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VIE n. f. (du latin vita, même sens qu'en français)



A l'article protoplasma nous avons parlé des conditions physico-chimiques de la vie et nous avons montré que la substance animée ne se distingue pas essentiellement de la matière inorganique. Tout ce que les métaphysiciens racontent sur ce sujet n'est que verbiage ; seuls les biologistes ont qualité pour nous renseigner sur le problème de la vie. Il faut donc que ce chapitre de la métaphysique descende des nébuleuses cimes où le maintiennent intentionnellement les philosophes spiritualistes, pour n'être qu'un résumé des observations et des recherches que nous devons aux spécialistes et aux hommes de laboratoire. La métaphysique n'est qu'une annexe des sciences expérimentales, quand elle cesse d'être une pure logomachie et de coller des étiquettes pompeuses sur nos ignorances. Comme les spiritualistes sont toujours nombreux et que leurs représentants, un Bergson et un Brunschvieg par exemple, disposent souverainement du haut enseignement philosophique en France, il est utile néanmoins de rappeler les doctrines de ceux qui déclarent la vie irréductible aux réalités du monde physique.

Loin de séparer nettement la substance vivante de la matière brute, les premiers penseurs grecs expliquaient les phénomènes physiques aussi bien que biologiques par un ou plusieurs éléments animés. Par la suite, on opposa l'activité de l'esprit à la passivité de la matière ; néanmoins jamais, chez les anciens, cette dernière ne fut conçue connue absolument inerte. Aristote lui-même affirmait qu'en un sens « tout est plein d'âme ». C'est assez tardivement que l'on considéra la vie comme une réalité sui generis, distincte de la matière inorganique. Mieux inspiré que lorsqu'il s'agit de l'âme, Descartes s'est élevé contre cette théorie ; sa doctrine des animaux machines est sans doute trop simpliste, elle eut du moins le mérite de préparer la voie aux conceptions physico-chimiques modernes. Quant à Leibniz, s'il n'oppose pas les corps inertes aux corps vivants, c'est qu'à ses yeux la matière elle-même reste de l'esprit, mais de l'esprit fruste et à l'état d'extrême dispersion. La vie correspondrait aux degrés intermédiaires qui séparent la matière brute de la monade douée de perceptions et d'appétitions claires.

L'animisme, qui compte parmi ses défenseurs saint Thomas, l'allemand Stahl et de nombreux spiritualistes contemporains, admet que l'âme est le principe de la vie comme de la pensée. C'est elle, assure Stahl, qui commande les mouvements et les secrétions, qui fait digérer l'estomac, battre le coeur, monter le lait aux mamelles à la fin de la gestation ; c'est elle qui préside aux phénomènes de l'assimilation et qui résiste aux influences nuisibles, quand l'organisme est malade. Barthez et l'école dite de Montpellier soutiennent au contraire qu'à côté de l'âme, cause profonde de la vie psychologique, il y a place pour un principe vital, d'essence immatérielle, mais inconscient, qui dirige toutes les fonctions corporelles. Broussais, Pinel, Bichat et les autres défenseurs de l'organisme font dériver la vie de propriétés particulières, les forces vitales, qui se greffent sur les énergies physico-chimiques, mais s'opposent à elles constamment. « La vie, disait Bichat, est l'ensemble des forces qui résistent à la mort ». Cette dernière conception fait déjà une part au mécanisme ; beaucoup de savants et de philosophes finalistes lui ont fait des concessions encore plus grandes.

Chez les biologistes allemands Reinke et Driesch, les entités métaphysiques font une réapparition à peine voilée, sous les noms de dominantes et d'entéléchies. Le naturaliste F. Houssay veut que l'on épuise tout son effort « dans la découverte de l'efficience », avant de recourir à la finalité. C'est pour compléter et justifier le déterminisme, non pour le détruire, que le philosophe Lachelier veut lui surajouter une finalité interne. Comme Kant, Hamelin situe la finalité hors de l'ordre temporel ; elle est une essence, un concept « qui est pur objet sans savoir encore se poser comme tel ». Goblot a le mérite de bannir toute interprétation métaphysique et de ne voir dans la finalité qu'une causalité orientée vers certains avantages. Chez .l'homme c'est la causalité de l'idée ou du désir, chez l'être dépourvu d'intelligence c'est la causalité du besoin.

Avec Bergson, nous revenons aux vieilles duperies néo-vitalistes et même néo-animistes, puisque ce romancier de l'invisible identifie le principe de la vie au principe de la pensée. « Tout se passe, écrit-il, comme si un large courant de conscience avait pénétré dans la matière, chargé, comme toute conscience, d'une multiplicité énorme de virtualités qui s'entre pénétraient. Il a entraîné la matière à l'organisation, mais son mouvement en a été à la fois infiniment ralenti et infiniment divisé. D'une part, en effet, la conscience a dû s'assoupir, comme la chrysalide dans l'enveloppe où elle se prépare des ailes, et, d'autre part, les tendances multiples qu'elle renfermait se sont réparties entre des séries divergentes d'organismes, qui d'ailleurs extériorisaient ces tendances en mouvement plutôt qu'ils ne les intériorisaient en représentations. Au cours de cette évolution, tandis que les uns s'endormaient de plus en plus profondément, les antres se réveillaient de plus en plus complètement, et la torpeur des uns servait l'activité des autres. Mais le réveil pouvait se faire de deux manières différentes. La vie, c'est-à-dire la conscience lancée à travers la matière, fixait son attention sur son propre mouvement ou sur la matière qu'elle traversait. Elle s'orientait ainsi soit dans le sens de l'intuition, soit dans celui de l'intelligence ». On peut difficilement trouver une page dont la grandiloquence soit plus creuse ! Bergson prétend dépasser à la fois le mécanisme et le finalisme ; en réalité, il se borne à donner au problème de la vie une solution purement verbale. L'élan vital (c'est dans l'invention de cette mystérieuse et poétique expression que réside sa principale originalité) suffit, croit-il, à tout expliquer ; il réalise une abstraction et s'imagine avoir fait une découverte géniale.

Pour n'avoir pas à répondre aux innombrables objections que soulève sa théorie, notre philosophe déclare que l'intelligence humaine est « caractérisée par une incompréhension naturelle de la vie ». D'ailleurs la matière n'est qu'un « geste créateur qui se défait », en un sens donc quelque chose de négatif. « La vie est un mouvement, la matérialité est le mouvement inverse ». Merveilleuse jonglerie des mots qui permet à Bergson d'avoir un air profond, tout en parlant pour ne rien dire. Alors qu'il est esclave du plus grossier anthropomorphisme, qu'il ne peut déchirer le voile d'illusions subjectives qui lui cache le réel, notre phraseur s'imagine atteindre l'absolu. Il a su décrire dans un langage subtil des états d'âme fort difficiles à saisir, c'est un mérite du point de vue littéraire et psychologique, ce n'est pas suffisant pour qu'on prenne au sérieux ses fantaisies métaphysiques.

Seule, l'interprétation physico-chimique de la vie nous fait pénétrer dans le secret du monde organique ; seules les théories mécanistes se sont révélées fécondes du point de vue pratique. Certes notre ignorance est encore profonde concernant maints phénomènes biologiques de première importance, mais les plus beaux espoirs nous sont permis, si nous sommes persévérants. Par contre, ni le verbiage animiste ou vitaliste, ni celui de Bergson n'ont abouti à des découvertes notables.



- L. BARBEDETTE.