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TROUBADOUR, TROUVERE

Ces deux mots se rattachent au verbe trouver, pris au sens ancien de composer en vers ; mais trouvère est la forme du cas sujet dans la langue d'oïl (le cas régime est troveor), tandis que troubadour (ou plutôt trobador est la forme régime dans la langue d'oc (le cas sujet est trobaire).

N. m. LITTER. : poète ayant composé dans l'ancienne langue française. Le premier de ces deux mots désigne les poètes en langue d'oc, le second ceux en langue d'oïl (Dictionnaire Larousse).

De même source, nous trouvons encore sur ces mots :

Encycl. Les ancêtres des troubadours et des trouvères sont les jongleurs. De bonne heure, à l'art de réciter des vers, quelques jongleurs joignirent celui d'en composer : ce sont ceux-là qui furent qualifiés « trouveurs ». Les troubadours allaient ordinairement de Cour en cour, séjournant plus ou moins longtemps dans chacune d'elles, selon le succès qu'ils y obtenaient. Au nord, au contraire, nous voyons d'assez bonne heure des trouvères attachés à la personne des grands seigneurs : Robert d'Artois et Charles d'Anjou, au XIIIème siècle, en avaient plusieurs à leurs gages. C'est surtout dans ce milieu seigneurial que le rôle et la condition des trouvères se transforma. Bientôt, en effet, quelques-uns furent jugés capables d'écrire et de transmettre à la postérité les faits et gestes de leurs protecteurs : ils devinrent alors de véritables historiographes ; ainsi, Froissart, Chastellain, Molinet et Meschinot. La condition du trouvère était surtout fort rehaussée s'il savait le latin : on lui demandait alors de traduire ou d’imiter les œuvres de l'antiquité, où l'on croyait qu'était renfermée toute science. C'est le rôle que jouent, à la cour des rois d'Angleterre, Wace et Benoit de Sainte More. Enfin, il va sans dire que l'art de composer n'était pas le privilège de cette caste plus ou moins asservie : des bourgeois, et même de fort grands seigneurs y acquirent ce qu'on appellerait aujourd'hui un beau talent d'amateur ; tels, au XIIIème siècle, Jacques Bretel, Thibaut de Champagne, le châtelain de Coucy et, au XVème siècle, Charles d'Orléans,

« Il ne saurait être question de citer ici même les plus connus parmi les trouvères et troubadours ; nous nous bornerons à les classer par groupes en indiquant sommairement les caractères dominants de chacun de ceux-ci. C'est le Limousin et le Périgord qui furent le berceau de la poésie courtoise ; c’est aussi à cette région qu'appartiennent les poètes les plus anciens et les plus estimés, dans ce genre : Bernard de Ventadour, Guiraud de Borneil, Arnaut de Mareuil, Arnaut Daniel ; quelques-uns des troubadours les plus anciens sont originaires de la Gascogne et avaient commencé par être jongleurs (Cercamon, Marcabrun, Marcoat). A l'Auvergne et au Velay appartiennent Peire d'Auvergne, Pierre Cardinal, le Moine de Mautoudon ; au Languedoc, Peire Vidal, Raimon de Miraval, Aimeric de Peghilhan, Guilhem Figueira, Guiraut Alquier ; à la Provence, Ram­baut d'Orange, Folquet de Marseille, Rambaut de Valqueiras, Bertran d'Alamanon. Dans le Midi, les troubadours reçurent bon accueil surtout en Provence, dans le comté de Toulouse, chez les seigneurs de Foix, de Rodez, de Narbonne, etc...

