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MASSACRE s. m. (du bas allem. mastken, égorger)

Carnage, tuerie de gens qui ne peuvent se défendre. Par analogie : grande tuerie de bêtes. Fam. : Destruction d'objets nombreux. Populaire : Homme qui travaille mal, qui ne sait point exécuter convenablement ce qu'on lui a donné à faire. Vénerie : Bois de cerf ou de daim dressé à l'endroit où l'on va donner la curée.

La lutte est la loi constante de la vie. Rien ne subsiste que d'entredévorement. Les minéraux sont décomposés par les végétaux qui, à leur tour, se ravissent leur substance. Les animaux mangent les végétaux et font, d'autres animaux, leur pâture. L'homme, animal tard venu sur le globe, malgré sa faculté de raisonner (apparente ou réelle) n'échappe pas à cette loi, ne peut pas y échapper ; mais alors que, dans le règne animal, rarement les individus d'une même espèce s'entretuent, chez l'homme c'est un fait normal et universel. Son instinct contrarié et complexe, sa faculté d'induire et de déduire, l'ont amené à considérer toute la nature comme un vaste champ d'expérience, où chaque individu peut être consommé, soit directement, soit dans les produits de son activité. Le seul critérium possible aux premiers âges de l'humanité, est la force. Sa force propre d'abord, sa force d'individu, puis celle de sa famille, de son clan, de sa tribu, celle enfin de son pays. Et aussi, dans le sein même de son clan, de sa tribu, sa propre force agissant sur les autres composants du milieu ; dans le pas, sa famille, son clan, son parti, agissant sur les autres individus ou les autres clans ou les autres partis.

La force, d'abord brute, toute d'agilité et de ruse, ne tarde pas à se sophistiquer. La force s'adjoint « le droit à la force », et le devoir de se soumettre à la force, non plus seulement du muscle et de la ruse, mais encore du raisonnement. Et cette force altérée, déviée, trouve son expression dans le gouvernement.

Le gouvernement puise sa force dans la croyance que les gouvernés ont de son droit à gouverner. Pour faire accepter cette foi, les prêtres enseignent l'existence d'un Dieu Tout-Puissant qui a révélé aux hommes sa loi. Cette loi est d'obéir au Prince : « Car toute autorité vient de Dieu » (Saint Paul). Ce Dieu, Justicier Suprême, invisible, mais toujours présent, punira de supplices inimaginables, quiconque transgressera sa loi.

Tant que les hommes, les peuples ne mettront pas en discussion la révélation, l'ordre règnera. Aussi le Pouvoir devra-t-il empêcher par tous les moyens l'examen de cette règle. Il y parvient : 1° En s'appropriant le sol et toute richesse sociale, maintenant ainsi les peuples dans la plus grande misère matérielle et intellectuelle ; 2° En supprimant incessamment tout individu qui ne se soumet pas à la règle.

Mais les révélations, les règles, sont aussi multiples que les groupements nationaux. Les guerres, le commerce, mettent en présence des individus ayant des croyances différentes. L'esprit critique se développe nécessairement et menace dans chaque groupe, dans chaque pays, la révélation, et partant : l'ordre. Le pouvoir du moment (religieux ou de prétention divine), sous peine de disparaître, doit se débarrasser des « fauteurs de désordre », il sévit brutalement. Ses tribunaux condamnent et quand les hérétiques, les indisciplinés sont trop nombreux ses soldats les massacrent par dizaines, par centaines, par milliers. Aussi l'histoire ; n'est-elle qu'une longue série de carnages, de massacres. Dans leur fureur aveugle, les reîtres tuent tout : femmes, vieillards, enfants. Tantôt, ces massacres se font au nom de Mahomet, tantôt au nom du Christ, tantôt au nom du Roi, du Prince, de la Patrie, de l'Idée. Mais si les peuples, spoliés, las d'être miséreux, se sont parfois soulevés contre les gouvernants et les ont massacrés, souvent, presque toujours, ce sont ceux-ci (absous par les juges, bénis par les prêtres) qui ont massacré le peuple. Prêtres et gouvernants, les uns s'appuyant sur les autres, ont toujours marché la main dans la main lorsqu'il s'est agi de mieux asservir les peuples.

Voltaire, a fait le décompte des victimes immolées au saint nom du Dieu des chrétiens. Le total se montait à neuf millions sept cent dix-huit mille huit cents (9.718.800). Encore avait-il, de bonne foi, réduit tantôt de moitié, tantôt d'un tiers les rapports des historiens. Voici un abrégé du dénombrement fait par Voltaire et donné par Pigault-Lebrun (Le Citateur) : L'an 251, Novatien disputait la papauté au prêtre Corneille. Dans le même temps, Cyprien et un autre prêtre, nommé Novat, qui avait tué sa femme à coups de pieds dans le ventre, se disputaient l'épiscopat de Carthage. Les chrétiens des quatre parties se battirent, et il y a modération en réduisant le nombre des morts à deux cents, à... 200.

L'an 313, les chrétiens assassinent le fils de l'empereur Galère ; ils assassinent un enfant de huit ans, fils de l'empereur Maximin, et une fille du même empereur, âgée de sept ans ; l'impératrice, leur mère, fut arrachée de son palais, et traînée avec ses femmes par les rues d'Antioche et l'Impératrice, ses enfants et ses femmes furent jetés dans l'Oronte. On n'égorge pas, on ne noie pas toute une famille impériale sans massacrer quelques sujets fidèles, sans que les sujets fidèles ne perforent quelques égorgeurs ; portons encore le nombre des morts à deux cents, ci... 200.

