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URBANISME n. m.

Aménagement des villes, petites ou grandes. L'urbanisme a pour effet d'étudier l'organisation rationnelle des cités, en tenant compte du lieu géographique, du sol et du sous-sol de ce lieu, des centres d'approvisionnement, des voies d'accès et de répartition : mers, rivières, canaux, routes ; enfin de tout ce qui est conforme aux lois de l'hygiène, de l'habitation, de la construction des usines, de la non promiscuité de celles-ci avec le logement, de l'emplacement des groupes scolaires, etc ... , le tout devant être conçu suivant des vues d'ensemble, en tenant compte des données modernes. L'urbanisme a, de ce fait, une importance considérable au point de vue social, il devient un élément de premier plan pour le progrès humain. Il fait partie de l'évolution des idées qui nous conduit vers l'étude des réalisations logiques ; en résumé, il est une manifestation de l'esprit collectif, lequel commence à s'affirmer.

Pendant de longues périodes, la maison, dans la cité, a été construite indépendamment des besoins collectifs ; de ce fait, les rues furent tracées, si l'on peut dire, en tenant compte obligatoirement des maisons édifiées ; aucun souci d'orientation, de direction ; de plus, les habitations furent placées au hasard, d'une façon illogique, à proximité des ateliers, avant la période des grandes usines, laquelle respecta la tradition, ou de commerces malsains. C'est le temps de l'individualisme qui a été la caractéristique la plus générale dans la plupart des créations de cités édifiées dans le chaos que nous connaissons.

Au titre d'exemple, le XIXème siècle industriel a provoqué cet illogisme de la maison devenue rapidement taudis auprès d'une agglomération d'usines. L'industrie qui aurait dû constituer un apport de richesses matérielles générales a amené et développé, pendant plus d'un siècle, ce taudis avec toutes ses conséquences. Il suffit de voir, à notre époque, ce que sont devenus certains quartiers des grandes cités, y compris Paris et sa banlieue industrielle, et autres centres importants, pour constater, malgré quelques tentatives de créations de cités ouvrières, la promiscuité de la maison, de l'usine ou de la mine.

Pendant le cours de ce siècle, les industries se développant dans certaines régions, il a fallu éloigner relativement l'habitation du lieu du travail. Alors, la banlieue artificielle s'est créée, à la faveur, d'ailleurs, de nouvelles voies de communications avec le centre ; c'est la période des lotissements ! Les « marchands de biens » acquièrent des domaines que ne peuvent plus occuper les anciens nobles ou bourgeois ; ils tracent un minimum de routes ou chemins et vendent des parcelles de terrain, après avoir abattu les plus beaux arbres. Ces parcelles sont vendues le plus cher possible et ne possèdent, pendant longtemps, ni eau, ni gaz, ni électricité. Il est résulté de cette exploitation sans limite une série d'inconvénients au moins aussi graves pour les habitants, que ceux provoqués par les taudis des centres industriels. Il a été prouvé que ces lotissements n'ont amené, dans leur ensemble, aucune amélioration de la vie sociale.

L'après guerre a provoqué, en France, la reconstruction des régions dévastées ; de plus, une loi, en 1919, a imposé aux villes et communes un programme d'aménagement et d'extension sur un plan moderne, tenant compte, en principe, des besoins nouveaux de ces cités. Si, dans certains cas, un effort réel a été fait par les techniciens pour tenter de reconstruire les régions dévastées dans des conditions rationnelles, cette réalisation n'a pu aboutir que partiellement (malgré des projets d'ensemble intéressants), et cela du fait des intérêts particuliers qui ont été les plus forts. Mais il est exact de dire que c'est vraiment à partir de cette époque que l'idée s'est affermie en profondeur, dans l'esprit d'un certain nombre de techniciens, en faveur de la transformation et de la reconstruction des villes ; idée avec réalisations partielles qui ont permis de discuter et de fixer des théories au point de vue de l'urbanisme moderne, de défendre des principes et d'établir des programmes. Il existe maintenant à ce sujet une littérature assez considérable, des cours sur l'urbanisme sont organisés, des écoles sont créées. Le fait de poser ce problème de l'extension des villes, d'en étudier les diverses modalités, de voir, en somme, plus loin que le cadre de la vie du moment d'une cité, d'en prévoir, au mieux, ses agrandissements futurs, de déterminer la concordance des routes, l'utilisation des terrains, de situer les centres collectifs : écoles, marchés, etc ... , constitue un progrès réel. L'urbanisme a également, au point de vue moral, un effet bienfaisant ; il prépare à la solidarité entre l'ensemble des villes ; il brise peu à peu la vieille borne régionale ou citadine par la route, l'électricité, l'hygiène sociale, le transport, etc ... La nécessité où l'on se trouvera de plus en plus, dans un ensemble de régions et de pays, d'établir une commission d'intérêts, de créer ou même de transformer, d'aménager une cité en fonction de ce que la cité voisine pourra lui fournir en éléments matériels et intellectuels, aura pour conséquence d'amener impérieusement une vie solidaire effective entre chacune d'elles.

