son dogme de la Trinité. Copions ce symbole : il sera utile à qui voudra faire une histoire de la folie humaine :

« Quiconque veut être sauvé doit garder la foi catholique, qui adore un seul Dieu dans la Trinité et la Trinité dans l’Unité sans confondre les personnes ni diviser la substance. Car autre est la personne du Père, autre celle du Fils, autre celle du Saint-Esprit ; mais la divinité du Père, du Fils et du Saint-Esprit est une, leur gloire égale, leur majesté coéternelle. Tel qu’est le Père, tel est le Fils, tel est le Saint-Esprit. Tous trois sont incréés, incompréhensibles, éternels, tout-puissants ; et pourtant ils ne sont pas trois incréés, trois incompréhensibles, trois éternels, trois tout-puissants ; mais un seul incréé, un seul incompréhensible, un seul éternel, un seul tout-puissant. Ainsi le Père est Dieu, le Fils est Dieu, le Saint-Esprit est Dieu ; et pourtant, ils ne sont pas trois Dieux mais un seul Dieu. De même le Père est Seigneur, le Fils est Seigneur, le Saint-Esprit est Seigneur, et pourtant ils ne sont pas trois Seigneurs mais un seul Seigneur.

« D’autre part, tandis que le Père incréé n’est ni fait ni engendré, le Fils incréé aussi est né pourtant du Père, non pas fait mais engendré, et le Saint-Esprit, incréé à son tour, est de par le Père et le Fils, n’étant ni fait ni engendré, mais procédant. Ce qui fait qu’il y a un seul Père et non Trois Pères, un seul Fils et non trois Fils, un seul Saint-Esprit et non trois Saint-Esprits. Mais de ces trois personnes, aucune n’est antérieure ou postérieure à l’autre, aucune n’est supérieure ou inférieure, de sorte que par tous les côtés, comme nous l’avons dit, il y faut adorer l’Unité dans la Trinité et la Trinité dans l’Unité ».

J’admire la solidité du prêtre Malebranche qui, lisant pieusement chaque semaine ces paroles dans son Bréviaire, ne laissait pas d’affirmer, honnête géomètre, que « deux choses qui ne diffèrent point d’une troisième ne diffèrent point entre elles ».

-HAN RYNER.

TRINITÉ

Les anarchistes ne sont pas des croyants. Le mouvement libertaire ne s'apparente à aucune forme de la pensée et de l'action religieuses. Il combat toutes les Eglises : le but de celles-ci − de toutes, sans excep­tion − étant de courber l'humanité sous le joug de la croyance aveugle aux Dogmes et de la soumission passive aux enseignements sur commande et aux mo­rales imposées qui en découlent. Mais, contrairement à ce qu'imaginent ceux qui ignorent ou connaissent mal et insuffisamment les conceptions anarchistes, les libertaires ont un Idéal très précis et cet Idéal aboutit à la formation d'une manière de Trinité engendrant un triple culte.

Ce culte, c'est celui du Vrai, du Juste et du Beau. Telle est la Trinité, réelle et sacrée celle-là, dont les anarchistes sont les adeptes fervents et convaincus.

Culte du « Vrai ». Nous sommes constamment à la poursuite de ce qui est vrai. Nous savons bien que ce qu'on appelle communément la Vérité n'existe pas. On a beau écrire ce mot avec un V majuscule, comme on a coutume d'écrire le mot Dieu avec un D majuscule, dans le but et l’espoir de conférer à l'être ou à la chose qu'il exprime une majesté et une puissance souveraines, on ne parvient pas à nous donner le change. Libre aux croyants d'estimer que la vérité est en dieu, puisque leur dieu (s'il existait) serait lui-même la vérité éter­nelle et absolue, totale et définitive. Moi qui nie I'exis­tence de dieu, je nie logiquement l'existence de cette vérité.

Mais je sais qu'il y a des vérités ; je sais que l’acqui­sition de ces vérités, toujours partielles et toujours susceptibles de révision, est extrêmement lente et malaisée ; je sais que, à l'exception de certaines proposi­tions qui ont, jusqu'à ce jour, triomphé de toutes les expériences et confrontations, nulle de ces vérités ne possède un tel caractère de certitude qu'on peut, sans crainte de se tromper, affirmer que rien, jamais, ne l'ébranlera, ne la ruinera. (Voir l'article « La Vérité et l'Eglise catholique ».)

C'est. pourquoi, dans l'énoncé de ce que j'appelle ici Trinité, je ne me sers pas du mot Vérité, mais du mot Vrai, voulant entendre par là cet ensemble de vérités fragmentaires et. momentanées que les chercheurs, en quête de connaissances de plus en plus vastes et de plus en plus solidement établies, s'évertuent inlassablement à consolider et à multiplier.

Du sens que j'attache à cette expression « le Juste », je dirai ce que je viens de dire à propos de « le Vrai ». La Justice n’existe pas en soi plus que la Vérité ; concrètement elle ne représente rien ; elle n'a de signification qu'en tant que terme abstrait, tendant à grouper l'ensemble de ce qui est juste, à le distinguer de ce qui est injuste, à l'opposer à ce qui est inique, à exprimer, par un substantif qui condense, totalise et synthétise, la somme des actions progressivement classées comme étant équitables, reconnues et démontrées telles, du moins jusqu'à plus ample informé.

Mêmes observations en ce qui concerne la Beauté. Inutile d’entrer, sur ce point, dans des explications qui ne seraient qu'une fastidieuse et superflue répétition de ce qui précède.

Je rejette le culte de la trinité catholique : le Père, le Fils et le Saint-Esprit (voir l'article qui précède). J'ai renoncé depuis longtemps à celui de la Trinité républicaine et démocratique : Liberté − Egalité − Fraternité. Ce culte a donné naissance à tous les abus et à tous les scandales qu'il avait pour but de suppri­mer. S'en étonne qui voudra ; encore qu'il ait été iné­vitable que, dans un milieu social autoritaire et conséquemment hiérarchique, cette trinité se soit, dans la pratique, avérée essentiellement contradictoire à ce qu'elle annonçait, puisqu'elle a donné : oppression, au lieu de liberté ; inégalité, au lieu d'égalité ; haine, au lieu de fraternité.

Mais j'adopte et travaille à pratiquer le mieux possi­ble le culte de cette trinité qui est et ne peut être qu'anarchiste : le Vrai, le Juste, le Beau. Cette Ency­clopédie est comme un temple édifié à une Vérité tou­jours mieux établie, à une Justice toujours plus effec­tive, à une Beauté toujours plus éclatante. En parcourant cet ouvrage, en en dégageant l'idée maîtresse et la pensée directrice, le lecteur impartial constatera que chaque étude est comme une pierre de ce monu­ment que des hommes ayant la passion du Vrai, du Juste et du Beau ont bâti en l'honneur de cette magni­fique Trinité.

Dénoncer le Mensonge, flétrir l'Injustice, honnir la Laideur, afin d'inspirer au lecteur le mépris de l'Impos­ture, la haine de l'Iniquité et le dégoût de la crasse, de la platitude et de la banalité. Par contre, proclamer le Vrai, acclamer le Juste, exalter le Beau, afin de hâter l'effondrement d'une société où ne peuvent ni s'épanouir les fleurs de la Vérité, ni mûrir les fruits de la Justice, ni resplendir les merveilles de la Beauté.

Tel est le dessein que nous poursuivons, ici, depuis près de dix ans et dont les formidables difficultés d'exé­cution n'ont pu parvenir à nous détourner.

− Sébas­tien FAURE.