« Au Nord, les cours où les trouvères jouirent de la protection la plus efficace furent celles de Normandie, de Champagne, de Blois, de Flandre et de Hainaut. La Picardie et l'Artois furent aussi des centres d'intense production poétique ; les poètes trouvaient, dans ces grandes villes commerçantes, un public bourgeois, d'un goût moins raffiné, mais plus large que celui des grands seigneurs. Les bourgeois, eux-mêmes, formés en corporation, tour à tour pieuses et badines, s’adonnaient à la littérature et poussaient fort loin la verve satirique et la maligne observation des caractères. Il y eut, à Arras, toute une école de poésie lyrique, et cette région qui produisit une innombrable quantité de fabliaux dits moraux et satiriques, fut aussi le berceau du théâtre français profane et comique (Jeu de la Feuillée, Robin et Marion, d'Adam de la Halle). Ce sont les provinces, toutes voisines, de la Flandre et du Hainaut qui virent éclore, aux siècles suivants, l'école historique si brillamment représentée par Jean Le Bel, Froissart et les chroniqueurs de la cour de Bourgogne, A partir du XIVème siècle, le rôle des troubadours est fini, puisque la langue nationale a été, au Midi, remplacée par le français dans l'administration et la littérature. Quant aux trouvères, il n'y a pas lieu de prolonger leur histoire au delà du XVème siècle, puisque alors, connue nous l'avons vu, leur condition se transforme et que le nom qui les désignait d'abord fait place à d'autres, correspondant mieux à leur nouvel état social (G. Paris, La Littérature française au moyen âge (2e série).

Voici maintenant, glané ailleurs que dans le Dictionnaire Larousse, des appréciations documentaires sur le sujet que nous étudions.

M. Nisard remonte au troubadour Guillaume de Lorris l'auteur de la première partie du Roman de la Rose et à Jean de Meung, clerc savant, libre qui en composa la seconde partie. Il écrit alors : « Guillaume de Lorris n'avait rêvé que la conquête d’une rose, symbole de l'amour chaste et chevaleresque des troubadours. Jean de Meung a flétri la rose en la cueillant ».

La langue s'est enrichie du fait que troubadours et trouvères ont travaillé à la rendre expressive.

La langue du Xème siècle nous est surtout connue par une cantilène en l'honneur de Sainte Eulalie, et celle du XIème par les lois que Guillaume le Conquérant donna aux Anglais après avoir soumis leur pays.

La langue d'oïl et la langue d’oc se développèrent avec des alternatives diverses. La langue d'oc, plus sonore, plus harmonieuse, plus poétique, aura son époque de splendeur au moyen âge, avec les troubadours, et son influence se fera largement sentir sur la langue d'oïl. Celle-ci, toutefois, dotée plus certainement des qualités propres à l'esprit français : la clarté, la lucidité, l’ordre, la méthode, finira par l'emporter sur sa rivale, grâce, peut-être, aux circonstances exceptionnelles qui ont favorisé le développement de son caractère. Mais au XIème siècle, la langue d'oc domine en souveraine ; nous en trouvons la preuve dans les manuscrits précieux qui encombrent nos bibliothèques. C'est un curieux et intéressant travail que la comparaison des dialectes encore subsistants de la France méridionale avec la langue que parlaient alors les troubadours et les trouvères ; on y découvre le fonds même de la langue que parlaient tous ces poètes ; les mots abondent qui ont la même orthographe et la même assonance qu'alors. Les copistes on plutôt certains étymologistes, ont pu, sous prétexte de science, les « enrichir » de lettres inutiles ; le français de nos jours ne s'y reconnaît pas.

Quoi qu'il en soit, il faut bien reconnaître que c'est par la chanson que s'est perfectionnée, simplifiée, clarifiée la façon d'émettre des idées accessibles à tous par les vers chantés des troubadours et des trouvères.

Plus tard, ce sont encore les poètes et les orateurs du grand siècle qui lui donneront l'éclat majestueux du beau langage et les écrivains du XVIIIème siècle lui donneront la clarté, la simplicité.