Il est intéressant de fixer, dans l'ensemble, comment se sont constituées les cités à l'origine des temps, quels sont les éléments matériels et moraux qui ont contribué à leur formation et à leur développement ? Ont-elles dépendu, à ce point de vue, de la volonté des hommes, ou ont-elles été surtout le résultat, au départ, de conditions géographiques, géologiques et économiques : climat, sous-sol, sol fertile, rivières, forêts, pêches, chasses, facilités de communications par des accès de routes naturelles, points stratégiques de protection, collines ? etc ... Il est incontestable que ce sont ces éléments matériels qui, au début, ont déterminé le séjour des hommes. Il fut un temps où l'on assignait le point d'origine de la cité par le fait d'un acte religieux exclusivement - et l'on sait, à notre époque, que les possibilités matérielles de vivre ont seules fixé l'habitat. - Nous trouvons toujours, à la base de la formation des grands centres, un élément d'ordre géographique, la mer, le fleuve et la route naturelle qui deviendra, plus tard, la route construite par les hommes, puis le site, son climat. (Voir Habitation).

Il est possible qu'ensuite le rôle religieux, politique, intensifie pendant un certain temps le développement de la cité, mais c'est, au début de sa formation, le fait géographique et économique qui agit vraiment sous la forme de centre de ravitaillement, avec des possibilités d'échanges ; plus tard, les foires, ces centres d'approvisionnement temporaires, sortes d'immenses marchés, auront leur rôle dans la modification des routes, elles contribueront à perfectionner les grandes voies, car les nomades auront besoin de ces moyens de communication, et ces voies faciliteront à leur tour la création de villages, de bourgs, de cités.

C'est par l'étude de la détermination de la valeur « homme », par rapport où il vit, que nous pouvons fixer les lois de la naissance et du développement des villes. La géographie n'est plus, à notre époque, une simple description des régions avec leur valeur propre, elle est devenue un élément de comparaison et d'étude de l'influence de ces régions sur l'individu. Or, cette détermination est importante, car l'homme au début ne vit pas où il veut, mais où il peut ! Il ne crée pas une cité où sa fantaisie le conduit, mais où il croit qu'il peut subsister. Les pôles, les régions tropicales, les déserts, refusent, en général, aux collectivités importantes la possibilité de vivre.

Il est nécessaire que nous examinions succinctement les périodes les plus reculées de l'histoire, car la formation des cités et leur organisation dépendent de l'ensemble des problèmes humains : la cité est évidemment fonction de tous les éléments qui ont contribué à former géographiquement, économiquement, une vaste région du territoire.

Nous savons qu'à la toute première période des temps préhistoriques les peuples, en nos régions, sont nomades ; ils vivent de chasses et de pêches, ils s'abritent dans des huttes d'abord, des cavernes ensuite, ils ignorent l'agriculture ! Au contraire, à la seconde période, ils connaissent les céréales, ils deviennent sédentaires dans l'ensemble ; les agglomérations se constituent ; donc, influence de cette découverte de l'agriculture sur la vie collective des peuples. Mais voici de nouvelles richesses naturelles : les métaux, le cuivre, l'étain, qui vont faire l'objet de transactions, d'échange ; c'est l'origine du commerce avec la création des « étapes » pour faciliter ces échanges. Nous retrouvons toujours les mêmes éléments d'influence dans la formation des agglomérations, petites ou grandes : la vie géographique, économique.

Afin de situer, par un exemple les régions ou pays qui ont subi au point de vue de leur développement l'influence géographique, signalons la très ancienne Égypte qui, à cause de ses protections naturelles, la mer au nord et le désert à l'est, au sud et à l'ouest, s'est développée pendant de longues périodes, sans grande influence de l'extérieur ; elle a vécu sur elle-même, grâce surtout à son fleuve, le Nil, sans apport d'aucune sorte, n'ayant subi aucune grande invasion. Elle a conservé un caractère propre. Mais plus tard, les autres peuples méditerranéens vont, au contraire, grâce à la navigation, prendre contact entre eux, ils vont bénéficier de la situation géographique de leur pays respectif et des progrès des uns et des autres. La Méditerranée a été, à ce moment, le centre d'une formidable activité, circulation entre le bassin oriental et le bassin occidental, des « villes » d'échange exercent un rôle considérable : Tyr, Sidon, villes des Phéniciens - ce grand peuple intermédiaire - qui ont une action de premier plan au point de vue des échanges matériels et intellectuels.

