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TRUST n. m.

Mot anglais qui se prononce treusst, bien que Trusteur, mot servant à désigner quiconque organise un trust, se prononce trusteur, de même que truster qui signifie : action d'accaparer par un trust.

La définition la plus courante de ce terme est la suivante : Association, syndicat de spéculateurs, formé dans le but de provoquer la hausse soit d'une valeur soit d'une marchandise quelconque mais ordinairement de première nécessité, opération qui se réalise par l'accaparement de la valeur ou de la marchandise visées. Si le vocable n'est entré que depuis peu dans notre langue, il convient de dire que la chose à laquelle il s'applique est extrêmement vieille. L'illustre philosophe Aristote dont la mort, comme on le sait, remonte à près de 23 siècles, parle déjà, dans son ouvrage : Politique, d'un Syracusain qui avait accru très rapidement sa fortune en trustant les Mines de Sicile dont il était, par suite, le seul à vendre le minerai de fer qu'on y extrayait!

Il faut toutefois examiner cette forme d'association sous l'angle du développement considérable, vertigineux, pris, depuis quelque trente à trente-cinq ans, par l'économie capitaliste dans le cours évolutif du Capitalisme contemporain. Dans l'impossibilité où nous sommes de faire tout l'historique du trust (ceci, vraiment, exigerait par trop de place), nous nous bornerons - ce qui sera peut-être préférable à l'exposé d'une longue théorie - à citer quelques exemples qui aideront mieux à saisir le processus rigoureux de la concentration industrielle et financière qui caractérise le trust et vers laquelle semble s'acheminer toute la production capitaliste.

Plaçons-nous donc à l'aurore de ce siècle et faisons choix de l'Amérique, où le trust a rencontré le terrain le plus favorable, puisqu'on peut dire que le Capitalisme cent pour cent y est à l'état, en quelque sorte, chimiquement pur.

Une lutte vive, implacable s'engage entre l'Ane, l'Eléphant et l'Elan, ces trois emblèmes ayant été adoptés par le parti démocratique, le parti républicain et le parti progressiste. Et voici que la victoire des démocrates porte au pouvoir Woodrow Wilson, l'homme d'Etat qui devait jouer, quelques années plus tard, dans l'effroyable tuerie de 1914-18, un rôle de premier plan et qui appelait les trusts, des « oppresseurs de la classe laborieuse ». Mieux que quiconque, le nouveau président connaissait, en raison du poste important qu'il avait occupé comme gouverneur de l'Etat de New-Jersey, la toute-puissance en même temps que l'avidité et la malfaisance des grands trusteurs. En de retentissants discours, prononcés d'ailleurs en pure perte, il déclare que les monopoles doivent cesser ; il engage, sans le moindre succès, des poursuites contre de puissantes coalitions : contre le trust de l'acier, contre celui de l'argent, contre d'autres encore.

Mieux que qui que ce soit, Wilson sait qu'un Pierpont Morgan, le trusteur de l'Océan, et un John Rockefeller, le trusteur du pétrole, contrôlent, à eux seuls, plus d'un tiers (exactement 36 %) des capitaux actifs des Etats-Unis ; que l'actif des sociétés soumises à la domination financière des deux groupes Rockefeller et Morgan s'élevait (nous étions alors en 1913) à quelque 40.000.000.000 (40 milliards) de dollars ; groupes englobant les services publics, les chemins de fer, les entreprises industrielles, les établissements de crédit, les mines et les pétroles, d'autres entreprises encore. Il est facile, grâce à de tels chiffres, d'imaginer la redoutable puissance de certains magnats de la finance, aussi bien dans le domaine du commerce et de l’industrie que dans celui de la politique, en Amérique comme dans tous les pays du monde, les partis et plus encore ceux qui en ont la direction, n'étant pas du tout insensibles aux subventions! Outre-Atlantique, comme partout, les politiciens ne sont que les chargés d'affaires des oligarchies industrielles ou financières et c'est ainsi que l'on voit le trusteur Morgan, dont la tentative d'accaparer toutes les grandes lignes maritimes de l'Océan avait échoué, venir, en 1907, faire au Marché américain une petite avance de 150 millions de francs, prélevés sur sa fortune personnelle, en vue d'éviter une débâcle plus considérable des grandes valeurs industrielles.