Pour arriver à constater quelques caractères d’un idiome littéraire, il nous faut attendre qu'il ait pu se dégager, mais bien imparfait encore et grossier des éléments divers qui vont concourir à sa formation ; il nous faut arriver jusqu'à la bifurcation du français en langue d'oc et en langue d'oïl, idiomes qui ont eu leurs plus illustres interprètes dans les troubadours et les trouvères, premiers représentants de l'esprit français au moyen âge. Cet honneur revient surtout aux troubadours, dont les tensons ont précédé de cent ans les sirventes des trouvères. M. Michelet nous paraît avoir été bien sévère pour cette première efflorescence de notre littérature ; à son avis, elle est légère, immorale ; elle est pédantesque et subtile ; ce n'est qu'une fleur éphémère que la lourde main des hommes du Nord aura raison d'écraser. Nous pensons que le poète de l'Oiseau et de l’Insecte, le poète au style pailleté, miroitant, fouillé, forcé, le poète dont un critique très fin, M. Charles Monselet, a pu dire avec quelque raison : son langage est un patois ; nous pensons, disons-nous, que M. Michelet aurait dû apporter plus d'indulgence dans son jugement sur Arnaud de Marteil, Sordel, Bernard de Ventadour, Bertrand de Born, etc. « Pour jouir, dit Schlegel, de ces chants qui ont charmé tant de preux chevaliers, tant de dames célèbres par leur beauté, il faut écouter les troubadours eux-mêmes et s'efforcer d'entendre leur langage. Vous ne voulez pas vous donner cette peine? Eh! bien, vous êtes condamné à lire les traductions de l'abbé Millot ». Si nos premiers poètes du Midi avaient besoin d'une réhabilitation, nous opposerions au jugement de M. Michelet deux autorités bien autrement compétentes, quelque respect que nous professions pour la sienne : nous voulons dire Dante et Pétrarque. Dante, l'immortel Florentin, ne le prenait pas de si haut avec cette poésie éclose au soleil de la Provence ; pour le prouver, nous n'aurions qu'à rappeler sa rencontre aux enfers avec Bertrand de Born, et au purgatoire avec Sordel, qu'il compare à un lion reposant, calme en sa force. Citons ici, de ce troubadour, un passage qui légitime bien cette fière imagé :

« Je veux, en ce rapide chant, d'un cœur triste et marri, plaindre le seigneur Blacas, et j'en ai bien raison, car en lui j'ai perdu un seigneur et un bon ami, et les plus nobles vertus sont éteintes avec lui. Le dommage est si grand que je n'ai pas soupçon qu'il se répare jamais, à moins qu'on ne lui tire le cœur et qu'on ne le fasse manger à ces larrons qui vivent sans cœur, et alors ils en auront beaucoup.

Que d'abord l'empereur de Rome mange de ce cœur ; il en a grand besoin s'il veut conquérir par force les Milanais, qui maintenant le tiennent conquis lui-même, et il vit déshérité malgré ses Allemands.

Qu'après lui mange de ce cœur le roi des Français, et il retrouvera la Castille qu'il a perdue par niaiserie : mais s'il pense à sa mère, il n'en mangera pas, car il parait bien, par sa conduite, qu'il ne fait rien qui lui déplaise.

Je veux que le roi anglais mange aussi beaucoup de ce cœur, et il deviendra vaillant et bon, et il recouvrera la terre que le roi de France lui a ravie parce qu'il le sait faible et lâche » (Trad. du M. Villemain).

Tous les princes, tous les seigneurs de l'Europe ont ainsi successivement leur part à cette sauvage invitation, à cette sanglante invective, dont aucun poète n'a jamais surpassé le ton vigoureux et la couleur éclatante.

Et qu'on n'aille pas croire que ce chant soit une exception, une page isolée dans ce livre du Gay Saber que tant de critiques ne se sont pas même donné la peine d'ouvrir ; qu'on en juge par les vers suivants, dus à l'autre troubadour rencontré par Dante an batailleur Bertrand de Born :

Bien me sourit le doux printemps

Qui fait venir fleurs et feuillage ;

Et bien me plait lorsque j’entends

Des oiseaux le gentil ramage.