La mer ne va plus être un obstacle entre les peuples mais un moyen de rapprochement, grâce aux « villes maritimes » ; d'autres cités vont être créées : Carthage, Syracuse, Marseille, etc .. , etc ... La mer va provoquer un immense courant civilisateur.

Puis, nous voyons, plus près de nous, le rôle joué sur le développement des villes par « les fleuves », le Rhône, la Saône, la Seine, la Loire qui, pendant de longues périodes, vont permettre une communication entre la Méditerranée, l'Atlantique, la Mer du Nord.

A l'époque Gallo-Romaine, à la faveur des échanges commerciaux, « les routes » vont avoir une importance réelle. Les marchands ou nomades, qui connaissent parfaitement toutes les régions celtiques, vont renseigner César sur la situation et l'importance des « Cités gauloises ».

Lyon va devenir à ce moment une ville de premier ordre parce qu'elle est au confluent du Rhône et de la Saône ; elle commande, vers le Sud, la vallée du Rhône, elle a l'avantage d'être au Nord en contact avec les vallées de la Loire et de la Seine, puis avec la vallée du Rhin : ville des carrefours ; et c'est la raison pour laquelle elle va devenir sous les Romains une ville impériale et la capitale politique des Gaules. Elle va se situer au point de départ des grandes routes Romaines, ces fameuses voies si parfaitement construites, qui ont contribué à la formation de villes nouvelles ; leur rôle est important à tous les points de vue, car elles n'ont pas été tracées au hasard par les Romains qui ont tenu compte des situations géographiques, économiques et politiques des régions. Ces routes ont subsisté pendant de longs siècles, sinon dans leur forme primitive, du moins dans leur direction, leur orientation et leur utilisation. A titre d'exemple, citons, à Paris, la rue St-Jacques conduisant d'abord à Orléans ; cette ancienne voie romaine, qui a été un lieu de passage constant, de circulation intense, en continuité directe de la rue St-Martin actuelle sur l'autre rive. Ce fut la voie du sud au nord ; puis, formant « la croisée de Paris » avec les rues de Rivoli, St-Antoine actuelles en direction ouest-est (anciennes voies Romaines également). Cette croisée, au point d'intersection, devenant le centre vivant et actif de Paris pendant de nombreux siècles soit le port de Paris à proximité de l'actuel Hôtel de Ville, les Halles toujours au même emplacement ; le commerce au pourtour de l'Ancien Châtelet ; et le centre administratif et religieux à proximité, dans la Cité, avec son Palais des Rois d'abord, le siège des Parlements ensuite, et sa Cathédrale, ses ponts : Pont au Change, Pont Notre-Dame, avec leur activité commerciale considérable et tout cela provoqué dans la ville, par le fleuve et l'intersection des voies de passage.

Au point de vue des influences que nous avons indiquées sur le développement des « villes », citons encore la lutte économique entre Venise et Amalfi au moyen âge, ou Gênes, Pise, Florence, villes riches, puissantes, du fait de leur situation géographique qui, à cette époque, facilitait leur commerce avec l'Orient ; et, de ce fait, elles devinrent un centre de rayonnement important au point de vue artistique et jouèrent un rôle de premier plan dans les manifestations de la Renaissance Italienne.

Progressivement, la vie économique va s'affirmer, se développer dans les régions de l'Europe du Nord. Les Flandres vont dominer les « villes » du Midi ; c'est que le centre d'activité se déplace peu à peu, - de la Méditerranée vers l'Atlantique et les mers du Nord, - du fait précisément de la navigation. Les « cités » des Flandres, à leur tour, vont acquérir une richesse immense ; c'est là que vont maintenant se concentrer foires, marchés, centres d'échanges, ventes de produits provenant de tous pays.

L'Angleterre, qui acquerra une prépondérance sur les mers, vient s'y approvisionner et, à la faveur de ce mouvement, nous voyons des « villes » qui s'affirment commercialement, s'organisent suivant les nécessités urbaines du moment : Bruges, Gand, etc .... ; les routes s'améliorent et, suivant le rythme indiqué, facilitent toujours la création de « cités nouvelles ». Les transports étant faits par mer, par rivière et par terre, se développent et des régions antérieurement isolées, comme l'Amérique du Nord, vont devenir, grâce aux transports par mer considérablement intensifiés, des centres de nouvelles activités.

