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Encyclopédie anarchiste
« La pensée libertaire constitue l’espoir et la chance des derniers hommes libres » Camus
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Pacifisme intégral et UPF
Maurice Montet
Article mis en ligne le 15 avril 2020
dernière modification le 14 mai 2020

L’Union pacifiste de France est née en 1961 dans la lignée de mouvements anciens, en particulier la Ligue internationale des combattants de la paix (LICP), très active entre les deux guerres mondiales, et le Comité national de résistance à la guerre et l’oppression après la seconde guerre mondiale.

L’Union pacifiste, indépendante de tout parti politique ou église, réunit des anarchistes, des libres-penseurs, des protestants, des catholiques qui refusent toute guerre et se réclament du pacifisme intégral. Elle a toujours soutenu les insoumis et les objecteurs de conscience, entretenant une correspondance avec eux en prison, témoignant lors de leurs procès, organisant des manifestations de soutien, et en donnant l’information sur leur situation. Elle a en particulier soutenu l’action de Louis Lecoin pour l’obtention d’une loi reconnaissant l’objection de conscience. Pour son action, Louis Lecoin a été surnommé « le Père des objecteurs » et « le Gandhi français ».

<exergue|texte={{en pleine grève des cheminots, alors au service militaire, il refuse de suivre son régiment envoyé pour réprimer les grévistes}} |position=left|right|center>Louis Lecoin, né en 1888 à Saint-Amand-Montrond, au centre de la France, et décédé à Paris en 1971, a été une des plus grandes figures de l’anarchisme et du pacifisme au XXe siècle. En 1910, en pleine grève des cheminots, alors au service militaire, il refuse de suivre son régiment envoyé pour réprimer les grévistes. « Etant syndicaliste, admirant le mouvement des cheminots et approuvant leurs actes, je ne veux pas que l’on se serve de moi comme moyen de répresion. » Ainsi s’exprime-il devant le tribunal militaire avant de connaître sa première condamnation à la prison. Il revendique déjà le droit au refus de tuer.

Il retourne entre quatre murs en 1912 pour une affiche antimilitariste. Libéré en 1916, insoumis à l’appel de la guerre, il replonge pour un tract « imposons le paix ». Relâché, il est arrêté pour une seconde insoumission, et libéré en 1920. Son tract « Paix immédiate » lui fera encore connaître la prison de 1939 à 1941. Il totalisera dans sa vie douze années de prison pour avoir accordé ses actes avec ses idées, et sera le français qui aura totalisé, après Auguste Blanqui, le plus d’années en prison politique. En 1964, nominé pour le prix Nobel de la paix, il se désiste pour ne pas porter ombrage à Martin Luther King.

Louis Lecoin affirmait : « S’il m’était prouvé qu’en faisant la guerre mon idéal avait des chances de prendre corps, je dirais quand même non à la guerre, car on n’élabore pas une société humaine sur des monceaux de cadavres ». Avec lui, l’Union pacifiste n’a aucun respect pour toutes les armées, quelles qu’elles soient, elles commettent toutes les mêmes crimes et posent toujours en victimes les populations civiles. Par contre, nous respectons l’homme sous l’uniforme. Nous pensons que seules les méthodes non violentes, l’utilisation de moyens conformes à la fin que nous souhaitons, pourront aboutir à une société à la fois juste et pacifique. Nous sommes convaincus que, comme l’affirmait Barthélémy de Ligt (1883-1936), membre du Conseil de l’Internationale des résistants à la guerre, « Plus il y a de violence, moins il y a de révolution ». Il développait un plan de campagne contre toute guerre basé sur la non coopération. Déjà Henri David Thoreau (1817-1862) développait la théorie de la désobéissance civile. On rejoint ici les essais de Tolstoï (1828-1910) sur l’anarchisme, le pacifisme et la révolution non violente. Mais c’est un autre débat.

Nous ne prétendons pas avoir seuls raison et les autres torts, nous affirmons ce en quoi nous croyons. Le chansonnier Léo Campion, anarchiste lui-même, disait : « L’objection de conscience est une assurance sur la vie. Elle sera efficace lorsqu’il y aura suffisamment d’assurés. » Nous comprenions que tout le monde ne soit pas objecteur de conscience, mais nous demandons leur respect. Le général Charles de Gaulle, alors président de la république, dit : « il est indigne de traiter les objecteurs de conscience comme des délinquants ». En 1957, les objecteurs français sont encore condamnés à des peines de prison de trois ans en trois ans jusqu’à neuf années, douze pour quelques-uns. Certains se sont mariés alors qu’ils étaient emprisonnés, enchaînés à deux gendarmes pour aller à la mairie. Beaucoup ont été réformés pour tuberculose, certains en sont morts. Ils ont connu le cachot dans des forteresses dans des conditions inhumaines. Les Etats ont toujours été très féroces à l’égard de réfractaires.

