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VACANCES

Paul Lafargue a exposé avec beaucoup de clarté, dans Le Droit à la paresse, cette idée que la classe ouvrière est possédée par une « étrange folie » : l'amour du travail, la passion furibonde du travail. Et c'est bien, en effet, une des étranges maladies sociales qu'a engendrées le régime capitaliste. Paul Lafargue a montré, dans le cours de son exposé, que ça n'a pas été les peuples qui se sont exténués à des besognes serviles qui ont été grands dans l'histoire, mais au contraire ceux qui ont eu de nombreux moments de loisir et qui ont su les occuper en artistes et en rêveurs. La mercantile Carthage n'a rien créé d'original dans le domaine de l'art, le négoce ne laissant aucune place au rêve. La Grèce, qui a su apprécier les bienfaits de la paresse a légué à la postérité les trésors artistiques et les hautes spéculations philosophiques qui ont, au cours des siècles, fait l'émerveillement des hommes. Ce sont les peuples bergers qui ont découvert les lois de l'astronomie, parce qu'ils ont eu le loisir de contempler le ciel étoilé. Encore aujourd'hui, les créations géniales, les œuvres d'art, les inventions multiples, ne sortent-elles pas, en général, de l'esprit de rêveurs, souvent considérés comme d'inoffensifs maniaques, parce que, aux yeux du vulgaire, ils sont plus préoccupés de leurs chimères que du souci de leur fortune ou de leur pain quotidien ? Il est certain qu'un des droits les plus légitimes de l'homme est le droit au repos. Convenons que le travail est une malédiction (Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front !), du moins le travail tel que la société actuelle l'impose à l'individu. Le travail, vu les progrès du machinisme, ne serait presque plus une nécessité. N'étaient les profiteurs du désordre mondial, le travail, organisé rationnellement, abolirait la plus-value, par suite le chômage et la misère. Alors, le temps de repos pour chaque individu pourrait être très grand ; d'amples vacances viendraient embellir la vie, et l'esprit libéré des soucis matériels pourrait se hasarder plus facilement vers des problèmes plus hauts. Actuellement, la nécessité des vacances s'impose d'autant plus que la production est rationalisée. (La diminution constante de la durée de la journée de travail le démontre). Il est certain qu'après une période d'activité, les muscles ou le cerveau ont besoin de se reposer. Détente et distraction sont des facteurs de régénération. Les machines – organismes d'acier – sont soumises à des révisions périodiques. Avec la machine humaine ne devrait-on pas, à plus forte raison, prendre toutes sortes de précautions ? Jamais Je proverbe n'a été aussi juste : « Qui veut voyager loin ménage sa monture ». Quel est l'être humain qui ne voudrait pas « voyager » aussi longtemps que possible, c'est-à-dire retarder à l'extrême limite le moment de la déchéance et de la mort ? Cette nécessité du repos est apparue dès qu'on a voulu faire travailler les enfants. Mais peu à peu s'est imposée aussi la nécessité des vacances pour les adultes ; et c'est sous ces deux aspects que nous allons envisager la question.

L'enfant éprouve un besoin impérieux de se reposer régulièrement, car il n'est susceptible d'exercer une attention soutenue que pendant un temps très court, d'autant plus court que son cerveau est moins mûr. (Voir Education). Un emploi du temps rationnel comprend des récréations journalières, des repos hebdomadaires, mensuels, annuels. Les vacances scolaires, sauf les vacances d'été, sont réglées selon les fêtes religieuses. Il est à regretter qu'elles ne soient pas déterminées d'une façon rigoureusement mathématique et que, dans ce domaine encore, la raison soit à la remorque de la foi. Dans le cadre du calendrier actuel nous verrions très bien quelques jours de repos à chaque fin de mois, à chaque fin de trimestre et à chaque fin d'année. Ce qui peut encore être passable pour la Noël devient par trop élastique pour Pâques qui oscille avec la pleine lune de Mars. Dans les pays du nord de l'Europe, il y a un mois de repos vers la Noël, ce qui coupe l'hiver long et rigoureux, et les classes vaquent de juin à fin septembre, afin que l'on puisse profiter de la belle saison. Par contre, les vacances s'allongent en été dans les pays chauds (de mai à novembre en divers endroits d'Afrique).