Pendant le schisme des donatistes en Afrique, on peut compter au moins quatre cents personnes assommées à coups de massue, car les évêques ne voulaient pas qu'on se servit de l'épée, parce que l'Église abhorre le sang, ci... 400.

La consubstantialité mit l'Empire en feu à plusieurs reprises ; et désola pendant quatre cents ans des provinces déjà dévastées par les Goths, les Bourguignons, les Vandales. Mettons cela à 300.000 chrétiens égorgés par des chrétiens, ce qui ne fait guère que sept à huit cents par an, ce qui est très modéré.

La querelle des Iconoclastes et des Iconolâtres n'a pas certainement coûté moins de soixante mille vies.

L'impératrice Théodore, veuve de Théophile, fit massacrer, en 845, cent mille manichéens. C'est une pénitence que son confesseur lui avait ordonné, parce qu'il était pressé, et qu'on n'en avait encore pendu, empalé, noyé que vingt mille, ci... 120.000.

N'en comptons que vingt-mille dans les vingts guerres des papes contre papes, d'évêques contre évêques, c'est bien peu : ci... 20.000.

La plupart des historiens s'accordent et disent que l'horrible folie des croisades coûta la vie à deux millions de chrétiens. Réduisons le compte de moitié, et ne parlons pas des Musulmans tués pas les chrétiens.

La croisade des moines-chevaliers-porte-glaives, qui ravagèrent tous les bords de la Baltique, peut aller au moins à cent mille. (100.000).

Autant pour la Croisade contre le Languedoc, longtemps couvert des cendres des bûchers (100.000).

Pour les Croisades contre les Empereurs depuis Grégoire VII, nous n'en compterons que trois cent mille.

Au quatorzième siècle le grand schisme d'Occident couvrit l'Europe de cadavres ; réduisons à cinquante mille les victimes de la « rabbia papale ».

Le supplice de Jean Huss et de Jérôme de Prague fit beaucoup d'honneur à l'empereur Sigismond, mais il causa la guerre des Hussistes, pendant laquelle nous pouvons hardiment compter cent cinquante mille morts.

Les massacres de Mérindol et de Cabrières sont peu de chose après cela : vingt-deux gros bourgs brûlés ; (les enfants à la mamelle jetés dans les flammes ; des filles violées et coupées en quartiers ; des vieilles femmes qui n'étaient plus bonnes à rien, et qu'on faisait sauter par le moyen de la poudre à canon qu'on leur enfonçait dans les deux orifices ; les maris, les pères, les fils, les frères, traités à peu près de même ; tout cela ne va qu'à dix-huit mille, et c'est bien peu.

L'Europe en feu depuis Léon X jusqu'à Clément IX ; le bois renchéri dans plusieurs provinces par la multitude des bûchers ; le sang versé à flots partout ; les bourreaux lassés en Flandre, en Hollande, en Allemagne, en France, et même en Angleterre ; la Saint-Barthélémy, les massacres des Vaudois, des Cévennes, d'Irlande, tout cela doit aller au moins à deux millions.

On assure que l'Inquisition a fait brûler quatre cent mille individus. Réduisons encore de moitié, 200.000.

Las Casas, évêque espagnol, et témoin oculaire, atteste qu'on a immolé à Jésus, douze millions des naturels du Nouveau-Monde. Réduisons cela à cinq millions ; c'est être beau joueur, ci... 5.000.000.

Réduisons, avec la même économie, le nombre des morts pendant la guerre civile du Japon ; on le porte à quatre cent mille, et je n'en compterai que trois cent mille, ci 300.000. Total: 9.718.800.

L'énoncé de Voltaire mériterait certes d'être continué. Tant de sang pour instaurer le règne du pape et des prêtres, cela fait frémir d'horreur et de rage. On ne sait ce qu'il faut le plus : ou maudire la duplicité sanglante de l'Église, ou plaindre l'incommensurable sottise des fanatiques massacreurs. Voltaire donne ici, en bloc, le compte des victimes du christianisme ; il faut nous arrêter plus particulièrement sur les massacres proprement dits, qui jalonnent l'histoire, douloureusement. C'est tout le Calvaire de la Pensée libre et de l'Individu qui s'inscrit ici en lettres de sang.

Tantôt pour le pape, tantôt pour le roi ; pour défendre « la règle », ou la propriété ; pour faire des adeptes en les dérobant aux autres révélations, ou pour agrandir la propriété seigneuriale ou nationale en volant celle des autres, des millions d'hommes se sont entrégorgés, massacrés. Et quand le libre-examen devient théoriquement la seule règle du Droit, les sociétés débarrassées des luttes religieuses et seigneuriales, manœuvrées par des forbans de la banque et de l'industrie, du commerce et de l'agio au nom de la civilisation, de la Patrie, du Droit, de l'Honneur, se ruèrent les unes contre les autres. Des milliers de prolétaires, puis des millions, jonchèrent les champs de carnage. Amenés au loin, dans les « colonies », les soldats (fils du peuple) gavés d'alcool, ignorants et ignobles, toujours au nom de la civilisation, et pour le plus grand profit des banques, massacrèrent des populations entières sans excepter femmes et enfants.