Mais j'aime mieux quand sur le pré

Je vois l’étendard arboré,

Flottant comme un signal de guerre ;

Quand j'entends par monts et par vaux

Courir chevaliers et chevaux,

Et sous leur pas frémir la terre,

Et bien me plait quand les coureurs

Font fuir au loin et gens et bêtes!


Rien me plaît quand nos batailleurs

Rugissent ; ce sont là mes fêtes!

Quand je vois castels assiégés,

Soldats sur les fossés rangés,

Ebranlant fortes palissades ;

Et murs effondrés et croulants,

Créneaux, mâchicoulis roulants

A vos pieds, braves camarades!

.. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ..

Je vois lance et glaive éclatés

Sur l'écu qui se fausse et tremble ;

Aigrettes, casques emportés,

Les vassaux férir tous ensemble,

Les chevaux des morts, des blessés,

Dans la plaine au hasard lancés,

Allons! que de sang on s'enivre!

(Trad. de M. Demogeot).

Tels étaient les sirventes des troubadours, leurs chants de colère et d'indignation, faits pour être accompagnés du cor guerrier ; quant à leurs tensons, composés sur un mode plus harmonieux et plus doux, ils ont charmé les oreilles de toutes les belles châtelaines du moyen âge.

Les chants des troubadours et leur gay saber furent étouffés dans les flots de sang que fit verser la guerre des Albigeois ; leur héritage passa aux poètes du Nord, aux trouvères : le règne de la langue d'oïl commençait.

Il n'est pas nécessaire, après cela de remonter plus haut et de s'étendre davantage. Aussi bien, les 4.000 vers de la première partie et les 18.000 de la seconde du Roman de la Rose ne prouveraient pas moins ni plus la charmante épopée littéraire des troubadours.

Quand, de nos jours, nous voyons des chanteurs ambulants autour desquels s'assemblent les curieux, il nous vient à l'idée que ces chanteurs sont une réminiscence des troubadours et des trouvères.

Certes, ils n'en ont plus le caractère, ni la notoriété.

Les temps sont bien changés. Cependant, ils ont leur charme et leur utilité aussi, ces chanteurs actuels, dans nos faubourgs, sur nos boulevards, provisoirement installés sur des emplacements également provisoires à cause de travaux des voies ; ils sont tolérés surtout au moment de certaines fêtes. On les rencontre encore sur les foires et marchés, dans les fêtes locales, enfin, partout où il y a affluence. Ils chantent souvent accompagnés de musiciens et vendent la chanson ou le recueil de chansons, popularisant ainsi les succès du jour des cafés-concerts et music-hall ou vulgarisant les couplets les plus faciles et les plus goûtés d'opérettes et pièces de théâtre, réputées ou nouvelles.

Ce sont les vulgarisateurs de la chanson. L'on a souvent le spectacle agréable d'apprécier la vivacité d'esprit, de mémoire et la délicatesse d'oreille des auditeurs qui apprennent ainsi, sur place, romances, chansons ou chansonnettes en accompagnant, en chœur, surtout au refrain, les troubadours modernes. C'est un tableau de mœurs parisiennes et populaires qui ne manque pas de couleurs et de caractère. Et si la chanson est bonne et bien faite, s'il y a du sentiment naturel et poétique, c'est, on peut le dire, de la beauté qui s'envole, de l'enseignement qui se répand. Et, si la chanson est de la critique intelligente des mœurs, de la stupidité ambiante, des préjugés courants, c'est alors de bonnes idées semées à plein vent et c'est de la bonne propagande qui ne peut qu'effaroucher les pudibonds, les bien pensants hypocrites et les cagots. Malheureusement, ce sont aussi et trop souvent, des inepties égrillardes, des romances imbéciles, des chants sans rimes ni raison, tout ce qui opprime, abrutit et maintient le peuple soumis, servile et résigné à tout. Cela est déplorable. Boycottons-les.

