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Encyclopédie anarchiste
« La pensée libertaire constitue l’espoir et la chance des derniers hommes libres » Camus
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Violence. (Le concept de)
Dominique Morel
Article mis en ligne le 26 mars 2020

Cet article fait partie d’un ensemble de quatre articles : - 1-Corrélats et autres choses - 2- Histoire du concept - 3-Le concept de violence- 4- Langage et violence


D’abord, il ne s’agit pas, ici, de catégoriser les modes de la violence, ni d’étudier ses différentes acceptions, leurs arrière-fonds idéologiques, encore moins de discuter les théories de la violence dans l’histoire de la philosophie. Mais, au regard du « concept de concept », d’examiner la violence en tant concept et d’en tirer quelques premières conclusions [1]

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L’héritage platonicien ferait de l’idée de violence une forme, une essence un quasi absolu immuable. Au modèle du Beau, le concept de violence est une conception statique reçue en héritage. Si le Beau est Beau parce qu’il est beau de nature, la violence est naturelle, présente dans la nature aussi bien dans le cosmos que dans la vie quotidienne. Elle fait partie intégrante de l’ADN de l’univers conçu comme un tout. Il est donc vain de vouloir changer cet état de fait. D’ailleurs, ce serait faire violence à l’idée de violence. Vivre avec au mieux est donc la mission du philosophe. Nous verrons dans la notice : « la violence et la philosophie » qu’elle joue un rôle déterminant à travers les millénaires des présocratiques à nos jours.

Etienne Balibar

Etienne Balibar, dans : « Violence : idéalité et cruauté » (Cf. Bibliographie) introduit son intervention à un colloque sur la violence en notant qu’elle « entre nécessairement dans l’économie de l’idéalité, c’est à dire qu’elle fait partie de ses conditions et de ses effets »., de même que « l’idéalité entre tout aussi nécessairement dans l’économie de la violence ». L’idéalité inclut : les idées, les idéaux et les idéalisations. Position lucide et redoutable qui s’immisce évidemment dans la question du politique et du débat contre la violence du pouvoir et de la domination. Ce qui pose le, non moins redoutable, questionnement sur l’antidote [2] à la violence par le « droit, la justice, le respect, l’amour » donc de l’idéalisation des contraires de la violence, réintroduisant ainsi l’ambivalence et l’ambiguïté du concept de violence mis en évidence par sa polysémie. Pour Balibar, les idéalités (au sens générique qu’il a défini) renvoient aux formes transcendantes (Idées) de Platon qui en retour légitiment leur fonctionnement.

La polysémie de la violence met en évidence la difficulté et les limites d’une théorie du de la violence s’articulant avec le pouvoir, position classique analysée plus bas : la catégorisation et le catalogage des formes de violence ne font pas philosophie. La multiplication des manifestations n’explique en rien le fondement du phénomène et dresse plutôt un écran de fumée que peu de philosophes osèrent et osent soulever.

Difficile de ne pas penser que le concept ne comporte pas une dose d’idéologie qui fait partie de son ADN.

La double hélice du concept. La métaphore biologique de ce paragraphe met en évidence la profondeur du malaise dans le concept. En effet, si l’on considère la vocation universalisante du concept, sa prétention à représenter, par exemple, la totalité de la chien-ité (ou chien-idée), il inclut donc une exclusion de ce qu’il ne représente pas. Balibar (in Passions du concept, la Découverte, 2020) pousse le raisonnement jusqu’à affirmer que le concept réalise « dans le langage lui-même le paradoxe d’une universalisation de la discrimination. Il s’appuie sur des exemples de couples d’opposés, des oppositions reconnues : nous / barbare, chrétiens / païens (idem avec goy ou dhimmi selon les variantes monothéistes) et plus proche de nous : surhomme / sous-homme ; chacun peut compléter, à son envie, la liste. Donc la violence entre parfaitement dans le schème : violence / non-violence, notre sujet.

D’abord, les couples d’opposés significatifs sont typiquement du domaine de la politique. Ensuite, l’asymétrie pose une hiérarchie indubitable, le langage commun ne trompe pas, on ne dit pas non-violence / violence (sinon dans les sphères atypiques des individus de notre engeance marginale). L’énoncé V / N-V est performative, dit-on chez les diplômés. C’est l’opposition elle-même qui devient concept et non les éléments pris séparément. Le premier terme de l’antinomie est dominant, il impose sa loi ; il se désigne un adversaire qu’il rabaisse, il introduit une hiérarchie instituant sa domination, pouvant aller jusqu’à l’éradication de l’opposition (aryens / non-aryens le prouve) – de la Nichtexistenz à la Vernichtung (extermination) de triste mémoire. Ce type de concept fonctionne sur le modèle de « ami / ennemi de Carl Schmidt formalisé dans la Théorie du partisan (Éd. allemande 1963).
Contrairement à l’antinomie qui réclame une dialectique de synthèse, les concepts d’opposition exprime l’impossible unité et surtout l’impossible égalité des termes. Terrain miné qui démontre l’extrême prudence nécessaire dans la manipulation des concepts (opposition homme / femme illustre parfaitement le potentiel de dérives : machiste ou néo-féministe. La déconstruction réserve aussi des surprises nauséabondes.