La Propriété et le Pouvoir : l'Autorité ! voilà l'hydre qu'il faut abattre pour que ne se renouvellent plus jamais ces massacres stupides et terrifiants. De se savoir seuls attelés à une telle œuvre, les anarchistes comprendront-ils l'effort inouï qu'ils doivent fournir ?

Nous ne pouvons ici que signaler brièvement quelques-uns des principaux massacres dont l'histoire nous a conservé le souvenir. Certains emplissent des volumes ; nos lecteurs devront recourir aux ouvrages spéciaux dont il sera parlé au dernier volume de cette Encyclopédie.

Massacre de Vitry 1137. ‒ Louis VII succède à Louis le Gros. Une guerre terrible éclate entre lui et Thibault, comte de Champagne, qui avait pris la défense de Pierre de la Châtre, archevêque de Bourges, promu à ce siège par le pape, contre la volonté du roi. Louis VII marcha contre la Champagne, mit tout à feu et à sang, assiégea la ville de Vitry, et après avoir fait violer les femmes et massacrer les habitants, il eut la barbarie de faire murer les portes d'une église où quinze cents personnes s'étaient réfugiées comme dans un asile inviolable et sacré ; ensuite, il y fit mettre le feu...

Massacres de Champagne 1235-39. ‒ Le 8 novembre 1235, Grégoire IX étendit la Sainte Inquisition à toute la chrétienté. Il délégua en Champagne, comme Inquisiteur, un ancien Cathare, nommé pour ce motif : Robert le Bougre. Il découvrit à Montwimer ‒ lieu encore appelé Montaimé ou Monthermé ‒ un nid de Patarins, chrétiens groupés autour de leur Évêque, Moranis, et n'étant point d'une orthodoxie absolue.

Jugés et condamnés en huit jours, le 29 mai 1239, cent quatre-vingt trois furent brûlés.

« Cette pieuse cérémonie était honorée de la présence du roi de Navarre, des barons du pays, de l'archevêque de Reims, de dix-sept évêques, sans compter les abbés, prieurs, doyens, etc... et une foule estimée à cent mille âmes. Le moine Albéric, un contemporain, dit que ce fut un holocauste agréable à Dieu ». Abbé Meissas, Ephémérides de la Papauté.

Vêpres Siciliennes, 30 mars 1282. ‒ Jean, seigneur de l'île de Procida, avait été dépouillé de ses biens par Charles d'Anjou, et banni en Sicile, ce qui avait excité en lui un tel ressentiment, qu'il forma le dessein d'introduire le roi d'Aragon, comme héritier de la maison de Souabe, dans le royaume de Sicile. Il se trouva secondé dans ses projets par Nicolas III, Michel Paléologue et Pierre d'Aragon.

Pour renverser la puissance de Charles d'Anjou, ils organisèrent dans chaque ville de la Sicile, une conspiration infernale.

Charles, lancé à la conquête de Constantinople voulut commander lui-même sa flotte, et vint assiéger Michel Paléologue dans sa capitale ; malheureusement pour lui son armée fut battue par les Grecs, et il se vit contraint de rentrer à Naples.

Cette nouvelle parvint bientôt en Sicile, et augmenta l'audace des conjurés ; le jour de Pâques, 30 mars 1282, à l'heure de vêpres, aux premiers sons des cloches, les Siciliens se ruèrent sur les Français, les massacrèrent dans les rues, dans les maisons, et jusqu'au pied des autels ; les femmes prenaient aussi leur part de cette boucherie. En moins de deux heures, huit mille victimes furent égorgées.

Émeute des Pastoureaux, 1320. ‒ Sous ce règne éphémère (Philippe V : 1316-1322) dit le moine de Saint-Denis, Jean XXII, pape, fit prêcher par ses moines que la conquête de la Terre Sainte se ferait par des bergers. Aussitôt les gardeurs de troupeaux abandonnèrent leurs moutons, leurs bœufs et leurs porcs, se réunirent par troupes, et parcoururent les provinces, ravageant les campagnes pillant les châteaux, les abbayes, et rançonnant les villes pour se procurer le moyens de passer en Asie. Les Juifs surtout avaient à redouter leur passage, car lorsqu'ils tombaient au pouvoir de ces fanatiques ils étaient impitoyablement massacrés. On raconte qu'une fois les Pastoureaux, après avoir saisi dans une seule ville plus de cinq cents de ces infortunés, les renfermèrent dans une grande tour à laquelle ils mirent le feu.

Ils traversèrent ainsi la France, et vinrent s'abattre sur Carcassonne, où les Vaudois les massacrèrent jusqu'au dernier.

La Jacquerie 1357-58. ‒ Soulèvement des paysans (ou Jacques) de l'Ile de France contre l'oppression des seigneurs et des gens de guerre, français, anglais, navarrais. Voici ce qu'en dit la chronique de Saint-Denis : « Le lundi, vingt-huitième jour de mai 1357. les gens de labour s'émurent dans le pays de Beau-voisin, et coururent sus aux gentilshommes, sous la conduite de Guillaume Caillet leur capitaine ; ils égorgèrent les seigneurs, leurs femmes et leurs lignées ; dans plusieurs villes la bourgeoisie se joignit aux paysans, dont l'insurrection coïncidait avec la tentative révolutionnaire d'Étienne Marcel. Celui-ci envoya au secours des Jacques un contingent, sous la conduite de Jean Vaillant, prévôt des monnaies.