Les chanteurs des rues, les chanteurs ambulants ont eu leur gloire. Ils ont également leurs titres de noblesse.

Ne sont-ils pas, en effet, les descendants professionnels des troubadours et des trouvères? Ceux-ci furent les propagandistes, par la chanson, d'une époque historique.

Troubadours et trouvères ont leur histoire, qui fut belle. Résumons-la :

Au moyen âge, les violoneux, les jongleurs, les ménétriers et autres amuseurs publics formaient sous le nom collectif de troubadours une corporation qui a compté plusieurs célébrités. L’esprit de groupement naissait du besoin de solidarité. Le syndicalisme existait.

Ces troubadours, jouissant de privilèges spéciaux, étaient respectés partout et par tous, même des routiers. Parmi eux, se trouvaient de véritables artistes, aimant leur métier et s'honorant de l'honorer. On peut imaginer qu'ils étaient indépendants et braves. C'est avec ces qualités qu'ils osaient s'aventurer au milieu des gens de guerre et des routiers dont les campagnes de France étaient, à l'époque, infestées. Mais la chanson passe partout.

Quand un ménestrel survenait dans un bivouac, il recevait aussitôt bon accueil, on lui donnait la bonne place, on lui servait les meilleurs morceaux et on lui versait force rasades, sans rien lui réclamer d'autre qu'une chanson.

C'était la bonne vie pour le troubadour, aussi bien au bivouac que dans les bourgs et les cités ; aussi bien sur la place de la ville ou du village que dans les manoirs et dans les châteaux. C'est pourquoi les troubadours s'appliquaient à se faire aimer.

Chez le serf aussi bien que chez le seigneur, le troubadour trouvait porte ouverte et table mise de bon cœur.

En ce temps-là, comme en tout temps, on aimait les chansons d'amour et d'espoir!

On les aimait d'autant plus qu'à cette époque troublée où les gens, les pauvres gens, passaient leur vie dans des transes perpétuelles, la moindre distraction était la bienvenue parmi eux ; c'était une diversion aux sombres tableaux qu'ils avaient journellement sous les yeux. Le troubadour, c'était la joie.

Les seigneurs ne dédaignaient pas d'offrir l'hospitalité en leur seigneurie à ces poétiques vagabonds, qui savaient mettre en chansons les événements du jour, les espoirs du lendemain.

Les hauts barons ne s'amusaient pas toujours au fond de leurs vieux manoirs, surtout pendant l'hiver. Les jours sont courts, les soirées sont longues.

La chasse, quand ce n'est pas la guerre, donne lieu à bien des conversations, à bien des récits. Les exploits du cerf, les colères du sanglier, les dangers courus, les obstacles surmontés. Cela se raconte avec plaisir et est écouté de même. Mais cela finit par être toujours la même histoire, racontée par les mêmes historiens ou témoins. Aussi, quand un troubadour se présentait à la poterne du château, était-il reçu à bras ouverts. Il allait intéresser, divertir et charmer... Et en quel style, quels accents, quelle musique! Lui aussi connaissait des histoires de chasse, de guerre et de pays voisins ou éloignés, d'où il venait, disait-il. Aussi, probablement, il amplifiait ; peut-être exagérait-il : « a beau mentir qui vient de loin ». On le croyait, car c'était toujours beau, puisque c'était toujours brave.

Le repas des châtelains terminé, le ménestrel, assis au coin de la vaste cheminée, où brûlait un chêne entier, entonnait, en s'accompagnant d'un instrument à cordes, quelque mélodie ou quelque ballade mélancolique. Les chansons gaies étaient réservées aux villageois. Les récits des troubadours plaisaient autant que leurs chansons, surtout aux guerriers, plus batailleurs et rudes que musiciens et poètes. Mais les jeunes femmes et les jeunes filles aimaient mieux la musique et les beaux vers. Elles savaient bien qu'on y parlait souvent d'amour.