En ce qui concerne les régions du Nord et de l'Est de l'Europe, une organisation d'intérêts va manifester sa puissance, du moyen âge à la Renaissance (XIIème au XVIème siècles) ; cette organisation de « villes » et de ports marchands dite ligue « Hanséatique », va grouper ces « villes et ports » en une fédération privilégiée et autoritaire, afin de conserver l'ensemble des avantages commerciaux considérables en ces régions ; nous voyons encore là, sur le développement des « cités », l'influence du lieu géographique, déterminant, pendant un certain temps, leur vie économique.

A la faveur de cette stabilité relative du groupe humain dans « la Cité », des idées religieuses et politiques s'affirment. Au moyen âge, nous voyons surgir des abbayes, qui vont devenir souvent des centres attractifs de population, grâce aux avantages matériels, aux privilèges acquis par les artisans, acceptant de vivre sous la dépendance de certains ordres religieux : Templiers, Abbaye St-Antoine, St-Germain-des-Prés, à Paris. Ces agglomérations de métiers, ébénistes ou autres, vont constituer une agglomération à la base d'un futur quartier de la « Grande Ville ». Il y a là un enchaînement de forces et de formes, dépendant des premiers éléments constitutifs dont nous avons parlé.

Sur les routes, vont s'échelonner, aux mêmes époques, des pèlerinages. Au titre documentaire et anecdotique, signalons ceux de « St-Jacques de Compostelle » (Espagne) ; les pèlerins passant par Paris vont donner ce nom à l'église de St-Jacques-la-Boucherie - futur quartier important de Paris - couvent des Jacobins, Rue St-Jacques. Ces pèlerins utilisent la vieille voie romaine déjà citée. La ville persiste dans sa formation de voies rationnelles.

Les pèlerinages ont contribué, grâce à ces voies, à créer des « centres d'activité » qui sont des sortes de gîtes d'étape au début ; ces points d'arrêt vont s'améliorer, se transformer et devenir des « villes » : St-Denis, Étampes, Orléans, Clermont-Ferrand, Le Puy, Montpellier, etc ...

Si nous examinons certaines tendances d'urbanisme, dans le passé Français, nous voyons, au XVIIème siècle, la création, à Paris, de grandes places destinées à glorifier « le Roi ». C'est une survivance de Rome ; nous avons la Place Royale, actuellement place des Vosges, datant de Henri IV, et de Louis XIII ; puis la place Vendôme qui glorifiait Louis XIV ; la place des Victoires, créée par La Feuillade, un courtisan de ce même Roi. Citons également, à Charleville (Ardennes), la place Ducale, de même caractère que celle de la place des Vosges et qui fut le centre de transformation de cette Cité.

C'est la ville partiellement créée par la volonté des puissants du moment, mais cette création ou cette transformation ne sont que les conséquences des nécessités économiques ou politiques du temps, la première dominant considérablement. A Paris, ces places centrales sont les résultats d'une vie nouvelle qui s'affirme ; elles ont été importantes par leur situation dans la ville.

Place Royale, au XVIIème siècle, centre de noblesse, de haute magistrature et de grande bourgeoisie. Place formant le jardin intérieur du Palais-Royal avec une animation extraordinaire au XVIIIème siècle ; centre de commerces, d'attractions.

Place Dauphine, du XVIIème siècle, avec ses maisons de style uniforme, à proximité du Pont Neuf également si animé à cette époque ; tous ces centres ont perdu leur caractère du temps, ils ne sont que des décors plus ou moins somptueux, évoquant des souvenirs ! La vie active à « l'intérieur de la ville » comme à l'extérieur s'est déplacée.

C'est le règne des routes, dont nous avons parlé pour Paris, qui fait que la rive droite et la rive gauche vont avoir leur caractère propre, la rive droite conservant sa vie commerciale et la rive gauche sa vie universitaire, et cette empreinte est tellement forte dès le moyen âge que ce fait matériel et moral subsiste encore dans une large mesure à notre époque.

Et si nous avions le temps de déterminer dans le détail le rôle de chacune de ces « régions parisiennes », nous trouverions encore l'influence géographique avec ce facteur prédominant : la Seine et l'importance du site, du sous-sol, etc ...

D'autres « villes » sont devenues à un moment de leur .histoire, un centre important stratégique à cause de leur situation géographique : Besançon, par exemple, et dans la plupart des cas, leur développement s'est arrêté lorsque leur rôle stratégique s'est terminé.