Étourdie d'abord et consternée, la noblesse se ravisa bientôt, et Charles de Navarre écrasa les Jacques près de Meaux (1358). On les massacra sans pitié, on brûla leurs villages, on mit l'Ile-de-France à feu et à sang.

Révolte des Maillotins 1380. ‒ Écrasés d'impôts, les Parisiens se soulevèrent et coururent à l'hôtel de ville, en brisèrent les portes, s'emparèrent des armes qu'ils y trouvèrent, prirent des maillets en plomb dans l'Arsenal et se ruèrent dans les rues, assommèrent les soldats, les fermiers des aides et tous les suppôts de la tyrannie ; ils délivrèrent les prisonniers, brûlèrent les hôtels des princes, et se déclarèrent libres et affranchis de toutes sujétions royales ou princières.

Mais Charles VI entra avec son armée dans Paris et fit brûler le jour même plus de cinq cents insurgés ; pendant plus de trois mois il en fit constamment torturer et pendre jusqu'à trente et quarante par jour.

Enfin, lorsque le jeune roi fut rassasié de sang, il fit publier à son de trompe que le peuple eût à se rassembler sur la place du Palais ; et là, assis sur un trône étincelant d'or et de pierreries, il fit lire par son chancelier, Pierre d'Orgemont, le discours suivant : « Manants et bourgeois de Paris, vous avez mérité mille morts pour avoir massacré les maltôtiers au lieu de payer vos impôts ! ne savez-vous pas que les rois ont reçu de Dieu le pouvoir de prendre vos biens, vos femmes et vos enfants, et même votre vie, sans que vous ayez le droit de faire entendre un murmure ? Ainsi, vous qui avez eu l'audace de vous révolter, tremblez sur la punition de vos crimes, car Charles le Bienaimé est juste, et il vous fera une justice terrible ».

Cependant il eût l'air de se laisser fléchir et il exigea que Paris lui versât vingt millions de francs.

Massacre des Vaudois 1488. ‒ Le pape Innocent VIII, décrète la disparition des Vaudois, secte chrétienne qui n'admettait d'autre source de foi, que l'Ancien et le Nouveau Testament et n'admettait par la confession auriculaire, ni le culte des saints, ni le jeûne.

Voici en quels termes Perrin raconte cette persécution : « Albert, archidiacre de Crémone, ayant été envoyé en France par Innocent VIII pour exterminer les Vaudois, obtint du roi l'autorisation de procéder contre eux sans formes judiciaires, et seulement avec l'assistance de Jacques de Lapalu, lieutenant du roi, et du conseiller maître Jean Rabot. Ils se rendirent au Val de Loyse à la tête d'une bande de soldats pour en exterminer les habitants. Mais, à leur approche, ceux-ci s'étaient enfuis et cachés dans les cavernes...

Pourchassés comme des renards on les grilla dans ces cavernes, on les y massacra... La terreur qu'inspirait ce supplice devint telle que la plupart des Vaudois qui avaient jusque là échappé aux recherches des envoyés du pape, s'entretuèrent d'eux-mêmes ou se jetèrent dans les abîmes de la montagne pour éviter d'être rôtis vivants...

Les bourreaux firent si bien la besogne, que de 6.000 Vaudois qui peuplaient cette vallée fertile, il n'en resta pas 600 pour pleurer la mort de leurs frères.

Batailles de Jarnac et Montcontour 1569. ‒ À l'instigation de sa mère, Charles IX leva une armée dont il confia le commandement au maréchal de Tavannes. Les troupes protestantes du prince de Condé et de l'amiral Coligny, soutenues par les Anglais s'étaient repliées sur La Rochelle et reprirent l'offensive. Mais inférieures aux troupes catholiques elles furent battues dans deux combats et y subirent des pertes terribles. À Jarnac, Louis de Bourbon, prince de Condé, fut tué avec huit mille religionnaires ; à Montcontour, plus de vingt mille protestants restèrent sur place. Dans cette dernière journée, les catholiques montrèrent une excessive cruauté, disent les chroniques ; ils massacrèrent des corps entiers qui avaient déposé les armes ; et s'ils firent quelques prisonniers, ce fut parce qu'ils étaient las d'égorger. Néanmoins, Pie V blâma fort le maréchal Tavannes de ce qu'il avait laissé la vie sauve à quelques hérétiques ; et, pour réparer cette faute, il écrivit immédiatement au roi de France : « Au nom du Christ, nous vous ordonnons de faire pendre ou décapiter les prisonniers que vous avez faits sans égard pour le savoir, pour le rang, pour le sexe ou pour l'âge, sans respect humain, ni sans pitié... » (Cité par Lachâtre : Rist. des Papes, t. II).

La Saint-Barthélémy, 23 août 1572. ‒ Massacre des protestants sous Charles IX. Il eut lieu au lendemain des fêtes du mariage de Henri de Navarre avec Marguerite, sœur de Charles IX, fêtes qui avaient attiré à Paris un grand nombre de nobles protestants.

Ce drame continua pendant plusieurs jours. Soixante mille personnes (hommes, femmes, enfants), furent tuées. La France presque tout entière fut ensanglantée.

