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ULTRAMONTANISME n. m. (du latin ultra montes, au delà des monts), c'est-à-dire au delà des Alpes, puisque ces dernières montagnes séparent la France de l'Italie.

En France, on appela ultramontains ceux qui professaient la doctrine admise par les Italiens concernant l'étendue de la puissance pontificale ; leur système reçut le nom d'ultramontanisme. Ils se dressèrent avec violence contre les gallicans qui n'accordaient au pape qu'un pouvoir limité sur l'Église universelle et réclamaient, pour le clergé de France, certaines libertés connues sous le nom de libertés gallicanes (du latin Gallia, Gaule). Déjà Saint Louis avait soutenu la doctrine de l'indépendance royale à l'égard de l'évêque de Rome. Son petit-fils Philippe le Bel brava publiquement Boniface VI qui revendiqua la suprématie du Saint-Siège sur les lois ; il se moqua de l'excommunication fulminée contre lui et fit insulter le pape dans son palais d'Anagni. Le Grand Schisme d'Occident ébranla fortement l'autorité du pontife romain sur l'Église de France ; et le chancelier de l'Université de Paris, Gerson, attaqua les prétentions du pape à l'infaillibilité, au concile de Bâle. C'est des principes énoncés par ce Concile que s'inspira la Pragmatique Sanction de Bourges, rendue par Charles VII en 1438. Elle fut remplacée, en 1516, par un concordat signé, à Bologne, par Léon X et François 1er. Mais les opinions ultramontaines continuèrent d'être combattues par l'autorité royale, la Sorbonne et les Parlements. La déclaration faite par Bossuet en 1862, au nom du clergé français, résuma, d'une façon très claire, la doctrine des théologiens gallicans. Voici le sens de ses principales décisions : 1° Les papes n'ont pas le droit de déposer les souverains, ni de délier leurs sujets du serment de fidélité ; 2° l'Église, représentée par un Concile œcuménique, est supérieure au pape ; 3° Les pratiques, règles et usages particuliers à l'Église de France doivent demeurer inébranlables ; 4° Les décisions du pape ne sont pas irréformables, tant qu'elles n'ont pas été sanctionnées par l'Église. On voit, par cette déclaration, que les libertés de l'Église gallicane n'accordaient aucune espèce d'indépendance aux fidèles, mais concernaient seulement les privilèges du roi et des hauts dignitaires ecclésiastiques. Innocent XI, en avril 1682, et Alexandre VIII, en août 1690, condamnèrent les quatre articles rédigés par Bossuet et cassèrent tout ce qu'avait fait l'assemblée du clergé de 1682. Devant la résistance opposée par les autorités civiles et religieuses, le pape refusa même d'instituer les évêques nommés par le roi. En 1693, Louis XIV permit aux prélats de faire acte de soumission au Saint-Siège, mais il ne désavoua pas la doctrine gallicane. Cette dernière continua d'être à l'honneur dans les écoles de théologie et d'être favorisée par le pouvoir royal et les parlements. Citons, parmi ses défenseurs, d'Aguesseau, au XVIIIe siècle, le cardinal de La Luzerne et l'évêque Frayssinous, au XIXe. Après le concordat de 1801, Napoléon voulut qu'on l'enseignât dans les séminaires ; et, sous la Restauration, elle resta chère au gouvernement. Néanmoins, la déclaration de 1682 cessa bientôt d'être enseignée dans les écoles de théologie ; et le clergé, dans son ensemble, ne montra plus le même zèle pour la doctrine gallicane. Joseph de Maistre et Lamennais, les vrais fondateurs de l'école ultramontaine, achevèrent de la discréditer dans les milieux catholiques.

Dans l'un de ses ouvrages, « Du Pape », paru en 1819, Joseph de Maistre déclarait que le pape était le représentant de Dieu sur la terre et que ses avis devaient être considérés comme émanant du ciel. A l'appui de cette thèse, l'ancien émigré savoyard apportait de soit-disant preuves empruntées surtout à l'histoire du Moyen-Âge. Dans un ouvrage posthume, « De l'Église gallicane dans ses rapports avec le souverain pontife », il s'attaquait directement aux défenseurs du gallicanisme et ne ménageait ni Bossuet, ni ces autres insoumis que furent Pascal et les principaux écrivains jansénistes. De son côté, Lamennais affirmait. dans son Essai sur l'indifférence en matière de religion, que le gallicanisme était une hérésie véritable et plus pernicieuse peut-être que le protestantisme. Plus tard, le célèbre écrivain breton devait se révolter contre le pape ; mais, dans la première partie de sa vie, il contribua puissamment à répandre les idées ultramontaines parmi les catholiques militants et le jeune clergé. Montalembert, Lacordaire, Gerbet, et beaucoup d'autres qui se détournèrent de lui lorsqu'il abandonna l'Église, subirent d'abord son influence. Avec Louis Veuillot, un polémiste vigoureux mais aussi intolérant que grossier, l'ultramontanisme devint d'une violence extrême à l'égard de ses adversaires. Dans son journal, l'Univers, ce larbin du pape et des jésuites ne craignit pas d'attaquer les évêques libéraux et gallicans comme Dupanloup ; quand ils se plaignirent, Rome donna gain de cause à Veuillot. Aussi, lorsque le Concile du Vatican fut convoqué, couvrit-il d'injures les prélats et les théologiens hostiles à un futur dogme de l'infaillibilité pontificale. Victor Hugo a stigmatisé dans des vers fameux le « simple jésuite et triple gueux » que les bien-pensants considèrent comme le modèle des journalistes catholiques.

La proclamation du dogme de l'infaillibilité pontificale par le concile du Vatican, le 18 juillet 1870, mit fin aux polémiques entre gallicans et ultramontains. Les seconds triomphèrent bruyamment ; les premiers durent se soumettre. Une minorité d'évêques allemands, hongrois, autrichiens et français votèrent contre cette croyance ; beaucoup d'autres opposants s'étaient abstenus volontairement ou n'avaient pu être présents. Le 11 août, une dépêche du cardinal Antonelli aux nonces fit savoir que le nouveau dogme était devenu obligatoire pour tous les catholiques. D'eux-mêmes les évêques opposants français, comme Dupanloup et Darboy, se soumirent aux prétentions de l'idole vivante que la sottise humaine venait d'ériger à Rome. Les prélats dissidents d'Allemagne finirent, eux aussi, par se soumettre. Mais un certain nombre de prêtres et de laïques, allemands et suisses, refusèrent obstinément d'admettre la croyance à l'infaillibilité personnelle du pape. Parmi eux se trouvait le chanoine Dœllinger, un érudit universellement connu. La secte des Vieux-Catholiques qu'ils constituèrent ne fut jamais bien importante ; elle végéta péniblement. En France, un célèbre prédicateur, le carme déchaussé Hyacinthe Loyson essaya vainement de fonder une Église schismatique. Il se maria en 1872, eut de nombreux enfants et mourut en 1912, à un âge très avancé, sans jamais réclamer un pardon que Rome lui aurait accordé avec joie. 

- L. BARBEDETTE