Un exemple, pris parmi les plus caractéristiques au point de vue de l'influence géographique et autres déjà citées, c'est la raison d'être de « Paris Capitale ». Deux thèses continuent à s'affronter, savoir : la Capitale est née en ce point du fait de la présence à peu près permanente du « Prince », autrement dit du Roi, qui a voulu que Paris soit Capitale du Royaume ; ou bien Paris est devenue Capitale parce que ses situations géographique, économique, géologique, stratégique, etc .. , ont donné une telle importance à cette ville, que la vie politique s'y est affirmée pour bénéficier de tous ces avantages et consolider plus facilement sa puissance. Le pouvoir s'organisant en « cette ville » a permis, par le fait de sa centralisation, de donner à Paris une importance plus grande. De ces deux points de vue, aucun n'est suffisamment établi pour prévaloir, encore moins s'imposer. Toutefois, nous préférons cette seconde thèse.

En effet, Paris est un site merveilleux qui explique précisément son rôle important avec sa rivière, ses collines, les plaines fertiles : Beauce et Brie qui l'entourent, son sous-sol avec ses carrières de calcaire et de plâtre, puis ses forêts environnantes, enfin, même au début, ses possibilités de communication avec la Manche et l'Atlantique, le système de routes dont nous avons parlé, cet ensemble permettant un développement facile de la ville et devant l'amener à jouer le rôle que nous savons.

La ville est déjà bien constituée : sa situation de grande cité économique, politique, intellectuelle au XVIIème siècle est tellement puissante, que la volonté du Roi Louis XIV lui-même ne peut en diminuer l'importance. Or, il n'aime pas « sa ville », elle lui manifeste, malgré les honneurs qu'elle lui décerne, certaine indépendance ; il va créer, de toutes pièces en quelque sorte, Versailles, le château et ses splendeurs qui, lors de sa construction va coûter la vie à des milliers d'ouvriers ; mais, malgré toute la cour qui l'entoure, le roi ne va faire de Versailles qu'une ville artificielle sans importance économique, ni intellectuelle et, plus tard, Louis XVI subira l'emprise de la Ville de Paris et sera obligé de se soumettre à cette centralisation de forces de toutes natures : la ville dominant le Roi.

Paris n'est qu'un exemple pris dans l'ensemble des créations des cités de l'antiquité, du moyen âge et des temps modernes, et nous insistons sur l'importance du développement des routes et des approvisionnements dans la formation de ces cités.

Rappelons encore, en ce qui concerne le rôle économique joué au moyen âge par les premières corporations, celles des Nautes qui, grâce à la Seine et à la situation de Paris dont nous avons parlé, alimentaient considérablement cette ville, acquéraient de ce fait, des privilèges importants et exerçaient une influence politique de premier plan, et toutes les autres corporations des métiers essentiels de la ville s'ajoutaient à celles des « navigateurs » et augmentaient progressivement la puissance de la capitale.

De tout temps, nous trouverons le même processus d'évolution : que ce soit en Europe, en Amérique du Nord et en Amérique du Sud. Nous l'avons déjà souligné. Il y eut la route des métaux, des épices, de l'alimentation, céréales, poissons, des centres d'échanges.

La voie internationale va compléter la voie nationale, laquelle complète la voie régionale, mais la formation des cités sur ces voies est de même caractère.

« L'Étranger », cette appellation prise dans un sens général, va contribuer au développement de la ville. Si, en dehors des exemples relatifs à l'antiquité cités plus haut, la ville ou la commune s'étaient repliées sur elles-mêmes, sans aucune extériorisation, et surtout sans apport de l'étranger, elles seraient rapidement mortes, sans vie politique.

Le faubourg de la Ville, cette fraction de territoire qui est maintenant, en général, à proximité de la gare, est un débordement de la cité d'antan : ce faubourg n'a, souvent, aucun pittoresque, c'est l'extension de notre Ville créée par l'élément extérieur, c'est le commerce qui est venu là par nécessité, c'est, dans certains, le centre d'affaires immédiat.

Il fut un temps où, en France, les fortifications constituaient une protection limitée et qui paraissait être définitive, mais les nécessités de développement infiniment plus impérieuses que la volonté des hommes, obligèrent ceux-ci à déborder le cadre des murailles imposantes et à créer « le faubourg », et cela malgré les ordonnances royales : la Ville s'affirmait ainsi, en dépit du Roi et du Prévôt. Considérons à quel point l'apport étranger a joué, du point de vue économique et intellectuel. L'invention de l'imprimerie, au XVIème siècle, eut sur la Ville de Lyon, par exemple, une influence considérable. Nous constatons, dans l'ensemble, que la Ville s'est développée surtout sous l'impulsion des éléments d'ordre matériel et intellectuel extérieurs.