« Ce massacre général des Huguenots, suivit de si près l'élection de Grégoire XIII, qu'on eût dit qu'il était destiné à servir de fête à son couronnement ; toujours est-il que le pontife en recueillit la nouvelle avec une joie inexprimable ; il fit tirer le canon du Château Saint-Ange, commanda des réjouissances publiques pour célébrer le triomphe de la sainte cause, et publia ensuite un jubilé dans toute l'Europe, « afin disait-il, que les peuples catholiques se réjouissent avec leur chef de ce magnifique holocauste offert à la papauté par le roi de France ».

Incendie du Palatinat, 1689. ‒ Les Hollandais l'ayant chassé de leur territoire, Louis XIV envoya Turenne en Allemagne, à la tête d'une forte armée. Les troupes passèrent le Rhin, firent une marche forcée de quarante lieues en quatre jours, surprirent les ennemis dans une plaine près de Sintzheim, ville du Palatinat, les culbutèrent et demeurèrent maîtresses du pays. Turenne écrivit alors à la Cour de France qu'on eut à lui envoyer de nouvelles troupes ‒ car il avait engagé des combats meurtriers, ‒ pour garder sa conquête, ou il se verrait forcé, afin d'éviter toute rébellion, « de manger le pays entre Heidelberg et Manheim ». Louvois répondit immédiatement au général : « Sa Majesté a besoin de son argent pour ses propres dépenses ; elle ne veut point faire de nouvelles levées de soldats, et préfère que le pays soit dévoré ». Turenne se conforma à ces ordres. En moins de dix jours, cent mille habitants, hommes ou femmes, vieillards ou enfants, jeunes filles et adolescents, avaient été violés, noyés, brûlés vifs ou égorgés ; et partout, les villes, les bourgs, les forêts, les récoltes avaient disparu sous le fer ou le feu.

Massacres du Champ de Mars, 17 juillet 1791. ‒ Le 20 juin 1791, Louis XVI s'était enfui des Tuileries avec sa famille pour rejoindre l'armée de Coblentz. Reconnu et arrêté à Varennes, en Argonne (Meuse), il fut ramené à Paris.

La Constituante, essentiellement conservatrice, avait prononcé la suspension des fonctions exécutives du roi, puis il fut réinstallé dans ses appartements.

Le peuple, indigné de la conduite du roi qui, à la « fête de la Fédération » du 14 juillet 1790, avait solennellement promis fidélité à la constitution, et de la faiblesse de la Constituante, le 17 juillet 1791, se rendit au Champ de Mars pour signer une pétition demandant la déchéance de Louis XVI et la proclamation de la République.

Bailly et La Fayette, effrayés par cette manifestation du peuple désarmé se dirigèrent sur le Champ de Mars à la tête de nombreux bataillons, dans lesquels ils avaient répandu des agents de police déguisés en militaires ; puis arrivés devant les attroupements, ils publièrent la loi martiale. Au lieu de se retirer, le peuple couvrit de huées le commandant général et fit retentir les airs des cris : « À bas La Fayette ! à bas les baïonnettes ! » La Fayette ordonna alors aux troupes de faire feu !... Ensuite il commanda une charge à la baïonnette et déblaya l'esplanade et les glacis.

Dans un rapport qu'il fit plus tard à la Convention, Saint-Just déclare que deux mille cadavres furent relevés pendant la nuit. Le marquis de Ferrières, dans ses mémoires, en note quatre cents.

Massacres des 25 et 26 juin 1848. ‒ Le gouvernement bourgeois dissout les ateliers nationaux. Rejeté dans la misère, le peuple de Paris se soulève, dresse des barricades, appelant à la lutte, tous les prolétaires, pour fonder la République socialiste. Des premiers combats ont eu lieu le 23 juin. Le général Eugène Cavaignac est promu commandant en chef des troupes de Paris. Le 24 juin, la Commission exécutive fait place à la dictature de Cavaignac. Le 25 juin, des combats très meurtriers ont lieu dans les rues de Paris. L'armée tue tout, massacre sans pitié femmes et enfants. Enfin, au 25 juin, la révolte est noyée définitivement dans le sang des ouvriers. Thiers s'exerce et Cavaignac, qui fut ensuite candidat républicain contre Napoléon III, agit. Il massacre dix mille ouvriers, ouvrières ou enfants, et en déporte quelques autres milliers. Mais l'histoire officielle présente un Cavaignac si peu conforme à l'original, que nous ne pouvons pas ne pas donner la page que voici, extraite de L'Armée contre la Nation, d'Urbain Gohier :

« Le second égorgeur du nom, le général Eugène (Cavaignac), appliqua les maximes que le sanglant inquisiteur d'Arcueil prêche maintenant à son fils. Il « brandit le glaive, sévit, terrorisa ». Il tua délibérément dix mille ouvriers parisiens ; il en déporta plusieurs milliers. Tout le monde le sait ; mais on ne sait pas assez de quelle volonté supérieure Cavaignac II était l'instrument.

Dans la Vie du R. P. de Ravignan, de la Cie de Jésus, par le R. P. de Pontlevoy, de la même Compagnie, nous lisons : « Le père de Ravignan avait ramené jadis à la religion pratique Mme Cavaignac, épouse du Conventionnel, qui fut un des tribuns de l'ancienne République de 1793, et mère du général dictateur de la nouvelle République de 1848.

