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Encyclopédie anarchiste
« La pensée libertaire constitue l’espoir et la chance des derniers hommes libres » Camus
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Présocratiques. (Les )
Article mis en ligne le 22 avril 2020
dernière modification le 14 mai 2020


La violence cosmologique

Dès la plus haute antiquité grecque la violence renvoie à l’intensité d’une force. Bien évidemment, les phénomènes naturels servent de référence : leurs excès, leurs capacités de nuisance, leur existence même, prouvent la violence des forces motrices des astres, des tempêtes…

Empécocle

Empédocle (-495 -435) évoquant la naissance de l’univers, affirme : « …c’était pour la Terre, le Temps de la violence, car elle subissait les inondations déréglées des fleuves ». « Le sel s’était solidifié, sous les coups du soleil ». Pour lui la vie, la matière sont régies par la violence cosmologique, source incommensurable, sinon par ses multiples réalisations ; les éléments : terre, eau, air, feu sont les acteurs d’une thaumaturgie gigantesque. Deux forces contradictoires meuvent les éléments premiers : l’Amour et la Haine. Inutile de préciser que la violence provient de la Haine. L’univers est le résultat de ce combat de ces deux forces. Il conçoit l’homme (microcosme) au modèle du macrocosme (l’univers), il a donc une homogénéité entre l’infiniment grand et l’homme. Donc aucune raison que celui échappe au tourbillon contradictoire des deux forces primordiales. L’homme n’échappe pas à la règle, il mange les animaux, se bat…

Empédocle aura une influence immense jusqu’à la mise en place de la chimie moderne. Il installe la violence dans le registre de la Haine. « Tantôt de par l’Amour ensemble les éléments constituent une unique ordonnance, tantôt chacun d’entre eux se trouve séparé par la Haine ennemie. Et il en va ainsi, dans la mesure où l’Un a appris comment naître du multiple ». Il entrouvre la porte au problème du Mal (Cf. Platon). Il fixe aussi de profondes racines dans la pensée grecque que nous retrouverons en décortiquant la métaphysique.

Héraclite

Héraclite (-544-541 - ≂ 480), considère la violence comme un conflit primordiale, une opposition entre des forces à la fois destructrices et productrices. Cette violence est à la source de la vie, par opposition à l’immobilité d’un principe unique. « Le conflit (polemos) est père de toutes choses, roi de toutes chose » (fragment (fgt) 53). Polémos, la guerre, domine l’univers dans lequel toutes les choses se renvoient les unes aux autres, se transforment sans cesse en leurs contraires. La cosmologie des premiers penseurs grecs s’applique aussi aux choses (ontologie). Pour eux « la violence est force, puissance, et les mouvements qu’elle produit correspond à la nature même des choses » [1]. L’universalité de la violence ne fait aucun doute. C’est grâce à la guerre que les choses viennent à l’existence, mais aussi, et surtout, qu’elles continuent d’exister. Le retour à l’immobilité serait la mort, la régression dans la matière informée en « choses du néant » (M. Conche).

Polémos n’est pas uniquement la guerre [2] avec des armes, c’est aussi « la lutte quotidienne, larvée du maître et de son esclave, de l’esclave et de son maître, qui se traduit, à l’échelle collective, sinon par une « lutte des classes » de tous les maîtres contre tous les esclaves et réciproquement » (Conche p. 443). Qu’Hegel et Nietzsche prissent Héraclite comme modèle n’étonnera donc pas : pensée archaïque, pré-philosophie, dit-on, erreur fatale. La potion magique philosophale a un goût amer qu’il faudra, par ailleurs, dissoudre (ce sera l’objet d’une étude approfondie de la métaphysique à suivre) [3].

Héraclite initie d’autres thèmes majeurs. Pour lui, le combat de l’Un contre le Multiple (et vice-versa) mène à l’Harmonie : « les contraires s’accordent et la belle harmonie naît de ce qui diffère. Toute chose naît de la lutte (fgt 8 ». La métaphore de la route illustre le propos, la pente a deux sens : la montée et la descente, pourtant c’est la même route. Idem pour le fleuve qui est perpétuel devenir : tout s’écoule, rien ne demeure. Pas question de linéarité, mais d’une une circularité (le futur éternel retour de Nietzsche), « le commencement et la fin coïncident » (fgt 83). Héraclite accorde une importance cruciale au feu, prototype du changement de la matière en mouvement et en énergie. Le feu est une substantialisation du Logos, « la foudre gouverne l’univers » (fgt 64). La matière, l’harmonie, le combat, la discorde, l’Être, le Logos, l’Un, le feu et la sagesse sont en étroit rapport, ils sont identifiables, mais indissociables. L’univers périra et renaîtra sans cesse. La conflagration universelle n’est pas une catastrophe apocalyptique, mais une apothéose dont surgit un univers neuf : le recyclage devient chemin.

Dernier point qui nous intéresse, Héraclite, aristocrate et prêtre d’un culte local, honnit la démocratie, règne de la populace, du nombre. Pour lui, la vie est un exil, la mort un retour à la source originelle.