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Encyclopédie anarchiste
« La pensée libertaire constitue l’espoir et la chance des derniers hommes libres » Camus
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Désobéissance civile II
Le camp d’internement de Thol
Article mis en ligne le 11 novembre 2020

C’est l’embryon d’une « armée non-violente » qui va se présenter devant le camp d’internement de Thol, dans l’Ain, en avril 1960. Environ deux cent cinquante personnes vont les accompagner. La manifestation a été interdite, et le cortège est arrêté par les forces de l’ordre à trois cents mètres du départ. Les banderoles sont enlevées. On pouvait y lire : « Essayons la paix. Nous aussi sommes suspects. Reconnaître ses torts est une force. Non aux camps de concentration. Réparons un mal par un bien égal. On ne défend pas la paix en faisant la guerre. »

La police donne l’ordre de dispersion, les responsables de la marche celui de s’asseoir. Tous sont ramassés et chargés dans des cars : le silence est total. Les gendarmes eux-mêmes se transmettent leurs ordres à mi-voix avant d’aller déposer les manifestants dans un pré, six kilomètres plus loin.

Mais le cortège se reforme et repart en contournant la police qui garde la route. Les Trente sont en avant, détachés du groupe principal. À l’entrée de Pont-d’Ain, trois gendarmes barrent la route et intiment l’ordre de s’arrêter. En silence, calmement, les volontaires débordent le barrage et continuent.

À la sortie du village, nouveau barrage avec douze gendarmes, cette fois. Les Trente avancent, sourds aux injonctions de la police. Chaque gendarme se précipite sur l’un d’eux comme sur un forcené, et le « forcené » s’arrête sagement, simplement. Son voisin continue, sans courir, mais résolument, comme s’il n’était plus qu’une volonté silencieuse et inébranlable d’aller vers le camp. Le gendarme abandonne celui qu’il tenait et qui ne bouge plus pour se précipiter sur l’autre qui, dès qu’il est pris, s’arrête. Mais le premier est déjà reparti…

À ce jeu-là, les gendarmes s’énervent quelque peu. Les Trente, dispersés, bousculés, frappés, renversés, progressent quand même. Les voilà sur la place de l’église d’où ils étaient partis le matin.

« Regroupez-vous sur les marches de l’église !  » En quelques secondes, les Trente se retrouvent sur trois rangs en silence, comme pour une cérémonie. Les gendarmes, médusés, attendent : ces obstinés, qui ignorent les ordres, les coups de sifflet et les bousculades de la police, sont remarquablement disciplinés quand leur chef leur parle. Il parle peu… « Détendez-vous, respirez », dit-il, et chacun de s’exécuter, même les gendarmes.

L’atmosphère un peu électrique semble s’apaiser.

Mais, soudain, il dit : « En avant ! » Et les voilà tous qui s’avancent à nouveau, sans précipitation, mais d’un pas ferme, droits, les bras au corps. La bousculade recommence, un peu plus vive, les coups pleuvent.

« Voilà le chef, prenez-le. » Un gendarme le saisit et veut l’entraîner. Il se laisse tomber à terre. Il est traîné et jeté sans ménagement dans un camion d’où il ressortira par trois fois. Après lui, il reste vingt-neuf chefs à qui il faudra appliquer le même traitement. Finalement, tous se retrouvent enfermés et emplissent de leurs chants les fourgons de police, puis la cour de la gendarmerie ! Lors de l’interrogatoire, la police veut connaître leurs motivations et l’origine du groupe :

"Mais, enfin, qui êtes-vous ? C’est vous qui les avez recrutés ? Que leur avez-vous dit ou fait ? Vous les avez hypnotisés ?"

Je leur ai dit ce que je vous dis, que ces camps sont une injustice grave qui prive les détenus de leur travail, de leur famille et de leur liberté, et cela par simple décision administrative, sans jugement. C’est une injustice commise en notre nom, nous en sommes responsables. De plus, si nous voulons la paix, il faut la faire, et pour cela accepter les mêmes sacrifices que d’autres font pour la guerre. Ils sont très disciplinés, mais ce n’est pas à moi qu’ils obéissent, c’est à leur conscience. Si je leur demandais de vous frapper, ils ne m’obéiraient pas.

Plus tard, trois fourgons de police vont les déposer, un par un, à 120 km de là, dans le massif du Jura. Deux fois encore, ils se présenteront au camp de Thol. Après une nuit au commissariat, ils sont relâchés, toujours dans le Jura. Ils observent la trêve de Pâques en faisant un jeûne de trois jours à Lyon, puis ils partent pour Paris pour se présenter devant le centre de tri de Vincennes.

La décision d’agir à Paris s’explique par le sentiment d’essoufflement des actions devant les camps et pour donner une nouvelle impulsion au mouvement.

Cette action de Thol a été une expérience forte pour tous les participants. Le silence et le jeûne, l’unité réalisée entre des personnes de tendances très diverses, la détermination des volontaires pour l’internement ont fait entrevoir les dimensions possibles de la non-violence. Les cinq jours de préparation avant la marche ont porté leurs fruits pour l’organisation et pour transmettre l’esprit et le sens vrai des consignes. Ce qui a permis de témoigner que la non-violence est à la fois une philosophie et un moyen d’action.