Cette femme vraiment forte et comme taillée à l'antique, en restant une romaine par la tête, devint toute chrétienne par le cœur, sincère dans ses opinions politiques, mais avant tout dévouée à ses croyances religieuses. Le P. de Ravignan, à l'époque de son départ de Paris en 1846, l'avait adressée à un excellent prêtre de ses amis, M. Locatelli, vicaire de Notre-Dame-de-Lorette, et depuis curé de Passy. À son retour, il la retrouva presque mère d'un roi, puisque son fils était le chef du pouvoir exécutif...

Le général avait un, véritable culte pour sa mère. Il fut facile à Mme Cavaignac d'inspirer à un cœur si proche du sien les sentiments les plus intimes de son âme, et tout naturellement le général se sentit incliné vers le P. de Ravignan.

Des ordonnances partaient souvent du grand hôtel de Monaco, ‒ (Cavaignac logeait à l'hôtel de Monaco) ‒ pour apporter à la petite cellule de la rue de Sèvres des messages sous le sceau du Pouvoir exécutif. C'était tantôt la mère et tantôt le fils qui consultaient le P. de Ravignan, sur des questions d'un haut intérêt pour l'Église, et ce seul fait, que je me plais à signaler, montre assez la droiture de leurs intentions.

Cavaignac, plus fort en tactique militaire qu'en discipline ecclésiastique, savait, du moins, consulter avant de résoudre... »

Coup d'État du 2 décembre 1851. ‒ Louis-Napoléon Bonaparte, président de la République, ne pouvant être réélu en 1852, la Constitution s'y opposant, résolut de renverser l'Assemblée et de s'emparer du pouvoir. Il change l'état-major de l'armée de Paris et y place des hommes à sa dévotion. Il remplace les régiments qui tenaient garnison dans la capitale par d'autres dont les chefs étaient à lui ; enfin il place à la tête de cette armée un homme taré, méprisé, prêt à tous les crimes : le général Magnan. Il fait, dans la nuit du 1 au 2 décembre, arrêter ses principaux adversaires : le général Changarnier, Thiers, les généraux Lumorlcière, Cavaignac et Bedeau, le colonel Charras. Le colonel Espinasse investit le palais législatif et procède à l'arrestation des questeurs Le Flô et Baze. Les troupes se déploient dans tous les quartiers de Paris, cavalerie, infanterie, artillerie ; les canons chargés, les canonniers ayant en mains la mèche allumée, prêts à mitrailler les citoyens ; les soldats pourvus de cartouches, ivres et menaçants, les officiers insolents et provocants.

Dans la matinée du 2 décembre, Paris semblait une ville prise d'assaut.

Le 3 décembre, les députés républicains et les délégués des sociétés secrètes se réunissent et forment un comité d'insurrection, où étaient : Victor Hugo, Michel (de Bourges), Charamaule, Maurice Lachâtre, etc. Des barricades s'élèvent sur divers points de la capitale ; plusieurs représentants de la Montagne se mettent à la tête des combattants. Baudin, Esquiros, Mavier de Monjan, qui est blessé à la barricade du boulevard Beaumarchais ; Baudin est tué raide d'une balle au front, à la barricade de la rue Sainte-Marguerite, par des soldats du 19ème de ligne, commandés par le chef de bataillon Pujol.

Le 4 décembre, la besogne du dictateur était presque terminée, mais il fallait faire sentir au peuple que le silence était de rigueur. On enlève vingt-cinq millions à la Banque ; les rouleaux d'or sont distribués aux officiers, un million est attribué à Saint-Arnaud, un autre million à Magnan ; des tonneaux de vin, de liqueurs, d'absinthe, sont mis à la disposition des soldats. L'action commence. Boulevard Poissonnière une foule compacte et inoffensive est en face des soldats. Tout à coup, sur l'ordre du colonel Lourrnel, sans provocation, sans prétexte, les soldats, ivres pour la plupart, font une décharge terrible et foudroient les infortunés qui sont devant eux, puis le bataillon ouvre les rangs pour faire place aux canons qui tirent à boulets sur les maisons !... Le pavé des boulevards et de la rue Montmartre est jonché de cadavres... On en compta quatre cents.

La Commune, mars 1871 (voir Commune). ‒ Comme en 1848, la bourgeoisie massacre le peuple. Au gouvernement, le même « sauveur » : Thiers. L'armée de Versailles rentre dans Paris, le 21 mai et le massacre commence aussitôt, 90.000 Parisiens sont assassinés.

Voici, en outre, un état des travaux des Conseils de guerre, publié au début de 1875 (cité par C. Morel, dict. Socialiste) :

Condamnations contradictoires 10.137 ; condamnations par contumace : 3.313. Total : 13.450, dont 157 femmes.