Certains bourgs révèlent des aspects intéressants, des souvenirs précieux, dont il faut absolument tenir compte au point de vue de leur originalité et de leur vie passée : ils avaient leur charme pittoresque, leur évocation charmante, mais ils étaient morts au point de vue social, car leurs habitants avaient conservé un esprit adapté aux vieux murs, et une sorte d'hostilité farouche pour « l'étranger » qui, lui, habitait peut-être la Cité fréquentée et éloignée de 50 kilomètres du bourg signalé. C'est que ce bourg, qui eut son histoire, son importance, n'était pas ou n'était plus sur la voie de passage : route ou rivière navigable. Mais un jour, à la faveur d'une nécessité économique, une route a surgi avec ses automobiles, ou une voie de chemin de fer a été créée : voilà le bourg transformé en cité vivante, plus ou moins bien organisée, construite au hasard des modes du moment, moins pittoresque sûrement que le coin détruit, mais vivant et avec des avantages nouveaux.

Où l'importance des moyens de communication s'accentue, c'est précisément au XIXème siècle ; du fait de la voie ferrée, des inventions mécaniques, de la vapeur plus particulièrement. C'est alors le renversement des anciennes valeurs économiques et sociales. C'est le déplacement des échanges ; c'est tel pays, à peu près isolé aux siècles précédents, qui acquiert une prépondérance réelle. Et nous voyons immédiatement le rôle que prennent les « Cités nouvelles ».

Du fait de la modification apportée aux échanges par les voies ferrées, les continents vont bénéficier d'une importance nouvelle et ne vont plus être subordonnés exclusivement à la voie maritime. Création de villes continentales au Canada, en Amérique du Nord, en Angleterre, en France, en Asie, en Russie, etc ... Il n'est pas une région au monde qui, dans des proportions diverses, n'ait, du point de vue strictement urbain, bénéficié de cette transformation par la « voie ferrée ».

Le XIXème siècle va devenir le point de départ, pour l'ensemble du monde, d'une évolution considérable : sociale, économique, politique, intellectuelle. L'agglomération urbaine, cette cellule importante, qu'il s'agisse du plus petit village à la plus grande cité, va faire partie intégrante de l'évolution.

Ce XIXème siècle accumule une foule d'activités humaines dans tous les domaines ; mais c'est la richesse réelle à côté d'une immense misère, du fait du désordre économique et social. Des cités meurent, d'autres se créent ; il faut aller vite, il faut que l'usine existe et produise immédiatement ; quant au logement peu importe, il sera où il pourra, au milieu des poussières, des fumées et des boues.

A Paris, sous le Second Empire. un plan d'épuration va être réalisé et qui ne manque pas d'audace ; il supprimera partiellement un nombre de taudis, de ruelles immondes. Des voies larges vont surgir à proximité de cette croisée des chemins de Paris dont nous avons parlé, voies sans originalité, tel le boulevard de Sébastopol, permettant au surplus un certain nombre de spéculations immobilières et aussi une lutte facile contre les émeutes de rues. Ce qui fait surtout l'originalité de cette réalisation, c'est qu'elle est commandée par un plan, le plan du Préfet Haussmann avec une certaine vue d'ensemble ; toutefois, il ne s'agit là que d'une transformation partielle de la Capitale, mais que nous signalons comme une sorte de premier plan d'urbanisme moderne.

Dans le cours de ce siècle, 1'Angleterre, l'Allemagne, la France, les pays du Nord se sont préoccupés quelque peu d'améliorer les agglomérations du travail sous la forme de cités ouvrières succédant aux informes et inconfortables « corons », manifestation malhonnête de spéculateurs qui, dans les pays miniers, tout particulièrement, avaient créé ces lamentables habitations. Les cités ouvrières, peu séduisantes dans leur ensemble, construites d'une façon uniforme, constituaient un léger progrès sur les taudis dont nous avons parlé ; vers la fin du XIXème siècle, paraît la Cité-jardin dont l'origine est anglaise. La Cité-jardin, comme son titre l'indique, concilie le progrès sanitaire de la ville avec le charme du jardin, le potager, les arbres, les fleurs. La Cité-jardin est une forme de l'urbanisme, puisqu'elle est une réalisation d'ensemble, suivant une étude générale réunissant toutes les données d'un problème urbain : maisons, routes, eau, lumière, évacuation des eaux usées, centre d'approvisionnement qui est souvent une coopérative. A ce propos, signalons que, à notre époque, cette idée amplifiée a été réalisée sous la forme d'importantes cités-jardins créées dans la banlieue de Paris par l'Office des Habitations à Bon Marché du département de la Seine : Plessis, Robinson, Malabry, Stains, Les Lilas, Le Pré-St-Gervais, etc .. , puis, en province, par d'autres groupements : Tergnier, Laon, etc....