Des vacances réparties judicieusement dans l'année évitent à l'esprit la monotonie des occupations, la lassitude qu'occasionne un effort t trop prolongé, et même l'ennui ou le dégoût pour les natures qui répugnent à un trop long asservissement. Se reposer ainsi n'est pas perdre du temps, c'est laisser à l'esprit le loisir d'assimiler des acquisitions hâtives et de rejeter aussi tout le fatras livresque que des programmes parfois irrationnels – et surtout des maîtres trop imbus de la méthode de remplissage – voudraient empiler dans les crânes jusqu'à éclatement. Elles sont alors comme une sorte de lac régulateur où le fleuve des connaissances vient se clarifier. Malheureusement le déplorable système d'instruction – avec ses compositions, ses examens et concours qui empoisonnent toute la jeunesse studieuse – oblige les élèves à sacrifier jeudis, dimanches et jours de fêtes (et souvent toutes les vacances d'été pour les sessions d'octobre). Cela, au détriment de la santé morale et physique. Il n'y aura de remède que lorsqu'on éduquera la jeunesse selon des conceptions saines, lorsqu'on cherchera à avoir, selon le mot célèbre, non des têtes bien pleines mais des têtes bien faites. Il faut signaler cependant le mouvement sans cesse grandissant des « colonies de vacances ». La question est d'importance pour la population scolaire des grandes villes où, pendant la canicule, l'enfant s'étiole et souffre. L'idée de ces colonies est du pasteur W. Bion, de Zurich, et remonte à 1876. Ce pasteur emmena dans l'Appenzell un groupe d'écoliers de Zurich choisis parmi les plus pauvres et les plus débiles. L'effet sur la santé de ces écoliers fut merveilleux. L'idée suivit son chemin et le mouvement gagna successivement le Danemark, l'Allemagne, I'Autriche, la Russie, la Suède, l'Italie, la Belgique, la France, les Etats-Unis. Partout, on constata chez les enfants des accroissements de poids, de taille, de tour de poitrine, des habitudes de propreté et d'ordre, une faculté d'acquisition intellectuelle accrue, en même temps que le bénéfice de connaissances nouvelles obtenues au contact de la nature.

Devant ces succès et l'engouement légitime des populations, les colonies de vacances se sont développées, et dans ce domaine comme ailleurs, des spécialistes en charité publique et en distribution de dons se sont dépensés (moins par philanthropie que par intérêt bien compris : élection ou réélection, décoration, avancement ou besoin d'assurer une emprise profonde sur les familles). Tout au début, en 1884, par souscription publique, dans le IXe·arrt de Paris, on recueillit 9.000 francs ; en 1885 près de 14.000 francs. Deux adjoints, MM. Champrenault et Duval acquirent un château et son parc à Mandres-sur-Vair (Vosges) et cela permit l'envoi de 100 colons par mois de mai à octobre 1889. On ne compte plus, depuis lors, les initiatives individuelles, les réalisations municipales, départementales ou d'organisations diverses. Des fêtes sont données ici au profit des « pupilles de I'Ecole » ou des « pupilles de la Nation » ; et là on ouvre des souscriptions, on procède à des loteries, à des quêtes, on vote des subventions. On acquiert de magnifiques domaines et c'est alors qu'on organise la plus flatteuse des publicités au bénéfice moral de l'organisation ou de l'organisateur. Seulement... on ne peut satisfaire qu'à un dixième des besoins ! C'est ainsi que, par exemple, la municipalité d'une grande ville de France a reçu, en 1932, 5.000 demandes pour ses colonies de vacances et elle n'a pu offrir que 480 places. Comme toujours, on a l'air de faire beaucoup ; en réalité on exploite un besoin, pour le plus grand profit d'un clan (politique ou religieux) ; et le peuple, au lieu d'exiger la justice, c'est-à-dire des vacances pour tous les enfants, se satisfait d'une misérable charité trop souvent offerte aux bien-pensants, aux quémandeurs, aux petits camarades... La tare du système est là. Et voilà pourquoi, essayant de faire vibrer la corde sentimentale, lorsque les dirigeants de ces œuvres disent aux révolutionnaires : « C'est pourtant une bonne œuvre ; il vaut mieux faire peu que de ne rien faire », ceux-ci répondent : « Votre œuvre est un masque qui cache la justice ; toute l'Eglise tient votre raisonnement dissimulant ainsi sa malfaisance sous une façade de philanthropie. Nous n'apportons pas notre concours aux œuvres sociales de l'Eglise ; nous n'allons pas l'apporter aux œuvres du capitalisme, car ces œuvres servent à le consolider alors qu'il doit être détruit ». Mais nous avons vu des organisations prolétariennes créer des camps de vacances où se sont rencontrés des enfants de divers pays. Ces initiatives ne peuvent qu'être encouragées, lorsqu'elles sont susceptibles de créer une mentalité internationale.

Si les vacances ne sont pas toujours profitables, comme elles devraient l'être, aux enfants de nos écoles, elles le sont aux maîtres, et cela d'une façon fort appréciable. On ne se représente pas toujours très exactement le degré d'épuisement physique et cérébral d'un éducateur auquel on a confié de 40 à 50 enfants pendant 10 mois consécutifs. Sans doute ces vacances sont-elles enviables et enviées, mais indispensables. Si les organismes jeunes sont rapidement redressés, il n'en est pas de même de ceux qui se sont usés sous le harnais. Certes, tout travail devient vite épuisant, et un travailleur manuel a tout autant besoin de repos qu'un travailleur intellectuel ; nous n'allons pas tomber dans le travers courant d'opposer l'un à l'autre. Selon ce que nous avons dit plus haut, des vacances sont nécessaires à tous. Que les avantages obtenus par une catégorie sociale soient reportés sur les autres, c'est tout ce qu'il faut demander et exiger. Le bien fondé de cette revendication n'est plus d'ailleurs mis en doute, et quantité d'organismes capitalistes ont admis la. pratique des vacances payées, ceci dans leur propre intérêt : le rendement du matériel humain s'en trouvant accru ou meilleur. En attendant la transformation radicale – et prochaine – de la société dans le sens libertaire, tous les travailleurs doivent exiger des vacances payées car les vacances sont, pour l'individu, bienfaisantes, régénératrices, vitales.

Ch. Boussinot.