Peine de mort : 270, dont 8 femmes. Travaux forcés à temps et à vie : 410, dont 29 femmes. Déportation dans une enceinte : 3.989, dont 20 femmes. Déportation simple : 3.507, dont 16 femmes et 1 enfant. Détention : 1.260, dont 8 femmes. Réclusion : 64, dont 10 femmes. Travaux publics: 20. Emprisonnement jusqu'à 3 mois: 432. Emprisonnement de 3 mois à 1 an : 1.622, dont 50 femmes et 1 enfant. Emprisonnement de plus d'un an : 1.344, dont 15 femmes et 4 enfants. Bannissement : 432. Surveillance de haute police : 117, dont 1 femme. Amendes : 9. Maison de correction pour enfants : 56 Jugements cassés : 59.286 détenus n'avaient pu être condamnés que pour port d'armes et exercice de fonctions publiques. 766 condamnés dits de droit commun l'étaient, 276 pour arrestations, 171 pour la bataille des rues, 132 pour saisies et perquisitions qualifiées vols et pillage. La révolution « cosmopolite » laissait aux mains des chefs militaires 396 étrangers seulement, la révolution des « repris de justice », 7.119 condamnés sans antécédents judiciaires, contre 524 qui avaient encouru des condamnations pour délits politiques ou de simple police, et 2.381 convaincus de crimes ou délits non spécifiés. Sur les 10.137 condamnés, 29 étaient membres de la Commune, 49 membres du Comité Central, 225 'Officiers supérieurs, 1.942 officiers subalternes, 7.418 étaient des gardes et des sous-officiers.

Massacre de Fourmies, 1er mai 1891. ‒ À l'occasion du 1er Mai, des manifestations eurent lieu à Fourmies (Nord), comme dans toutes les agglomérations industrielles de France. Partout des ordres sévères avaient été donnés ; armé, police, gendarmerie étaient alertés. Les prolétaires devaient une fois encore pleurer des larmes de sang sur leur impuissance.

Voici ce que dit Charles Verecque (Dictionnaire du Socialisme) : « On le sait, comme leurs camarades des autres villes, les ouvriers fourmisiens s'étaient préparés pour la manifestation internationale du travail. Ils avaient décidé un banquet populaire pour le matin, une représentation théâtrale pour l'après-midi et un bal pour le soir. Ces préparatifs n'étaient pas menaçants, mais ils apeurèrent les patrons. Ces derniers firent savoir qu'ils renverraient de leurs fabriques les ouvriers qui ne travailleraient pas le 1er Mai. Puis ils demandèrent à la municipalité de faire venir la troupe. Le 145ème d'infanterie, en garnison alors à Maubeuge, vint camper à Fourmies.

Dès le matin du 1er Mai ‒ et cela pour intimider les ouvriers ‒ des charges furent opérées par les gendarme et des arrestations furent faites à tort et à travers. L'après-midi, une colonne de manifestants s'organisa pour porter à la mairie la liste des revendications ouvrières et réclamer la mise en liberté des prisonniers. Deux jeunes gens se trouvaient en tête : Giloteau, portant un drapeau tricolore, et sa bonne amie, Maria Blondeau, portant à la main un mai, c'est-à-dire une branche fleurie.

Quand les manifestants furent à deux pas de la mairie, les soldats, à l'exception d'un seul, le soldat Lebon, manœuvrèrent leurs fusils. Le crime était accompli. Pour la première fois, les fusils Lebel avaient été essayés sur des poitrines françaises. Voici les cadavres qu'on releva sur le pavé sanglant : Maria Blondeau, 18 ans ; Edmond Giloteau, 19 ans ; Émile Cornaille, 11 ans ; Gustave Pestiaux, 13 ans ; Félicie Pannetler, 17 ans ; Ernestine Diot, 19 ans ; Louise Huhlet, 21 ans ; Émile Segaux, 30 ans : Charles Leroy, 22 ans, et Camille Latour, 50 ans. »

Le 4 mai, la Chambre repoussa l'enquête par 329 voix contre 156.

Fusillades de Draveil, 2 juin et Villeneuve-Saint-Georqes, 30 juillet 1908. ‒ « C'est à Draveil, petite ville de Seine-et-Oise, le 2 juin 1908, sous le ministère Clémenceau, que les gendarmes tirèrent sur les grévistes réunis dans une salle de conférences. »

« Une manifestation contre ces fusillades eut lieu à Villeneuve-Saint-Georges, le 30 juillet 1908, ce qui donna à la police l'occasion de sévir avec violence. La cavalerie chargea. Il y eut beaucoup de blessés. Dret, du syndicat des cuirs et peaux, dut être amputé d'un bras. On apprit, plus tard, qu'un syndicaliste, nommé Métivier, chaud partisan de la manifestation, était de la Sûreté Générale et avait eu, préalablement, une entrevue avec M. Clémenceau, ministre de l'Intérieur. »

Chaque pays agit de même, mais des volumes seraient nécessaires pour dire la millième partie des massacres froidement ordonnés et férocement exécutés : d'hérétiques, de révolutionnaires, de « sauvages ». Nous donnons ici quelques extraits d'un livre très documenté d'André Lorulot : « Barbarie allemande et Barbarie universelle », paru en 1921.

« Comment les PORTUGAIS ont-ils « colonisé » l'Amérique du Sud ? Voilà du reste, d'après le capitaine Palomino, exactement ce qui se passait dans ces petites excursions. Si les habitants recevaient les Européens en amis, les Européens les mettaient à la torture pour les forcer à avouer où se trouvaient leurs trésors. Si au contraire, ils abandonnaient leurs maisons, les Européens commençaient par y mettre le feu pour s'amuser, puis ils traquaient les fugitifs à l'aide de chiens dressés à cet effet et quand ils les avaient découverts, ils les empalaient ou les brulaient vifs. Quelquefois, en chemin, nos hidalgos remplaçaient leurs montures par des hommes. Ils en traînaient toujours une troupe derrière eux, attachés à la douzaine par un licol. Quand l'un de ces pauvres diables tombait de fatigue, ils lui coupaient la tête afin de ne pas être forcés d'ouvrir le cadenas qui fermait son carcan. (Gaston Donnet, Le Temps, 23 mai 1903). »

« L'ESPAGNE ! c'est le Pérou ravagé par Pizarre, c'est le Mexique ensanglanté. C'est Cuba...