On comprendra mieux encore le processus de ce phénomène capitaliste qu'est le trust si l'on envisage, par exemple, la plus puissante combinaison industrielle de capitaux que le monde connût à la veille de la grande guerre : l'United States Steel Corporation, autrement dit : Trust de l'Acier.

Sa formation remonte aux premiers mois de l'année 1901 ; elle résultait de la fusion de la Société Carnegie et du Trust Morgan-Moore. Carnegie, qui n'était, vers 1860, qu'un très modeste industriel, étendit très rapidement ses affaires et, à la fin du siècle dernier, il n'employait pas moins de 50.000 ouvriers. Le groupe Morgan-Moore qui, de son côté, contrôlait les plus grandes entreprises sidérurgiques des Etats-Unis, n'hésita pas à payer l'apport de Carnegie de plus de 1.500.000.000 de francs! Et c'est ainsi que s'était constitué le Trust de l'Acier qui, par suite d'ébauches successives, de la réalisation d toute une série de combinaisons, d'ententes, parfois de luttes féroces entre groupes hostiles, de l'absorption d'une poussière de petits intérêts et en s'abstenant de traiter avec des centaines de manufactures mais visant, au contraire, la jonction, l'assemblage des intérêts de quelques gros propriétaires possédant chacun de nombreuses usines, c'est ainsi que s'était constitué le Trust de l'Acier qui disposait, en fin de compte, d'un capital de 4 milliards et demi de francs!...

A côté de ces trusts de grande envergure qui sont plutôt le fait du capitalisme américain, une foule d'autres, mais de moindre importance, virent le jour tant dans notre Europe qu'aux Etats-Unis. Tout a été trusté : viande, blé, sel, sucre, papier, chemins de fer, bois, poudres, jusqu'au tabac à priser et à chiquer!

On devine aisément de quel monstrueux pouvoir de spéculation disposent ces géants de la production. En se plaçant sur le terrain purement capitaliste, on peut dire que les trusts sont comme une sorte de défi aux libertés économiques, tant exaltées cependant par nos économistes officiels ; puis, en raison de l'accaparement constant et progressif auquel ils se livrent, ils aboutissent, en fait, à la monopolisation et, du même coup, détruisent, tuent toute concurrence! Soufflant, tout à tour, le chaud et le froid, faisant, comme on le dit couramment, la pluie et le beau temps, ils pourraient même, s'ils n'avaient à craindre les représailles de leurs victimes, pousser à ce point leur appétit d'accaparement d'un produit ou d'une denrée indispensables à la vie, qu'ils condamneraient des populations entières à la plus affreuse pénurie, peut-être même à mourir de faim!

Mais ne constituent-ils pas également, les trusts, de très graves dangers pour la paix des peuples? Ne sait-on pas déjà que l'une des raisons (que, certes, l'on n'avouera pas, mais qui n'en sera pas moins décisive) du prochain massacre d'hommes sera l'accaparement du pétrole, de ce précieux liquide dont on a osé dire que « chaque goutte valait une goutte de sang » et que « qui aura le pétrole aura l'empire »! Trois grands groupes, on le sait, contrôlent tous les gisements et la plus féroce des luttes s'est engagée entre la Standard Oil des Rockefeller-Teagle, le Grand Trust pétrolier russe des Soviets et la Royal Dutch Shell de Deterding, le grand patriote anglais qui n'en fut pas moins l'un des premiers commanditaires du tortionnaire Hitler! Quand le pétrole américain sera totalement épuisé ­ et l'échéance en est bien proche - les puits de Bakou seront, plus que jamais, l'objet des plus âpres convoitises...

Et le sang du pauvre, de nouveau, coulera à torrent... à moins que l'Humanité, conquise enfin par cette sagesse qui veut que l'homme cesse d'être sous la dépendance et à la merci d'un autre homme, n'ait, d'ici-là, pris possession d'elle-même, en utilisant, pour la joie et la satisfaction des besoins de tous, les inépuisables richesses que noire planète recèle en son sein, et que les hommes, librement associés pour un commun effort, feront, chaque jour, sortir de leurs mains industrieuses!


- A. BLlCQ