Louis Lecoin, qui a connu la prison pendant de longues années, ne supporte pas le traitement fait aux objecteurs. C’est pour lui une injustice inacceptable. Devant l’ignorance ou l’indifférence, il faut dénoncer cette situation. Qu’ils soient anarchistes, libre-penseurs, protestants, catholiques, Témoins de Jéhovah pour la plupart, il faut les secourir.
Lecoin engage alors une grande campagne pour la reconnaissance légale de l’objection de conscience, et crée le Comité de secours aux objecteurs de conscience avec l’appui de nombreuses personnalités, notamment : Albert Camus, Georges Brassens, Théodore Monod, René Dumont, le pasteur Henri Roser, l’abbé Pierre, Lanza del Vasto, les avocats Jean Gauchon et Jean-Jacques de Félice... Il fonde le journal Liberté dont le but est la libération des objecteurs. Pour lancer ce journal, il reçoit des dons, mais il a aussi besoin d’un prêt. Il va trouver le chanteur Georges Brassens et lui fait part de son projet. Brassens s’assied à la table et rédige un chèque dont la somme est qualifiée de « rondelette ». Puis Lecoin s’assied à la table et rédige une lettre. « Qu’est-ce que tu écris ? - Une reconnaissance de dette. - Mais j’ai confiance toi - Et s’il m’arrivait quelque chose ? - Crois-tu que c’est mon argent que je regretterais » répond Brassens.

Il fait de nombreuses démarches, informe le public et les députés, fait présenter au gouvernement un projet de loi rédigé par Albert Camus.

Parallèlement, des associations agissent pour le soutien des objecteurs et demandent une loi : Le Mouvement international de la réconciliation (MIR) avec les pasteurs Philippe Vernier, Henri Roser, André et Magda Trocmé qui ont sauvé des milliers d’enfants juifs pendant l’ocupation au Chambon-sur-Lignon.

Le Service civil international (SCI), qui réclame l’affectation des objecteurs, avec Etienne Reclus, petit-neveu du géographe Elisée Reclus.

L’Union pacifiste de France (UPF), dont fait partie Louis Lecoin, avec Félicien Challaye, May Picqueray, Jean Gauchon, Maurice Laisant, Emile Véran qui soutient personnellement les emprisonnés.

La Ligue d’action pacifiste (LAP), section française de l’Internationale de résistants à la guerre (IRG), qui publie régulièrement la liste des objecteurs emprisonnés dans le monde, avec Louis Simon, gendre du philosophe Han Ryner, et Pierre Martin.

La LAP fusionne en 1966 avec l’UPF qui devient la section française de l’Internationale.

L’Action civique non violente (ACNV),issue de la Communauté de l’Arche de Lanza del Vasto, animée par Joseph Pyronnet. L’ACNV organise des manifestations contre les camps de rétention, contre la guerre d’Algérie, et pour une loi reconnaissant l’objection de conscience. Une quarantaine d’objecteurs participent aux manifestations, ils se font arrêter et s’appellent tous du nom de l’objecteur recherché, avant d’être incarcérés. Ils acceptent tous de se conformer à l’action non violente, y compris les deux anarchistes.

Tout cela fait beaucoup de bruit au moment de la guerre d’Algérie, mais la loi n’avance pas, et les objecteurs sont toujours emprisonnés.

En juin1962, à 74 ans, le gouvernement faisant la sourde oreille, Louis Lecoin met sa vie en jeu et entame une grève de la faim qui dure vingt-deux jours. Alors qu’il est hospitalisé de force à l’hôpital Bichat, des centaines de personnes manifestent devant l’hôpital avec des pancartes : « Une loi pour les objecteurs », « Sauvez Lecoin ». La liaison entre Lecoin et le gouvernement est incessante, assurée principalement par Pierre Martin. Le général De Gaulle dit « je ne laisserai pas mourir Lecoin », et promet une loi. Lecoin, décidé à aller jusqu’au bout, peut alors arrêter sa grève de la faim. C’est le seul homme à avoir fait plier le général. Il est vrai que ce dernier avait déclaré : « il y a deux sortes de soldats, les engagés volontaires et les objecteurs de conscience. »

Il faut attendre le 21 décembre 1963 pour qu’une loi soit enfin votée au Parlement. Elle est très imparfaite et ne ressemble guère aux propositions initiales. Mais elle a le mérite d’exister, et donnera lieu à de nettes améliorations plus tard. Trois-cents objecteurs de conscience sont enfin libérés de prison.

J’ai eu la chance de bien connaître Louis Lecoin. Pour nous, les réfractaires sont les pionners d’un monde sans guerre, comme disait Albert Einstein. Tant qu’il y aura un objecteur ou un insoumis emprisonné dans le monde, nous serons mobilisés. Tel est notre combat pour la justice et pour la paix.

Je conclus avec la déclaration de l’Internationale de résistants à la guerre : « La guerre est un crime contre l’humanité. Pour cette raison, nous sommes résolus à n’aider aucune espèce de guerre et à lutter pour l’abolition de toutes ses causes. »

Maurice Montet

Source : colloque « Pacifisme et objection de conscience en Europe » 19 octobre 2012, organisé par le Bureau européen de l’objection de conscience et l’UPF. Mise à jour 5 janvier 2014.