Le général Weyler, à Cuba, avait donné l'ordre à ses subordonnés d'être sans pitié avec les insurgés et ils ne lui obéissaient qu'avec trop de zèle. Un jour, quelques insurgés se présentèrent dans une ferme et y reçurent l'hospitalité, les gens qui l'habitaient n'étant pas en force pour leur fermer la porte au nez. Après le départ des insurgés, un colonel espagnol fit arrêter les malheureux fermiers, une famille composée de six personnes (dont une jeune fille de 15 ans)... Après un interrogatoire sommaire, le colonel se retira dans un coin de la salle, se mit à genoux et demeura pendant une bonne demi-heure absorbé dans une muette et ardente prière. Enfin, le pieux guerrier se releva, la figure animée de l'inspiration céleste et donna l'ordre de fusiller les six malheureux ». (La Tribune de Genève (conservateur), 1er novembre 1897).

« Les correspondants des journaux anglais ont dit comment les ITALIENS, avaient sauvagement massacré 400 femmes et enfants et 4.000 arabes, en Tripolitaine.

Le quartier arabe, dit le correspondant de la Westminster Gazette, a été envahi par des soldats surexcités qui, armés de revolvers, tiraient indistinctement sur les hommes, femmes et enfants qu'ils rencontraient. Les officiers étaient pires que les hommes ».

Voici maintenant à l'œuvre la France colonisatrice :

« Nos balles Lebel font des blessures effroyables et presque toutes mortelles... Nous avons eu 6 morts et 11 blessés. Les Dahoméens ont eu 400 morts et 600 blessés, dont beaucoup ont dû succomber à leurs blessures. C'est une vraie boucherie (Le Journal, 1892) ».

« Quelques tirailleurs ont été tués ou blessés. Afin de faire un exemple, le capitaine Voulet fait prendre vingt femmes mères avec des enfants en bas âge et les fait tuer à coups de lance, à quelques centaines de mètres du camp. Les corps ont été retrouvés et le fait est certifié par le capitaine Dubreuilh. (Vigné d'Octon, Ch. des députés, 19 nov. 1900) ».

Enfin, un dernier fait pour terminer :

« Une expédition, sous les ordres du commandant Gérard, chef d'état-major, parcourait le pays depuis plusieurs semaines, ne rencontrant à peu près partout que des manifestations pacifiques. Forte de 1.000 fusils, elle se trouvait à deux heures d'Ambike où le roi Touère, chef du district, préparait une réception triomphale au commandant Gérard, étant animé vis-à-vis de la France des dispositions les plus pacifiques. À Ambike se trouvaient également MM. Blot, enseigne de vaisseau et Samat, agent des Messageries maritimes auxquels le roi Touère avait offert une hospitalité empressée. Tous deux vinrent rejoindre le commandant Gérard et l'aviser des excellentes dispositions du pays. Pour toute réponse le commandant Gérard prévint l'enseigne qu'il aurait le lendemain à prendre part à l'attaque. Quelques instants plus tard, il refusait de recevoir le roi Touère, venu à son tour pour lui présenter ses hommages.

Le lendemain, au point du jour, on entre dans la ville par six côtés à la fois. Le massacre commence. Surprise, sans défiance, la population entière est passée au fil des baïonnettes. Les tirailleurs n'avaient l'ordre de tuer que les hommes, mais on ne les retint pas ; ils n'épargnèrent pas une femme, pas un enfant. Le roi Touère fut tué ; les serviteurs de M. Samat furent tués. La ville ne fut plus qu'un immense charnier. Les Français vainqueurs ne perdirent pas un seul homme. Le nombre des morts fut de 2.500 au moins. Tous les blessés furent achevés. La Gazette officielle annonça qu'on avait fait 500 prisonniers ; c'était un mensonge. Pas un indigène n'était sorti vivant de ce massacre.

M. Galliéni, général, gouverneur, couvrit de son approbation M. Gérard qui eut un bel avancement... » C. A. Laisant. (La barbarie moderne, d'après Vigné d'Octon).

Les guerres sans fin qui ont ensanglanté l'humanité ont eu maintes fois le caractère de véritables massacres. Et la dernière en date mérite bien, au premier chef, cette triste gloire... Les rivalités des nations et des groupes d'affaires, les convoitises coloniales les méthodes intensives d'exploitation sociale, la soif de domination des partis politiques et religieux l'avidité l'ambition, l'intolérance persistantes, servis par les progrès de l'art de détruire, réservent aux générations prochaines d'autres mémorables hécatombes.

L'anarchie ‒ qui travaille à supprimer, avec l'autorité les causes de conflits entre les peuples, à tarir la source des haines, à éloigner du cœur des hommes l'hostilité et de leurs mœurs la violence ‒ ne pénètre que lentement de son influence bienfaisante la mentalité et les rapports humains. Et, avant que son esprit les ait vivifiés et épurés, l'humanité connaîtra encore ça et là, d'odieux massacres dont les patries, les religions et les classes seront le prétexte ou l'occasion. 

‒ A. LAPEYRE.