Le troubadour savait plaire à tout le monde et il en était récompensé. Il ne se contentait pas de pincer de la guitare ou de la mandoline pour être seulement agréable au beau sexe. Il savait aussi se faire valoir auprès du haut seigneur et de toute sa famille. Comme les diseuses de bonne aventure, il s’enquerrait préalablement le long de la route, du nom du châtelain et de celui de la châtelaine, de leurs aïeux, de leurs exploits. Aussitôt, il improvisait des histoires ou des chansons exaltant la valeur de l'un et la beauté de l'autre. Il arrangeait quelque flatteuse ballade sur un air charmant. Le tout plaisait fort et portait juste : la bravoure du châtelain, la douceur de la châtelaine et le mérite des aïeux, composait le bouquet poétique par lequel payait son écot à ses hôtes généreux le troubadour de passage, l'enfant du gai savoir.

Les troubadours avaient surtout le mérite de répandre les nouvelles, d'exalter les exploits, de flétrir les méfaits et d'apprendre beaucoup en vagabondant, pour enseigner gaîment leur savoir mis en chansons.

Ils n'étaient pas tous des lettrés, mais ils aimaient les belles lettres. Ils savaient rire ou pleurer eux-mêmes pour égayer ou attendrir les autres. C'étaient de vrais poètes.

Leurs connaissances littéraires étaient pourtant assez étendues. Ils ne manquaient surtout ni de verve, ni d'à-propos, ni d'inspiration. Leur talent était fait de tout cela.

Il n'était pas question de syndicalisme à leur époque ; cependant, il est à noter qu'ils s'étaient groupés en une confrérie joyeuse et solidaire. D'importants personnages, ai-je lu quelque part, ne dédaignaient pas de s'y affilier. On y voyait des chevaliers, bardés de fer, rimant des virelais ou chantant des couplets, en touchant de la viole.

N'est-ce pas le puissant seigneur Guillaume IX, comte de Poitiers, qui ouvrit l'ère des troubadours?...

Et n'est-ce pas un prince du sang, le duc d'Orléans, fait prisonnier à Azincourt, qui la ferma?...

Et Thibaut, comte de Champagne, ne fut-il pas membre de cette confrérie des troubadours?...

Et aussi Charles IX, écrivant à Ronsard, rend hommage au poète :

« Tous deux, également, nous portons des couronnes :

Mais roi, je la reçois ; poète, tu la donnes ».

Il y eut d'autres nobles encore qui illustrèrent la confrérie des troubadours, qui, sans doute, aidèrent les gueux à être heureux, en s'aimant entre eux.

Il ne faut pas exagérer leur influence sociale, sur leur époque déjà si loin de nous. Toutefois, il faut tenir compte qu'ils se sont souvent élevés avec éloquence et grand courage contre certains excès féodaux dont les vilains souffraient. Un poète du XIIème siècle n'a pas craint de dire des nobles, au temps de leur toute-puissance :

« Que leur corps ne vaut une pomme

Plus que le corps d'un charretier ».

Les romanciers, les poètes et les historiens n'ont rien dit, en parlant des troubadours qui ne leur soit un hommage. L'histoire des troubadours s'imprègne d'influence plutôt heureuse sur leur époque, influence favorable aux arts, aux mœurs, au beau, au bien!

Quant à nous, qui ne croyons voir en tout chansonnier qu'un bel esprit et un bon cœur, nous ne pensons vraiment pas qu'on puisse avoir l'instinct de Liberté et d'Amour, le désir humain d'indépendance et le sentiment de solidarité, sans avoir aussi l'esprit de révolte contre toute injustice. A cause de cela, les troubadours nous ont paru intéressants et sympathiques.


- Georges YVETOT