Vers 1910, un mouvement se dessinait en France en faveur de « l'urbanisme », mouvement déjà esquissé à l'étranger. Des théories nouvelles sont émises, des programmes sont établis et un ensemble de projets dit « la Cité reconstituée » est exposé quelques années plus tard sur la terrasse des Tuileries, ces projets ayant pour but de faite connaître au public, l'idée de reconstruction des villes sur des principes nouveaux. L'exposition créa une tendance d'esprit favorable à ces idées et, après la guerre, le projet le plus important fut celui de la reconstruction de « Reims », lequel provoqua des polémiques nombreuses sur cette conception ou transformation à peu près totale de la cité sur des bases absolument modernes, disons américaines, ou, au contraire, respect du caractère traditionnel de la ville, en améliorant simplement le tracé d'ensemble et en apportant les modifications partielles nécessaires, au point de vue de l'hygiène, des transports, des écoles, etc ... ; ces deux tendances situaient, dès ce moment, la position du problème qui, d'ailleurs, est toujours en discussion pour l'ensemble des études relatives aux villes en général.

Il est de toute évidence que même les réformateurs et techniciens les plus audacieux doivent tenir compte des situations capitalistes du moment. A cet effet, dès le début du XIXème siècle, alors qu'une idée timide s'affirmait dans le sens de l'amélioration des voies urbaines, des luttes s'engageaient autour du projet de loi ayant pour but l'expropriation des terrains appartenant à des propriétaires particuliers. N'oublions pas que la « Révolution Française » avait proclamé « l'inviolabilité de la propriété » et, à la faveur de cette déclaration, les législations suivantes tendaient à protéger les propriétaires anciens et nouveaux contre toute expropriation ; mais rien ne peut arrêter, à un moment donné, la création de voies nouvelles qui ont tant d'importance, nous l'avons indiqué, sur la vie et le développement des agglomérations humaines. C'est par une sorte de compromis entre propriétaires et villes que s'inscrit, dans la loi, cette clause restrictive : expropriation pour cause « d'utilité publique » ; mais, où commence et où finit « l'utilité publique » ? Quel sera le montant de l'indemnité en faveur de l'exproprié ? Les propriétaires se défendent au moment même précisément où, à Paris, une obligation impérieuse s'impose, de 1830 à la fin du Second Empire, d'améliorer les rues de la Capitale. Ce n'est qu'un exemple !

Des spéculations immobilières ont lieu dans des proportions considérables. Des richesses se constituent sans grand effort pour ceux qui sont propriétaires d'immeubles, d'industries, de masures, de terrains maraîchers ou autres, sur la ligne des nouveaux tracés urbains. Émile Zola a décrit sans exagération, dans « La Curée » cette folie de spéculations.



Nous avons vu, dans l'ensemble de cet exposé, comment se sont formées les cités : lieu géographique, influence du sol, du sous-sol, du climat, de la voie naturelle permettant les communications, les échanges ; influence économique d'abord, politique ensuite ; nous avons examiné la force d'extension des villes sous l'impulsion des éléments intérieurs ou extérieurs, malgré la volonté du « Maître de la Ville » - dirigeant du moment - et nous avons souligné l'importance de l'élément étranger au bourg et à la ville dans son développement, puis, enfin, le rôle joué à ce point de vue par les inventions du XIXème siècle, la voie ferrée et ses conséquences dans la plupart des pays du monde ; enfin, les premières idées en faveur d'un plan d'ensemble pour améliorer, aménager, transformer ou créer les cités sur des bases modernes, en donnant ainsi aux hommes des objectifs nouveaux au point de vue de la vie sociale solidaire.

L'urbanisme technicien sera animé par cet esprit : il sera « homme social » d'abord, il aura par tempérament et par goût des vues d'ensemble. En qualité de technicien, il sera au courant des données générales sur les influences et les évolutions que nous avons résumées ci-dessus, et, de ce fait, il n'étudiera pas un projet de ville sans en connaître dans ses grandes lignes, le passé, les tendances économiques et politiques, ses valeurs propres, matérielles et intellectuelles, persistantes, temporaires : il situera d'une façon aussi précise que possible le village, le bourg, la petite ville ou la grande cité dans leurs relations géographiques, géologiques, économiques, etc ... avec les autres villages, bourgs et cités voisines. C'est alors que, possédant cette première documentation, il concevra le plan et, l'ayant conçu et précisé au mieux, il fera appel - car il est homme d'idées générales mais il n'est pas universel - aux collaborateurs, spécialistes - suivant l'importance du projet - architectes, décorateurs, ingénieurs de toutes catégories : mines, hydrauliques, mécaniques, transports, travaux publics, sanitaires, agriculture, etc..., voyers, hygiénistes, paysagistes, médecins, etc..., etc....

Le principal élément de documentation, c'est la statistique, puis « la situation de la ville » ; à cet effet, la photographie aérienne rend d'importants services, car elle fixe précisément cet emplacement avec sa physionomie propre, le chaos de ses rues et ruelles, ses places, ses maisons, ses faubourgs ; elle déterminera mieux les extensions à prévoir ; c'est une base d'études critiques et constructives de premier ordre. Signalons que les communes du département de la Seine et de la Seine-et-Oise ont été levées par avions, ainsi que Paris et plusieurs départements de la France.

Le plan d'aménagement ou de transformation et d'extension vient ensuite ; il comportera l'étude des banlieues avec les routes ; les ramifications avec le centre ; les servitudes, les expropriations des terrains, des usines, maisons. Certaines villes sont obligées d'envisager, pour leur extension normale, l'empiètement sur plusieurs communes, donc entente intercommunale obligatoire.

Le plan a pour base de réalisation : la voie centrale, où passeront le plus grand nombre possible d'automobiles. C'est la voie de passage, puis toutes les autres, en fonction de celle-ci, en tenant compte de l'orientation rationnelle des maisons à construire.

Le plan de la ville intérieure consiste en l'étude des transports en commun : gare, métropolitain, autobus, des espaces libres, de l'hygiène sociale intéressant toute l'agglomération, des parcs, squares, jamais assez vastes, des piscines, des terrains de jeux et de sports, en tenant compte de leur utilisation par les enfants, les adolescents, les adultes ; puis, évidemment, de tous les éléments primordiaux de la vie matérielle : eau potable, lumière, évacuation des eaux usées, incinération des ordures ménagères. Enfin, le cadre étant tracé, l'Urbaniste et ses collaborateurs auront à se préoccuper des centres collectifs : entrepôts, marchés, écoles, théâtre, etc..., puis les lignes générales des futures habitations : confort, matériaux, esthétique. Ce ne sont là, bien entendu, que des lignes schématiques d'un vaste travail qui demande de la conscience et de l'intelligence.

Les spécialistes dégageront, au fur et à mesure des réalisations, des théories et programmes précis, mais il y aura toujours dans ces projets à venir des cas d'espèces nombreux.

L'urbanisme est devenu rapidement une préoccupation de premier ordre pour tous les esprits clairvoyants ; on peut dire qu'il n'y a rien de social sans l'urbanisme, et, malgré les difficultés générales, il est peu de pays dans le monde, qui, obligatoirement, ne tentent de réaliser, partiellement tout au moins, ce problème.

L'U.R.S.S., avec de grandes audaces dans ses travaux publics et ses constructions de villes, ses centrales électriques, ses nouvelles habitations, ses voies ferrées, va contribuer à créer une unité économique. Le Japon, par l'extension de ses voies ferrées, a pu reconstruire un nombre important de villes. En Europe, avec un rythme plus ou moins accéléré, en Amérique du Sud, au Brésil, la ville de Rio-de-Janeiro complètement transformée sur un plan nouveau. Partout, on assiste à des réalisations plus ou moins importantes et rapides.

Dans l'ensemble des pays capitalistes, malgré ce qui s'y accomplit à cet effet, les créations ne correspondent pas aux nécessités de la vie sociale.

L'urbanisme rationnel, intégral n'existera que lorsque les intérêts particuliers, capitalistes, propriétaires, feront place à l'intérêt collectif. L'urbaniste, en société capitaliste, ne peut avoir les mêmes vues qu'en société socialiste, ce mot pris dans son sens général ; les horizons ne sont pas les mêmes. Une ville ne comportera plus ses quartiers bourgeois et ses quartiers ouvriers, les maisons auront le même confort. Examinons les plans actuels les plus modernes : ils indiquent bien la maison ouvrière, les bains populaires, les jardins ouvriers, etc., qui marquent nettement la différence persistante entre les classes sociales et l'urbaniste n'y peut rien !

Nous ne manquons ni de richesses matérielles (matériaux de toutes sortes) ni de techniciens remarquables, spécialistes de premier ordre, ni de machines.

Le tout est une question d'organisation, de répartition, de mise en commun de toutes ces richesses et de toutes ces valeurs, pour la mise en œuvre d'un plan immense mais réalisable.

Cependant, sous ces réserves absolues, nous pensons qu'il faut réaliser l'Urbanisme au maximum, au mieux, dès maintenant, afin de donner immédiatement plus de bien-être aux individus ; nous pensons qu'il faut créer une tendance, une opinion publique en faveur des améliorations réelles des villes et communes - mais dans le sens d'un urbanisme rationnel - et cette opinion doit provoquer cette action.

- L. CLEMENT-CAMUS.